Présidentielle vénézuélienne du 7 octobre : Episode local d’une lutte internationale

dimanche 7 octobre 2012.
 

J’écris ce billet de Caracas, capitale du Venezuela... Nous sommes là pour, modestement (mais non sans ambition), aider nos camarades pleinement engagés depuis des mois dans l’élection présidentielle du 7 octobre derrière le candidat Hugo Chavez. Venir sur place est utile pour prendre la pleine mesure, ou du moins essayer, du profond processus politique qui se déroule ici depuis plusieurs années et qui franchira encore prochainement un nouveau temps fort, (ou qui sait, un coup d’arrêt ?) dans à peine plus d’une semaine. Comment trois français comme nous peuvent aider nos amis politiques qui agissent ici ? Tout simplement en témoignant le plus clairement possible, de la réalité de la situation en Europe et en France, en décrivant la crise économique et sociale qui frappe ce que l’on nomme au Venezuela le « vieux continent » et en présentant les réponses et analyses qu’apporte le Front de Gauche à cette crise qui fait peser sur l’humanité toute entière une réelle menace. Pour faire cela nous enchaînons réunions et invitations dans différentes émissions de télévision et radio.

A ce programme médiatique s’est ajouté hier notre participation toute l’après-midi à un meeting (ou un séminaire ?) organisé le thème « Néo libéralisme du vieux monde versus socialisme du monde nouveau ». A cette occasion, François et Corinne ont fait honneur au PG par la qualité de leurs interventions successives. Le premier a parlé du coup d’état financier qui frappe l’Europe et la seconde les conséquences écologiques de cette crise. Puis, je suis même moi-même intervenu en dernier pour évoquer le danger de la montée de l’extrême droite en Europe qui se nourrit de la crise provoquée par le néo-libéralisme. La presse locale s’est fait l’écho de tout cela. Depuis, notre programme médiatique et politique reste copieux et il est plaisant de constater que nous ne perdons pas de temps. Sitôt arrivé par exemple, j’ai été invité sur le plateau de Télésur et vous pouvez retrouver cette émission de grande écoute, dans la vidéo qui suit.

La curiosité intellectuelle de tous ceux qui nous accueillent, fussent-ils militants, journalistes ou simples citoyens, est pour moi, impressionnante. Je constate qu’en ce pays que le débat politique est permanent. Nul ne peut nier qu’il y a dans cette partie du monde un peuple mobilisé, impliqué, qui prend parti, qui choisit son camp, et cela s’entend, cela se voit. Il règne une passion politique permanente que je considère assez agréable. Sur les murs de leurs quartiers, sur les balcons des maisons, sur les tee-shirts qu’ils portent, les habitants affichent leurs couleurs politiques. Bien sûr, soyons francs, les partisans de Chavez sont majoritaires. C’est visible. Mais je découvre avec une certaine surprise la présence significative de supporters de Henrique Capriles, le candidat de la droite, dans les rues de Caracas. Concrètement, c’est un premier démenti aux bêtises que l’on peut lire en France, vous savez elles proviennent de ces blagueurs qui osent affirmer que les libertés publiques seraient en danger au Venezuela. Quelle triste farce ! Et quelle honte pour ceux qui répètent après sans savoir, ce genre d’âneries. Ne sous-estimez pas le problème. « Répétez mille fois un mensonge, il deviendra une vérité » disait l’infâme Goebbels, ce nazi qui en connaissait un rayon dans l’horreur et la manipulation. Parfois, je me demande si l’on n’en est pas là dans l’hexagone. Je connais des gens de bonne foi, qui ont de réelles convictions de gauche, et que je considère comme des amis, qui m’ont affirmé, sans jamais bien sûr y avoir mis les pieds, que le Venezuela était en situation de semi dictature, ou du moins sous la poigne d’un régime autoritaire ! En venant sur place, on se demande comment de telles absurdités on pu traverser l’océan. La réalité est que les moyens de propagande de l’opposition à Chavez sont considérables et se voient quasiment partout pour peu que l’on mette le nez dehors ou que l’on allume simplement la télévision. Certes, les choses sont très clivées, ce qui constitue une certaine différence avec la France (encore que ?). Selon la chaîne que vous regardez l’information n’est pas la même. Selon le quartier dans lequel vous vous promenez, la proportion d’affiche pour l’un ou pour l’autre n’est effectivement pas comparable. Concrètement, si vous traversez les quartiers populaires, c’est le visage d’Hugo Chavez que vous allez voir sur les murs. Mais, sitôt que vous irez dans les beaux quartiers vous verrez quasi uniquement celui d’Henrique Capriles. Le découpage géographique est saisissant. En regardant qui décore les murs vous pouvez presque savoir où vous êtes. Mais, il est clair aussi qu’au moindre kiosque à journaux vous pouvez acheter des quotidiens qui parlent quasi exclusivement du candidat de droite en méprisant celle de Chavez. J’observe même dans les quelques kiosques où je m’attarde, que la presse en vente dans la rue est majoritairement défavorable au président sortant. Je découvre même une récente étude qui démontre que la droite bénéficie d’un grand déséquilibre médiatique en sa faveur. La campagne de son candidat dispose du soutien des média commerciaux, d’ailleurs sa famille le groupe Cadena Capriles qui est propriétaire de nombreux journaux dont l’influent Ultimas noticias. Selon ce rapport, 82 % des articles sur Capriles que publie la presse commerciale sont positifs. En revanche, ce chiffre tombe á 26 % lorsque les journalistes parlent d´Hugo Chavez. Qui l’eut cru ? Cela saute aux yeux quand on vient sur place. Si la liberté de la presse est en danger ici en raison d’un candidat, le responsable n’est pas celui que l’on croit.

Ainsi, quand Chavez dans ses meetings, à l’influence nettement supérieure à ceux de son adversaire, nomme Capriles « le candidat de la bourgeoisie », au-delà de la caractéristique politique tout à fait pertinente, il décrit aussi une réalité crue : Henrique Capriles est d’abord et avant tout le candidat de la bonne bourgeoisie venezuelienne, ultra catholique, propriétaire des principaux journaux et des principales chaînes de TV, cette bourgeoisie qui vit concentrée dans les mêmes quartiers cossues, inquiète pour ses privilèges.

Si le clivage est réel selon les quartiers aux alentours, dans les rue du centre ville, les équipes militantes des deux principaux candidats se disposent néanmoins aux différents carrefours. On peut même voir parfois d’un coté et de l’autre de l’avenue des équipes des candidats opposés qui cohabitent, à quelques mètres de distances, dans un chahut bon enfant, mais finalement respectueux de l’adversaire. Verbalement, les uns « chambrent » parfois les autres et vice versa. A coup de sono qui diffuse des musiques et slogans, chaque camp tente de couvrir la voix des autres, mais aucune violence physique ne s’exerce contre qui que ce soit. Le rire est même sur tous les visages. A mes yeux, les partisans de Chavez sont bien entendu les plus audacieux et les plus accrocheurs. Souvent, aussitôt que les voitures s’arrêtent, le temps d’un feu rouge, ces jeunes militants déboulent joyeusement comme une vague multicolores, pour composer, avec des panneaux en cartons à la maison, des slogans favorables à la révolution bolivarienne, puis disparaissent quand le feu passe au vert.

Ceci dit, il est clair que les partisans de Henrique Capriles sont moins nombreux, moins militants et beaucoup plus flou sur leurs motivations lorsqu’on va discuter avec eux que ceux d’Hugo Chavez.

Si vous connaissez déjà Chavez, il me faut dire un mot sur le candidat de la droite. L’enfumage médiatique que l’on peut constater et lire dans certains journaux français, à son profit est assez confondant. Agé de seulement 40 ans, cet homme est le fils d’une des familles les plus riches du Venezuela, il fut l’un chefs de file du coup d’Etat contre Chavez le 11 avril 2002, avec un groupe de putschistes, il fut présent lors de l’attaque contre l’ambassade de Cuba à Caracas. Il participa également personnellement par la force à la « neutralisation » de celui qui était alors le Ministre de l’intérieur mais se présente désormais comme un « humaniste » et quasiment un homme de centre gauche. Il a longtemps appartenu à l’organisation internationale ultraconservatrice Tradition, Famille et Propriété, proche de l’Opus Dei, dont il a fondé la branche vénézuélienne. Malgré le verbiage un peu social qui l’accompagne, son programme actuel est très libéral. Il veut par exemple privatiser les secteurs stratégiques de l’économie qui sont passés sous le contrôle de l’Etat, veut établir l’indépendance de la Banque centrale du Venezuela, en finir avec ce qu’il nomme un « capitalisme d’Etat », etc… Malgré ce programme limpide (quand on prend le temps de le lire dans le détail) et ce lourd pedigree politique, il se trouve encore des journaux français pour vous le présenter comme un homme de « centre gauche ». Il est vrai que dans sa coalition, la MUD, il est soutenu par le parti AD (Action Démocratique) qui est lié à l’Internationale socialiste. Mais, il est surtout soutenu par tous les partis de droite et d’extrême droite. Oui, vous avez bien lu. Au Venezuela, les amis de M. François Hollande soutiennent le candidat unique de la droite. Il est honteux que la IIe internationale, qui vient pourtant de tenir un congrès, soutienne ce candidat réactionnaire. Je n’ai entendu aucune voix socialiste française pour dénoncer ce scandale. Et, je précise au passage qu’à l’inverse, Hugo Chavez lui, est soutenu publiquement par l’ancien président du Brésil Lula, pour lequel les socialistes français prétendent avoir des sympathies.

Dans ces meetings, pour masquer son vrai visage, et pour essayer de mordre sur l’électorat de gauche, M. Henrique Capriles se veut un candidat flou et attrape tout, mais gare, il ne fait pas dans la dentelle non plus. Hier encore, il affirmait par exemple lors d’une réunion publique, à propos des années Chavez : « Plus jamais l’obscurité ne doit entrer dans la vie des venezueliens », ce qui en dit long sur son mépris envers l’œuvre sociale du gouvernement actuel qui a pourtant fait reculer l’analphabétisme et augmenter l’accès au soin et très significativement fait augmenter le niveau de vie des ménages les plus pauvres.

Ne prenez pas Henrique Capriles pour un homme mesuré. C’est un homme de droite dure, qui masque momentanément son projet, mais qui a démontré par le passé qu’il était capable de participer à un coup de force contre un président légalement élu. Si vous ne me croyez pas sur le vocabulaire fleuri qu’il emploie contre Chavez, et que vous pensez que seul ce dernier a le monopole de la parole drue, vous pouvez toujours lire (ou relire) en français Libération de mardi dernier dans lequel, à l’occasion d’une interview d’une page entière ( !), sans que Chavez ait la parole, Capriles affirme : « Ici, on vit dans un gouvernement de gauche rétrograde qui, par certains actes, s’assimile au fascisme. » Waouh ! Rien que ça. Dans ce pays passionné de Base-Ball, la droite pratique la politique comme si elle avait une batte à la main. « Obscurité », « fascisme », la liste est longue de toutes ces calomnies que la droite fait courir contre Chavez, dans le monde ou dans cette campagne. Mais pour Libération et son correspondant, tout cela constitue « Le visage amène de l’anti-Chavez » qui, selon notre sympathique quotidien de la gauche française « fait trembler Chavez ». Quel pipeau. Ici, aucune des personnes que je rencontre ne tremble devant la campagne de ce candidat de la droite. Tous les sondages, même les plus favorables pour Capriles, donnent au minimum 14 % d’écart, voire même 20 %, entre les deux candidats. Hugo Chavez va gagner, mais il souhaite une victoire la plus large possible d’abord pour éviter que la contestation permanente de la droite, qui n’accepte jamais ses défaites depuis 1998, dispose d’une légitimité. De plus, le camp Chavez ne mène pas seulement campagne pour faire plus de 50 %, il mène campagne pour convaincre le plus largement le peuple afin de disposer d’une large assise populaire qui lui permettra d’avancer encore plus dans ces réformes. Chacun des meetings de Chavez est d’abord un grand moment de pédagogie politique, pour convaincre, convaincre et convaincre encore. Et cela marche, alors que la campagne de Capriles patine, malgré ce que peut en dire la presse française.

Notre présence ici est donc de participer à cette campagne si importante, qui n’est qu’un épisode d’une lutte qui se déroule sur le plan mondial. Lutter en France contre les calomnies et les mensonges que subit la révolution bolivarienne et le président Chavez, est en cohérence totale avec le fait d’expliquer à Caracas les raisons qui font qu’il y a deux jours des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Madrid contre l’austérité, le lendemain, elles furent autant dans les rues d’Athènes, puis Lisbonne, et le 30 septembre dans les rues de Paris. En écrivant cela, je repense à cette phrase de Jean Jaurès : « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. » De Caracas, de ce passionnant bain d’internationalisme qui ne durera que quelques jours, tout me ramène à la nécessité de continuer à construire notre Front de Gauche et à faire échec, en France, au politique de rigueur et d’austérité. Malgré toutes les différences entre nos deux pays, fondamentalement, notre combat est le même. Nous ne sommes pas là pour tenter de copier quoi que ce soit, ou pour célébrer un héros, mais pour nous inspirer en retour d’une expérience complexe, mais bien vivante.En politique, comme dans la vie intime, il faut parfois mettre un peu de distance avec son quotidien pour bien en prendre la mesure, et être plus efficace pour essayer de l’embellir et le changer. Beaucoup d’internationalisme nous ramène en France.


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