Banque publique d’investissement Un autre choix est possible

vendredi 19 octobre 2012.
 

Le collectif "Pour un Pôle public financier au service des Droits" vient d’adresser une lettre ouverte au président de la République dont voici la teneur :

Paris, le 17 octobre 2012

Monsieur le Président,

Aujourd’hui est présenté, en Conseil des ministres, le projet de loi relatif à la création de la banque publique d’investissement (BPI). Un projet qui malheureusement, faute d’avoir été réellement débattu et concerté, ne sera pas un projet partagé par le mouvement syndical et le mouvement social.

Votre ministre de l’Economie et des Finances n’a pas souhaité engager ni avec les Confédérations, ni avec les Fédérations professionnelles et les organisations syndicales concernées (notamment celles de la Caisse des dépôts et consignations, du Fonds stratégique d’investissement, d’OSEO, de l’Agence Française de développement en charge de la représentation d’OSEO dans les DOM, de la Coface, d’UBIFRANCE ...) le dialogue préalable spécifique qui aurait permis d’atteindre cet objectif si tant est qu’il ait été souhaité.

Croyez bien que nous avons retenu l’engagement que vous avez pris, publiquement et solennellement à l’occasion de votre discours introductif à la grande conférence sociale du début de l’été, selon lequel : "L’ampleur des réformes que nous sommes en train d’engager trouve sa justification dans la conviction absolue qui est la mienne que notre organisation sociale produit aujourd’hui plus d’injustice que de justice, qu’il faut donc en changer et que c’est un nouveau contrat social, profondément renouvelé, profondément différent, que nous devons élaborer ensemble. Mais l’urgence de la situation ne saurait en aucun cas justifier que l’on méprise le dialogue social".

Pourtant, notre Collectif qui inclut notamment des représentants des personnels concernés par ce projet de BPI et qui compte également des associations citoyennes et de lutte contre l’exclusion, mobilisées en faveur de la nécessaire réappropriation de la finance au service de l’intérêt général, s’est vu opposer, par le ministre de l’Economie et des Finances, plusieurs fins de non- recevoir à nos demandes successives d’entrevue pour débattre de ce projet de loi ainsi que de la future réforme de l’épargne réglementée annoncée publiquement par Monsieur Moscovici comme "sans aucun tabou".

Au moment où notre pays entre en stagnation et doit faire face à une rigueur que beaucoup qualifient d’historique, où le chômage atteint un niveau jamais connu depuis la fin des années 90, ce projet de BPI aurait dû être l’occasion de rassembler largement l’ensemble des parties prenantes y compris les organisations syndicales, les fédérations professionnelles, les acteurs de la société civile.

Au lieu de cela, la presse a rendu compte d’échanges quasi exclusifs entre Bercy, la Banque Lazard, les directions des différents établissements concernés et l’Association des Régions de France (sans jamais évoquer les autres associations d’élus locaux alors que dans sa déclaration de politique générale le Premier ministre a pris l’engagement suivant devant la représentation nationale : "Des activités génératrices pour la croissance bénéficieront du soutien de la future Banque publique d’investissement qui sera mise en place avant la fin de l’année et qui travaillera en liaison étroite avec les territoires et particulièrement les régions". Particulièrement ne signifie pas exclusivement).

Cela est d’autant plus regrettable que vous vous êtes engagés devant les Français(e)s en faveur de la mise en place de déclinaisons spécifiques de la BPI dans les banlieues et en outre-mer. Les représentants des populations de ces territoires ont-ils été réellement consultés sur le projet présenté, ce matin, en conseil des ministres ?

Pour notre part, nous avons demandé solennellement, par courrier, à Monsieur Moscovici de vous saisir de notre demande que cet engagement en faveur des territoires soit élargi au monde rural et à ses 11 millions d’habitants car nous sommes profondément convaincus que cet espace, qui représente géographiquement la majorité du territoire national, dispose de nombreux atouts et constitue un territoire d’avenir, notamment dans le cadre de la conversion écologique de l’économie.

Nous partageons l’analyse faite par le Groupe Monde rural (Association des maires de France, Assemblée des départements de France, Association des maires ruraux de France, Assemblée des Conseils Économiques, Sociaux et Environnementaux Régionaux etc.) selon laquelle le monde rural peut, dès lors qu’on lui en donne les moyens, favoriser un développement territorial équilibré et vivable basé sur de nombreux emplois non délocalisables pouvant contribuer au développement

des énergies renouvelables, participer à la réduction d’émission de gaz à effet de serre, produire et préserver de la biodiversité notamment au travers d’une production agricole repensée ...

Il nous semble également nécessaire de tirer le bilan de la séquence qui a modifié le statut "à but non lucratif" des Caisses d’Épargne, enterré ses missions générales, banalisé la distribution du livret A avec la captation par les banques de 35% de l’épargne réglementée (soit environ 115 milliards d’euros, montant que l’on peut rapprocher de celui qui serait alloué à la BPI : 40 milliards d’euros selon les informations publiées dans la presse. Avec cette précision apportée par le journal Le Monde dans un article en date du 10 octobre 2012 : « Il faut noter que, sur ce total de bilan, la grande majorité des capitaux est déjà investie. Il resterait environ 3,5 milliards d’euros disponibles dans le FSI. ») et cela sans qu’aucune contrepartie d’intérêt général ne soit exigée du secteur bancaire et sans que cela corresponde à aucune injonction préalable de la Commission européenne. Au terme de cette séquence, il y a lieu d’analyser le désastre financier de Natixis et la constitution du groupe BPCE dont un certain nombre de leçons sont à tirer.

Ce que nous pensons, c’est que, pour avoir une réelle portée, le projet de banque publique d’investissement doit désormais faire l’objet d’un véritable débat national sous l’égide du Parlement et se libérer du contrôle étroit - et pas toujours désintéressé - de ce petit monde issu du même cercle qui régente l’ensemble des questions industrielles et financières de notre pays.

Nous appelons le Parlement à ne pas passer directement à l’examen du projet de loi qui va être présenté, aujourd’hui, en conseil des ministres, et à engager le dialogue qui n’a pas été réalisé avec l’ensemble des parties prenantes (organisations syndicales, fédérations professionnelles et Confédérations, acteurs de la société civile et de la lutte contre les exclusions, associations d’élus locaux, ONG investies dans la conversion écologique de l’économie - qui constitue l’enjeu central des investissements d’avenir avec le soutien à l’innovation, représentants des milieux économiques et des directions concernées ...)

Nous espérons sincèrement être entendus car notre démarche est toute entière dédiée à l’intérêt général.

Pour notre part, nous pensons que le projet de BPI doit être mis au service du développement de l’emploi, de la transition écologique et de contrats de travail respectueux des salariés. Sa mise en place demande un suivi approprié à propos duquel aucune garantie n’a été prise pour l’instant, puisque le personnel des institutions financières concernées n’a même pas été consulté.

Les attentes de la population en âge de travailler et des électeurs de notre pays correspondent à ce que nous appelons le droit à l’emploi et à un revenu décent et le droit à la conversion écologique de l’économie. Cela signifie que les crédits alloués et les investissements réalisés par la future BPI le soient en fonction de véritables critères sociaux (emplois stables, qualifiés au besoin par la formation et correctement rémunérés) et environnementaux cohérents avec une perspective de développement humain durable.

Nous estimons indispensables que cette banque "publique" d’investissement, propriété de la République, fasse l’objet d’un véritable contrôle social et citoyen permettant, notamment, aux représentants des exclus, des précaires, des chômeurs et des salariés ainsi qu’aux usagers de la BPI et

à leurs représentants de peser sur les choix qui seront réalisés par cette banque (participation aux orientations et aux choix stratégiques).

Nous souhaitons que, dans chaque région, la BPI rende compte, chaque année, de son action auprès des Conseils Économiques, Sociaux et Environnementaux Régionaux (CESER) et qu’une synthèse nationale annuelle soit élaborée par le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE).

C’est dans ce cadre que nous soutenons le principe d’une principe d’une approche déconcentrée et territorialisée de la banque publique d’investissement qui se doit naturellement d’apporter aux personnels directement concernés toutes les garanties qu’ils sont en droit d’attendre.

Nous demandons également que les moyens financiers dont disposera la future BPI soient à la hauteur des besoins économiques et sociaux de la population et des territoires et, notamment, qu’une partie des fonds de l’assurance-vie qui bénéficie d’abattements fiscaux considérables (confirmés par le projet de loi de finances) soient fléchés vers cette banque publique.

De même nous demandons qu’après le doublement du plafond du Livret de développement durable soit réalisé, sans attendre, le doublement du plafond du Livret A et la centralisation intégrale de la collecte à la CDC (afin de financer prioritairement la construction, chaque année, de 200 000 logements sociaux et d’urgence, la mise en oeuvre d’un vaste programme de rénovation énergétique et de soutenir l’emploi dans le bâtiment, secteur en difficulté très majoritairement composé d’emplois non délocalisables. Le surplus de collecte pouvant naturellement être utilisé en faveur du financement des services publics et des collectivités locales). En outre, nous demandons la création d’un Livret (ou d’un plan) d’épargne pour l’emploi industriel entièrement dédié au financement des activités productives dans le cadre d’une politique de soutien à l’innovation, à l’exportation et à la conversion écologique de l’économie.

En effet, la BPI, telle qu’elle est envisagée à ce stade, est manifestement sous-dotée financièrement et ne pourra contribuer efficacement au redressement productif et industriel attendu.

La BPI ne doit pas simplement viser à pallier les carences des banques commerciales dans l’exercice de leur mission première de financement de l’économie mais doit également impulser une dynamique de financement apte reconstituer dans le pays des filières industrielles porteuses d’emplois et à susciter prioritairement un véritable réveil de l’innovation technologique susceptible de déclencher une dynamique vertueuse dans la reconquête de l’emploi.

Elle doit également s’adresser aux TPE et pas simplement aux PME et Entreprises de taille intermédiaire comme cela est envisagé. Toutes les entreprises qui rencontrent des difficultés pour se financer auprès du secteur bancaire classique - et c’est manifestement le cas de nombreuses TPE - doivent pouvoir solliciter la BPI qui, en lien avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire et après analyse des risques, appréciera si la demande de crédit ou d’investissement sollicitée correspond aux orientations fixées en la matière. Cet élargissement aux TPE nécessite que la BPI dispose des moyens financiers adéquats.

Enfin, nous souhaitons que soit examiné très sérieusement l’apport que constituerait un partenariat - et non une intégration - entre "les dispositifs d’accompagnement des entreprises de la Banque postale et de la Banque de France (et ceux de l’IEDOM) " et ceux de la BPI. Interrogé à ce sujet par un représentant syndical de la Banque de France, le directeur de cabinet de Monsieur Moscovici a répondu : "Vous êtes le premier à m’en parler". Ce principe figure pourtant en toutes lettres à page 4 du projet socialiste 2012 :

http://www.parti-socialiste.fr/stat...

Cela est d’autant plus indispensable, s’agissant de la Banque de France, que les chiffres officiels de la médiation du crédit lui attribuent la sauvegarde de 259 000 emplois sur une période relativement courte (de novembre 2008 à fin 2011). Aucune autre institution publique n’est en mesure d’afficher une telle contribution à la défense de l’emploi. C’est pourquoi les PME ont demandé la reconduite de cette mission. Les missions d’expertise de la Banque de France au service des collectivités territoriales et des PME et sa connaissance sans égale des milieux bancaires et économiques dans tous les territoires ne peuvent que conforter l’action de la BPI.

Monsieur le Président de la République, par cette Lettre ouverte, nous vous demandons d’entendre notre appel en faveur de la réorientation de la finance au service de l’intérêt général, à travers un projet de banque publique d’investissement réellement débattu et concerté avec l’ensemble des parties prenantes, intéressées par cette démarche, et s’inscrivant résolument dans une politique de reconquête de l’emploi durable dans tous les territoires, de conversion écologique de l’économie et de satisfaction des besoins économiques et sociaux.

A cet effet, il nous semble indispensable de travailler sur le lien entre BPI et secteur bancaire privé et mutualiste afin que des synergies soient mises en place avec des financements conjoints. La loi bancaire pourrait utilement préciser les synergies et liens à tisser entre BPI et secteur bancaire dans le cadre, par exemple, de missions générales relevant de l’ensemble du secteur bancaire.

Nous vous prions de demander à votre gouvernement de ne pas prendre de dispositions précipitées qui ne permettraient pas au Parlement, s’il le souhaite, d’engager et d’approfondir le débat véritable et ouvert, que nous appelons de nos voeux, autour du projet de loi de banque publique d’investissement présenté, ce matin, au conseil des ministres par Monsieur Pierre Moscovici.

Croyez, Monsieur le Président, à l’expression de notre haute considération.

Le Collectif « Pour un Pôle public financier au service des Droits ! »

Collectif " Pour un Pôle public financier au service des Droits !"

CGTG IEDOM/AFD GUADELOUPE, CGTR IEDOM/AFD REUNION, SNB CFE-CGC IEDOM/AFD GUADELOUPE, SNB IEDOM/AFD MARTINIQUE, CGT MA IEDOM MAYOTTE, SNUCLIAS-FSU, CREDIT FONCIER : CFTC, CFE/CGC, CGT, SU/SNA, et CFDT (sous délégation SPUCE), CAISSES D’EPARGNE (COLLECTIF NATIONAL CGT CAISSES D’EPARGNE, SNP FO), SNUP- CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS – FSU, CGT GROUPE CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS, CGT BANQUE DE FRANCE, CGT AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT, SPUCE CFDT (PARIS- ILE DE FRANCE : BANQUE DE FRANCE, CAISSES D’EPARGNE, CREDIT FONCIER, AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT), INDECOSA CGT, UNION SYNDICALE SOLIDAIRES, FEDERATION CGT FINANCES, FEDERATION CGT BANQUE ET ASSURANCE, FEDERATION SUD PTT, UNION FEDERALE DES RETRAITES CGT DE LA BANQUE ET DE L’ASSURANCE

Et

AFVS (Association des familles victimes du saturnisme), AITEC (Association internationale des techniciens et chercheurs), ATTAC FRANCE, FONDATION COPERNIC, MARCHES EUROPEENNES, DAL (Droit au Logement), CONVERGENCES POUR LES SERVICES PUBLICS, COORDINATION NATIONALE DE DEFENSE DES HOPITAUX ET DES MATERNITES DE PROXIMITE, RESISTANCE SOCIALE


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