La concurrence, faux remède miracle pour le capitalisme

jeudi 10 février 2022.
 

Aux États-Unis, Joe Biden relance l’idée que la concurrence pourrait être la solution aux tensions inflationnistes et, plus généralement, aux dérives actuelles du capitalisme. Un discours peu convaincant.

Avec le retour des pressions inflationnistes, une proposition commence à émerger dans les milieux centristes, celle de la concurrence. La hausse des prix s’expliquerait par le caractère monopoliste du capitalisme contemporain, qui permettrait aux grandes entreprises de disposer d’un pouvoir de marché considérable. Ces entreprises seraient alors capables de faire passer des hausses de prix sans contre-pouvoir, au détriment des consommateurs.

Pour casser l’accélération des prix, la solution serait alors de favoriser la concurrence et de briser les monopoles par une meilleure régulation et une plus forte libéralisation des marchés.

Ce discours fait florès depuis quelque temps aux États-Unis, où il est repris par Joe Biden. À la fin du mois de janvier, le président a ainsi remobilisé cette rhétorique en assurant demander aux agences de contrôle du gouvernement fédéral de vérifier l’existence de pouvoirs de marché dans des secteurs aussi divers que la volaille ou le gaz naturel.

En juillet 2021, il avait pris une série de 72 décrets pour encourager la concurrence dans de nombreux domaines, et il a nommé à la tête de plusieurs agences des « durs », favorables à une lutte sans merci contre les monopoles. C’est notamment le cas de Lina Khan à la tête de la Commission fédérale du commerce (FTC) et de Jonathan Kanter, un adversaire déclaré de Facebook et Google, à la tête de l’agence antitrust du Département de la justice.

Dans un discours prononcé à l’été 2021, Joe Biden avait donné le ton : « Le capitalisme sans la concurrence, ce n’est pas le capitalisme, c’est de l’exploitation. » Tout était déjà finalement dans cette phrase : la concurrence permettrait de faire baisser les prix et de favoriser l’innovation et la productivité en créant de l’émulation parmi les entreprises. Les citoyens y gagneraient alors à tous les coups. Non seulement en tant que consommateurs par des prix plus bas, mais aussi en tant que salariés puisque la montée en gamme de l’économie permettrait de distribuer des salaires plus élevés.

Cette vision est clairement inspirée par Adam Smith qui a été le premier à défendre, contre les mercantilistes et les défenseurs de la féodalité, cette idée qu’un marché libre où la concurrence est garantie (parfois par l’action publique) produit l’abondance et la « richesse des nations ». Elle est assez séduisante aujourd’hui pour une partie du camp centriste et pour plusieurs raisons.

D’abord, cette idée permet de construire un récit de justice dans lequel une partie des capitalistes, les plus gros, capture la valeur au détriment des salariés et des petites entreprises par la hausse des prix. Il y a donc là la reprise d’un thème qui, en France, a été longtemps l’un des discours préférés de la droite sociale, celui des « petits » contre les « gros ». D’ailleurs, en mars 2019, l’ancien premier ministre Édouard Philippe avait remobilisé ce discours pour promouvoir la concurrence comme solution aux inégalités sociales et aux revendications des « gilets jaunes ».

« Concurrence pure et parfaite »

Certains sont d’ailleurs allés très loin dans cette idée. Dans son ouvrage sur la transition chinoise sorti l’an passé, How China Escaped Shock Therapy (Routledge, non traduit), l’économiste Isabella M. Weber cite une série de discours prononcés à Pékin dans les années 1980 par l’ancien ministre des finances tchécoslovaque du Printemps de Prague, Ota Šik. Ce dernier plaide en faveur d’une libéralisation totale des prix et des marchés, car, selon lui, « il ne peut y avoir de socialisme sans marché libre ».

Mieux même, ajoutait-il, « la supériorité du socialisme sur le capitalisme » sera démontrée par la « concurrence parfaite » et l’absence de monopoles. Car, selon lui, dans cette optique, la concurrence permettra d’assurer l’ajustement économique aux besoins de l’intérêt général déterminé par un marché devant lequel l’égalité parfaite sera réalisée. L’ancien ministre communiste pragois rejoignait ainsi les idées de Friedrich Hayek, d’ailleurs cité en exemple quarante ans plus tard par un premier ministre conservateur français…

Ce n’est pas un hasard : la construction théorique néolibérale, qui est alors en voie de formation dans les années 1980, utilise l’idée de Friedrich Hayek et de Ludwig von Mises selon laquelle la seule justice possible réside dans le résultat du marché libre pour en faire un élément de justice sociale. C’est pourquoi cette idée de « concurrence pure et parfaite », défendue par l’Union européenne, a pu être attirante, et a continué de l’être au sein de la social-démocratie européenne. La reprise de l’inflation serait donc l’occasion de réactiver ce récit.

« L’antitrust », tradition politique aux États-Unis

Ensuite, ce discours permet de développer, comme on l’a vu avec Joe Biden, l’idée d’un « bon capitalisme » contre un « mauvais capitalisme ». Le bon serait celui où règne une honnête concurrence entre des agents libres et égaux et qui produit un résultat « juste ». Et le mauvais serait un capitalisme oligopolistique qui se partage des profits astronomiques sur le dos des bons citoyens. Poser le débat dans ces termes permet d’avoir une explication simple sur les dérives du capitalisme et, surtout, d’avoir des coupables, les grandes entreprises, sans lesquelles le capitalisme serait sain et juste.

C’est l’une des figures les plus courantes aux États-Unis depuis le milieu du XIXe siècle. À chaque fois que les tensions sociales sont fortes, le drapeau de l’opposition aux monopoles ressurgit. Dans les années 1820, les démocrates d’Andrew Jackson (président de 1829 à 1837) expliquent les difficultés des agriculteurs par le monopole bancaire et se lancent dans une politique de « free banking » durant laquelle les banques sont en concurrence sur leur propre émission de monnaie.

Au début du XXe siècle, les États-Unis connaissent une forte concentration des entreprises et les inégalités de revenus sont alors criantes, même si le pays est déjà un des plus riches au monde. Le débat politique s’organise alors autour des politiques « antitrusts ». Alors que les républicains se divisent sur le sujet entre William Taft, favorable au statu quo, et Theodore Roosevelt, fortement antimonopoliste, le démocrate Woodrow Wilson remporte l’élection de 1912 sur un renforcement des lois contre les trusts, ce qui sera fait en 1914.

Le discours de Wilson, qui va alors réussir à mobiliser les électeurs, c’est une régulation fondée sur une défense de la concurrence capable d’empêcher l’émergence de monopoles, et non pour en réparer les conséquences, comme le proposait Roosevelt et comme l’avait fait en 1911 la Cour suprême en brisant la Standard Oil, le monopole du pétrole de John Rockefeller.

Ce même discours sera enfin réutilisé par Franklin Roosevelt dans la deuxième partie du New Deal, afin d’apaiser les fortes tensions sociales des années 1934-36, puis par Harry Truman après la guerre, autre moment de tensions sociales accompagné cette fois d’une forte inflation. Ces héritages historiques sont assumés parfaitement par Joe Biden qui fait des deux anciens présidents ses maîtres à penser dans ce domaine.

Ce récit a d’ailleurs été relancé en 2019 par un livre qui a fait grand bruit aux États-Unis. Écrit par l’économiste français Thomas Philippon, The Great Reversal (traduit en janvier 2022 sous le titre Les Gagnants de la concurrence aux éditions du Seuil) établit que les principaux maux de l’économie états-unienne depuis plusieurs années proviennent d’un abandon des politiques de concurrence et de la lutte contre les monopoles. La baisse des gains de productivité, les inégalités, les salaires, tout cela est le produit de l’abandon de toute politique de concurrence par les dirigeants états-uniens.

Le premier chapitre est titré : « Pourquoi les économistes aiment la concurrence et pourquoi vous devriez l’aimer aussi ». On y retrouve les arguments habituels déjà résumés ci-dessus : la compétition réduit les inégalités et favorise la croissance et l’innovation, les monopoles favorisent les prix élevés et renforce l’exploitation des travailleurs et des consommateurs. On retrouve là les figures du « bon » et du « mauvais » capitalisme mobilisées par Joe Biden.

Dans une période de crise et alors que la hausse des prix aux États-Unis est plus élevée qu’en zone euro (7 % contre 5 % en décembre) et que les salaires peinent à suivre (les salaires réels moyens ont reculé sur un an de 3 % aux États-Unis en décembre), cette rhétorique est donc idéale pour l’administration Biden.

Elle l’est d’autant plus que les tensions sociales sont très fortes désormais outre-Atlantique et que le pouvoir démocrate cherche une voie étroite entre son refus d’un contrôle stratégique des prix, qui effraie les économistes orthodoxes, la pression de ces derniers criant à la surchauffe et à l’abandon du plan social et environnemental « Build Back Better », et le risque d’une surréaction de la Fed à cette poussée de fièvre inflationniste qui conduirait inévitablement à la récession. Le discours antitrust permet de promettre un capitalisme juste et qui fonctionne bien pour faire oublier une forme d’immobilisme coupable face à l’inflation.

Concurrence internationale et monopoles

Le recours à la concurrence apparaît, on le voit, très largement, comme une forme de roue de secours un peu désespérée du réformisme. Au reste, les proches de Biden eux-mêmes reconnaissent que les mesures antimonopolistes auront peu d’impact immédiat sur les prix. Il s’agit donc avant tout d’une posture politique. Mais comme cette posture pourrait être mobilisée également en Europe, il importe néanmoins de savoir si la concurrence est effectivement l’un des moyens de réduire les tensions inflationnistes et de ramener une dynamique forte au sein de l’économie.

Sans doute l’aspect concurrentiel peut-il jouer sur les niveaux comparés d’inflation des deux côtés de l’Atlantique. Mais le fait est que les pressions inflationnistes sont désormais présentes partout, parce qu’elles ne proviennent pas du pouvoir de marché des entreprises, mais des tensions sur des chaînes logistiques extraordinairement éclatées géographiquement. Les effets de rebond violent de la conjoncture et la persistance de la pandémie de Covid-19 ont amené à une désorganisation complète de ces chaînes qui, si un maillon se dérègle, deviennent inopérantes.

Mais pourquoi ces chaînes de valeur sont-elles aussi étirées et éclatées ? Parce que les entreprises ont voulu maximiser les gains par une division du travail jugée optimale. Or cette organisation n’est pas que le fruit d’une simple recherche du profit, elle est aussi le fruit d’une concurrence internationale intense qui a placé chaque entreprise face à la nécessité de baisser au maximum ses coûts de production. Pour cela, les fournisseurs ont été mis en opposition les uns avec les autres, et seuls les plus compétitifs ont survécu.

Résultat : les chaînes de valeur sont atomisées et les entreprises chinoises, taïwanaises ou coréennes ont des monopoles de fait sur certains produits. Si un problème surgit, ce monopole produit une hausse des prix et il n’existe plus assez de compétences ailleurs pour assurer les fournitures et faire baisser les prix. Autrement dit, c’est l’exacerbation de la concurrence qui a conduit aux tensions inflationnistes actuelles.

De ce point de vue, la question est donc moins la situation du marché intérieur que la concurrence internationale. Thomas Philippon doit d’ailleurs admettre que les bénéfices de la liberté du commerce sont moins évidents que les bénéfices de la concurrence des marchés intérieurs. Mais il doit aussi reconnaître que les deux arguments sont très proches. Et de fait, il semble difficile de pouvoir isoler les deux phénomènes sur les cinq dernières décennies. Si certains marchés intérieurs ont été moins concurrentiels, les États-Unis comme l’Europe se sont tous les deux fortement exposés à la concurrence internationale.

C’est bien ce phénomène qui fait que les économies européennes ne parviennent pas non plus à éviter les hausses des prix, qui sont le produit d’une internationalisation du commerce. Il est, au reste, possible que la différence entre le taux d’inflation états-unien et celui de la zone euro s’explique par la différence de croissance entre les salaires nominaux (4 % aux États-Unis contre 1,5 % en zone euro). Cet écart étant supérieur à celui du taux d’inflation, on constate même que la hausse des prix européens semble davantage préserver les profits que celle des États-Unis. © DR

De fait, dans son ouvrage Techno-féodalisme (éditions Zones, 2020), l’économiste Cédric Durand propose une autre vision. La phase de concentration actuelle est bel et bien mondiale. Elle est présente en Europe, comme aux États-Unis ou en Asie. Le lecteur pourra aisément s’en convaincre en observant combien de groupes agroalimentaires remplissent les rayons de ses supermarchés dont la diversité est également réduite.

Cédric Durand souligne que la libéralisation des marchés intérieurs et extérieurs dans les années 1980-90 a conduit à une modification du régime de « concurrence monopoliste nationale » à une « concurrence monopoliste mondiale ». Le régime concurrentiel est, dans les deux cas, contrôlé par des monopoles qui organisent la production. Le régime actuel organise la production au niveau mondial, et ce sont les effets de ce que l’auteur appelle « la tendance à la socialisation accrue de la production » que l’on constate aujourd’hui sous la forme de cette inflation importée.

N’observer que le régime concurrentiel interne aux nations semble donc inapproprié. Les entreprises états-uniennes produisent généralement à l’étranger, et leur pouvoir de marché dépend inévitablement aussi de leur contrôle sur ces chaînes logistiques étirées. Par ailleurs, les gains réalisés grâce à l’internationalisation de la production rendent moins intéressants les investissements productifs locaux.

Plus l’économie est marchandisée, plus elle est mise en coupe réglée par les monopoles.

Ceux qui participent à ce jeu mondial deviennent donc naturellement plus puissants que les petits acteurs locaux, qui finissent par disparaître ou tomber dans le giron des grands groupes. On pourrait ajouter à cela les effets de la financiarisation qui renforce les moyens des grandes entreprises. L’emploi créé se concentre alors dans les services aux entreprises qui, là encore, dépendent in fine des ordres des oligopoles. Il est donc plus précaire et moins bien payé la plupart du temps. Bref, il est impossible d’isoler comme facteur unique de la formation des prix la concurrence intérieure.

Ce phénomène tend à occuper la quasi-totalité des marchés dans les pays avancés. Dès lors, ce n’est pas le régime de concurrence qui est déterminant pour juger de l’impact de cette monopolisation, mais bien plutôt l’étendue des marchés. Plus l’économie est marchandisée, plus elle est mise en coupe réglée par les monopoles.

De ce point de vue, Thomas Philippon souligne bien dans son livre combien le secteur de la santé est un exemple d’oligopole très coûteux aux États-Unis. Mais la différence avec l’Europe n’est pas celle entre un marché verrouillé et un marché libre puisque, en Europe, ce secteur est très largement étatisé. Et c’est bien là que l’on retombe sur la faiblesse du discours en faveur de la concurrence. Aux États-Unis, le marché de la santé est « libre » officiellement et les républicains crient au « socialisme » dès qu’on veut le réguler. Mais la concurrence monopoliste impose des prix élevés. En Europe, l’oligopole existe aussi, mais la traduction dans les prix est réduite, non par la concurrence, mais par l’étatisation des systèmes.

Concurrence et monopole, deux faces d’une même réalité

Cet exemple permet d’évoquer une autre hypothèse. La concurrence n’est pas le remède miracle, ni contre l’inflation ni en faveur d’un « bon capitalisme ». Pour une raison simple : elle creuse en permanence son propre tombeau et produit son inverse, le monopole.

Le monopole n’est pas que le fruit de capitalistes rapaces qui refusent de partager leurs gains, il est le produit du fonctionnement de la concurrence qui efface les entreprises non compétitives et forme donc, naturellement, des concentrations. En réalité, ces concentrations sont même nécessaires dans la logique capitaliste. Sans elles, sans cet espoir de pouvoir s’asseoir sur une rente, la dynamique entrepreneuriale n’existerait pas. C’est du moins l’analyse qu’en fait Joseph Schumpeter dans sa réflexion sur la « destruction créatrice ».

C’est bien pour cette raison que le lien que défend Thomas Philippon dans la lignée d’Adam Smith entre concurrence, productivité et lutte contre les inégalités ne tient pas. Depuis cinq décennies, les politiques concurrentielles ont été défendues au nom de la productivité. Or, depuis ce temps, les gains de productivité ont baissé partout, pas seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe.

Si l’on suit la logique de Thomas Philippon, l’Europe plus concurrentielle devrait être plus productive et plus innovante que les États-Unis, mais ce n’est pas le cas. Le déficit d’investissement est aussi élevé en Allemagne qu’aux États-Unis. L’innovation est désormais un phénomène capté et créé par les monopoles technologiques états-uniens ou chinois. Mais là où ces monopoles n’existent pas, l’innovation n’existe pas.

Et c’est bien là que le bât blesse. Sans reprise des gains de productivité, il ne saurait y avoir de cercle vertueux de la concurrence. Mais le constat amer que l’on peut faire, c’est que, concurrence ou monopole, le capitalisme semble depuis un demi-siècle condamné à subir cette baisse de la productivité. De fait, l’émergence des monopoles serait même le fruit de cette situation : les gains de productivité à se partager étant plus faibles, le régime de concurrence conduit encore plus rapidement que d’ordinaire à l’épuisement des plus faibles et à des concentrations.

Là où Philippon et Biden considèrent que le capitalisme est abîmé par les monopoles, on peut donc objecter que c’est le capitalisme abîmé qui produit les monopoles. Et que la concurrence ou les politiques antitrusts ne sont alors que des pansements sur des jambes de bois. C’est pourquoi, en Europe du moins, le régime concurrentiel n’a jamais été aussi libre, mais, dans les faits, les oligopoles règnent.

Intensification de l’exploitation du travail

De fait, sans capacité à relever les gains de productivité, le seul moyen de dégager du profit est l’intensification de l’exploitation du travail, autrement dit la dégradation des conditions et de la rémunération du travail. En régime concurrentiel, tel que le promeuvent Biden et Philippon, la pression à la baisse sur les prix ne peut que conduire à une intensification de cette exploitation. Et il n’est pas certain que le travailleur s’y retrouve en tant que consommateur. D’autant que, inévitablement, cette concurrence fait des dégâts sans conduire, faute de capacité à gagner de la productivité, à des créations d’emplois de compensation.

Un bon exemple de cette situation est la baguette à 29 centimes lancée en France récemment par le distributeur E. Leclerc (mettant fin de facto à une forme d’entente puisque les distributeurs avaient tous le même prix pour la baguette jusqu’ici, 35 centimes). Cette baisse des prix a été suivie par Lidl et le sera sans doute par d’autres afin de conserver leurs parts de marché. Mais le groupe allemand a prévenu : ce sont les agriculteurs qui en paieront le prix. Et sans doute une partie des salariés. Le tout pour conduire peut-être à une nouvelle concentration d’un secteur déjà très concentré.

On voit mal en quoi ce gain de 6 centimes pour le consommateur au prix d’une fragilisation d’une agriculture déjà exsangue et d’un futur pouvoir de marché renforcé des acteurs représenterait un « bon capitalisme ». Pour détourner le mot de Joe Biden, la concurrence dans ce cas, c’est bien aussi l’exploitation. Finalement, concurrence ou non, l’effet sur le monde du travail semble le même.

L’inflation actuelle n’est donc pas le produit de monopoles qui existaient déjà pendant la période dite de « grande modération » des prix des années 2000 et 2010. En réalité, l’opposition affichée entre concurrence et monopoles ne semble pas, ou plus, pertinente. L’idée défendue par Ludwig von Mises dans les années 1920, dans la suite de Woodrow Wilson, que si la concurrence était parfaite, les monopoles n’existeraient pas, semble contredite par les faits. Quant à l’idée que la concurrence protégerait des dérives du capitalisme contemporain, elle semble faire abstraction de l’origine concurrentielle de ces dérives.

Voilà pourquoi répondre aux maux de l’économie par la concurrence revient à s’astreindre au travail infini de Sisyphe. Ou bien, en le voyant autrement, il ne s’agit que d’un divertissement permettant de déployer un discours politique commode. Certes, les monopoles sont un problème pour la société et ses besoins. Mais le discours pro-concurrence pour y remédier assure surtout le maintien du statu quo en évitant de poser la question centrale de la crise actuelle du mode de production.

Romaric Godin


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