Quand François Hollande doute de la "vérité" contenue dans la "sincérité" de Stéphane Hessel

jeudi 21 mars 2013.
 

1) Le mot malheureux de François Hollande sur la "sincérité" de Stéphane Hessel (Politis)

Évoquant l’engagement de Stéphane Hessel en faveur du peuple palestinien, lors de son discours d’hommage, jeudi 7 mars, le président français a fait part d’une certaine « incompréhension ».

Décidément, le conflit israélo-palestinien ne connaît jamais de trêve. Alors qu’il rendait un hommage solennel à Stéphane Hessel, jeudi matin dans la cour des Invalides, François Hollande a cru devoir porter un coup de griffe inattendu en cette circonstance au grand résistant disparu : « Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple palestinien, susciter par ses propos l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sincérité n’est pas toujours la vérité. »

Saura-t-on quelle est cette vérité que Stéphane Hessel aurait méconnue et que le président de la République connaîtrait ? Un peu plus tard, au cimetière Montparnasse, faisant l’éloge du défunt, Michel Rocard invitait ceux qui ont critiqué Stéphane Hessel sur son engagement en faveur des droits des Palestiniens à « faire d’abord leur examen de conscience… »

Les applaudissements ont jailli d’une foule nombreuse et recueillie.

2) Lettre ouverte d’un Palestinien à François Hollande après l’hommage national rendu à Stéphane Hessel

Monsieur le Président,

Des millions de personnes ont suivi l’hommage rendu par la France à l’un de ses citoyens, qui a réussi par ses actes et ses paroles à raviver des valeurs universelles en manque d’incarnation, et à donner corps aux aspirations d’une jeunesse en quête de repères. Vous avez compris qu’au cœur du combat de Stéphane Hessel, il y avait la liberté, et sans doute la dignité humaine. Ce combat, il l’a mené comme résistant, comme diplomate, comme militant, comme écrivain. Il n’a jamais déposé les armes et a continué à défendre jusqu’à son souffle ultime cet absolu, faisant face aux fatalistes, aux résignés, aux frileux.

Parmi ses combats multiples, un lui a tenu particulièrement à cœur ces dernières années, la Palestine. Peut-être avait-il compris qu’à toute époque, un combat symbolise plus que tout autre cette lutte permanente contre l’injustice ? Le résistant de la libération pouvait-il être autre chose que le pourfendeur de l’occupation ? Stéphane Hessel a défendu la Palestine, au nom du droit, de la justice, de la liberté, du devoir de solidarité. Il l’a toujours fait en se conformant aux valeurs universelles qui lui ont servi de boussole, et non seulement d’étendard. Il l’a fait au nom de la paix qui ne peut être fondée que sur la fin de l’injustice et non sa perpétuation. Pourquoi, alors, Monsieur le Président, ce besoin de vous distancer d’un homme dans un combat honorable comme celui-ci ?

Monsieur le Président, Stéphane Hessel refusa en permanence d’être le témoin de l’histoire, fut-il privilégié, pour assumer avec détermination le rôle d’acteur. Il a refusé de se laisser intimider par les surenchères, les mensonges, les pressions. Ce qui fait de lui un grand homme n’est pas seulement ce qu’il a accompli mais le chemin qu’il a pavé pour nous, afin que nous puissions à notre tour défendre ce même idéal qu’il a voulu nous léguer. Car l’œuvre majeure de Stéphane Hessel, celle qui est aussi au cœur de son ouvrage, est ce devoir de transmission. « Indignez-vous ! » nous a-t-il lancé, nous rappelant que le salut venait d’abord de la capacité à défier l’injustice. L’esclavage fut aboli, l’apartheid s’effondra, le colonialisme céda. Tant reste pourtant à faire pour fonder la justice politique et sociale que cette génération appelle de ses vœux, et pour laquelle elle s’est soulevée aux quatre coins du monde.

En rendant hommage à Stéphane Hessel, la France aurait dû se parer sans nuances de cet idéal. La France est loin d’avoir été toujours exemplaire, mais, en dépit de ses tergiversations, elle sut contribuer à la définition de cet idéal humaniste dont Stéphane Hessel est devenu l’une des figures les plus emblématiques. Oui, la France s’est parfois reniée. La France coloniale, la France de Vichy, la France de l’extrême droite. Mais chaque fois qu’elle s’est hissée à la hauteur de l’histoire, elle s’est montrée capable d’être un grand pays, en dépit d’une géographie étroite. C’est la France de la République qui défie des siècles de monarchie absolue. C’est la France qui fait, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le choix de l’Europe, barrant la voie aux nationalismes exacerbés. C’est la France qui fonde sa démocratie sociale au moment où le pays en ruine aurait pu être abandonné aux égoïsmes. C’est la France qui dit non à la guerre contre l’Irak alors que ses intérêts à court terme auraient pu troubler son jugement.

Sur la question palestinienne, le peuple français n’a jamais été aussi clair, il soutient la liberté, la justice, le droit contre ces maux terribles que sont l’occupation, l’oppression et l’indifférence. La France a souvent été sur cette question à l’avant garde, osant adopter des positions courageuses qui nous ont permis d’avancer vers la reconnaissance des droits du peuple palestinien. En ce sens, Stéphane Hessel a incarné une certaine vision de la France et d’un humanisme qui trouvent leurs racines dans les leçons tirées des ténèbres, et dans l’idéal qui fonda les Lumières. Le premier ambassadeur de France, l’un des rédacteurs de la déclaration universelle des droits de l’Homme, ce citoyen engagé du monde a toujours été fidèle aux principes qui ont fondé la République : la liberté, l’égalité, la fraternité.

Monsieur le Président, vous aviez l’occasion de vous démarquer de ceux qui, en France et ailleurs, ont décidé de défendre l’indéfendable : l’occupation d’une terre et l’oppression d’un peuple. Vous avez choisi de vous démarquer de celui qui se rangea, comme toujours, du côté de la liberté et de la justice, au nom des valeurs universelles, et d’un principe qui se trouve au cœur de la Révolution française : « les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Aucune formule ne saurait mieux expliquer l’essence de notre lutte. Si la cause palestinienne est légitime, et elle l’est comme vous le reconnaissez, alors votre incompréhension ne l’est pas.

Majed Bamya, ancien diplomate à la Délégation générale de la Palestine auprès de l’Union européenne à Bruxelles, membre fondateur d’un réseau de la nouvelle génération palestinienne


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