Les crises du capitalisme font partie de sa nature

lundi 25 mars 2013.
 

Isabelle Garo : "Nous vérifions aujourd’hui les crises du capitalisme que Marx avait prédites"

Karl Marx, 1883-2013. Spécialiste de Marx, la philosophe Isabelle Garo expose toute l’actualité de son œuvre pour comprendre et analyser le capitalisme et la crise actuelle.

Source : L’humanité 15/03/2013 http://www.humanite.fr/politique/is... ce monde

Cent trente ans après sa mort, en pleine crise du capitalisme, la pensée de Marx a-t-elle encore une actualité ?

Isabelle Garo. L’actualité de l’analyse du capitalisme par Marx (et par Engels, qu’on oublie souvent) n’est pas celle d’une description historique qui, dans ses détails concrets, resterait valable ou le redeviendrait. Cette actualité concerne d’abord l’étude d’un mode de production, dont les contradictions, économiques et sociales, constituent l’essence même.

Nous sommes bien placés, malheureusement, pour vérifier l’une des intuitions majeures de Marx : les crises du capitalisme appartiennent à sa définition même, elles sont inséparables de sa nature. Une telle approche ne fait pas de lui un économiste, mais un critique de l’économie politique, associant à l’analyse économique de tendances et contre-tendances concrètes, l’analyse et la critique sociale, la prospective et l’intervention politiques, l’approche et l’invention philosophiques.

Peut-on analyser le système capitaliste actuel à l’aune de l’œuvre de Marx ?

Isabelle Garo. À l’heure d’une des crises majeures du capitalisme, les acquis sociaux des quarante, voire des soixante-dix dernières années se trouvent démolis les uns après les autres. C’est un capitalisme dérégulé qui réapparaît, dont les caractéristiques sont certes nouvelles, mais qui retrouvent certains des traits du capitalisme de l’époque de Marx.

La remontée du taux de profit est sa seule obsession, quelles qu’en soient les conséquences sociales et environnementales, et son moyen, en temps de crise, est notamment la pression sur les salaires, directs et indirects, ainsi que la remarchandisation capitaliste de tout ce qui lui avait été arraché de haute lutte sur le terrain de la santé, de l’éducation, des retraites, des transports, etc. Pourtant, ces politiques ultraviolentes de contre-réforme ne semblent pas en mesure de résoudre ce qui est l’une 
des pires crises de l’histoire de ce mode de production.

En quoi l’analyse de Marx peut-elle vraiment nous aider à comprendre la crise et sa dimension financière ?

Isabelle Garo. S’attachant à articuler la sphère de la production et celle de la circulation, Marx est l’un de ceux qui accordent la plus grande attention aux phénomènes monétaires et financiers.

Concernant la dimension financière du capitalisme contemporain, devenue si complexe, si les œuvres de Marx n’en produisent évidemment pas de description immédiatement transposable, elles aident pourtant à l’analyse de ses mécanismes fondamentaux. De ce point de vue, loin que la dimension financière soit séparable de ce qui serait un capitalisme industriel fondamentalement sain, elle en est constitutive, inséparable. Ainsi, Marx élabore la notion de « capital fictif », qui désigne les titres émis à partir de prêts. Ces prêts ne sont pas du capital productif de valeur, ils sont pourtant bien un capital porteur de profit, celui-ci étant toujours la plus-value extorquée aux salariés, mais une plus-value à venir. Ce décalage dans le temps est gros des crises capitalistes.

C’est pourquoi les effets du capital fictif ne sont pas fictifs mais bien réels. Et c’est en ce point que la crise prend sa dimension sociale, sa dimension de guerre de classes avivée.

Selon Marx, y a-t-il une alternative possible à l’intérieur 
du capitalisme ou bien faut-il changer de système social ?

Isabelle Garo. Si les œuvres de Marx connaissent un réel regain d’intérêt aujourd’hui, on vante plus volontiers ses mérites d’analyste que le caractère politique, révolutionnaire, de son analyse d’ensemble du capitalisme. 


Or la perspective qui colore et oriente toutes ses analyses est bien la sortie hors du capitalisme. Sans jamais prescrire de stratégie passe-partout, craignant de faire «  bouillir les marmites de l’avenir  », il ne cessera de combiner analyse théorique et intervention militante en vue d’abolir ce capitalisme qui n’est nullement le dernier stade de l’histoire humaine, en dépit de ce qu’on nous raconte. Sur ce point, il faut souligner que, pour Marx, la lutte politique et sociale est aussi une lutte d’idées.

C’est la notion d’idéologie qui rassemble ces différentes dimensions. Car l’offensive néolibérale est aussi idéologique, au sens où elle vante les mérites d’un monde à l’envers, qui asservit la satisfaction des besoins sociaux à la seule recherche du profit pour quelques-uns.

De plus, elle sait aussi combiner les idées et la force, parvenant à faire exister ces idées au travers de politiques concrètes. Ainsi la thèse individualiste, aussi invraisemblable et simpliste soit-elle, se diffuse réellement, c’est-à-dire se vérifie jusqu’à un certain point comme effet des politiques d’individualisation des salaires, des formations, des parcours, qui renforcent l’exploitation et isolent l’individu.

Lutter contre ces politiques, ce n’est pas simplement réfuter les thèses adverses, c’est leur opposer systématiquement d’autres solutions économiques, sociales, politiques, en n’oubliant 
pas les acquis des luttes passées et présentes, de par le monde. Et c’est bien entendu revenir de façon critique sur les questions du socialisme et du communisme, sur leur histoire et sur leur pertinence. Ce champ d’intervention est gigantesque. Il exige un effort d’invention, et d’invention collective, qui sache inclure l’analyse théorique mais aussi la déborder et la renouveler.

Isabelle Garo a publié plusieurs ouvrages sur Marx, dont Marx, une critique de la philosophie (Le Seuil), Foucault, Deleuze, Althusser 
et Marx (Démopolis), et Marx et l’invention historique, (Syllepse).

Entretien réalisé par Anna Musso


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