Leçons des années 1930 : Front unique avec le Parti Socialiste ? Débat Dray Corbière

samedi 23 mars 2013.
 

1) Extrait de la lettre de Julien Dray

Cher Alexis, (…)

Réécoute bien les propos, à aucun moment je ne te traite de stalinien, je fais une comparaison sur la méthode. Sur le plan historique je peux débattre avec toi. Visiblement tu as mal suivi les écoles de formation de Filoche.

Oui, les sociaux démocrates et les communistes sont majoritaires en 1933 et Hitler a même perdu des centaines de milliers de voix par rapport aux précédentes élections. C’est ce qu’explique très bien justement Trotsky à l’époque. Alors oui je pense qu’en insultant comme vous le faites en traitant de traître ceux qui ne sont pas d’accord avec vous vous n’aidez pas au débat ceux qui comme moi même le débat au PS pour changer de politique.

En fait la vérité vous ne voulez pas qu’elle existe car cela empêche la démonstration que vous voulez faire sur le fait qu’il n’y a plus rien à faire dans ce parti et vôtre refus de l’alliance par exemple aux municipales à venir.

En fait, cher Alexis, tu as oublié les leçons sur le front unique, en ce se sens là tu rejoins les positions que tu connais bien et que tu avais combattu avec nous dans le temps.

Amicalement,

Juju

2) Réponse d’Alexis Corbière

Cher Julien,

Je te prends au sérieux. Tu es et restes pour moi une des figures majeures de la gauche du PS. Débattons donc de ce point d’histoire tranquillement. C’est utile. Cela étonnera les plus jeunes et rappellera des bons souvenirs aux plus anciens. La tragédie de la victoire d’Hitler en Allemagne, là où était le prolétariat le plus puissant d’Europe, a occupé bien des soirées de formation dans nos premières écoles politiques.

Non, Julien, en mars 1933 les sociaux démocrates (SPD) et les communistes (KPD) ne sont pas majoritaires en voix aux élections. C’est faux. Le SPD a obtenu 18,3 % des voix et le KPD 12,1 %. Par rapport aux élections précédentes, ils reculent. Les nazis eux continuent de progresser et obtiennent 43,9 % des voix. Ces élections ont eu lieu dans des conditions terribles. Depuis, le 30 janvier 1933, c’est Hitler qui est Chancelier en alliance avec plusieurs forces de droite. Dans la rue, les SA font régner la peur. L’incendie du Reichstag en février à servi de prétexte à une rude répression anti-communiste. Le recul des forces de gauche est dû à ces nombreux facteurs, à quoi s’ajoute bien sûr la violente division qui règne entre le KPD et le SPD qui ne s’allient pas contre la montée du fascisme. Mais j’insiste, la faute n’est pas seulement du coté du Parti communiste allemand. La direction du SPD porte aussi une lourde culpabilité, sans doute même la première. Certes, je sais que Moscou a imposé aux communistes une ligne politique absurde et criminelle, celle du « social fascisme », irresponsable qui les amène à comparer le SPD avec les nazis. Cet affrontement va diviser et affaiblir le prolétariat allemand. Mais, pourquoi oublies tu la lourde responsabilité du SPD ? Pourquoi taire que le SPD appelle à voter Hindenburg. Rappelle toi Julien. En mars-avril 1932, le Volksblock, qui regroupe entre autres le Zentrum et le SPD, fait appel aux électeurs pour réélire Paul von Hindenburg, 84 ans, le président sortant. C’est lui qui un an plus tard, désignera Adolf Hitler comme Chancelier.

Surtout, tu confonds les dates et tu t’embrouilles entre ce qu’il se passe lors des élections de juillet 1932 et celle de novembre 1932 où là, il est vrai que les nazis reculent légèrement. En juillet 1932, Hitler obtient 37,2 % des suffrages. Le SPD obtient 21,6 % et le KPD 14,3 %. Ensemble, les deux partis ouvriers représentent 35,9 % des voix, mais ils ne s’allieront pas en raison de désaccord stratégique venant de l’un comme de l’autre. Quatre mois plus tard, nouvelle élection. Cette fois ci les nazis reculent un peu et obtiennent 33,1 % des voix alors que le SPD 20,4 % et le KPD 16,9 %. Ensemble, ils représentent 37,3 %. Mais, une nouvelle fois les socialistes allemands refusent toute alliance avec les communistes et préfèrent continuer à faire confiance à Hindenburg qu’ils ont fait élire, même si formellement ils ne soutiennent plus son gouvernement. Pour eux, le vieux Maréchal est la meilleure défense contre Adolf Hitler et ils ne voteront pas pour le candidat communiste Ernst Thälmann. à l’élection présidentielle. C’est sur ce thème que les nazis feront campagne en affirmant sur leurs affiches "Notre dernier espoir, Hitler". Ainsi, ils soulignaient que tout avait été essayé sauf eux. C’est cette orientation folle et cet aveuglement qui fera passer le SPD de presque 38 % en 1919 à 20 % lors de la prise de pouvoir par Hitler. Il préfèrera s’allier avec la droite plutôt qu’avec les communistes et ainsi il ouvrira un boulevard aux nazis. S’allier avec le centre et la droite, Julien, cela ne te rappelle pas quelque chose de plus contemporain ? En Grèce par exemple, aujourd’hui, c’est le PASOK qui refuse de soutenir Syriza (nos homologues) et préfère s’allier avec la droite. Au Venezuela, la social-démocratie soutient le candidat de la droite et l’extrême-droite.

Julien, si l’attitude du KPD face à la montée du fascisme est critiquable dans les années 20 et 30, que dire alors de celle du SPD ? C’est pire. Pourquoi, quand tu fais des comparaisons historiques restes tu silencieux sur ce point ? Dois-je te rappeler que c’est un ministre SPD, Gustav Noske, qui fait violemment réprimer les communistes et fait assassiner Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht en 1919 ? Ne crois-tu pas que ce sang versé laisse des traces entre les militants ? En Allemagne, l’histoire a été cruelle pour les meilleurs des nôtres. Je tente une comparaison pour que ceux qui nous lisent en 2013 comprennent l’ambiance au sein de la gauche allemande de ces années là ? Imagine que les principales figures de la direction du PG soit assassinées sur ordre d’un Ministre de l’intérieur PS, crois-tu que 10 ans plus tard nous puissions débattre tranquillement ? Chacun a compris ma réponse.

Enfin, Julien, ouvres les yeux. Tu plaques systématiquement de façon anachronique un vocabulaire que tu as appris dans ta jeunesse pour analyser des évènements bien différents et surtout d’un point de vue différent. Si Léon Trotsky est si sévère envers le KPD et les erreurs terribles de Joseph Staline face au nazisme, c’est qu’il donne alors un point de vue d’ancien dirigeant de la Révolution d’Octobre de 1917, de communiste, de révolutionnaire. Il critique « de l’intérieur » du mouvement communiste si je puis dire. C’est l’opinion d’un militant qui veut abattre le capitalisme. A aucun moment il ne considère que la social-démocratie serait préférable ou moins critiquable, c’est même l’inverse. Trotsky de son exil est exaspéré par le KPD, mais ses critiques s’adressent aux communistes du monde entier pour les faire réagir. Il sait que c’est là que sont les meilleurs pour résister. Sous ses yeux, dans toute l’Europe, toute la social-démocratie s’effondre comme un château de cartes devant le nazisme et le fascisme. Seul le mouvement communiste se bat encore. Les comparaisons que tu fais ne sont donc pas pertinentes. En 2013, c’est le PS qui est au pouvoir. C’est sa politique qui s’applique. Le fascisme n’est pas aux portes du pouvoir. Aucun argument d’autorité ne nous fera donc taire. Et toi, à trop vouloir utiliser une sémantique trotskyste totalement sortie de son contexte et des circonstances dans laquelle elle fut forgée, tu exonères le PS et la social-démocratie de toute responsabilité de la catastrophe vers laquelle elle nous entraine.

En conclusion quelques mots plus personnels. Premièrement, pas d’équivoque, je souhaite que la gauche du PS se fasse entendre et pèse davantage sur la direction de ce Parti. Votre progression aide le Front de Gauche. Elle valide nos critiques et propositions. Aussi, je salue le fait que tu ais fait le choix de la renforcer lors du dernier congrès ainsi que tous les camarades qui t’accompagnent. C’était courageux et je mesure aisément ce que cela représente.

Deuxièmement, le « Front unique » auquel tu fais référence n’a jamais été un tic verbal sans contenu politique. Je dirais que c’est une stratégie politique dynamique pour prendre la direction de la gauche. Elle se décline différemment selon les périodes et les rapports de force au sein du mouvement ouvrier. La lutte pour l’unité du monde du travail afin d’obtenir des victoires concrètes, oui. Les capitulations face au renoncements du gouvernement au nom de la peur du « qu’en dira-t-on social-libéral », jamais. Quand aux municipales, nous en reparlerons.

Troisièmement, crois-tu vraiment que la situation actuelle est comparable à celle de l’Allemagne des années 30 ? Penses-tu vraiment que le FN a 17 %, c’est la même chose que les nazis à plus de 30 % ? Si c’est le cas dis le haut et fort à tes camarades du PS qui n’ont absolument rien fait contre le Fn durant la campagne présidentielle. Ni tract, ni argumentaire, ni affiche, rien… Nous étions seuls à l’affronter. Durant cette bataille, plusieurs des dirigeants du PS nous ont régulièrement insulté et continuent à le faire. Comme plusieurs journalistes, ils nous ont calomnié et comparé au FN. Cela, tu le sais, Julien. Tu l’as vu. Ceux qui aujourd’hui mettent un signe égal entre une grande formation de gauche et l’extrême droite ils sont à la direction du PS, pas au PG ni au Front de Gauche. Un dernier exemple pour illustrer concrètement les choses. Au second tour de l’élection législative d’Hénin-Beaumont, après que le PS se soit comporté de façon ignoble et qu’il soit resté silencieux quand le FN trichait ouvertement contre nous, le seul dirigeant national de gauche à venir soutenir le candidat PS face à Marine Le Pen, c’était Jean-Luc Mélenchon. Ni Harlem Désir, ni Martine Aubry n’ont jugé utile de faire le déplacement…

Moralité : pour lutter contre l’extrême droite, nous n’avons à recevoir ni leçon d’histoire, ni leçon de morale…

Dernier détail. Jamais Gérard Filoche n’a assuré ma formation. Là aussi tu confonds. C’est la tienne qu’il a assuré. Moi, celui qui m’a initié aux idées révolutionnaires et au socialisme historique se nomme René Revol, tête dure et cœur généreux, à présent Maire de Grabels dans l’Hérault. Et j’ai l’honneur de militer encore aujourd’hui avec lui au PG.

Fraternellement,


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