Mali : l’armée française part tout en restant

lundi 15 avril 2013.
 

- 3) Mali : les troupes de la Cédéao « totalement incapables », juge le Pentagone

- 2) Interrogations sur le mandat de la force de l’ONU au Mali

- 1) Mali : la France peut-elle partir ?

3) Mali : les troupes de la Cédéao « totalement incapables », juge le Pentagone

Les contingents des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest envoyés au Mali constituent une « force totalement incapable » qui « n’a pas été à la hauteur », a déclaré mardi 9 avril un haut responsable du Pentagone, Michael Sheehan. « A ce stade, la force de la Cédéao n’est capable de rien. (...) Ça doit changer », a critiqué le conseiller du secrétaire à la défense pour les opérations spéciales et conflits de basse intensité lors d’une audition au Sénat.

La force africaine est constituée d’environ 4 300 soldats de pays membres de la Cédéao, notamment du Togo, du Sénégal, du Bénin, du Ghana, du Niger, de la Sierra Leone, de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, auxquels s’ajoutent 2 000 militaires tchadiens (non membres de la Cédéao) et quelque 4 000 soldats français.

OPÉRATION FRANÇAISE « ABSOLUMENT EXCELLENTE »

Le responsable du Pentagone a, en revanche, salué l’opération française, qui a été, selon lui, « absolument excellente ». « Les Français ont réagi très vite et ont très rapidement repoussé AQMI au-delà du fleuve Niger, repris le contrôle des villes du Nord, a salué M. Sheehan. Maintenant, la France est en train de se concentrer sur la traque des membres d’AQMI et leur élimination du champ de bataille. »

La force africaine est appelée à laisser sa place dans les mois à venir à une opération de maintien de la paix de l’ONU qui prendrait partiellement le relais. Une des options évoquées par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon est de déployer 11 200 casques bleus aux côtés d’une « force parallèle » chargée de combattre les extrémistes islamistes.

Pour Michael Sheehan, la Somalie fournit un bon exemple de ce qu’il faut faire au Mali : une force de l’ONU chargée d’une « mission raisonnable » épaulée par des forces « plus capables » comme le Kenya et l’Ethiopie dans le cas somalien. « Débusquer AQMI des montagnes et attaquer leur leadership est un boulot pour une force bien plus capable. L’ONU ne peut faire cela et nous ne devons pas attendre d’elle qu’elle le fasse. Ce sera aux Français, peut-être avec notre soutien » de s’en occuper, a estimé le responsable américain. Paris a proposé de maintenir un millier d’hommes à terme au Mali, « équipés pour lutter contre le terrorisme ».

* Le Monde.fr avec AFP | 10 avril 2013

2) Interrogations sur le mandat de la force de l’ONU au Mali

L’ONU se prépare sans y croire à « stabiliser » le Mali. Si l’ensemble des 15 pays membres du Conseil de sécurité soutiennent la création d’une « mission intégrée de stabilisation multidimensionnelle », appuyée par une force dite « parallèle » pour combattre les extrémistes islamistes, la prise de risque pose problème à plus d’un. A commencer par les traditionnels pays contributeurs de troupes comme l’Inde, le Pakistan ou bien encore le Guatemala qui défend l’idée d’un usage de la force uniquement en cas de légitime défense. Exception faite, peut-être, du Maroc, autre grand contributeur, considéré par Paris comme l’un de ses meilleurs alliés dans ce dossier, d’autant plus apprécié qu’il est un pays arabe. Et donc très courtisé.

En visite d’Etat dans le royaume, François Hollande n’a pas manqué de saluer le « soutien précieux » apporté par le roi Mohammed VI dès le début de l’intervention militaire française au Mali, alors que le monde arabe dans son ensemble observait, au mieux, une prudente réserve sur le sujet. « Je tiens à vous remercier chaleureusement, Sire, pour les mots que vous avez prononcés au sommet islamique de Djedda », a souligné, mercredi 3 avril, le chef de l’Etat lors du dîner officiel offert par le monarque. « Pays saharien, riverain du Sahel, vous savez mieux que d’autres ce qui est en jeu, a poursuivi, jeudi, M. Hollande devant les parlementaires marocains réunis, qui ne partagent pas tous, loin s’en faut, notamment au sein du parti islamiste Justice et développement (PJD), au pouvoir depuis novembre 2011, la solidarité royale à l’égard des positions françaises. »Le Conseil de sécurité est prêt à déployer une opération de maintien de la paix, la France y prendra sa part", a insisté M. Hollande.

Dans l’entourage du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, la nature inédite de l’opération de stabilisation à venir – intervenant en l’absence de tout accord de paix et contre l’avis d’une des parties – est pointée du doigt. Les comparaisons avec les djihads menés en Somalie et en Afghanistan abondent. Autant d’éléments risquant d’amener le Conseil de sécurité à accorder un mandat « pas assez robuste » aux casques bleus, craignent des experts militaires.

DES CONTOURS DÉLIBÉRÉMENT FLOUS AUTORISANT UNE LIBERTÉ D’ACTION SUR LE TERRAIN

Le vote en février de la résolution 2098, autorisant la création d’une brigade d’intervention rapide en République démocratique du Congo (RDC), a eu un impact inattendu sur le dossier malien, explique un diplomate, qui va jusqu’à parler de « traumatisme ». Selon lui, le Conseil de sécurité a voté contre son gré en faveur de cette force à mandat offensif, les pays africains la réclamant à cor et à cri. Leur refuser en pleins préparatifs du déploiement d’une opération de maintien de la paix (OMP) de 11 000 hommes au Mali, « n’aurait pas été politiquement correct », insiste-t-il. Or ce vote crée un précédent dont se seraient bien passés Indiens, Pakistanais et Guatémaltèques. Le dogme même du maintien de la paix s’en trouve chamboulé. « La crainte de mélange des genres retranche toute une série d’acteurs derrière des principes très conservateurs », souligne une source militaire à l’ONU.

La volatilité de la situation sécuritaire sur le terrain pourrait compliquer la tâche des Français, chargés de rédiger la résolution censée valider le déploiement de la future OMP et d’en définir les contours. L’adoption du texte que la France devrait soumettre à ses 14 partenaires est prévue pour la fin avril. La transition de la Misma (force panafricaine) à une OMP « doit intervenir dès que les conditions de sécurité le permettront », a souligné l’ambassadrice américaine Susan Rice.

Des analyses sécuritaires seront régulièrement menées et les 15 pays membres informés, assurent les Français, qui se disent prêts à apporter leur soutien « en cas de coup dur ». C’est tout l’enjeu de ce que le patron de l’ONU a baptisé la « force parallèle », obéissant à des « règles d’engagement fermes et autorisée à utiliser » tous les moyens nécessaires « pour contrer les menaces susceptibles d’entraver l’exécution de son mandat ».

Elle devrait in fine être composée uniquement de Français – « un millier d’hommes », indiquait, en marge de la visite d’Etat de M. Hollande à Rabat, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius. Cette force parallèle devrait bénéficier de moyens (aériens et renseignements) extérieurs. Un schéma façon Licorne en Côte d’Ivoire, apportant à l’ONU une capacité de dissuasion lui faisant défaut, et aux contours délibérément flous autorisant, sur le terrain, une liberté d’action.

Alexandra Geneste et Isabelle Mandraud

* LE MONDE | 05 avril 2013

1) Mali : la France peut-elle partir ?

La situation du Mali est des plus précaires, souligne le rapport remis au Conseil de sécurité par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, mardi 26 mars. Ce document présente les options pour la mise en place d’une force de stabilisation du pays. Elles seront débattues le 2 avril en vue de l’adoption d’une nouvelle résolution poussée par la France mi-avril.

Où en est la situation sécuritaire ?

Ban Ki-moon recense plus de 260 000 déplacés dans le pays depuis sa partition de facto proclamée par les Touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) en avril 2012. S’y ajoutent 170 000 réfugiés dans les Etats voisins. Au moins 77 % des Maliens vivent sous le seuil de pauvreté ; l’insécurité alimentaire menace 2 millions de personnes. La situation sécuritaire globale est volatile. Le secrétaire général de l’ONU note de « sérieuses violations des droits humains au nord » et estime que, « même quand l’intégrité territoriale aura été pleinement restaurée, de nombreux risques subsisteront en termes de sécurité, y compris des attaques terroristes, la prolifération d’armes, le trafic de drogue et d’autres activités criminelles ». Par ailleurs, le responsable onusien doute de la réussite du processus politique, qui prend du retard : « Les conditions ne sont pas mûres pour la tenue d’élections libres, crédibles et paisibles ». En l’absence de processus de réconciliation, elles pourraient provoquer « un regain d’instabilité et même des violences ».

Quand les forces françaises engagées dans l’opération « Serval » vont-elles quitter le Mali ?

Engagées depuis le 11 janvier, date à laquelle elles ont arrêté la progression des groupes djihadistes qui avaient pris la ville de Konna, au centre du pays, les forces françaises ont progressé jusqu’au nord dans le but de « permettre au Mali de recouvrer l’intégralité de sa souveraineté ». Elles achevaient ces jours derniers le « nettoyage » du massif des Ifoghas, sanctuaire d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) à la frontière algérienne. La sécurisation des villes de la boucle du Niger, de Léré à Ansongo, en passant par Tombouctou et Gao, n’est pas achevée. Pour l’ONU, une réduction des opérations françaises « serait de nature à accroître le risque de résurgence des groupes islamistes armés », AQMI, Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et Ansar Edddine.

L’exécutif français a évoqué un début de retrait des troupes fin avril. De 4 000 soldats aujourd’hui sur le terrain (5 200 mobilisés au total), l’opération « Serval » devrait passer à 2 000 hommes en juillet et à 1 000 à la fin de l’année. « Il y aura un retrait progressif, pragmatique dans l’appréciation de la situation », a indiqué le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, lors d’une visite sur le terrain les 7 et 8 mars. « La France n’a pas vocation à rester », explique Paris. Mais pour partir, il faut que les forces africaines prennent le relais.

La Misma, force africaine, est-elle en mesure de prendre la relève ?

Cela a été salué par tous les observateurs : les premiers contingents de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) sont arrivés très vite, au prix d’un effort important pour les pays de la région, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Togo, Bénin et Ghana. La force de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) compte aujourd’hui au Mali 80 officiers d’état-major et 6 300 hommes, pour une force attendue de 9 500 soldats. Parmi eux, 2 000 Tchadiens : ils sont les seuls à participer aux combats, dans le nord, et devraient rester pour sécuriser Kidal. Le président tchadien Idriss Déby, d’abord engagé de façon autonome, a souhaité mi-mars rejoindre la Misma dans l’espoir de financer cet engagement.

Bien que le mandat de la Misma requière que ces forces soient autonomes pendant 90 jours, les bataillons africains sont arrivés pour la plupart sans équipement et sont restés démunis. Le fonds de soutien mis en place n’a été abondé qu’à hauteur de 16 millions de dollars. La Cedeao en demandait 450 millions. Les Etats-Unis financent jusqu’en septembre. Le bataillon logistique, fourni par la Côte d’Ivoire, a dû être formé par les Français et n’arrivera que fin avril au Mali. A l’exception du contingent nigérien, qui sécurise la frontière avec le Niger depuis la ville de Ménaka, les troupes de la Misma ne seront pas en mesure d’effectuer du contrôle de zone avant plusieurs semaines. Elles se contentent pour l’heure de protéger les deux grands axes routiers, ouest et est, du pays.

L’armée malienne peut-elle sécuriser le pays ?

Non, selon M. Ban Ki-moon. Marquée par le coup d’Etat du capitaine Sanogo en mars 2012, corrompue et désorganisée, accusée d’exactions envers les Touareg, l’armée malienne est en ruine. Huit bataillons de 400 à 800 hommes seraient encore à pied d’œuvre dans un pays grand comme deux fois et demie la France.

Cette armée est appelée en même temps à combattre et à se reconstruire. Elle n’a ni véhicule ni armement opérationnel. Equipée de matériel soviétique, chinois ou américain, « c’est une brocante », explique le colonel Bruno Heluin, chef du détachement de liaison avec l’armée malienne. « Il est urgent de mobiliser le soutien des donateurs pour répondre aux besoins prioritaires des institutions de sécurité maliennes, reconstruction de bureaux, véhicules, équipements de communication, approvisionnements de base », note le rapport onusien.

La Mission européenne de formation de l’armée malienne, EUTM Mali, va former quatre bataillons de 650 hommes, avec un budget de 12,3 millions d’euros. Elle est prévue pour quinze mois, mais les cadres d’EUTM Mali soulignent déjà que, pour réussir, la mission devra être prolongée. Fin mars, 20 % de l’effectif européen était en place, avec 110 militaires fournis par 11 pays. Les premières formations sont censées commencer début avril, pour former un premier bataillon d’ici à septembre. Il a été demandé au gouvernement intérimaire de Bamako d’équiper ce premier contingent en véhicules et en armement, afin de faire la démonstration de sa bonne volonté.

La France a dû fournir l’essentiel de la force de protection de la mission (95 soldats en plus de ses 70 formateurs). Seuls les Tchèques (à l’aéroport de Bamako) et les Espagnols (dans l’école installée à Koulikoro) ont aussi accepté d’y contribuer.

A quoi ressemblera la force de maintien de la paix de l’ONU, la Minuma ?

Une nouvelle résolution de l’ONU devrait, mi-avril, permettre de transformer la Misma en opération de maintien de la paix des Nations unies. Un impératif, estime Paris, compte tenu de la gravité de la situation et des problèmes de financement des forces africaines. « On aura une force beaucoup plus robuste, c’est clair », a admis le 25 mars le général ivoirien Soumaïla Bakayoko, président du comité des chefs d’état-major de la Cedeao. « On aura plus de moyens et nos hommes pourront exécuter cette mission dans les meilleures conditions. »

Pour être efficace, la force onusienne devra compter 11 200 soldats et 1 400 policiers, estime Ban Ki-moon. Selon un haut responsable de l’ONU, la transformation de la Misma doit impérativement intervenir courant juin, afin d’être opérationnelle avant l’élection présidentielle malienne prévue début juillet, quand bien même ce calendrier fixé par Bamako paraît utopique. Les diplomates s’accordent sur le fait que le mandat de la Minuma devra être robuste : il s’agit de contenir les groupes islamistes, de sécuriser les centres urbains dans les secteurs pacifiés tout en assurant la protection des civils et un accompagnement du processus politique. La force agira sous chapitre VII, ce qui sous-entend la possibilité de recourir à « tous les moyens nécessaires ».

La mission aura des contours inédits. Car, pour la partie contre-terrorisme, les opérations devront être menées « hors cadre ONU ». Ban Ki-moon propose, « pour un certain temps », la création d’une « force parallèle ». Il n’y aura donc pas de force de réaction rapide dans la Minuma. L’armée française devrait rester disponible depuis ses points d’appui de la région (Dakar, Abidjan, N’Djamena). Face aux craintes maliennes de voir s’installer dans la durée une force d’interposition, les sources onusiennes parlent de « stabilisation ». « Nous ne voulons en aucun cas répéter le scénario ivoirien », souligne une source militaire à New York.

Alexandra Geneste et Nathalie Guibert

* LE MONDE GEO ET POLITIQUE

29 mars 2013


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