L’histoire scolaire entre besoins du patronat et aspirations populaires

jeudi 11 juillet 2013.
 

Quels enseignements peut-on tirer de l’examen d’un siècle de réformes scolaires, du projet des Compagnons de l’après-Première Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, pour comprendre la loi de refondation de l’école  ? Dans les débuts, la méritocratie domine et vise à construire une hiérarchie sociale légitime. C’est, en 1918-1920, le programme des Compagnons, fondé sur trois principes  : école unique, gratuité, sélection, et ensuite le projet Jean Zay, de 1937, pour une école unique, avec la gratuité dans le second degré et la sélection à son entrée. Dans un deuxième temps, le plan de réforme de l’enseignement Langevin et Wallon, élaboré de 1944 à 1947 avec deux principes fondamentaux, l’un de justice (mettre chacun à la place que lui assignent ses aptitudes) et l’autre de développement (élever le niveau de l’ensemble de la nation). Suivent trois étapes de reformulation du principe méritocratique  : le décret Berthoin de janvier 1959, avec la prolongation de la scolarité «  sous la référence du réalisme et de l’efficacité  »  ; la loi Haby de 1975, un collège en voie d’unification, basé sur l’égalité des chances et la justice sociale  ; la loi du 10 juillet 1989, l’éducation première priorité nationale, la place de l’élève au centre du système éducatif, le droit à l’éducation et l’objectif des 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat.

Plus près de nous, la loi du 23 avril 2005 pour l’avenir de l’école vise à assurer la «  réussite de tous les élèves  », l’accès de 80 % des jeunes au niveau du baccalauréat, l’acquisition du socle de connaissances et de compétences. À l’exception d’un cycle réduit de moins de dix ans entre le projet de Jean Zay et celui de la commission Langevin et Wallon, cet intervalle assez constant d’une quinzaine d’années interroge. Comment l’expliquer en le référant à la succession des générations  ? N’a-t-il pas pour fonction de compliquer la tâche des parents  ?

Faut-il tout changer en apparence pour que tout reste au fond pareil  ? Doit-on ainsi, en permanence, relancer la croyance en une école libératrice  ? Enfin, aujourd’hui, faut-il comprendre, après le chant du cygne de 1989, la loi de 2005 comme la dernière «  sur la lancée  » du rythme des quinze ans  ?

Au début des années 1990, c’est la rupture. Pour de nombreux auteurs, on assiste, depuis vingt ans, avec des termes différents, au même fait  : l’achèvement d’un cycle, une situation bloquée, la fin du compromis entre besoins du patronat et aspirations populaires. Une nouvelle période de la politique scolaire dominante s’ouvre, en effet, au début des années 1990. Aussi, en 1995, Antoine Prost constate-t-il que «  la notion de démocratisation a désormais épuisé son efficacité sociale  ». On retrouve ce blocage dans les analyses  : la référence à une «  ancienne priorité nationale  », l’irréalisme de l’objectif des 80 %, l’essor de l’apprentissage, la diversité des intelligences ou des réussites, le déplacement de la question des moyens à celle de l’efficacité (1). Plusieurs données confirment ces discours  : baisse de la part de la dépense intérieure d’éducation (DIE) dans la richesse nationale (PIB), stabilisation de la durée totale de scolarisation, baisse de l’orientation vers un second cycle général, réduction du nombre de jeunes engagés dans des filières universitaires longues. L’hostilité commune aux effets politiques de la démocratisation, assimilée à la surqualification et au déclassement, entraîne une convergence entre les employeurs, les classes moyennes et dirigeantes, une part importante des enseignants en difficulté dans le collège unifié et les pouvoirs publics confrontés aux coûts croissants (2). Vingt ans de chômage, de 1975 à 1995, ont dévasté la demande sociale d’éducation. Le mot d’ordre à destination des classes populaires devient  : «  Arrêtons les longues études  !  » (3).

La loi de 2005 comme celle de 2013, toutes deux du socle commun, n’ont plus rien de commun avec les précédentes  : pas de démocratisation de l’enseignement mais un socle commun, une forme de double système, avec école pour la masse et pour l’élite. Je formule l’hypothèse suivante  : à partir de 1910, il y a un siècle, le mouvement pour l’école unique a représenté une alternative à une politique révolutionnaire, ensuite et jusqu’à la Libération où une autre forme se crée, la méritocratie donne comme objectif la conservation de la société avec un renouvellement populaire de l’élite. Les forces sociales dominantes ont fait miroiter aux classes populaires la perspective de certains avantages sociaux et une promotion dans la société existante pour les détourner des luttes révolutionnaires, et aussi longtemps qu’a demeuré ce «  danger  », la perspective promotionnelle restera d’actualité.

(1) «  Regards sur l’éducation, les indicateurs de l’OCDE », le Monde, 20 juin 1995.

(2) Colloque, «  L’orientation tout au long de la vie  ». L’orientation face aux mutations du travail, Claude Pair, Éditions Syros, Paris, 1997.

(3) Voir «  Parents d’élèves, professeurs, regards croisés sur l’éducation. 10 idées qu’ils voudraient faire entendre.  » Résultats d’une rencontre sur le Web, à l’initiative de la MAIF, s. d. (2012).

Pierre Roche,


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