VIème république (LCR et bataille contre la 5ème république)

samedi 11 mai 2013.
 

- 1) Ve République française : bataille pour la démocratie (Antoine Artous)

- 2) A propos de la manifestation du 5 mai… on peut relire cet article de Daniel Bensaid que je juge très actuel et que pour ma part je signe des deux mains… (Robert Duguet)

1) Ve République française : bataille pour la démocratie (Antoine Artous)

La Ve République incarne la primauté absolue du pouvoir exécutif, en s’organisant tout entière autour de la fonction du président de la République. Se battre concrètement pour changer les institutions est une nécessité.

La crise actuelle est l’une des plus graves de l’histoire de la Ve République. Elle a toute une série de dimensions, notamment sociale, mais c’est également une crise proprement politique des institutions de la Ve République. Le manifeste de la LCR souligne bien leurs caractéristiques, tout en exposant les grands axes d’une alternative démocratique sur le terrain de l’organisation du pouvoir politique : « Hormis quelques voix dans l’ex-gauche plurielle, l’essentiel de la classe politique accepte les institutions de la Ve République ou ne propose de les réformer qu’à la marge. Or, il faut remettre en cause cette machine à confisquer la démocratie. Notamment en refusant que toute l’organisation du pouvoir pivote autour d’un monarque présidentiel, adoubé par le suffrage universel, qui transforme le Parlement en une chambre d’enregistrement. Mais, également, en refusant que le dernier mot soit donné à un Conseil constitutionnel composé d’individus non élus et délibérant dans le secret.

« Il faut abroger la Constitution de la Ve République et mettre en place une Assemblée nationale, élue à la proportionnelle intégrale, qui désigne un exécutif responsable devant elle. Pour renforcer le contrôle citoyen, les élus et l’Assemblée doivent pouvoir être changés, même avant la fin du mandat prévu, s’il s’avère que les décisions prises contredisent les programmes sur lesquels ils ont été choisis et s’opposent aux souhaits populaires. Par exemple, en organisant une nouvelle élection si un nombre déterminé d’électeurs le demande. Le salaire d’un député ne doit pas dépasser le salaire moyen. Il faut remplacer la pratique référendaire contrôlée d’en haut, et qui se transforme souvent en plébiscite des dirigeants en place, par le droit à des référendums d’initiative populaire, sur proposition venant des citoyens eux-mêmes. Enfin, il faut interdire le cumul des mandats et supprimer le Sénat, institution taillée sur mesure pour les notables réactionnaires et donnant une représentation déformée et conservatrice du pays. »

Quelle alternative ?

Cela semble en plein dans l’actualité. Naturellement, il faut développer des réponses sur l’ensemble des questions politiques et sociales. Mais, si l’on exige « la mise à bas » des institutions de la Ve République, il faut dire ce que l’on propose de mettre à la place. À moins de penser que la LCR ne doit pas s’aventurer sur ce terrain politique et s’en tenir à la propagande pour « le pouvoir des conseils ouvriers ». Au demeurant, l’exigence de la mise à bas de la Ve République au profit d’une Assemblée unique élue à la proportionnelle n’est pas - au-delà de telle ou telle formulation - nouvelle dans la Ligue. C’est un thème qui est présent dans son programme depuis des dizaines d’années...

Certes, la LCR ne doit pas s’engager dans une campagne « d’agitation », comme l’on dit, autour de cette question. En revanche, dans sa presse, lors de certains débats à la télévision et, plus généralement, dans son programme d’ensemble, il est nécessaire d’avancer une telle perspective. Car la question d’une rupture démocratique avec les institutions de la Ve République est bien à l’ordre du jour.

Citons, de nouveau, un passage du manifeste : « Il faut abattre la Ve République, non pour revenir à un système parlementaire comme celui de la IVe République, mais pour aller vers une rupture démocratique avec les institutions politiques actuelles et donner vraiment la parole au peuple et aux salariés. » Et le profil de l’Assemblée nationale proposée dans le manifeste a peu à voir avec celui de la IVe République. Pour donner la parole au peuple et aux salariés, il faudra également développer d’autres formes démocratiques : « démocratie participative », auto-organisation, etc. Ces autres formes n’existent pas pour l’instant, même de façon embryonnaire, mais cela ne doit pas empêcher de tracer la voie d’une alternative démocratique radicale à partir de la situation actuelle.

Rupture démocratique

La bataille pour l’abrogation de la Ve République va dans ce sens, au profit d’une assemblée unique élue à la proportionnelle et de laquelle émane l’exécutif. Elle induit bien une logique de rupture démocratique avec le système politique actuel. En effet, il y a maintenant près de 50 ans que l’État se construit dans le cadre de la Ve République, dont les institutions cristallisent en profondeur le cadre dans lequel la bourgeoisie a structuré sa domination politique en France. C’est pourquoi l’ensemble de la classe politique, de la droite au PS, s’est moulé dans ces institutions. Certes, à droite comme au PS, certains s’inquiètent de la situation et entendent « moderniser » la Constitution. Le quinquennat l’a d’ailleurs fait évoluer dans un sens présidentialiste. Toutefois, hormis chez certains courants minoritaires du PS, tous les projets ont un point commun : ils conservent (voire renforcent) la fonction présidentielle. Or, en France, c’est justement à travers la place donnée au président par la Ve République que s’est cristallisée l’autonomisation de l’exécutif par rapport aux assemblées élues, qui est une caractéristique, déjà ancienne, de l’évolution des États capitalistes. Et la mondialisation a renforcé de façon considérable cette tendance, comme le poids de la « technostructure ».

L’acceptation par le PS des institutions actuelles est tout autant significative de son évolution que la mise en œuvre d’une politique sociale-libérale. Le PCF, lui, dans son programme, rejette traditionnellement ces institutions, mais il reste très silencieux sur ces questions ces derniers temps. Ce n’est sans doute pas un hasard. En effet, c’est là une ligne de clivage décisive avec le PS.

Au demeurant, point n’est besoin de faire un tel détour analytique pour se rendre compte que la mise en place d’une assemblée du type de celle proposée plus haut introduirait en pratique une réelle rupture démocratique avec le système politique français. Et, encore une fois, le manifeste expose clairement le langage que la Ligue devrait tenir : « Nous sommes prêts à lutter pour de telles transformations des institutions politiques avec tous ceux et celles qui se réclament de la démocratie. Tout en disant clairement que, pour parachever ses objectifs, une révolution démocratique doit modifier profondément la structure du pouvoir politique et économique. »

Ce type de démarche devrait également se développer sur des objectifs plus concrets ; en particulier la question de la proportionnelle. D’autant qu’il ne s’agit pas simplement de la bataille pour un principe démocratique, mais d’un enjeu réel pour les conditions d’existence politique d’une organisation comme la LCR et, plus généralement, pour les courants politiques « à gauche de la gauche ».

ARTOUS Antoine

* Paru dans Rouge n° 2168 du 20 juillet 2006.

2) République et institutions : briser le présidentialisme (par Daniel Bensaïd, 12 avril 2007

Cette campagne électorale [la présidentielle en France] a de nouveau remis en avant la nécessaire « réforme » des institutions, que le Parti socialiste peine à définir.

« La France présidente » ? Le slogan de madame Royal parachève le ralliement du Parti socialiste à la logique bonapartiste des institutions de la Ve République. Après avoir dénoncé leur « coup d’État permanent », François Mitterrand avait su les instrumentaliser pour remodeler son parti et la gauche autour de leur usage monarchique. En soutenant l’initiative référendaire de Chirac sur « le quinquennat sec », puis en prenant lui-même l’initiative d’une inversion du calendrier électoral qui subordonne l’élection parlementaire à la présidentielle, Lionel Jospin s’y était rallié à son tour. Il prit pour mot d’ordre de campagne « Présider autrement », comme s’il suffisait de faire bon usage des institutions pour en changer le sens. La campagne de Mme Royal n’est que la dernière péripétie de ce « grand renoncement de la gauche », qui a rendu les socialistes « incapables de la moindre distance d’avec le régime en place » : « Les institutions pensent désormais à leur place [1]. »

De Marx à Blum et Mendès-France, l’opposition à l’élection du président au suffrage universel fut pourtant commune à la gauche révolutionnaire comme à la gauche réformiste. Dès le coup d’État de Louis Bonaparte, Marx avait compris la fonction perverse de cette institution : « La Constitution s’abolit elle-même en faisant élire le président au suffrage direct par tous les Français. Alors que les suffrages des Français se dispersent sur les 750 membres de l’Assemblée nationale, ils se concentrent ici, au contraire, sur un seul individu […]. Il est, lui, l’élu de la nation. Vis-à-vis d’elle, il dispose d’une sorte de droit divin, il est par la grâce du peuple. »

VIe République

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Même argument, dès 1848, chez le futur communard Félix Pyat : « La République, dont le président est affublé du titre de chef de l’État, n’est pas la République, c’est la royauté. Un président nommé par la majorité absolue des suffrages du peuple aura une force immense et presque irréversible. Une telle élection est un sacre bien autrement divin que l’huile de Reims et le sang de Saint-Louis. Ou monarchie ou Commune ! Si nous voulons la Commune, plus de présidence [2] ! » Ces critiques ne sont pas l’exclusivité d’une gauche extrême. Ainsi, Pierre Mendès France déclarait, en 1962 : « Choisir un homme sur la seule base de son talent, de ses mérites, de son prestige, ou de son habilité électorale, c’est une abdication de la part du peuple, une renonciation à commander, à contrôler lui-même, c’est une régression par rapport à toute une évolution que l’histoire nous a appris à considérer comme un progrès. »

Au fil des ans, cette « renonciation » a gangrené la vie publique, favorisant le clientélisme et la corruption, propageant ses effets au niveau des régions, privilégiant la nomination princière au détriment du contrôle des mandats électifs, personnalisant et dépolitisant à outrance le débat électoral. La campagne en cours marque une étape supplémentaire dans cette dégradation de la vie publique. Le rôle des grands médias (étroitement mêlés au grand capital financier et aux jeux de pouvoir) donne à l’affaire un tour plébiscitaire sans précédent. Marx disait de Napoléon, le neveu : « Vu le manque total de personnalités d’envergure, le Parti de l’ordre se croit naturellement obligé à s’inventer un individu unique en lui attribuant la force qui faisait défaut à sa classe tout entière et de l’élever ainsi à la dimension d’un monstre. » Aujourd’hui, ce monstre miniature dispose déjà de sa société du Dix-décembre, de ses affairistes. Comme ses précurseurs de 1848, il se présente « en rempart de la société » et condescend en « charlatan arrogant » à « porter le fardeau du monde sur ses épaules ». Cependant, sa force tient surtout à la faiblesse d’opposants occupés à lui disputer le parti de l’ordre juste. Affirmant que « la France a le meilleur régime politique de son histoire », Sarkozy entend ainsi pousser à son terme la logique bonapartiste de la Ve République, quitte à injecter dans ses rouages une infime dose de parlementarisme.

Madame Royal dit-elle autre chose ? Elle a fini, dans son discours du 18 mars, par lâcher le mot de VIe République : « Cette République nouvelle, farouchement accrochée à ses identités et à ses diversités […], ce sera notre VIe République. » Mais le flacon ne fait pas l’ivresse : « La nature de la République, et pas seulement son numéro, fait problème en France [3]. » La proposition de Royal promet le mandat unique, une dose de proportionnelle, la suppression du 49-3, mais elle ne limite en rien les pouvoirs du président. La « France présidente » entend, au contraire, utiliser à plein la fonction : « Je serai la présidente de la juste autorité, car je sais où je vais et comment j’y vais [4]. » Elle le sait si bien qu’elle a renoncé à proposer une assemblée constituante, sans laquelle on ne voit plus de quel pouvoir émanerait sa VIe République, et se contente d’évoquer un « comité constituant », aussi peu démocratique que celui qui concocta, sous la présidence de Giscard, le traité constitutionnel européen.

Droits de contrôle

Pour qu’une gauche digne de ce nom ressuscite du « sépulcre constitutionnel » où la gauche libérale s’est volontairement ensevelie, une réforme démocratique radicale exigerait la convocation d’une assemblée constituante et la suppression de l’élection au suffrage universel du président de la République, clé de voûte du bonapartisme institutionnalisé. Elle exigerait aussi un mandat unique renouvelable une seule fois, un système proportionnel intégral par régions – et non l’injection d’une dose homéopathique de proportionnelle – avec correction nationale prenant en compte les restes, le droit de vote pour tous les résidents étrangers, l’exercice garanti du droit à l’autodétermination pour les départements et territoires d’outre-mer.

Elle exigerait la suppression du Sénat et son remplacement par une assemblée issue des mouvements sociaux. Elle devrait radicaliser le droit du sol, en opposant à la notion généalogique d’identité, celle d’une citoyenneté élargie à tous ceux et celles qui vivent et travaillent sur le territoire. Elle devrait supprimer la tutelle préfectorale sur les communes héritée de l’Empire, promouvoir une expansion de la démocratie communale et remplacer le Conseil constitutionnel, nommé par une commission parlementaire élue à la majorité des deux tiers. Elle devrait surtout favoriser la reconnaissance de droits de contrôle et d’autogestion sur les lieux de travail, réduire le temps légal de travail pour faciliter la rotation des mandats et la déprofessionalisation des pouvoirs, instituer la révocabilité des élus par leurs mandants et aligner leur indemnité sur le salaire d’un travailleur qualifié.

Rouge du 12 avril 2007

Notes

[1] Paul Alliès, Le Grand Renoncement : la gauche et les institutions de la Ve République, Paris, Textuel.

[2] Voir sur le site d’ESSF : Félix Pyat contre la présidence de la République !

3] Paul Alliès, op. cit.

[4] Le Monde du 20 mars 2007.


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