Juin 2013 : Marches et assises pour préfigurer l’arc de forces politiques qui serait prêt à s’investir dans une « autre politique »

mardi 28 mai 2013.
 

Nous venons d’entrer dans la deuxième année du quinquennat. C’est une période nouvelle. Elle va approfondir les méfaits de la précédente. Elle sera plus dévastatrice que la précédente pour le pays et les nôtres.

La brutalité de l’explosion du chômage, le déferlement de la misère, la braderie des intérêts nationaux sous la forme des privatisations, l’abaissement devant le gouvernement Merkel, une nouvelle vague d’agressions contre les acquis sociaux comme les retraites vont dévaster notre paysage. De son côté, l’appareil médiatique « officialiste » va s’arcbouter pour défendre « la seule politique possible ». Sa violence diffamatoire va s’amplifier comme jamais. Il y aura beaucoup de peur et de résignation dans le commun, beaucoup de mépris de soi entretenu par tous les porte-voix déclinistes et politico-masochistes. Le temps sera dur. Raison de plus pour ne pas rester l’arme au pied. Nous allons déployer un plan de marche offensif. Il s’agit de maintenir sans cesse ouverte la possibilité pour le pays de changer de cap. De se tenir prêts pour une relève politique. Pour cela il faut en réunir les conditions. Cette mise en place vient de loin pour ce qui nous concerne. Elle s’ancre dans une méthode.

La première étape a été franchie au terme du cycle commencé avec la fondation du Front de Gauche s’affirmant et s’élargissant progressivement jusqu’à l’élection présidentielle. Celle-ci a ouvert une nouvelle séquence. Celle où nous avons franchi le seuil de crédibilité qui nous met en état de prétendre être une alternative politique pour notre pays. Encore fallait-il prouver que nous ne sommes pas juste un pauvre cartel de micro-organisations, ni un effet champignon électoral. Ni un simple rouage des combinaisons du système politico-médiatique, ni un de ces aiguillons de confort qui font rêver les impuissants politiques. Il fallait prouver que sous le bombardement permanent des injures et des calomnies déversés par les médias de connivences nous parvenions à avancer dans l’opinion et que la confiance construite dans l’élection ne reculait pas mais au contraire s’enracinait. Comprenons-nous bien. Cette preuve nous ne la devions à aucun juge extérieur à nous, à aucun institut de sondage, à aucune officine officialiste. Nous la devions à ceux que nous avons regroupés, aux quatre millions d’électeurs du Front de Gauche de l’élection présidentielle. Je veux préciser davantage cette idée. Il ne s’agissait pas d’administrer cette preuve comme quelque chose venant « d’en haut » et d’une bonne communication politique. Il fallait que ceux qui ont commencé notre longue marche s’en convainquent entre eux. C’est ce commentaire que j’ai le plus entendu le soir du 5 mai. Combien m’ont dit : « Moi-même j’ai été surpris de nous voir si nombreux ! »

Ainsi, le premier objectif de l’année après le deuxième tour de la présidentielle était que la force rassemblée à cette occasion par nous au premier tour ne se démoralise pas au point de se diluer. C’est le contraire qui s’est produit. Comment cela s’est-il joué ? Par l’action et les mobilisations politico-sociales que nous avons impulsées ou accompagnées au fil des mois. Avec le 30 septembre dernier et cette marche du 5 mai, nous en sommes à deux démonstrations de force. Et la force allant à la force, la marche du 5 mai a prouvé que l’opération d’étouffement et de dénigrement des solfériniens et de leurs griots n’a strictement rien produit à l’endroit où se joue la partie réelle. Telle est notre technique d’éducation populaire de masse. Dans cette technique, les difficultés et les obstacles à surmonter sont des vaccins utiles et des matériaux fonctionnels pour construire le type de conscience collective dont nous avons besoin pour agir. Par exemple, le venin médiatique craché à grand jet par « Le Monde », « Libération » et « le Nouvel Observateur » travaillent utilement les milieux qu’ils atteignent. La masse « prout-prout » se conforte dans ses préjugés ? Et alors ? N’exagérons pas l’audience des rubriques politiques de ces supports dans le pays. Sachons aussi que pour le reste de ce petit lectorat, il s’agit de gens instruits et cultivés. Nécessairement, beaucoup ont aussi parfois un sursaut de recul intellectuel. Aussitôt la prise est faite. Une fois le procédé médiatique diffamatoire perçu, une seule fois, le vaccin se diffuse et fait son œuvre. La méthode de la conflictualisation des enjeux politiques, c’est aussi un judo dans les consciences.

L’enjeu de la démonstration qu’il fallait faire dès le lendemain de l’élection présidentielle c’est évidemment de prouver que les objectifs de notre propre campagne vivaient toujours dans les esprits. Nous avons franchi cette étape. La marche du 30 septembre contre le traité européen a été exemplaire de la méthode que je viens de décrire. En dépit des duperies habituelles et des tours de passe-passe de communication du nouveau pouvoir, peine perdue, la conscience populaire et sa mobilisation n’ont pas fait défaut. Mais surtout cette première marche a permis que nous commencions à élargir notre mouvement dans une forme politico-sociale, unissant des partis, des associations et des syndicats dans une même lieu, dans une même action. Cette caractéristique est décisive ! Elle est une condition préalable du mouvement de fond qu’il nous faut construire et déclencher. Le 5 mai, de nouveau, sans que rien n’ait été sollicité, toute la fin de la marche était faite de drapeaux, ballons et bannières syndicales, exactement comme la tête de manifestation était composée des délégations des entreprises en lutte dans le pays. C’était décisif !

L’autre caractéristique c’est que cette capacité d’action autonome s’est construite à l’intérieur même de la nouvelle période ouverte par la présidence de François Hollande. C’est là la nouveauté totale dans l’histoire de la gauche. Du temps d’une présidence du PS une force populaire maintient son indépendance et affirme ses objectifs. Cela ne s’est jamais vu. Cela ne s’est pas construit sans discussion et surtout rien ne s’est fait à l’improviste. Combien de discussions, combien parfois de tensions ont accompagné cette maturation ! L’essentiel était, tout au long de ces épisodes légitimes, de rester unis. Certes tout a été rendu plus difficile, plus dangereux, par la meute écumante qui n’a cessé d’aboyer autour de nous. Quand on se souvient du pitoyable numéro de « Libération » sur les soi-disant problèmes de compte de campagne présidentielle à la veille de la marche du 5 mai, on sait de quelle niveau de hargne il est question. Je n’oublie pas non plus les abandons et les tirs dans le dos qu’il aura fallu subir dans ces circonstances et ils n’ont pas été très élégants. Mais en même temps, les chefs solfériniens se sont isolés autant par le contenu de leur politique que par leurs pratiques. Pire : le sentiment d’impunité où ils se sont crus parvenus en dépit de leurs violences, notamment contre nous, les conduit dorénavant à appliquer la méthode à tous ceux qui résistent si peu que ce soit aux désidératas de leur petite coterie. A preuve l’incroyable grossièreté de Manuel Valls traitant le président de l’Assemblée nationale de « démagogue » en raison de ses propos sur l’Allemagne de madame Merkel ! J’en reste à cet exemple pour ne pas répéter tout ce que vous savez déjà sur ce régime constant de brutalités politiques qui humilie à tour de rôle tous ses soutiens. Parlementaires, partis alliés, syndicats, chacun, l’un après l’autre aura été malmené, ridiculisé, autant en acte qu’en parole. Ils se sont même crus plus forts après chaque capitulation autour d’eux. Mais si diviser pour mieux régner reste une technique qui a son efficacité, elle suppose pour réussir des moyens qui ne sont pas réunis, loin de là.

En effet, le contenu de la politique menée empêche les « soutiens naturels » de fonctionner. Quel syndicat veut prendre en charge la politique d’austérité ? Quel parti veut partager la gloire des réalisations de Jean-Marc Ayrault ? Quelle association va exiger la diminution de ses subventions et se glorifier d’en avoir obtenu de plus drastiques que prévues ? Ces fractures-là libèrent des masses considérables de gens qui, vaille que vaille, doivent sortir de l’orbite des solfériniens. Cela compte cent fois plus que l’aide objective que nous apporte la gauche du PS en sapant de l’intérieur l’autorité de leur parti et de ses dirigeants. Evidemment cette aide nous est sincère et très précieuse et il n’est pas question d’en sous-estimer la portée. Elle légitime avec efficacité notre critique et notre travail sur les franges désorientées de l’électorat socialiste. Il est incontestable que le score très élevé que vont atteindre les amendements déposés par Gérard Filoche, Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann contre l’Europe libérale peuvent ouvrir une belle brèche dans le mur construit par les solfériniens pour empêcher la libre circulation des personnes et des idées à gauche. On peut même raisonnablement parier qu’ils parviennent à être majoritaires comme je l’avais été en face de Lionel Jospin sur cette question européenne précisément. Mais si précieux que cela soit tactiquement, ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel n’est plus depuis longtemps dans le rapport des courants du PS à la masse citoyenne. Pourquoi ce rapport serait-il de meilleure qualité que celui du parti tout entier avec le grand nombre ? C’est donc du grand nombre que tout vient et à qui tout retourne.

Du coup, ce qui est déterminant c’est bien le choc imposé par les solfériniens à toutes les forces sociales liées à la gauche politique dans l’histoire. En quelque sorte tout le monde doit se repositionner vaille que vaille sauf à être aspiré dans la dégringolade et la déchéance du parti et des hommes et femmes du pouvoir en place. La pente prise est donc à la dislocation d’un côté et à la réorganisation contrainte de l’autre. Le bilan à cette heure est le suivant : la majorité politique gouvernementale est divisée entre ceux qui sont pour ou contre l’austérité et l’Europe Merkel, de même, d’une façon ou d’une autre, dans le monde syndical, de même dans le monde associatif. Pendant ce temps, au contraire, nos moyens d’action, le niveau de conscience et d’éducation des nôtres se sont renforcés dans l’épreuve. Et cela en dépit de la démoralisation et de la résignation instillée partout par les solfériniens. C’est un point d’appui considérable dans la situation.

La date du 5 mai elle-même, selon les observateurs donnait son sens profond à notre marche. Elle serait un message en direction de Hollande un an après son élection. J’accepte cette lecture qui me convient d’autant mieux que la marche a été un succès énorme. Et de fait c’est bien ce qui s’est passé dans les médias. Et cela aussi me convient. Pour autant il ne peut être question d’accepter le contenu personnalisant que cette assignation implique. Ce n’est pas la personne de François Hollande qui est en cause et pas davantage celle de son translucide premier ministre. Nous ne devons pas perdre de vue quel était l’objectif initial. Le point de départ était d’organiser une riposte digne, citoyenne et politique à la déchéance de la démocratie créée à la fois par l’affaire Cahuzac et par la réponse présidentielle grotesque sur le registre « tous suspects d’être pourris ». De notre côté, en y ajoutant dès le départ la double consigne « contre la finance et l’austérité » nous avons achevé de dessiner notre tableau : nous travaillons à un changement de régime et de politique. Telle est notre ambition et rien ne doit la réduire. La force des applaudissements place de la bastille après mes paroles sur le thème du changement de régime ont bien montré le niveau d’exigence et de compréhension des marcheurs du 5 mai.

On peut dire de cet objectif qu’il est révolutionnaire dans le contexte européen actuel. Non ? Surtout si l’on tient compte de l’abaissement de notre pays devant le gouvernement Merkel. Dès jeudi, après être passé à Bruxelles pour renouveler l’acte de capitulation et baiser la main qui nous frappe, François Hollande appellera les Français à collaborer avec les auteurs du coup d’état financier en Europe. L’acte II du quinquennat sera commencé. Si les mots ont un sens la stratégie qu’il faut déployer pour abattre ce dispositif doit être à la hauteur de la tâche. Dans notre cas il s’agit d’abord et avant tout de construire la masse critique populaire consciente capable de prendre en charge le travail à faire. Nous ne le faisons pas à l’aveuglette ou bien en consultant je ne sais quel copié-collé de recettes d’un autre âge de l’action. Nous tenons compte des embûches observées dans des situations comparables. Notamment dans la dernière période en Amérique latine et dans le Maghreb. C’est dans cet esprit que s’inscrit notre plan de marche.

C’est le sens de cette première période, d’ici fin juin, qui comporte déjà plusieurs rendez-vous liés les uns aux autres. Deux temps principaux sont inscrits sur l’agenda spécifique du Front de Gauche. Cela ne veut pas dire que les autres rendez-vous déjà connus n’entrent pas dans notre trajectoire. Mais si le sens des rassemblements appelés pour l’amnistie sociale, la loi contre les licenciements boursiers, ou la marche des femmes contre l’austérité du 9 juin prochain sont évidents et portés par des collectifs, ce n’est pas le cas des consignes plus récentes. Je parle ici des « répliques » de mobilisations populaires à organiser sur le mode du 5 mai au début de juin en même temps que nos camarades espagnols et portugais. Et je parle des assises du 16 juin. Quel rapport entre les deux ?

Les marches citoyennes enracinent la base géographique de la mobilisation nationale réussie le 5 mai à Paris. Il faut y mettre du soin. Tous les dirigeants du PG se répartiront dans tout le pays. Je serai à Toulouse pour la marche qui est convoquée le 1er juin. Et les assises ? Quelle place occupent nos Assises ? Il faut bien la comprendre. Elles sont essentielles. La brèche ouverte par nos marches est indispensable pour avancer. Elle est un préalable. Sans mobilisation populaire tout n’est que combinaison politicienne. Mais elle ne se suffit pas à elle-même. Il s’agit de construire un débouché politique large au fleuve que nous faisons naître. Nos assises préparent les bases du programme qui pourrait coaliser des forces pour une alternative populaire de gauche au gouvernement Ayrault. Avons-nous une chance raisonnable d’avancer dans cette direction ? Oui mille fois. Et d’autant plus qu’on y travaille avec sérieux, souplesse, ouverture et sans esprit de récupération.

Rien ne démontre mieux l’articulation entre les marches citoyennes et leurs débouchés politiques que l’exemple donné par la participation d’Eva Joly et de ses amis à la marche du 5 mai. Pour ma part j’attribue à ce groupe politique une bonne part du succès de la mobilisation. Ce n’est pas une affaire de nombre, même si dans ce cas il est tout simplement impossible à évaluer compte tenu du nombre des marcheurs sans attache partisane particulière. Je pense donc pour résumer mon idée qu’il était d’autant plus facile de venir à cette marche qu’on la savait aussi appelée par Eva Joly, en quelque sorte. Cette appréciation s’applique à tous les marcheurs en général. Dans l’implication d’Eva Joly il y a un diagnostic très dur sur la situation. Elle l’a présenté sans détour dans son discours sur place. Ses amis les plus proches, loin de se fondre dans la foule ont marché en cortège avec une banderole. Ils se sont rendus visibles et ils ont été applaudis tout le long du parcours. On connaît la réplique des appareils politiques. Elle s’exprime comme une menace à travers la rumeur répandue par quelques agents d’influence aigres et malveillants dans les médias moutonniers. Eva Joly n’aurait fait tout cela que pour une place dans nos listes aux élections européennes. Sous-entendu : sa reconduction n’est pas assurée compte tenu de son choix à propos de la marche. Ici les solfériniens n’innovent plus beaucoup. A noter que les mêmes ramasseurs de rumeurs n’auront pas pris le temps d’enquêter sur le contact organisé par Matignon, ni sur ses offres, pour dissuader Eva Joly. Recopier les ragots est facile. Travailler est dur. Naturellement il n’a jamais été question de ce sujet entre nous et elle, ni avec aucun de ses proches. Eva Joly est une partenaire centrale sur laquelle nous espérons pouvoir compter pour nos Assises. D’autant que la direction d’Europe-Ecologie-Les-Verts s’y associera sans doute aussi. Certes la gauche du PS est restée inexistante à propos de la marche. Courageux mais pas téméraires les camarades. C’est assez banal. Peut-être parce qu’ils ont craint les réactions des marcheurs. Dans ce cas ils auraient tort. Quoiqu’il en soit les dirigeants participeront eux aussi aux Assises. Le but n’est pas « d’élargir » le Front de Gauche. Ni bien sûr, non plus, à l’inverse, on le devine, d’aller apporter de l’eau au moulin d’hypothétiques partisans de notre inclusion dans le dispositif gouvernemental. Au contraire. Il s’agit de se demander comment sortir de la politique d’austérité en France et en Europe. Et, à partir de là, on comprend qu’on peut préfigurer l’arc de forces politiques qui serait prêt à s’investir dans cette « autre politique », en rupture avec le cours actuel. Dans ces conditions, les marches citoyennes jouent le rôle de défricheuses de futur autant que de déblayeuses du présent. Marches et assises sont les deux volets d’un même parcours politique en vue de la révolution citoyenne.


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