Retraites : le PS et la presse organisent la retraite

dimanche 30 juin 2013.
 

« La fin de l’ancien régime » titre en toute simplicité un article de Paris-Match (23 mai) au sujet des retraites. L’allusion à la Révolution française ne va bien sûr pas au-delà du « bon mot » car il s’agit aujourd’hui de poursuivre le détricotage du système de solidarité intergénérationnel issu du Conseil national de la Résistance. Mais derrière les procédés de presse ordinaires d’amalgames, de métaphores, de jeux de mots pour « piquer la curiosité du lecteur » se profile une efficace arme de diversion massive. On peut sourire de cette allusion par l’hebdo du groupe Lagardère à une nouvelle nuit du 4-août censé mettre bas les privilèges de la majorité de la population en matière de pension. On aurait tort. Répétés sur tous les tons et mis à toutes les sauces, les insinuations de cet ordre troublent les consciences tandis que les « évidences » et les avis d’experts repris comme des mantras installent sinon le doute du moins le découragement.

Préparer l’opinion au pire

On y travaille d’arrache-pied pas seulement dans la presse. La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, l’a dit : « le contenu de la réforme comptera autant que la façon dont on la mènera ». Pour commencer, il faut préparer l’opinion au pire. De façon à la convaincre que l’on a ramené au final l’effort exigé à une supposée juste mesure. Une manière efficace de suggérer que tout a été fait dans le plus grand souci de justice et d’équilibre. Six mois de distillation d’infos en tout genre ne sont pas de trop pour faire perdre le nord au bon peuple et le dénerver. Plus les annonces, les indiscrétions sont inquiétantes, plus elles seront efficaces. Les bruits de couloir des ministères sur le recul de l’âge du départ à la retraite à 65 ans voire à 67 ans ou bien sur l’allongement de la durée de cotisation de 41 ans et demi à 45 ans repris par les médias entrent dans ce dispositif. Il n’y a pas de collusion directe entre le gouvernement et les médias, juste la logique d’intérêts qui ici se croisent, les seconds utilisant le premier pour « vendre » des révélations soigneusement dosées et fuitées par des communicants ministériels qui testent ainsi la combativité des citoyens. Dans cette mise en scène, les deux parties se livrent à un jeu gagnant-gagnant où on ne sait pas clairement qui utilise qui.

On vit plus longtemps mais malade

Il faut dire que la difficulté n’est pas extrême. Car en matière de retraite, les politiques et les experts médiatiques tiennent le même discours. La droite l’avait déjà servi en 1993, 2003 et 2010 et il semble avoir fait ses preuves. La situation serait donc, une fois de plus, intenable : la population vieillissante, en proportion croissante, s’accrocherait à la vie sans considération aucune pour le coût occasionné. L’espérance de vie caracolerait fièrement vers des records. « Trois mois de durée supplémentaire d’espérance de vie, c’est en moyenne ce que gagnent chaque année les Français », rapporte La Tribune (31 mai). Soit « 78,4 ans pour les hommes et 84,1 ans pour les femmes ». Estampillée Ined (Institut national d’études démographiques), l’information est incontestable. Elle n’a que le tort d’être incomplète. Car l’espérance de vie sans incapacité est, elle, en régression comme l’annonce le numéro de juin de Sciences et vie. En clair, on vit certes plus longtemps, mais malade. Ainsi depuis 2004, les quinquagénaires ont effectivement gagné un an et demi de vie, mais perdu deux ans de bonne santé. Le phénomène n’est pas limité à l’Hexagone. « En Europe, explique dans le magazine scientifique Jean-Marie Robine, chercheur à l’Inserm, en moyenne toutes les années de vie gagnées depuis 2005 ont été des années gagnées avec des incapacités. » Si bien que l’espérance de vie sans incapacité serait passée en France pour les hommes de 62,7 ans en 2008 à 61,9 ans en 2010 et pour les femmes sur la même période de 64,6 ans à 63,5 ans. Les maladies qui plombent la vieillesse sont pour les deux sexes, en haut de tableau, les TMS (troubles musculo-squelettiques) causés essentiellement par les gestes répétitifs et l’accélération des cadences dans les entreprises. Puis ce sont les hypertensions, les AVC qui ne sont pas sans rapport avec le stress du travail, enfin les dépressions, l’anxiété et les troubles respiratoires. Des affections des temps modernes comme l’on dit quand on veut ne fâcher personne, mais dont on ne comprend pas très bien comment elles vont être conciliables avec le recul de l’âge du départ à la retraite. Il faudrait que la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine développe un peu son argument : « Quand on vit plus longtemps, on peut travailler plus longtemps. » (Le Parisien du 9 juin).

Un système de retraites déjà parmi les plus durs d’Europe

Mais bref, répète-t-on à l’envi, « le déficit du système des retraites devient abyssal », il faut revoir « la générosité de notre système » selon un expert de Challenges (7 mai), Jean-Olivier Hairault de l’Ecole d’économie de Paris. « L’économie française ne peut plus continuer à supporter l’augmentation du taux de prélèvement sur la richesse produite. » Ces 20 milliards de déficits attendus en 2017 rongeraient plus sûrement l’effort national que la même somme offerte dès cette année sans contrepartie aux entreprises par Hollande sous couvert d’aide à la compétitivité ou que les 80 à 100 milliards d’euros annuels d’évasion fiscale opérée par les multinationales et les plus riches sans parler d’impayés de cotisations patronales, de niches fiscales et autres cadeaux divers et variés. Il n’y aurait donc pas d’autres solutions que de " réformer ", nous dit-on. Et vigoureusement : « le gouvernement ne peut se permettre une demi-réforme qui, comme celles de 1993, de 2003 ou de 2010, appellerait de nouvelles rustines quelques années plus tard », prévient solennellement Libération le 13 mai (pas si éloigné des désirs, « vite et fort », du nouveau dirigeant du Medef, Pierre Gattaz. Rappelons que les « rustines » de Libé ont vu passer les années de cotisation de 37,5 ans à 40 ans, puis à 41 ans, et enfin à 41,5 ans. Que le montant des pensions du privé ne se calcule plus sur les 10 mais les 25 meilleures années, et que l’âge légal du départ a été porté à 62 ans et qu’il faut travailler jusqu’à 67 ans contre 65 précédemment pour avoir droit automatiquement au taux plein… Des « demi-réformes » comme l’écrit le quotidien qui, en moins de 20 ans, ont fait de notre système de retraites l’un des plus durs d’Europe (35 ans de cotisations pour les Espagnols ou les Allemands qui partent en moyenne à 61 ans, 30 ans pour les Britanniques…).

L’Europe sans tabou sauf sur les cotisations patronales

L’argument de l’impossibilité de toute autre politique appliquée aux retraites a reçu récemment le renfort de la Commission européenne qui a monnayé sa remise de deux ans de « sursis » (sic) pour atteindre l’objectif des 3% contre des mesures à prendre « d’urgence pour équilibrer durablement » les régimes à échéance de 2020. Et pour que l’on comprenne bien, elle les a détaillées : « augmenter l’âge légal du départ », « adapter les règles d’indexation » de façon à décrocher les pensions de l’inflation, s’en prendre aux régimes spéciaux, etc. La Commission rejoint ainsi les préoccupations de Laurence Parisot qui propose d’examiner le dossier « sans tabou ». Enfin si, tout de même : Monsieur Barroso, le grand maître d’œuvre de la Commission européenne, fait une exception. Afin de préserver la compétitivité des entreprises, il précise qu’il est hors de question de toucher et d’augmenter « les cotisations sociales patronales ». Hollande a pris ombrage de ces diktats qui font de l’ombre à sa fonction dont une des missions est pour le moins, dans une démocratie, de tout faire pour garantir la souveraineté du pays. La réponse a été martiale : « Pour ce qui concerne les réformes structurelles, c’est à nous et à nous seuls de dire quel sera le bon chemin pour atteindre l’objectif. » Soit en clair, pas question de remettre en cause « l’objectif », mais juste revendiquer la prérogative de déterminer comment faire avaler la pilule…

"Chiche, M. le président !"

Devant une telle bonne volonté, on pourrait croire la presse dite d’opposition bien embêtée. Le boulot est déjà fait et si bien fait qu’il coupe aussi l’herbe sous le pied d’une droite à qui on a piqué le programme et bien plus encore. Il ne reste plus à la « grande » presse qu’à cajoler le gouvernement, l’encourager à ne pas faiblir. « Chiche, M. le président ! » titre un édito du Figaro (6 juin) qui veut « saluer cette clairvoyance soudaine, même si on peut regretter qu’elle soit si tardive. » Attention toutefois à « ne surtout pas mollir face à la grande armée des fonctionnaires » car les salariés du privé « attendent cette fameuse équité promise par la gauche ». Un clin d’œil certain à Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, qui dans Le Parisien du 9 juin , avait répondu à une question sur le symbole de la retraite à 60 ans, fierté du défunt Mauroy qui avait vu là une « avancée de civilisation », par « le symbole de la gauche, c’est la justice (…) Des efforts sont nécessaires, mais ils devront être partagés par tous. »

Une bonne vieille recette : jouer le privé contre les fonctionnaires

La seule inquiétude du côté de la presse n’est ainsi pas de savoir si les montants des retraites vont baisser, si l’on va rogner et de combien sur ces pensions que la moyenne nationale situe à 1256 euros par mois (1603 euros pour les hommes contre 932 pour les femmes). Non, la préoccupation unanime est de savoir si notre monarque républicain va se montrer audacieux ou pas. « Hollande ira-t-il jusqu’au bout ? » titre en une Le Figaro le 6 juin. « Oseront-ils toucher aux fonctionnaires ? » s’angoisse toujours en une Le JDD le 9 juin. Le Parisien (10 juin) a fait effectuer un sondage qui chiffre à 75% le taux de réponses favorables à la question : « Pour financer le système des retraites, seriez-vous favorables ou opposé à ce que les pensions de retraite des fonctionnaires soient désormais calculées sur leurs salaires des dix dernières années et non plus des six derniers mois ? » On peut pronostiquer un bien meilleur score à la réponse si la question avait suggéré un calcul sur la base des six derniers mois pour les salariés du privé. Mais il est vrai que l’on parle des retraites des salariés pas des retraites chapeaux des dirigeants d’entreprise. Ces derniers ont le pouvoir d’aligner leurs revenus d’actifs et de retraités à la hausse, sur ce qui se pratique de plus confortable au niveau international. Il ne faut pas faire fuir les élites, surtout ne pas désespérer Neuilly-Auteuil-Passy…

La détermination des Français supérieure à 2010

Un rien d’inquiétude ternit toutefois ce bel ensemble. « 76% des Français, d’après La Tribune (3 mai), n’ont pas confiance dans le gouvernement pour assurer l’avenir du système actuel. " Les chiffres atteignent des records de défiance lorsque l’on évoque le montant futur de leur retraite. La finance peut se frotter les mains et espérer un recul de la confiance en la retraite par répartition en faveur de la retraite par capitalisation. Mais cette défiance, que l’on peut tenter d’entretenir à travers éditos et pseudos mesures techniques inévitables sussurés par des « experts » (recul de l’âge de la retraite, points notionnels, allongement de cotisations, tout ce dont vont débattre ces « experts » une fois rendu public le rapport de Yannick Moreau.) peut se cristalliser autrement. C’est ce que suggère un sondage réalisé par L’Humanité ( 3 juin). À la question : « Vous personnellement, seriez-vous prêts à vous mobiliser dans les mois qui viennent pour défendre le niveau de votre retraite ou de votre prochaine retraite ? », les oui (certainement et peut-être) atteignent le chiffre record de 78%. Ils plafonnaient à 58% en 2010 qui a cependant connu les manifestations les plus massives de ces trente dernières années. Rien, absolument rien n’est donc joué. La résistance en d’autres temps et certainement pas des plus faciles a déjà réussi de plus improbables retournements. À nous d’en renouer le fil.


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