Lier émancipation laïque et sociale

lundi 4 novembre 2013.
 

L’arrivée récente d’une charte de la laïcité dans les établissements scolaires interroge pour l’instant quant à son sens et son utilisation  : où doit-on la mettre  ? que doit-on en faire  ? quand peut-on la lire  ? quelle activité pédagogique mener à partir d’un tel support  ?

En plus de son impact sur l’école, elle donne l’occasion à ce principe républicain central dans notre pays depuis 1905 d’être remis à nouveau au cœur du débat public, toujours passionné en l’occurrence. De ce point de vue, il est incontestablement satisfaisant de constater que le nouveau pouvoir s’est éloigné des errements inconsidérés d’un prédécesseur chanoine de Latran qui s’était rendu à Rome signifier au pape sa soumission et la «  supériorité  » du curé sur l’instituteur.

Comment, néanmoins, s’approprier intellectuellement et pratiquement un tel moment de réaffirmation dans l’enceinte de l’école de la République du cadre laïque  ? S’agit-il dans ce choix de confirmer le retour en grâce d’une morale laïque, assez indéterminée quant à sa mise en pratique, par un retour aux fondamentaux  ? S’agit-il au contraire d’un nouveau gadget destiné à masquer de valeurs supposées partagées les formes contemporaines de la domination  ? La réponse à cette question n’est pas possible sans considération du contexte au sein duquel il est question aujourd’hui de laïcité... et comme souvent elle se situe peut-être dans le plus inconfortable des entre-deux.

En contexte néolibéral, d’austérité intense et d’amaigrissement sans cesse plus marqué de la puissance publique, il semble toujours surprenant de se référer à des valeurs jugées communes, alors même que le cœur de l’organisation socio-économique est fondé sur l’affirmation de l’utilité individuelle et de la rivalité économique sans bornes. Dans ce contexte, le rappel aux valeurs est un affichage qui ne manque pas de se contredire lui-même, surtout quand des intérêts privés ne cessent de s’introduire dans l’école et d’influer les orientations et les goûts individuels.

En contexte républicain affirmé, quand la République sociale remet en question l’ensemble des modes de domination, la laïcité retrouve une pertinence et un sens d’une autre dimension  : elle est ce qui confirme que l’oppression politique et l’exploitation sociale et économique sont en principe rendues impossibles car contraires aux droits naturels fondamentaux de l’homme et du citoyen, qu’une République laïque se fait un devoir de conforter non simplement comme un idéal, mais aussi comme une réalité vers laquelle tendre.

Notre collègue ministre-philosophe est probablement dans cet entre-deux au moment de proposer cette charte, animé par des principes républicains bien compris, mais sans cesse ballotté par une accentuation des injonctions libérales auxquelles il ne s’oppose pas. Voir le meilleur et faire le pire est à ce moment-là un risque dans un réel politique et surtout politicien complexe.

Il nous revient alors de rappeler que sans le lien avec une politique émancipatrice, ancrée dans une forme de vie égalitaire et démocratique, la seule rhétorique, aussi juste et pertinente soit-elle, sur la laïcité est une construction idéologique vouée au gouvernement des classes populaires, notamment des populations que l’on persiste à dire «  issues de l’immigration  » comme le montre le grand intérêt du Front national pour la «  défense de la laïcité  » et son usurpation du concept.

La laïcité est inséparable d’un projet collectif émancipateur  : celui d’une République poussée jusqu’au bout, la République sociale. Sans émancipation sociale, il ne peut y avoir d’émancipation laïque. La laïcité n’est donc pas un objet de discipline morale des esprits, encore moins un outil de répression, mais la condition du développement de l’esprit critique et de l’accès pour tous à l’école et à la formation tout au long de la vie. En cela, elle constitue bien une promesse de liberté, d’égalité et de fraternité, qui nous libère individuellement et collectivement.

Par Jean-François Dupeyron et Christophe Miqueu, Maîtres de conférences en philosophie (ESPE d’Aquitaine). Ils ont récemment publié l’ouvrage collectif Éthique 
et déontologie dans l’Éducation nationale, 
Armand Colin, 2013.


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