Moyen-Orient : Accord global ou fatal

samedi 30 novembre 2013.
 

Un accord est signé avec l’Iran. Pour ma part, je n’ai aucune confiance dans ce que disent où signent les dictateurs religieux de l’Iran. L’idée d’un accord à petits pas avec de tels gens me parait être une vue de l’esprit. Un accord est global, ou bien ce n’est pas un accord mais un entracte qui peut devenir fatal. Ce que valent de tels entractes est connu depuis longtemps. Ceux qui se croient malins parce qu’ils signent « jusqu’ici mais pas plus loin » oublient la vieille leçon de l’Histoire : qui accepte « jusqu’ici » doit savoir que c’est déjà « plus loin » qui commence. Mais, à l’heure où j’écris, je ne connais pas le contenu de l’accord, et peut-être ne le connaîtra-t-on jamais. En même temps je ne crois, ni ne souhaite, une action de force contre l’Iran. Cela devra suffire à me valoir deux torrents de haines pavloviennes additionnées. Que m’importe ! J’ai eu le cran de dire à mes amis vénézuéliens que je n’étais pas d’accord avec leur relation avec l’Iran. Je crois qu’on répond à un raisonnement par d’autres raisonnements. Et j’admets pouvoir me tromper, au contraire de maints de mes détracteurs qui sont, eux, certains d’avoir toujours, tout le temps, raison ; au passé, au présent et au futur. Je m’empresse de dire que ce que j’écris sur le sujet m’est personnel, même si je sais très bien qu’un bon nombre de mes amis au Parti de Gauche pensent comme moi. On me dira que ce que je souhaite où crois n’a aucune incidence sur ce qui se passe. C’est vrai. Mais je crois important de réfléchir aussi longtemps que possible face aux torrents de notre temps avant qu’ils imposent des trajectoires que l’on pourrait éviter.

J’expose donc mon point de vue dans l’intention de le faire connaitre et de montrer, à ceux que cela intéresse, que l’on peut aborder un problème posé par des angles différents. Je reconnais sans mal que mon point de vue est d’abord dicté par ce que je crois être les intérêts de mon pays : la France. Le mien. Car je n’ai pour ma part qu’un seul passeport. Pour me faire comprendre et ne pas sortir du cadre du réel, je pars du récent voyage de François Hollande au Moyen-Orient. Je le fais puisqu’il est évident que cette signature d’accord avec l’Iran est un nouveau ridicule pour sa diplomatie faite de coups de gueule sans conséquence.

En effet, il ne faut pas ranger trop vite aux oubliettes l’épisode de la visite de François Hollande en Israël et Palestine. Je crois que le président français a manqué une belle occasion d’être utile au Moyen-Orient. Il n’était pas obligé de choisir entre les vociférations des iraniens et les glapissements du Premier ministre Israélien. Et plutôt que d’aller rejouer à Jérusalem le rôle défraîchi de la partition néo conservatrice américaine, il aurait mieux fait de saisir aux cheveux l’opportunité que présente la conjonction de la crise sur le nucléaire iranien et l’épisode du désarmement syrien. Une fois l’accord conclu avec les iraniens, est-il trop tard ? Disons que le cas semble plus tortueux. Mais si d’aventure une nouvelle opportunité de discussion se présentait, je pose ici un scénario. C’est celui d’une discussion qui partirait de la discussion sur la sécurité, qui soit vraiment régionale.

Par ce bout-là, sans provocation, en partant des seules exigences que l’actualité a mises à l’ordre du jour il y avait de quoi aller au cœur du problème et ouvrir des solutions concrètes sur le cœur réel du problème : le conflit israélo palestinien. De la formule désormais rituelle en faveur de « deux Etats aux frontières sûres et reconnues », plutôt que de commencer par « les deux Etats » sur lesquels tout a déjà été dit et à propos desquelles ce qui est en cours ne peut avancer que de l’intérieur, pourquoi ne pas partir de l’autre terme, c’est-à-dire de la sécurité ? Les frontières ne sont sures que d’un point de vue régional. La sécurité de l’Etat d’Israël, comme celle de ses voisins proches ou lointains, ne se joue pas seulement le long de leurs frontières physiques respectives. C’est une réalité beaucoup plus globale. A un bout, on trouve les armes de destruction massive et, à l’autre bout, des éléments plus quotidiens mais qui n’en sont pas moins vitaux, comme l’accès à l’eau ou la possibilité de se déplacer librement. Il est évident que le plus délicat est ce qui est le plus brûlant et le plus immédiat : les armes de destruction massive. Israël est une puissance nucléaire. Pas ses voisins.

Depuis le point de départ il s’agit d’une logique d’escalade. D’abord Israël, entourée par une masse considérable d’adversaires qui s’étaient alors juré publiquement de la rayer de la carte, pense compenser le danger permanent sur le mode sur lequel la France l’a fait de son côté. La contribution des Français à cet armement n’est plus un secret. Il s’agissait de la dissuasion nucléaire contre une attaque qui serait analysée comme mortelle. Mais, en toute hypothèse, quel que soit l’adversaire régional, sa proximité ne laisse aucun doute sur le fait que la riposte nucléaire aurait des conséquences directes aussi sur le tireur nucléaire. Dans ce cas, donc, l’argument nucléaire est à la fois terrible et dérisoire. Comme dans le cas de la France, c’est un « argument posthume ». Pourtant, les voisins ont entrepris de compenser « l’avantage stratégique » ainsi pris par Israël. C’est la raison pour laquelle la Syrie et l’Égypte n’ont pas signé les conventions de destruction des armes chimiques ni bactériologiques. Réplique qui fait qu’à son tour Israël en a fait autant, quoi que dans cet ordre de combat elle n’en aurait aucun besoin compte tenu de l’argument de dissuasion dont elle dispose.

On peut situer les tentations iraniennes d’armement nucléaire dans ce même registre d’escalade régionale. Mais on ajoutera dans ce cas les raisons que l’Iran peut avoir aussi en regardant du côté de ses frontières orientales. Après tout, le Pakistan, autre puissances nucléaire, n’est pas si loin ! Il faut s’en souvenir ! Car nous, les Européens, nous croyons toujours que l’essentiel du monde se joue autour de la très proche Méditerranée et que tous les riverains ne regardent que de ce côté. D’instinct, nous y rattachons nos légendes les plus anciennes. Et même dans ce cas, nous ignorons à quel point la Méditerranée est communicante. C’est à peine si nous tenons compte du fait que la mer Noire en est un prolongement. La légende de la Toison d’or ne se joue pas sur des côtes grecques mais en Géorgie, là où est né le vin, trouvaille que nous attribuerions spontanément à bien d’autres plutôt qu’à ceux qui en furent les inventeurs, tant ils nous paraissent loin de notre monde. Je reviens au cœur de mon propos.

À partir de la question syrienne, tout le fil de la sécurité collective de la région peut être repris. Le désarmement chimique de Damas est l’occasion de reprendre par un bout concret toute la question du désarmement régional. Le chimique, le bactériologique. Logiquement y serait inclut le désarmement nucléaire. Mais il le serait dans un ordre d’arrangement sans vainqueur ni vaincu.

On m’objecte parfois que, puisque les Français ont l’arme nucléaire, on ne voit pas au nom de quoi ils feraient des leçons aux autres. Pour ma part, je pense le contraire. Dans la pure logique de la dissuasion nucléaire, l’intérêt d’un pays comme le nôtre est qu’aucun combat nucléaire ne soit jamais à l’ordre du jour. Ni aucune guerre menaçant notre territoire. Depuis cinquante ans, les Français sont arc-boutés sur cette idée que la moindre menace, quelle qu’en soit la nature, recevrait une riposte majeure. Telle est la logique de la dissuasion nucléaire pour empêcher la guerre. Je le rappelle : au bout du compte l’intention est bien d’empêcher qu’aucun conflit d’aucune sorte n’ait lieu dont notre territoire serait l’enjeu. Une première contribution simple à cet objectif est d’empêcher les autres d’avoir des armes nucléaires. Car sinon, le rapport de force ne serait plus du tout le même. Le sens de la dissuasion ne serait plus le même. À cet argument purement « français », en quelque sorte, s’en ajoutent d’autres de plus large portée.

En quoi la dissémination nucléaire améliore-t-elle si peu que ce soit la situation et les chances de la paix pour quelque protagoniste que ce soit sur la scène mondiale actuelle ? Comment peut-on être à la fois pour le désarmement nucléaire et pour l’indifférence à propos de sa dissémination ? Pour nous, la France, le désarmement nucléaire est une priorité. Bien sûr, il faut commencer par ceux qui en sont le plus largement pourvu d’un côté. Et de l’autre il faut empêcher de nouveaux Etats de s’équiper. Nous devons donc être absolument et radicalement hostiles à toute forme de dissémination. Dans notre doctrine, ce n’est pas un objectif qui s’adresse en particulier à Israël ou à l’Iran, mais à tout le monde en général et partout sur la planète ! C’est pourquoi, lorsque nous nous prononçons pour le désarmement nucléaire de toute la région moyen-orientale et que nous saisissons toutes les occasions d’en faire avancer la réalité, nous servons d’abord notre propre cause la plus directe. Sans perdre de vue un seul jour qu’une guerre nucléaire en méditerranée ne sera jamais une guerre lointaine, faut-il le préciser, surtout compte tenu du sens dans lequel tourne la terre et du cheminement des nuages…

Ce point de vue concret donne une feuille de route bien plus compréhensible que les gesticulations devant l’Iran. Bien sûr, la nature du régime iranien en fait un adversaire par principe du monde républicain puisqu’il s’agit d’un Etat théocratique, c’est à dire fasciste par essence. Ses violences barbares contre la gauche politique et syndicale iranienne le signalent comme un ennemi pour notre camp. Mais s’il s’agit de relations internationales, le réalisme consiste à partir du point de vue de nos intérêts. Il faut donc regarder l’Iran en le considérant dans sa permanence et sous l’angle de ce qu’elle est capable d’accepter de négocier. Le régime des sanctions a prouvé son efficacité. Mais quand bien même aurions-nous le dernier mot sur ce front, qu’est-ce que cela change du point de vue global régional ? Rien. L’insécurité y serait toujours et les armes de destructions massives égyptiennes, israéliennes et autres y seraient toujours. Tout le monde sur place le sait. Raison donc pour laquelle nul ne peut avoir aujourd’hui le dernier mot nulle part et avec personne. Et par conséquent, le dossier palestinien reste encalminé jusqu’aux essieux. Sur ce point la paralysie n’est sûrement pas une affaire de tracé des frontières, même s’il est évident que cela compte énormément. La question est entièrement liée à la sécurité globale de chacun des protagonistes dans la région. On y revient.

Une nouvelle fois, je pense que la Syrie est un bon point de départ pour un règlement général, ou au minimum pour une discussion globale sur la sécurité de la région. De nombreuses questions sont en jeu. Mais une, parmi elle, est très directement liée à ce que nous évoquons à propos de sécurité globale. Qui a envie de voir à Damas un régime de fous furieux, armés par l’Arabie Saoudite et divers illuminés, prendre pied sur le plateau du Golan pourtant légitimement syrien ? L’exemple des exploits libyens ne suffit-il pas à comprendre ce que valent les méthodes d’exportation de la démocratie par les bombardements et les bandes armées de guerre civile ? Je crois que mon propos est assez présenté. Si le but est de faire avancer la paix, François Hollande n’a rien fait d’utile en prenant la pause face à l’Iran depuis Jérusalem. Et j’attends d’être convaincu par l’accord qui vient d’être conclu avec l’Iran. Seulement parce qu’on ne peut prendre une nouvelle direction dans la zone sans globaliser les solutions et sans commencer par le plus difficile : la sécurité militaire globale qui ne peut décidément pas se découper en tranche. En géopolitique comme en géographie, les erreurs d’échelle se paient cher.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message