Moyen-Orient : Brève histoire de l’Etat islamique

mardi 5 juin 2018.
 

À la suite des attentats du 13 novembre à Paris, une grande partie de la gauche a lié la montée de l’État islamique en Irak et au Levant (ÉI) à l’approfondissement de la violence impérialiste au Moyen-Orient. La guerre et l’impérialisme, d’une part, et l’impact croissant du terrorisme djihadiste, d’autre part, sont présentés comme imbriqués dans une étreinte de violence et de destruction qui les renforce mutuellement. « La barbarie impérialiste et la barbarie islamiste se nourrissent mutuellement », écrivait ainsi le Nouveau parti anticapitaliste de France peu après les attentats de Paris. Afin de briser cette étreinte nihiliste mortelle, il faut s’opposer à une intervention étrangère, mettre un terme à la violence impérialiste et arrêter le pillage des richesses des pays du Moyen-Orient, de l’Afrique et d’ailleurs.

La logique de base de cet argument est sans aucun doute solide. Mais en termes de valeur explicative ce type d’analyse ne va pas assez loin. Il souffre d’une trop grande généralité et abstraction — il nous dit peu de chose sur la spécificité de ce moment particulier ou sur la nature d’ÉI en tant que mouvement. En définissant une sorte d’automaticité ou de miroir naturel reflétant l’ÉI et l’impérialisme, nous pouvons manquer l’importance du contexte et l’histoire qui a façonné la croissance remarquablement rapide de cette organisation.

Pourquoi la réponse à l’agression occidentale et aux situations catastrophiques en Irak, la Syrie et ailleurs dans l’ensemble de la région prend-elle cette forme idéologique et politique particulière ? Qu’est-ce qui explique le soutien que ÉI trouve sur le terrain, dans le monde arabe et en Europe ? En bref : pourquoi maintenant ? Et pourquoi de cette façon ?

La véritable genèse de la montée de l’État islamique doit être recherchée dans la trajectoire des soulèvements arabes qui ont éclaté en 2011 et 2012. Ces soulèvements représentaient un énorme espoir. Un espoir qui doit continuer à être défendu. Ils ont subi la répression et le revirement, ils ont été incapables d’aller de l’avant dans aucune direction fondamentale. C’est dans cette brèche que les groupes islamistes ont surgi, leur renforcement étant étroitement calibré par le refoulement des révoltes et des aspirations populaires à la démocratie qu’elles incarnaient. Ce n’était nullement inévitable. Mais les difficultés auxquelles les insurrections ont fait face ont créé un vide, qui devait être rempli par quelque chose d’autre.

La vision du monde de l’ÉI est une expression idéologique de cette nouvelle réalité. Pour être clair, la croissance de l’État islamique ne peut pas être expliquée simplement comme étant un résultat de l’idéologie ou de la religion, comme nombre de commentateurs occidentaux ont l’air de le croire. Des racines sociales et politiques très réelles expliquent la croissance de l’organisation.

Mais prendre au sérieux l’expression idéologique nous aide à comprendre comment les différents facteurs qui se croisent, la propagation destructive du sectarisme, la répression ravageuse dévastatrice en Syrie et en Iraq, ainsi que les intérêts au Moyen-Orient de diverses puissances régionales et internationales, ont tous agi pour nourrir la croissance de l’État islamique.

C’est une dialectique du recul : la croissance de l’ÉI a simultanément renforcé et nourri l’incapacité de réaliser les aspirations de 2011, alors que la région s’est embourbée dans de multiples crises qui s’approfondissaient. Alors que le cadre idéologique de ces crises avancé par l’ÉI est évidemment faux, c’est néanmoins celui qui apparaît pour certains comme étant en résonance avec leur expérience vécue, fondant à leurs yeux une compréhension du monde qui donne un sens au chaos et à la destruction. Tels sont les aspects de ce processus qui en se renforçant mutuellement rendent la situation actuelle si dangereuse. Les fantômes de 2011

Les bouleversements qui ont commencé avec les manifestations en Tunisie et en Égypte en 2010 et 2011, et qui ont par la suite rayonné à travers toute la région, ont été les révoltes les plus importantes au Moyen-Orient depuis au moins cinq décennies. Il est important de se rappeler la promesse initiale incarnée dans ces mouvements, alors qu’aujourd’hui beaucoup sont prompts à les rejeter comme condamnés dès le départ – ou pire, comme une sorte de complot de conspirateurs extérieurs.

Ces manifestations, pour la première fois depuis des générations, ont fait entrer dans l’activité politique des millions de gens, secouant sérieusement les structures étatiques établies et l’emprise des régimes répressifs, alliées à l’Occident. Plus important encore, le caractère régional de ces mouvements a souligné les points communs et les expériences partagées des peuple du Moyen-Orient. Leur impact sur la conscience politique et les formes d’organisation continue à se faire sentir à travers le monde.

Depuis le début de ces soulèvements, il était clair que leur enjeu allait bien au-delà de la caricature simpliste « démocratie contre dictature », comme nombre de commentateurs l’ont suggéré. Les raisons poussant les gens dans les rues étaient profondément liées aux formes du capitalisme dans la région : des décennies de restructuration néolibérale de l’économie, l’impact des crises mondiales et la manière dont les États arabes étaient régis depuis longtemps par des régimes autocratiques, policiers et militaires, soutenus par les puissances occidentales.

Ces facteurs doivent être considérés dans leur ensemble, et non pas comme des causes séparées ou divisibles. Les manifestants n’ont pas forcément articulé explicitement cette totalité comme la raison de leur colère, mais cette réalité sous-jacente signifiait que les problèmes profonds auxquels est confronté le monde arabe ne seraient jamais résolus par la simple suppression des autocrates.

C’est pour empêcher un tel défi aux structures politiques et économiques que les élites, soutenues par les puissances occidentales et leurs alliés régionaux, sont intervenues rapidement et ont tenté d’annuler la possibilité d’un changement. Cela a été réalisé avec une variété de moyens et un éventail d’acteurs politiques façonnant les processus contre-révolutionnaires différemment dans chaque pays.

Au niveau de la politique économique, il y a eu peu de changements, car les créditeurs occidentaux et les institutions financières internationales ont insisté sur la continuité des réformes néolibérales tant en Égypte qu’en Tunisie, au Maroc et en Jordanie. Le déploiement de nouvelles lois et décrets d’urgence – interdisant les manifestations, les grèves et les mouvements politiques – était couplé avec cette continuité économique, dont ils étaient une condition préalable.

Simultanément, les interventions politiques et militaires dans la région ont rapidement augmenté. La fracturation de la Libye à la suite de l’intervention militaire occidentale directe et l’écrasement de l’insurrection au Bahreïn sous la houlette de l’Arabie saoudite ont été les deux moments clés de ce processus. Le coup d’État militaire de juillet 2013 en Égypte a marqué également un point critique dans la reconstruction des anciennes structures étatiques, tout en confirmant le rôle pernicieux des États du Golfe pour repousser le processus révolutionnaire égyptien. Peut-être plus important encore, les ravages sociaux et physiques causés par le régime Assad en Syrie – dont des centaines de milliers de morts et des millions de personnes déplacées au-delà des frontières et à l’intérieur – ont encore renforcé dans toute la région un sentiment de désespoir, prenant la place de l’optimisme initial de 2011.

L’État islamique et ses précédentes incarnations ont été fondamentalement absents des premières phases de ces soulèvements – les manifestations massives, les grèves et les mouvements de protestation créative qui ont secoué tous les pays arabes au cours de l’année 2011. En effet, le seul commentaire que l’ÉI (alors nommé État Islamique d’Iraq) a été capable de produire après le renversement du dictateur égyptien Hosni Mubarak fut une déclaration mettant en garde contre le sécularisme, la démocratie et le nationalisme, et conseillant aux Égyptiens de ne pas « remplacer ce qui est le mieux par ce qui est pire ».

Mais lorsque les aspirations initiales pour le changement réel ont été de plus en plus en difficulté, l’État islamique et les autres groupes djihadistes ont émergé comme un symptôme de ce renversement, une expression du recul du processus révolutionnaire et du sentiment de chaos grandissant. Pour mieux comprendre pourquoi c’est arrivé, il est nécessaire de faire un bref détour par l’idéologie et la vision du monde propagées par l’État islamique. Authenticité, brutalité, utopie

Le fondamentalisme islamiste est souvent défini comme un désir de retrouver un magnifique passé, modélisé prétendument (dans le cas sunnite) sur les premières générations de dirigeants islamiques qui ont suivi la mort du prophète Mahomet. L’État islamique défend cet objectif et en termes de pratique sociale et des lois religieuses c’est ainsi qu’il prétend gouverner.

Mais réduire l’ÉI à un simple irrédentisme du VIIe siècle serait une grave erreur. L’organisation prend au sérieux le projet de bâtir un État, consacre beaucoup d’efforts pour établir diverses structures financières, juridiques et administratives à travers les territoires qu’elle contrôle maintenant. Bien que les frontières de ces zones soient en constante évolution et qu’il y ait des évaluations différentes de ce qu’on entend par « contrôle », l’ÉI a une portée territoriale étendue, dominant selon certaines estimations plus de 10 millions de personnes.

Dans le cadre de ce projet très moderniste, l’organisation a accordé une grande priorité au développement d’un réseau sophistiqué de médias et de propagande, qui dépasse qualitativement les autres exemples de la domination islamiste, tel l’Afghanistan contrôlé par les Talibans, où les arbres ornés de téléviseurs et « l’exécution » d’ordinateurs restent les images durables des années 1990 et du début des années 2000.

Un chercheur a estimé que le groupe médias de l’ÉI génère près de quarante émissions chaque jour, dont des vidéos, des reportages, des articles et des programmes audio dans différentes langues. Ce niveau de programmation peut rivaliser avec tous les réseaux de télévision et est en contraste avec l’ancien modèle d’al-Qaïda, qui reposait sur des cassettes VHS acheminées en contrebande des montagnes d’Afghanistan jusqu’à Al Jazeera, où leur diffusion dépendait des caprices de journalistes hostiles et des agences de renseignement.

Le réseau décentralisé à travers laquelle la propagande de l’ÉI est diffusée est également unique : il utilise une nuée de comptes Twitter et des sites anonymes tels que justpaste.it et archive.org pour héberger ses médias. Abdel Bari Atwan, un journaliste arabe dont le décompte s’appuie sur des informateurs bien placés, affirme que l’organisation contrôle plus de cent mille comptes Twitter et envoie quotidiennement cinquante mille tweets. Ce système ainsi que d’autres médias sociaux sont les moyens par lesquels l’ÉI diffuse ses messages et recrute.

La compétence technologique d’ÉI dans ce domaine est largement reconnue : récemment le président Obama les qualifiait d’un « tas d’assassins avec de bons médias sociaux ». Mais l’utilisation efficace par l’État islamique de la technologie et des médias sociaux doit être considérée comme beaucoup plus qu’une question de compétences techniques ou juste une réponse à des conditions de secret et de surveillance constante. La haute priorité donnée par l’ÉI aux médias sociaux et à leur technologie indique plutôt sa préoccupation obsessionnelle de la performance et de l’autoreprésentation. En effet, il est difficile de trouver une autre entité politique ou religieuse dans la région qui prendrait à ce point au sérieux la question de la « marque » et de la projection de son image dans le monde entier.

Dans ce système de messagerie idéologique, on peut distinguer trois principales figures de style :

• La première est une caractéristique évidente de tout mouvement fondamentaliste : la mise en avant de l’authenticité religieuse ou la nécessité de revendiquer et de démontrer sans cesse sa fidélité au texte sacré. Dans ce contexte, ce qui constitue « l’authenticité » doit être continuellement affirmé, pratiqué et défendu contre les perspectives rivales.

Il y a beaucoup d’exemples indiquant que l’ÉI se préoccupe de cette question.

Plusieurs commentateurs ont par exemple remarqué que le groupe accorde une importance apparemment étrange à la petite ville de Dabiq, plutôt insignifiante, située au nord de la Syrie. Dabiq n’a pas d’utilité militaire ni de ressources naturelles. Néanmoins le magazine électronique de l’ÉI porte le nom de ce lieu et le groupe a fait état d’un grand afflux de recrues lorsqu’il a annoncé la bataille pour s’emparer de cette ville. Pourquoi ? Dabiq occupe une place particulière dans l’eschatologie islamique en tant que site d’une future bataille avec les armées infidèles devant annoncer le début de l’apocalypse. En prenant possession de cette petite ville syrienne, l’État islamique peut se projeter comme suivant une voie prédite il y a des siècles.

De la même manière, l’annonce que la ville de Raqqa est son siège occidental a fortement résonné chez les Arabes musulmans. Cette ville avait été le lieu de résidence de Haroun al-Rachid, le cinquième calife de la dynastie abbaside, que beaucoup caractérisent comme l’âge d’or de l’Islam.

• La deuxième fonction principale de la propagande de l’ÉI est son usage bien connu de l’atrocité : les décapitations en direct, les exécutions et d’autres contenus choquants qui ont fait remarquer le groupe dans le monde entier, sur les écrans de télévision et des ordinateurs. Ce matériel délibérément horrifiant lui garantit une couverture médiatique complète ainsi que la renommée instantanée. Comparez cela avec al-Qaïda, qui a eu besoin de décennies et des attaques du 11 septembre pour faire connaître son nom. Cependant l’atrocité est bien plus qu’un moyen de défrayer la chronique. Elle est employée de manière intentionnelle pour générer la peur.

Cette stratégie s’est avérée incroyablement efficace : lorsque l’ÉI a approché la ville de Mossoul, en juin 2014, l’armée irakienne s’est simplement enfuie, se dépouillant et abandonnant ses armes. Ce qui a permis aux djihadistes de s’emparer d’un nombre incalculable d’armes et de véhicules militaires de transport, ainsi que, selon certains rapports, de 400 millions de dollars de la Banque centrale irakienne (cette dernière affirmation a été contestée). Finalement, et c’est peut-être le plus important, l’utilisation consciente de la violence la plus excessive est un élément de ce que l’ÉI décrit comme sa stratégie de « polarisation » dans le but de faire éclater des guerres sectaires sanglantes qui servent de base à son expansion dans la région.

• Néanmoins, contrairement au stéréotype propagé par les médias occidentaux, le contenu principal de la propagande de l’État islamique est beaucoup plus banal que la violence qui lui a permis de se faire connaître. Il s’agit de la troisième figure de style de sa propagande : la thématique utopique visant à mettre en avant les supposés avantages de la vie dans le « califat », en particulier une activité économique florissante, de beaux paysages et une vie stable.

Une étude exhaustive analysant les productions médiatiques de cette organisation entre la mi-juillet et la mi-août 2015 indique que plus de la moitié d’entre elles sont axées sur ces thèmes utopiques. De même la revue Dabiq, déjà mentionnée, est fortement imprégnée par ces sujets. Il s’agit là de l’élément le moins bien interprété de la façon dont ce groupe se projette dans le monde arabe. Et sans doute de l’élément le plus important. Cette orientation semble particulièrement dirigée vers le public arabe.

Un coup d’œil sur les comptes Twitter reliés à l’ÉI fait apparaître l’importance de bavardages apparemment niais, ennuyeux, concernant la vie quotidienne dans l’État islamique : l’approvisionnement en eau courante, des marchés bien achalandés avec des fruits et des légumes pleins de couleurs, du pain frais ainsi que de nouvelles cliniques dentaires. Cette observation souligne le fait indéniable que l’État islamique se chorégraphie consciemment en tant qu’un îlot de paix et de stabilité au milieu d’une région en proie au chaos, à la guerre et aux bouleversements.

Ceci est important pour comprendre l’attrait que présente l’État islamique pour certaines couches de la population. Dans une période de crise profonde, la promesse d’un certain niveau de sécurité fait partie de ce qui rend ÉI attrayant (ou, au moins, le fait apparaître comme l’option la moins mauvaise). Si l’on veut comprendre comment cette organisation a réussi à s’étendre au cours de l’année dernière, il faut tenir compte du rôle de cette promesse utopique, qui est un indice important.

Cela ne veut pas dire que la domination de l’ÉI n’est pas brutale ni répressive, en particulier pour les victimes de sa violence sectaire, mais plutôt que c’est précisément dans la vacuité de ses promesses utopiques qu’un certain espoir peut être trouvé. Gestion du « chaos sauvage »

Ce triptyque de la propagande de l’ÉI – authenticité religieuse, atrocité et utopie – est en lui-même le reflet d’une eschatologie plus large : une périodisation de l’histoire et de l’avenir basée sur l’imminence de la fin des temps. Il s’agit là d’une différence majeure entre l’ÉI et les autres groupes djihadistes, comme al-Qaïda.

Contrairement à al-Qaïda, l’État islamique tend à mettre en avant le déroulement séquentiel de phases historiques associées à des moments prophétiques (l’exemple de Dabiq en est une illustration). C’est pour cette raison que la question de l’authenticité est si importante dans sa propagande. D’une manière toutefois moins évidente, cette eschatologie fournit également une explication à l’emploi de l’atrocité et de l’utopie présentées précédemment.

Le meilleur indice de cela peut être trouvé dans une référence très populaire de la stratégie djihadiste : le livre « Gestion de la barbarie. L’étape par laquelle l’islam devra passer pour restaurer le califat » [1] publié d’abord sur internet en arabe en 2004 par Abu Bakr Naji, un pseudonyme. Ce livre ne devrait pas être considéré (comme c’est le cas dans certains récits journalistiques) comme un scénario ou un manuel de stratégie pour les groupes djihadistes ; il s’agit plutôt d’un texte dont la popularité dans ces cercles révèle quelque chose de la vision du monde que diffuse la pensée djihadiste.

Pour le résumer rapidement, le principal objectif de la « gestion de la barbarie » est d’expliquer les mesures qu’elle doit prendre pour mettre fin à la domination des « grandes puissances » (des États-Unis en premier lieu) sur la région et pour établir un État en accord avec les principes islamiques. La « gestion de la barbarie » L’AoS (Administration of savagery) délimite deux phases historiques distinctes qui doivent être franchies avant que puisse être établi un État islamique.

La première – la phase de « démoralisation et épuisement » – est celle que l’auteur croit être en cours dans le monde arabe lors de l’écriture de son livre (début des années 2000). Au cours de cette étape, la tâche était d’harceler et de déstabiliser l’ennemi par des « opérations de démoralisation », y compris des attentats contre des centres touristiques et des zones ayant une importance économique (en particulier pétrolières). De telles actions obligeraient les gouvernements arabes à disperser leurs forces de sécurité dans des zones très vastes – une entreprise coûteuse qui laisserait inévitablement exposées de nouvelles cibles. De plus, l’apparente capacité des groupes djihadistes d’entreprendre de telles actions en toute impunité est supposée agir comme une propagande par les actes et les aider à attirer ainsi de nouvelles recrues.

Le but ultime de ces opérations est de créer une situation de troubles et d’effondrement des structures de l’État, que l’auteur décrit comme une phase de « chaos sauvage ». Il s’agit d’une période de forte croissance d’insécurité tant sociale qu’individuelle, d’absence de services sociaux essentiels et de développement de toutes les formes de violence sociale. Elle est conçue comme le résultat naturel de la destruction et de l’effondrement des structures étatiques, que le groupe djihadiste souhaite et valorise.

Lors de l’entrée dans le chaos ultérieur, le rôle des djihadistes serait de prendre la situation en charge et de « gérer et administrer la sauvagerie ». Concrètement, cela signifie la fourniture des services tels que « la nourriture et les soins médicaux, la préservation de la sécurité et de la justice entre les gens qui vivent dans les régions de la sauvagerie, la garantie des frontières par des groupes qui dissuadent quiconque essayerait d’assaillir les régions de sauvagerie ainsi que la mise en place de fortifications défensives ». Cette « gestion de la sauvagerie » reflète clairement comment ÉI voit son rôle actuel dans le monde arabe, en particulier en Irak et en Syrie, et nous aide à comprendre pourquoi le thème utopique a une telle importance dans sa propagande.

En outre, dans le schéma de la « gestion de la barbarie », le rôle de la violence est également essentiel. Faisant écho à l’emploi de la terreur par ÉI, AoS recommande l’emploi délibérément excessif et très performant de la violence : « Massacrer l’ennemi et lui faire peur » doit servir à ce que les adversaires « réfléchissent mille fois avant d’attaquer ». Cela comprend le soi-disant « prix à payer » pour les actions, visant à dissuader les attaques par la crainte des représailles ultérieures.

De même, toutes les actions visent à imposer « la polarisation » de la société par l’emploi d’une violence disproportionnée. Comme l’indique l’auteur de « la Gestion de la barbarie » : « Pour faire entrer les masses dans la lutte il faut plus d’actions visant à enflammer l’opposition, qui forcent les gens à s’engager, qu’ils le veuillent ou non, de sorte que chaque individu doive choisir son camp. Nous devons rendre ce combat très violent, de sorte que la mort soit comme le battement de cœur et que les deux groupes se rendent compte que la lutte conduit fréquemment à la mort. »

Cette formulation impose une conclusion : la situation doit empirer avant de s’améliorer. L’auteur reconnaît (et applaudit) cette logique autoréalisatrice, notant que même si le groupe djihadiste échoue dans l’administration immédiate de la sauvagerie, les résultats n’en seront que meilleurs : l’échec, écrit-il, « ne signifie pas que les choses s’arrêtent là, car cet échec va conduire à encore plus de sauvagerie ».

Cela établit une inévitable téléologie, qui prospère dans des situations extrêmement négatives, lorsque l’existence même des cycles de violence, qui se renforcent et même s’aggravent mutuellement, devient la preuve de la justesse du schéma. L’Irak après l’invasion et le sectarisme

Il y a un lien évident entre la vision du monde de l’ÉI et la montée désastreuse du sectarisme dans toute la région. Bien que l’auteur de « la Gestion de la barbarie » ainsi que les dirigeants des groupes djihadistes antérieurs aient pris soin d’éviter une sanction religieuse pour violence inter-musulmane et ont condamné tout ciblage délibéré des autres musulmans, cela devait changer avec l’apparition d’al-Qaïda en Irak au milieu des années 2000. Dirigée par le jordanien Abou Moussab Zarqaoui, cette organisation est arrivée à la conclusion que les attentats à la bombe contre des cérémonies et des institutions religieuses étaient l’un des outils les plus efficaces de la polarisation.

En Irak, Zarqaoui a consciemment cherché à déclencher une guerre civile entre chiites et sunnites en procédant de manière méthodique à une série d’attaques dévastatrices contre la communauté chiite. Ces actions, couplées avec les vidéos d’horribles décapitations qui lui ont valu d’être qualifié de « cheikh des abatteurs », ont provoqué une colère croissante des chefs historique d’al-Qaïda, Oussama ben Laden et Ayman al-Zawahiri. Ce dernier a même écrit une lettre de reproches, devenue célèbre, adressée à Zarqaoui en 2005, dans laquelle il qualifie les « scènes d’abattage des otages » et les attaques contre les chiites en Irak de tactique visant à aliéner l’indispensable base d’appui d’al-Qaïda.

Néanmoins, malgré les protestations de Zawahiri, un éventail de facteurs n’ayant rien à voir avec Zarqaoui a fourni un environnement fertile pour le sectarisme.

Tout d’abord, la politique de « débaasification », mise en place par les forces d’occupation étatsuniennes après l’invasion de l’Irak en 2003, a conduit à une profonde marginalisation de la population sunnite du pays. En vertu de cette politique, toute personne qui avait été membre du parti Baas de Saddam Hussein a été sommairement licenciée de son travail, s’est vu refuser tout emploi dans le secteur public et interdire l’accès à la retraite.

Comme de nombreux analystes l’ont souligné à cette époque, c’était la recette pour un désastre. Quasiment tout emploi public impliquait d’être membre du parti Baas, donc cette politique a impliqué le licenciement des milliers d’enseignants, médecins, policiers et fonctionnaires de rang subalterne. En éviscérant l’État de cette façon, les États-Unis ont assuré l’effondrement des services sociaux de base – une perspective catastrophique pour une société qui sortait de plus de deux décennies de sanctions et de guerre.

La marginalisation des sunnites ne se limitait pas simplement à la sphère économique. Les forces étatsuniennes ont multiplié les attaques contre les villes et les villages peuplés de sunnites, et des dizaines de milliers de sunnites ont été enfermés dans des prisons dirigées par l’occupant, dans lesquelles l’isolement, la torture et la « bureaucratie taylorisée de la détention » étaient utilisés régulièrement.

Le Centre de détention d’Abou Ghraib, la plus célèbre de ces prisons, a fait irruption dans la conscience occidentale après la publication de photographies montrant des militaires étatsuniens torturant les prisonniers. Dans la foulée de ce scandale, de nombreux prisonniers ont été transférés d’Abou Ghraib à la prison de Camp Bucca. C’est là qu’un détenu, connu plus tard sous le nom d’Abou Bakr al-Baghdadi, a établi une forte relation avec une coterie d’anciens officiers baasistes qui arrivaient d’Abou Ghraib.

Aujourd’hui al-Baghdadi est le dirigeant d’ÉI et ces mêmes officiers baasistes lui servent désormais d’adjoints et de conseillers les plus proches. De cette manière, l’expérience des sunnites détenus par l’armée étatsunienne a non seulement ancré le pays dans les divisions sectaires, mais a également forgé l’État islamique concrètement.

Les divisions sectaires ont continué à s’approfondir à partir de 2006, lorsque les États-Unis, en accord tacite avec l’Iran, ont décidé d’institutionnaliser un État dominé par les chiites et s’appuyant sur toute une gamme de milices chiites. Cette situation a encore empiré après le départ formel de l’Irak des troupes étatsuniennes en 2011.

Couplée avec un niveau d’insécurité sociale et économique inégalé, la marginalisation des sunnites a produit une réelle base sociale qui a été attirée par l’ÉI bien au-delà des facteurs religieux ou idéologiques. Une importante proportion des cadres moyens de l’ÉI sont d’anciens fonctionnaires baasistes, qui ont été attirés vers cette organisation en partie par des incitations matérielles. L’intérêt financier est également un attrait pour ceux qui sont en bas de l’échelle de l’organisation : le salaire d’un combattant d’ÉI est estimé à environ 300 à 400 dollars par mois, c’est-à-dire plus du double de ce que paye l’armée irakienne. Les chauffeurs de camions et les contrebandiers, qui expédient actuellement le pétrole produit par l’État islamique de la Syrie vers l’Irak, sont essentiellement motivés par cette chance de gagner leur vie. Au-delà de ses prétentions religieuses, le projet de l’ÉI de construction d’un État a une base très matérielle.

De nombreux commentateurs écrivant sur l’Irak attribuent souvent ce résultat à la stupidité et à l’orgueil de l’administration Bush et à l’évidente succession de ses erreurs politiques qui ont suivi l’occupation du pays. Une telle approche suppose que les États-Unis aspirent à un Irak stable et unifié. Pourtant un Irak non sectaire, unifié, dirigé par un gouvernement jouissant d’un important soutien populaire aurait été un désastre pour les intérêts étatsuniens au Moyen-Orient. Une telle possibilité n’a jamais été sérieusement envisagée et il n’est pas difficile de saisir que, dès le départ, la fragmentation de l’Irak autour de lignes sectaires était l’issue la plus probable de l’occupation étatsunienne (en particulier depuis que cela coïncidait également avec les intérêts iraniens). Diviser pour régner a été toujours la méthode préférée de la domination coloniale.

Telles sont les racines matérielles et politiques de l’actuel tournant sectaire dans la région. Malgré ce que l’État islamique, l’Arabie saoudite ou l’Iran peuvent prétendre, le sectarisme n’est pas le résultat des schismes doctrinaux ou ethniques omniprésents, qui existent depuis des temps immémoriaux et persistent inchangés à l’époque contemporaine. Comme le communiste libanais Mahdi Amel l’a fait valoir il y a des décennies, ce fut toujours une technique moderne de l’exercice du pouvoir politique, un moyen par lequel les classes dirigeantes tentent d’établir leur légitimité et leur base sociale, tout en fragmentant les possibilités d’uneopposition populaire. L’Irak issu de l’invasion et la montée postérieure de l’ÉI fournissent la tragique confirmation de cette thèse. Arabie saoudite, Syrie et État islamique

L’utilité de la religion pour étayer les pouvoirs terrestres a, bien sûr, une longue filiation dans la région. Il est maintenant largement admis que les racines organisationnelles des mouvements fondamentalistes islamistes (y compris les ancêtres de l’ÉI) ont leurs origines dans une alliance entre les États-Unis et les États du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite, dans les années 1960 et 1970.

Pour faire face à la montée dans la région des mouvements politiques de gauche et nationalistes, le parrainage de l’islamisme a été perçu comme un contrepoids désarmant efficace. Au cours des années 1980, cette politique a été appliquée plus systématiquement à travers le soutien étatsunien et saoudien aux combattants islamistes arabes en Afghanistan. C’est là que les préparatifs pour le djihad armé ont reçu leur première impulsion pratique.

Cette longue instrumentalisation du fondamentalisme islamiste a conduit certains observateurs à faire valoir que l’ÉI est un outil des États du Golfe. À première vue, cette argumentation semblerait judicieuse. Sur le plan idéologique, il y a des similitudes étroites entre le régime saoudien et l’État islamique. Les deux partagent une interprétation particulièrement répressive des châtiments islamiques. En effet, la revendication des décapitations et des amputations réalisées dans les zones contrôlées par l’ÉI ne peut être trouvée nulle part ailleurs dans la région, à l’exception de l’Arabie saoudite. Lorsque l’État islamique a cherché des manuels pour les écoles qu’il dirige, les seules versions jugées appropriées ont été celles trouvées en Arabie saoudite. De même, parmi une importante partie de la population saoudienne on peut observer une sympathie à l’égard de l’ÉI, qui se manifeste par des contributions financières ou l’engagement volontaire de combattants.

Pourtant – alors que des armes fournies par l’Arabie saoudite (et le Qatar) à des groupes syriens ont probablement fini dans les mains de l’ÉI à travers des défections ou des captures – il y a peu de preuves convaincantes que l’ÉI est directement financé ou armé par l’Arabie saoudite ou tout autre État du Golfe.

Au niveau de la rhétorique, la relation entre les deux est celle d’une profonde antipathie et de haine. L’ÉI considère la monarchie saoudienne comme l’un de ses ennemis les plus méprisables, et le renversement de la famille régnante al-Saoud est l’un des buts principaux du groupe. Quant à la monarchie saoudienne, elle ne tolère aucun autre candidat à la direction islamique mondiale et elle craint la menace que l’État islamique représente pour sa propre domination.

En revanche, la montée en puissance de l’ÉI a un lien clair avec la répression dirigée par le gouvernement d’Assad contre le soulèvement syrien. Quelques mois après le début du mouvement populaire, Assad a libéré des centaines de prisonniers, parmi eux des djihadistes bien entraînés, dont beaucoup deviendront dirigeants et combattants des groupes fondamentalistes islamistes. Des anciens agents de renseignement syrien de haut niveau ont affirmé qu’il s’agissait là d’une tentative délibérée du régime pour attiser les divisions sectaires et pour présenter le soulèvement comme islamiste.

Le gouvernement Assad a une longue tradition de tentatives de manipuler ces groupes, dont la libération des prisonniers au cours des années 2000 et l’aide apportée à des milliers de volontaires djihadistes passant la frontière pour rejoindre le réseau Zarqaoui en Irak. En effet, pour approfondir leur coopération avec les États-Unis dans le domaine de la sécurité dans la région, en février 2010, des responsables des services de renseignement syriens ont tenté de mettre en valeur leur infiltration et leur capacité de manipuler les groupes djihadistes.

Il n’est guerre surprenant que lorsque les manifestants syriens ont été confrontés aux bombes, aux chars et aux attaques aériennes aveugles de l’armée d’Assad, c’est vers les groupes les mieux entraînés, les mieux armés – les djihadistes – que certains d’entre eux se sont tournés. Ces groupes comprenaient Jabhat al Nusra, une organisation créée après que l’État islamique en Irak a envoyé des combattants en Syrie fin 2011, et qui a fait sa première apparition en janvier 2012.

Au cours de l’année 2013, alors que la violence et la décomposition s’aggravaient, Jabhat al Nusra a subi une scission avec son groupe d’origine sur la question de l’orientation stratégique : fallait-il se concentrer sur l’affrontement avec l’armée syrienne, en mettant sous le boisseau les divergences sectaires, ou bien fallait-il prioriser le contrôle territorial, basé sur la loi islamique et la poursuite d’une stratégie de polarisation contre tous les autres groupes. L’État islamique en Irak a fait ce dernier choix, annonçant l’expulsion des cadres récalcitrants de Jabhat al Nusra le 9 avril 2013 ainsi que la formation de « l’État islamique en Irak et au Levant », nouvellement configuré.

Reflétant ces priorités stratégiques – et contrairement à la croyance populaire – l’ÉI a ainsi largement évité la confrontation directe avec le régime Assad.

Au lieu de cela, profitant de son contrôle des voies de contrebande et des passages frontaliers qui chevauchent l’Irak et la Syrie, l’ÉI a cherché avant tout à assurer son expansion territoriale (sa profondeur stratégique et la sécurité que lui offre la pratique de la retraite militaire – droit que l’ÉI refuse à toute autre organisation armée – lui permettent cela). Dans cette entreprise, le conseil militaire d’anciens généraux baasistes de l’époque du Camp Bucca a été la clé de son succès – l’accent a été mis sur la domination des voies d’accès et d’approvisionnement qui relient les nœuds stratégiques, sécurisant les champs de pétrole et contrôlant les infrastructures de base (en particulier la production de l’eau et de l’électricité), plutôt que sur l’obsession des points fixes en soi.

Cette stratégie a non seulement rendu l’organisation immensément riche (elle s’est emparée d’au moins neuf champs de pétrole en Syrie et en Irak, dont le potentiel de vente est estimé à plus de 1,5 million de dollars par jour). Elle a aussi rendu le reste du territoire syrien (contrôlé tant par l’opposition que par le gouvernement) très dépendant de l’ÉI pour son approvisionnement en énergie et en électricité.

Si l’on additionne de plus les importantes sommes d’argent amassées par les enlèvements, l’extorsion, la vente d’antiquités, la contrebande et les taxes, l’État islamique, contrairement à presque tous les autres États réels au Moyen-Orient, est devenu indépendant par sa richesse, autosuffisant financièrement et il opère dans des frontières qui transgressent délibérément celles établies par les puissances coloniales au début du XXe siècle. Plus d’interventions ?

Dans ces circonstances, les appels à accentuer l’intervention militaire occidentale dans la région ne pourront que renforcer cette organisation. Précisément parce que la guerre et l’occupation ont fertilisé le terrain permettant la croissance de l’État islamique, il est très clair que ce genre de réponse ne fera qu’aggraver la situation. En effet, conformément à la stratégie de la polarisation, les récentes attaques d’ÉI ont visé explicitement un tel résultat : accroître les interventions occidentales dans la région afin d’approfondir le sentiment de crise et de chaos.

L’opposition aux interventions étrangères ne doit pas se limiter à celles des États-Unis ou des États européens.

En dépit des affirmations officielles, les bombardements russes de la Syrie commencés le 30 septembre ont largement évité les zones contrôlées par l’État islamique et ont été concentrés plutôt sur celles où existent des groupes d’opposition non-ÉI. Ces attaques russes – soutenues sur le terrain par le Hezbollah, les troupes iraniennes, les milices chiites irakiennes et l’armée syrienne – ont d’abord visé à renforcer la position d’Assad et à prendre l’initiative de ce qui apparaît comme un accord émergeant entre les principaux acteurs régionaux et internationaux en Syrie. Dans ce contexte, la présence d’ÉI sert actuellement à renforcer la prétention que Assad « résiste au terrorisme », une fonction illustrée clairement par le fait que de nombreux États occidentaux ont maintenant glissé vers la tolérance envers son gouvernement qualifié de « mal nécessaire ».

Bien sûr, l’orientation militaire russe peut évoluer à la suite des attentats du Sinaï, de Beyrouth et de Paris, mais c’est un fait qu’entre l’État islamique et le gouvernement Assad il y a une sorte de longue détente implicite. Jusqu’à maintenant elle a servi les deux parties.

Dans une telle situation, il y a peu de réponses faciles pour la gauche. Oui, nous avons besoin de visions alternatives, radicales, fondées sur l’exigence de la démocratie, de la justice sociale et économique, ainsi que sur le rejet du sectarisme. Mais cela nécessite également une évaluation objective du rapport des forces ainsi qu’un bilan de ce qui a été erroné au cours des dernières années.

Nous devons nous méfier des analyses qui définissent une causalité automatique entre la montée de l’État islamique et les manigances de la guerre et de l’impérialisme. Ce résultat n’était nullement inévitable. C’est dans l’inversion des soulèvements de 2011 – et dans leur échec à défier les racines de la domination autocratique – que l’ÉI a trouvé un écosystème lui permettant de prospérer et de croître.

La politique a horreur du vide et, avec les revers des mobilisations populaires et démocratiques au cours des trois dernières années, l’État islamique a été une de ces forces venues cueillir les fruits du recul. En mode parasitaire, l’organisation a verrouillé l’explosion des violences sectaires – qui étaient délibérément cultivées par les dirigeants de tous les pays de la région – trouvant un accueil d’abord en Irak, puis en Syrie. Dans ces deux pays, le groupe a rencontré (et a contribué à concrétiser) une réalité qui correspond de manière macabre à son schéma de « gestion de la barbarie ».

Pourtant, malgré l’apparente désolation de la situation, il y a des raisons d’espérer.

Dans ces circonstances extraordinairement difficiles, des forces locales affrontent l’État islamique – et, ce qui est encore plus important, il s’agit des mouvements kurdes (faisant en même temps face à la répression du gouvernement turc) et des forces de l’opposition syrienne opposées à l’ÉI. En même temps, des mouvements sociaux et politiques courageux en Irak, en Syrie, au Liban, en Égypte et partout continuent de défier la logique du sectarisme et démontrent que la lutte pour une alternative progressiste est vivante.

L’État islamique peut promettre un projet utopique de stabilité et de prospérité, mais c’est loin d’être une réalité sur le terrain. Nous devons être absolument certains qu’il va connaître ses propres révoltes internes, comme l’ont connu dans le passé les autres exemples d’« États » islamiques proclamés.

En outre, si nous comprenons la montée de l’ÉI à travers le prisme du recul, nous pouvons être un peu confiants en sachant que l’organisation n’offre aucune réponse efficace à la situation actuelle de la région. Elle ne représente nullement une quelconque réponse anti-impérialiste, ni aucune voie plausible vers un Moyen-Orient libéré de la domination et de la répression, que ces dernières soient locales ou internationales.

Malgré tous les revers de ces dernières années, la croissance potentielle d’une véritable alternative de gauche n’a pas été anéantie et, ce qui est plus important, n’a jamais été aussi nécessaire.

Adam Hanieh P.-S.

* « Une naissance sur les espoirs brisés du Printemps arabe ». Inprecor n° 623 janvier 2016

Cet article a initialement paru en anglais le 3 décembre 2015 dans la revue Jacobin sous le titre « A Brief History of ISIS – ISIS emerged out of the dashed hopes of the Arab Spring ». Disponible en version originale sur ESSF.

* Traduit de l’anglais par JM avec l’aimable autorisation de l’auteur.

* * Adam Hanieh enseigne à la School of Oriental and African Studies (SOAS), Université de Londres. Il a publié récemment Revolt : Issues of Contemporary Capitalism in the Middle East (Révolte : Enjeux du capitalisme contemporain au Moyen-Orient), Haymarket Books, Chicago 2013. Cet article a initialement paru en anglais le 3 décembre 2015 dans la revue Jacobin sous le titre « A Brief History of ISIS – ISIS emerged out of the dashed hopes of the Arab Spring » Notes

[1] En anglais, « Administration of Savagery : The Most Critical Stage through which the Islamic Nation Will Pass », on le trouve donc parfois résumé en « AoS » et traduit par « sauvagerie ».


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