Le rapporteur spécial de l’ONU sur la Palestine fustige la perpétuation de la colonisation israélienne dans son dernier rapport. Il soutient aujourd’hui la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions

mardi 25 mars 2014.
 

A 83 ans, Richard Falk croit encore ardemment à la pertinence du droit international face à la question israélo-palestinienne. Loin de prendre sa retraite, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains dans les territoires palestiniens occupés donnait une conférence sur ce thème mercredi soir à Genève à l’invitation du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) (1). Connu pour ses positions critiques envers Israël, ce juif américain, professeur de droit international de l’université de Princeton aux Etats-Unis, a été expulsé sans ménagement de ce pays en 2008 pour ses prises de position jugées partiales. Depuis, Richard Falk n’a pas cédé d’un pouce et continue de livrer une analyse sans concessions. Le Courrier l’a rencontré en marge du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Vous terminez cette année votre mandat de rapporteur spécial. Comment avez-vous vu évoluer la situation depuis le début de votre mission en 2008 ?

Richard Falk : Je vois deux évolutions principales qui vont dans des directions opposées. Tout d’abord, l’occupation israélienne s’est intensifiée, en particulier avec l’extension des colonies, la modification de la composition ethnique de Jérusalem (par l’expulsion des Palestiniens et l’installation de colons, ndlr), l’étranglement de la population de Gaza et la déviation des eaux en faveur d’Israël. Les violations du droit international pendant ces six ans ne sont allées qu’en augmentant.

Mais en même temps, en réponse à la divulgation de ces manquements et à la poursuite de l’occupation israélienne, l’opinion publique a changé et soutient aujourd’hui majoritairement la lutte des Palestiniens pour l’autodétermination. Il existe un mouvement global de solidarité en faveur de leurs droits, lequel a pris une forme plus coercitive avec la montée en puissance de la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Celle-ci est à mes yeux le successeur naturel du mouvement anti-apartheid des années 1980, qui avait utilisé les mêmes méthodes avec succès envers l’Afrique du Sud.

Approuvez-vous le mouvement BDS ?

Etant donné l’échec de la communauté internationale à faire appliquer le droit et à trouver le chemin d’une paix juste et durable, la société civile ressent le besoin d’aller au-delà des mots. Je pense que le BDS est une manière créative d’agir.

Dans votre dernier rapport, vous répétez qu’Israël se rend coupable de crimes contre l’humanité. Lesquels ?

Certains de ces crimes ont eu lieu durant les opérations militaires telles que l’attaque contre Gaza en 2008 et 2009, en particulier quand l’armée a utilisé des armes au phosphore blanc et a ciblé délibérément des civils. D’autres crimes découlent de l’utilisation permanente de formes de punition collective, notamment le blocus imposé à Gaza. D’autres encore ont été commis par l’utilisation excessive de la force en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Enfin, des pratiques d’apparence plus bénignes, comme la démolition de maisons palestiniennes, constituent, lorsqu’elles sont utilisées à de nombreuses reprises en tant que politique d’Etat, un crime contre l’humanité.

Vous soulignez la pertinence du droit international vis-à-vis de la situation en Palestine. Pourtant, vous reconnaissez qu’Israël l’ignore complètement et que les Etats occidentaux ne prennent aucune sanction contre Israël... Il n’est pas appliqué, alors à quoi sert-il ?

Ce scepticisme est justifié. Mais il ne faut pas perdre de vue la valeur du droit international en tant que <> (soft power) pour neutraliser l’avantage militaire israélien basé sur la force (hard power). C’est un moyen de persuasion qui est très important et peut être utilisé par la société civile pour défendre les droits des Palestiniens. Le droit international, sur l’ensemble des questions principales en litige, se trouve du côté des Palestiniens. Il est important que l’autorité palestinienne en prenne la mesure en profitant de son statut reconnu d’Etat, depuis le 29 novembre 2012, pour saisir la Cour pénale internationale. Cela constituerait un pas énorme en vue de changer la perception du conflit, y compris à l’intérieur d’Israël. Le droit international est indispensable pour attirer l’attention sur les agissements d’Israël, comme les arrestations abusives, les violences des colons ou le nettoyage ethnique à Jérusalem. Des documents, comme le rapport international Goldstone, rédigé après l’attaque de 2008 contre Gaza, ont aidé les Palestiniens à commencer à gagner la guerre pour la légitimité internationale.

Vous insistez sur l’importance du langage utilisé. Vous dites qu’il est plus juste de parler d’intentions annexionnistes, de colonialisme et de nettoyage ethnique plutôt que d’"occupation". Pourquoi ?

En droit international, la notion d’occupation évoque une condition temporaire faisant suite à un conflit armé. Je ne pense pas qu’elle devrait être utilisée dans une situation qui dure plus de cinq ans. Le Conseil de sécurité de l’ONU a ordonné à Israël de se retirer des territoires occupés en 1967. La nature de cette "occupation" est mieux comprise par d’autres mots comme le déplacement forcé de la population native et la domination de cette dernière par des colons. Ce comportement colonial fait partie de l’histoire israélo-palestinienne depuis le début. Aujourd’hui, la présence d’Israël a donc toutes les apparences de la permanence et non d’une occupation temporaire. L’occupation permanente de la Palestine est un nouveau crime.

Vous soutenez aussi que le concept d’apartheid s’applique en Israël et en Palestine. N’est-ce pas abusif ?

L’apartheid est un crime de discrimination systématique. Bien qu’il provienne du racisme sud-africain, ce crime est détaché de ce passé et peut prendre différentes formes. La manière dont Israël discrimine sur la base de différenciations ethniques, de manière systématique et générale, constitue un crime d’apartheid, autant en Israël qu’en Cisjordanie. Il existe une trentaine de lois discriminantes concernant les droits personnels et ceux de la propriété de la terre qui créent une division ethnique entre les Palestiniens et les Israéliens. L’Etat d’Israël octroie la citoyenneté aux Palestiniens vivant sur son territoire, mais pas la nationalité. Or la plupart des droits sont octroyés en fonction de la nationalité et cette tendance se renforce actuellement. C’est le cas par exemple du droit de posséder de la terre, du droit de retour en Israël (valable pour les personnes de religion juive, mais pas pour les Palestiniens, ndlr), le regroupement familial et l’accès à certains emplois, etc. Les Palestiniens en sont privés.

> (1) La conférence était aussi organisée par l’ONG BADIL, Centre de ressources pour le droit à la résidence et le droit des réfugiés palestiniens.


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