Budget, économie et fiscalité : rapport de Dominique Strauss-Kahn, Didier Migaud et François Marc à Ségolène Royal

mercredi 21 février 2007.
 

Chère Ségolène,

Tu nous as demandé de te donner notre avis sur les principes qui doivent guider les réformes à conduire en matière budgétaire et fiscale ainsi que sur les propositions susceptibles d’être retenues.

Nous nous acquittons de cette tâche en nous appuyant sur le projet socialiste, tout en l’adaptant à la marge afin de tenir compte des diverses déclarations qui ont pu être faites depuis son adoption et de mieux répondre à une situation économique mouvante.

1) Notre analyse s’appuie tout d’abord sur le constat des défis considérables qu’il nous faut relever. Les quatre défis que nous avons identifiés concernent tour à tour l’appareil productif, la dette, l’écologie et la redistribution.

1.1) Un appareil productif affaibli

Depuis l’été 2003, l’économie mondiale connaît une très forte accélération qui lui est pour une large part imprimée par la Chine, dont les importations croissent à un rythme annuel compris entre 30 et 40%. En 2006, la croissance mondiale a progressé de plus de 5%, ce qui constitue la meilleure performance des trente dernières années. Pourtant, la France ne tire pas profit de cette conjoncture particulièrement favorable.

Depuis plusieurs mois, le contexte économique français se dégrade. Alors que la croissance avait redémarré au début de l’année 2006, elle a marqué le pas au second semestre : le taux de croissance est probablement voisin de 2% du PIB, ce qui est inférieur aux 2,5% annoncés par le gouvernement et nettement au-dessous du potentiel de croissance français. Loin de partager le dynamisme de la croissance mondiale, la France décroche. En 2006, sa croissance a été inférieure de 1 point à celle de l’OCDE et de 0,7 point à celle de la zone euro. Pour la première fois depuis plus de dix ans, elle a été nettement inférieure à la croissance allemande (2,6%).

La situation structurelle n’est pas meilleure. Les déficits extérieurs ont atteint en 2006 le niveau historiquement élevé de 30 milliards d’euros. Tandis que la part de marché de l’économie allemande dans les exportations de l’Union européenne gagnait 10 points au cours des cinq dernières années, celle de la France en perdait 10. La production industrielle stagne et l’investissement des entreprises ne décolle pas. Ce constat traduit une perte de compétitivité brutale et inquiétante de notre économie. Il faut absolument éviter qu’elle ne s’engage dans une spirale de déclin irréversible. La politique budgétaire et fiscale doit y contribuer.

1.2) Une dette publique insoutenable

Entre la fin de l’année 2001 et la fin de l’année 2006, le poids de la dette publique a augmenté de plus de 8 points de PIB, atteignant 64,6% du PIB. En 2006, le déficit public reviendrait au mieux au niveau que prévoyait pour fin 2002 l’audit commandé par M. Raffarin, soit 2,6%.

Apparu en 2002, le déficit des comptes sociaux a triplé depuis cette date. Désormais, toutes les branches du régime général sont déficitaires. La dette sociale accumulée représente 80 milliards d’euros. Quant au déficit de la sécurité sociale, il représente environ 10 milliards d’euros par an, en dépit de la mise en oeuvre en 2004 d’une hausse des prélèvements sociaux frappant tous les Français ainsi que de l’adoption de diverses mesures de déremboursement qui pénalisent les plus démunis.

Cette situation a deux conséquences.

a) A court terme, l’augmentation de la charge de la dette de l’Etat (désormais le deuxième poste de dépense, devant la Défense, avec plus de 39 milliards d’euros) réduit les marges de manoeuvre disponibles pour financer les dépenses de solidarité et les stérilise dans le financement de la rente servie aux détenteurs d’emprunts d’Etat. Cette situation risque de s’aggraver avec la hausse probable des taux d’intérêts.

b) Une difficulté accrue à faire face aux engagements financiers de long terme, en particulier ceux liés au vieillissement démographique. Une telle perspective peut réjouir les libéraux en ce qu’elle entraînera automatiquement une érosion du rôle de la puissance publique et une privatisation de nombre des responsabilités qui lui étaient jusqu’alors dévolues. Ce n’est pas notre projet. Nous savons que nous aurons besoin de marges de manoeuvre pour conserver à l’avenir notre niveau de protection sociale. Il faut donc « recharger » l’arme budgétaire aujourd’hui pour en retrouver l’usage demain.

1.3) Un défi écologique impérieux C’est aujourd’hui une certitude : les conséquences du réchauffement climatique constituent l’une des principales menaces qui pèsent sur notre planète. Les atermoiements ne font qu’accroître les coûts sociaux et économiques qu’il faudra supporter.

La lutte contre le changement climatique ne peut bien évidemment reposer sur la seule action de la France. Mais cette responsabilité collective ne saurait nous exonérer de notre responsabilité particulière. Au-delà des initiatives globales auxquelles notre pays doit s’associer, et qu’il doit même susciter, nous devons prendre notre part de la réduction des émissions de carbone. Ceci passe par la diminution de notre consommation énergétique - ce qui exige de chacun d’entre nous qu’il modifie ses comportements - et par une évolution de notre production d’énergie au profit des énergies renouvelables.

La puissance publique doit donc faire de la préservation de l’environnement (et en particulier de la lutte contre les émissions de carbone) un objectif central de sa politique. A cette fin, elle doit mobiliser tous les instruments dont elle dispose et, en particulier, l’outil fiscal et l’outil budgétaire.

1.4) Un modèle social malmené : stagnation du pouvoir d’achat et panne de la redistribution

Alors que le chômage officiel est à peine revenu au niveau de 2002, la précarité progresse, l’instabilité des contrats s’accroît, le temps partiel subi se développe et le nombre d’allocataires du RMI a augmenté de près de 20% pour atteindre 1,25 million de personnes. Le revenu des Français stagne : l’écart de niveau de vie entre la France et les Etats-Unis s’est élargi depuis 2002, et neuf de nos partenaires européens ont désormais un niveau de vie supérieur au nôtre. Alors que les rémunérations les plus élevées s’envolent, l’INSEE a chiffré à 57 euros par an et par salarié seulement la hausse de pouvoir d’achat enregistrée ces dernières années. C’est là le signe d’un creusement sans précédent des inégalités sociales.

Ceci se traduit par une relégation des plus démunis et un désarroi croissant des classes moyennes. Le blocage de la promotion sociale nuit au dynamisme de notre société. S’il devait se poursuivre, il signerait l’échec des ambitions de la Gauche. Loin de se présenter à nos concitoyens sous les couleurs du progrès, l’avenir leur apparaît sombre et inégalitaire. Les difficultés sociales et économiques qu’ils rencontrent les conduisent à douter de la qualité d’un système de réduction des inégalités qui ne parvient plus à réguler les excès du libéralisme.

Dans ce contexte, le consentement à l’impôt diminue. Cette évolution est préoccupante. Si l’acceptation de l’impôt comme outil de financement des justes dépenses et comme instrument de redistribution doit être réhabilitée, c’est parce qu’elle est placée au fondement du lien social. Ce n’est possible que si les Français retrouvent le sentiment que les politiques publiques contribuent à réduire les inégalités. Ceci passe par un rééquilibrage de la lutte contre les inégalités qui ne peut plus se limiter à redistribuer pour corriger les inégalités a posteriori et doit, davantage que par le passé, les attaquer là où elles se forment.

Nous considérons que le risque est réel de voir les Français de plus en plus réticents face aux solutions collectives et de plus en plus attirés par un individualisme qui relève souvent du « chacun pour soi ».

La politique fiscale et la gestion des finances publiques ont, pour nous, une place centrale dans la politique économique. Donner un nouveau souffle à notre économie en revitalisant notre système productif, assurer une croissance soutenable en maîtrisant la dette, dépasser les incantations pour agir enfin dans le domaine de l’environnement, renforcer le lien social en mettant les dépenses de solidarité au service de l’égalité : voici ce que nous proposons pour redonner confiance aux Français.

2) Afin de contribuer à répondre à ces défis, la gestion de nos finances publiques devrait obéir à trois principes.

2.1) Stabiliser les prélèvements obligatoires pour réduire la dette publique

Nicolas Sarkozy promet une réduction drastique des prélèvements obligatoires. Au vu de la situation de nos comptes publics et des enjeux de long terme liés au vieillissement de la population, cette annonce est irresponsable. L’exemple américain a montré qu’il est vain de penser que de telles baisses d’impôts puissent générer par elles-mêmes des ressources supplémentaires pour l’Etat. Cette attitude ne peut être la nôtre.

La dynamique actuelle de la dette publique doit être enrayée de façon urgente. Nous t’invitons à faire le choix de la responsabilité budgétaire et de la solidarité entre les générations.

Le retour à l’équilibre du solde primaire des comptes publics doit être notre priorité. Notre objectif au cours du prochain quinquennat doit être de réduire le poids de la dette publique mesurée en pourcentage du PIB. Cet objectif n’est en rien illusoire, même si la politique menée au cours des cinq dernières années par les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin a provoqué l’explosion de la dette publique était inéluctable. Tout au contraire, entre 1998 et 2002, la Gauche avait fait baisser le poids de la dette publique en France, balayant de la sorte les critiques qui lui avaient souvent et injustement été faites. Le tableau ci-dessous montre que - contrairement à ce qu’avancent souvent nos détracteurs
- cette baisse n’était pas conjoncturelle mais bien structurelle.

C’est la raison pour laquelle la stabilisation du taux des prélèvements obligatoires est nécessaire. Une baisse éventuelle ne pourra être envisagée au cours du quinquennat qu’en fonction de la vigueur du redémarrage économique, du rythme auquel seront rétablis nos comptes et de l’ampleur des gains d’efficacité qui seront réalisés sur les dépenses publiques.

Cette orientation est indispensable pour redonner confiance aux Français, ne pas décourager l’activité et rétablir une situation financière saine. Face à la démagogie du candidat de l’UMP, nous devons refuser de perdre la maîtrise de nos comptes publics et de continuer à faire peser sur les générations futures le poids du financement de nos dépenses actuelles.

2.2) Mettre la fiscalité au service de nos priorités La fiscalité doit fournir des ressources aux collectivités publiques et contribuer à la régulation conjoncturelle. La puissance de l’instrument fiscal doit aussi être mise au service des objectifs de la politique économique et sociale. Nous considérons qu’il convient de privilégier trois orientations d’égale importance.

a) Favoriser l’emploi et l’activité économique

Dans une économie marquée tant par une pénurie d’investissement et d’innovation que par une faible mobilisation de ses capacités d’emploi, nous pensons que l’outil fiscal doit être prioritairement mis au service du travail et de l’appareil productif.

Notre conviction est que la France peut et doit redevenir un pays attractif pour investir, créer des emplois, développer des activités de recherche. C’est tout l’enjeu de la modernisation de la fiscalité des entreprises comme de celle des ménages.

b) Promouvoir une croissance respectueuse de l’environnement

Nous affirmons qu’il est nécessaire et urgent d’intégrer la dimension écologique à tous les niveaux de notre fiscalité, et particulièrement en matière de fiscalité énergétique. A cette fin, il faut que la fiscalité contribue à orienter les comportements des producteurs comme des consommateurs afin de :

- prendre en compte prioritairement la contrainte de diminution des émissions de carbone,

- promouvoir les économies d’énergie,

- accompagner le développement des nouvelles technologies favorables à l’environnement.

c) Retrouver la justice fiscale

Il faut restaurer un équilibre juste de la charge fiscale et rétablir l’égalité devant l’impôt :

- égalité entre les citoyens. Les iniquités fiscales doivent être supprimées et la progressivité assurée. De même, l’imposition du patrimoine doit être maintenue pour mieux lutter contre la « société de la rente » ;

- égalité entre les territoires, afin d’assurer l’égal accès de tous aux services publics et de donner à toutes les collectivités une même capacité d’action ;

- égalité entre les générations, pour corriger le déséquilibre croissant au détriment des plus jeunes.

2.3) Améliorer l’efficacité de la dépense publique

La sphère publique est sur la défensive. Qu’il s’agisse de la difficulté croissance des services publics à répondre aux attentes de nos concitoyens, du déclassement de nos universités, des inégalités croissantes en matière de logement ou de la faible efficacité de nos systèmes de redistribution, l’action publique est aujourd’hui décriée. Même si cette critique est parfois injuste, force est de reconnaître que le moment est venu de redonner toute sa légitimité à la dépense publique. Il faut pour ce faire prouver à nos concitoyens que, pour nous, chaque euro dépensé est un euro utile. Ceci suppose une volonté affirmée de réformer l’Etat : un Etat immobile serait aujourd’hui un Etat en péril.

La nouvelle constitution financière adoptée à notre initiative en 2001 impose de mieux définir les objectifs des services publics et de mesurer leurs performances. La mise en oeuvre pleine et entière de cet instrument remarquable doit permettre une réforme de l’Etat au service de nos concitoyens et soucieuse des deniers publics.

Contrairement à ce que cherche la Droite, la réforme de l’Etat ne doit pas viser à une régression de l’action publique. C’est, à l’opposé, le moyen de mieux répondre aux besoins des Français et, en particulier, de ceux qui sont les plus fragiles.

3) L’application de ces principes nous invite à préconiser les orientations suivantes.

3.1) Rétablir la solidarité et l’égalité devant le prélèvement fiscal et social

a) Rendre notre fiscalité directe plus transparente

Le principal outil redistributif de notre système fiscal, l’impôt sur le revenu, ne rapporte que 17 % des recettes fiscales. Aussi ne peut-il jouer pleinement son rôle. De surcroît, son poids dans les prélèvements obligatoires diminue régulièrement depuis vingt ans, ce qui réduit l’importance de la redistribution qu’il opère. Pour redonner à cet impôt son rôle originel, des réformes structurelles sont indispensables. Le projet du Parti Socialiste est de rapprocher progressivement l’impôt sur le revenu et la CSG. Pour tendre vers cet objectif, il faut d’abord profondément réformer l’impôt sur le revenu.

Nous proposons qu’au cours de la législature, l’effort s’exerce dans deux directions.

 Afficher la vérité des taux

Le taux moyen d’imposition sur le revenu est de 8%. Ainsi, un foyer peut supporter un taux marginal de 30% et subir une pression fiscale réelle de seulement 6% de son revenu. Pour que les Français aient une vision claire de leur taux d’imposition réel, nous te proposons d’instaurer un nouveau barème, plus juste et plus lisible, fondé sur le taux réel d’imposition et non sur les taux marginaux. Cette réforme permettrait à chacun de comprendre de quelle manière est calculé son impôt.

 Instaurer la retenue à la source

La retenue à la source facilite le paiement de l’impôt, permet d’ajuster immédiatement l’imposition aux évolutions du revenu des contribuables. Cette réforme est envisagée depuis longtemps. Il faut maintenant cesser de tergiverser. Elle doit être mise en oeuvre dans des conditions qui garantissent le respect de la vie privée.

b) Assurer l’égalité fiscale entre les citoyens

La moitié des Français ne paient pas l’impôt sur le revenu, 80% d’entre eux ne paient pas de droits de succession et 99 % ne sont pas assujettis à l’ISF. En revanche, tous ou presque paient la CSG, la TVA ou les impôts locaux. Un salarié au SMIC paie ainsi près de 1 200 euros de CSG-CRDS par an, soit plus d’un mois de salaire.

La Droite réduit depuis cinq ans le débat public aux impôts payés par les contribuables les plus aisés alors que le débat fiscal doit concerner l’ensemble des Français. Car si la pression fiscale directe (IR plus CSG) s’est alourdie pour la quasi-totalité des ménages depuis 2002, seuls ceux dont le niveau de revenu dépasse quinze fois le SMIC ont bénéficié d’allégements massifs. Seule la PPE créée en 2001 a très partiellement compensée cette évolution défavorable pour les smicards. Ceci n’est pas acceptable

 Corriger les injustices de la politique menée depuis 2002

Pour rétablir une situation plus équitable, nous te proposons de revenir sur les largesses inconsidérées prévues pour 2007 au profit des contribuables les plus aisés et de supprimer le bouclier fiscal qui bénéficie pour l’essentiel à 16 000 foyers pour une baisse moyenne d’impôt de 22 000 euros, soit environ vingt fois le SMIC.

Ce rééquilibrage de la pression fiscale entre les ménages concerne une infime minorité des contribuables : ceux qui sont les seuls à avoir profité d’une baisse de leurs impôts directs, IR et CSG, depuis 2002.

 Réduire le nombre de « niches » fiscales

Nous préconisons de réduire le nombre de niches fiscales et d’en plafonner le montant. Ces exemptions et exonérations permettent une large défiscalisation des plus hauts revenus. Or leur nombre s’est accru de plus d’une centaine depuis 2002, sans justification ni évaluation. Ces niches doivent être réexaminées et supprimées quand leur efficacité est discutable.

Quant à l’avantage fiscal qu’elles procurent, il doit être globalement plafonné.

 Lutter contre une société de rentiers

Il est contradictoire et démagogique de tenir un discours sur la revalorisation du travail en proposant dans le même temps une fiscalité qui privilégie systématiquement la rente et la transmission héréditaire.

C’est pourquoi nous considérons que le démantèlement de la fiscalité sur le patrimoine n’est pas acceptable. Nous te conseillons donc de t’opposer à la mise en cause de l’ISF ; c’est le sens de notre proposition de suppression du bouclier fiscal. Même si l’ISF occupe une place démesurée dans le débat public, il faut rappeler qu’il ne concerne que 450 000 contribuables sur 35 millions. Aucune réforme de l’ISF ne doit conduire à la diminution de son produit.

Dans le même esprit, et tout en veillant à ce que les successions petites ou moyennes continuent de bénéficier d’une exonération, nous te recommandons de t’opposer à l’allégement des droits de succession, qui sont déjà en France inférieurs à ceux que connaissent beaucoup d’autres pays.

 Retrouver une citoyenneté fiscale

Il n’est plus acceptable que des citoyens français parviennent à échapper à l’impôt en s’installant hors de France. Nous proposons de définir une contribution citoyenne qui sera payée en fonction de ses capacités contributives par tout Français établi à l’étranger et ne payant pas d’impôt en France. C’est une voie analogue qu’ont notamment empruntée la Suisse et les Etats-Unis.

c) Assurer l’égalité fiscale entre les territoires

La décentralisation mise en oeuvre depuis 2002 a accru les inégalités entre les territoires comme entrez les citoyens. Elle a au surplus dégradé la situation financière des collectivités territoriales. Aussi faut-il rouvrir le chantier de la fiscalité locale, qui a été laissé à l’abandon depuis cinq ans.

 Rendre l’impôt local plus juste et moins lourd pour les ménages

L’impôt local est un outil de lien social entre le contribuable et le territoire où il réside. Or il repose le plus souvent sur des bases fiscales anciennes qui prennent mal en compte la capacité contributive de chacun.

S’agissant de la taxe d’habitation, les situations rencontrées sont souvent iniques. Nous te proposons d’améliorer la prise en compte du revenu dans la fiscalité locale pour assurer une pression fiscale locale plus juste sur les ménages. A cette fin, la taxe d’habitation devra être progressivement supprimée pour permettre une imposition locale des ménages plus juste tenant compte du revenu. Mais contrairement à ce qui a été fait depuis 2002, cette réforme devra garantir aux collectivités locales le niveau de ressources leur permettant d’assumer pleinement leurs compétences.

 Renforcer la solidarité financière entre les territoires

L’exigence essentielle d’égalité des citoyens devant le service public de proximité doit conduire à renforcer la solidarité territoriale. Celle-ci passe par un effort massif de péréquation et par la mise en place d’une garantie de ressources pour les collectivités locales. Parce que la taxe professionnelle est à la fois la principale ressource fiscale locale (26,7 milliards d’euros en 2006) et celle qui est la plus inégalement répartie, une part plus importante devrait être mutualisée sur la base de larges bassins d’emploi qui peuvent même s’étendre - comme c’est le cas en Ile de France - à une très grande partie d’une région.

Au demeurant, l’assiette de cet impôt devra être réformée en tenant compte de ce qui se pratique chez nos principaux voisins. Un tel impôt existe en effet dans tous les grands pays européens ; il traduit le lien entre les entreprises et leur territoire. Mais la France demeure le seul pays à faire reposer cet impôt sur les investissements. Nous te proposons donc d’entamer un processus de rénovation des bases de la taxe professionnelle afin qu’elles tiennent mieux compte de la valeur ajoutée des entreprises, sans tomber dans les travers du système actuel de plafonnement qui devra être corrigé afin que les collectivités locales n’en supportent pas le coût.

Rien ne permet de penser que cette solidarité renforcée suffise, en tous cas à court terme, pour permettre aux collectivités locales les plus pauvres de couvrir leurs charges. C’est particulièrement le cas d’un certain nombre de communes de banlieue qui ne disposent de pratiquement aucune ressource de TP alors même que leur population est particulièrement dépendante des services publics. Assurer l’égalité entre les citoyens conduira à réformer les dotations de l’Etat aux collectivités territoriales et en particulier la DGF.

 Rendre l’impôt local plus simple

La refonte de la fiscalité locale doit enfin permettre de faciliter le mouvement de spécialisation des impôts : chaque collectivité disposant alors d’un impôt principal lié à la nature des missions qu’elle assure.

d) Assurer l’égalité fiscale entre les assurés sociaux Compte tenu de la situation alarmante de nos comptes sociaux, il nous faut dépenser mieux et plus justement.

 L’équilibre des comptes

La fuite en avant n’est plus tolérable. Afin de rompre avec la pratique actuelle, nous proposons d’inscrire dans une loi organique l’obligation de présenter les lois de financement de la sécurité sociale à l’équilibre et de proscrire ainsi tout déficit des comptes sociaux.

 La réforme des retraites et du système de santé

Compte tenu de l’évolution du rapport entre les actifs et les retraités et de l’allongement de la durée de la vie, la question de l’équilibre de nos régimes de retraite est loin d’être réglée, contrairement au discours par la Droite.

Sur un sujet aussi important, il n’est ni possible ni sérieux d’espérer appliquer les solutions par coup de force qui, dans le passé, ont trop souvent été retenues.

Pour ce qui concerne le secteur de la santé, le défi est d’assurer le fonctionnement du système actuel tout en autorisant le financement adéquat de la recherche médicale comme des progrès de la médecine et en rendant possible la prise en charge des nouveaux risques sociaux, du vieillissement de la population à la dépendance en passant par l’apparition de nouvelles pathologies.

L’optimisation de la dépense sociale de la Nation doit impliquer tous les partenaires : l’Etat bien sûr, mais aussi les entreprises, les syndicats de salariés, les représentants des retraités comme ceux des patients. C’est pourquoi nous te proposons d’engager le plus rapidement possible une négociation sur tous ces sujets. Pour qu’elle puisse aboutir à un accord « gagnant-gagnant », il sera sans doute utile d’en étendre le champ aux salaires, au pouvoir d’achat et à la formation. Nous t’invitons pour ce faire à t’inspirer de la méthode mise en oeuvre en Espagne et connue sous le nom de « pacte de Tolède ». En nous éloignant de la logique de stigmatisation chère à la Droite, cette approche nous semble être la seule qui permette de dégager un nouveau compromis social.

3.2) Donner à la fiscalité tout son rôle dans la promotion du développement durable

En matière de fiscalité écologique, la France a pris du retard sur ses partenaires européens. La fiscalité écologique est un outil précieux pour encourager des comportements vertueux de la part des entreprises comme des ménages.

A la lumière des discussions que nous avons eues à Bruxelles, nous te recommandons d’agir dans deux directions.

 Favoriser les comportements responsables

Nous préconisons d’utiliser la TVA pour favoriser certains produits respectueux de l’environnement.

Dès à présent, le taux réduit de TVA applicable à la construction des logements sociaux pourrait être étendu, dans le respect des règles communautaires, à celle de logements respectant des normes environnementales adéquates. A court terme, nous proposons que la France demande l’extension de la liste des produits soumis au taux réduit de TVA à l’occasion des négociations qui s’ouvriront à Bruxelles dès la fin de l’année 2007.

Dans le même esprit, les incitations à l’acquisition des véhicules les moins polluants devront être développées. La même logique présiderait à l’instauration de crédits d’impôt incitant à l’achat d’équipements moins gourmands en énergie.

 Taxer les émissions de carbone

La France doit, selon nous, s’engager en faveur de la création d’une taxe sur les émissions de carbone au niveau européen. Comme ce comportement vertueux ne doit pas pénaliser l’économie européenne, nous proposerons de mener une campagne pour créer au sein de l’OMC une exception environnementale permettant de taxer à l’importation les produits provenant de pays pollueurs.

Dans l’immédiat, nous te suggérons de supprimer l’exonération de TIPP dont bénéficient les carburants utilisés par le transport aérien. Alors que ce mode de transport est particulièrement polluant, les carburants utilisés par les avions sont détaxés en vertu d’une exonération mise en place en 1928 afin d’encourager le développement de l’aviation. Cette situation pourrait être progressivement corrigée, ce que propose d’ailleurs la Commission européenne.

Nous te proposons également de réfléchir à un prélèvement exceptionnel payé par les entreprises pétrolières, dès lors que les cours du pétrole le justifient, affecté aux efforts d’investissements et de recherche dans les nouvelles technologies et les énergies renouvelables.

3.3) Rétablir une fiscalité favorable à l’activité et au renforcement de notre système productif

La fiscalité ne doit pas être perçue comme un frein au travail, c’est pourquoi nous te proposons les orientations suivantes.

a) Redonner à l’imposition des entreprises un rôle incitatif en matière d’emploi et d’investissement

L’impôt sur les sociétés (IS) doit inciter les entreprises à se conformer à des objectifs d’intérêt national. A cette fin, nous te proposons de changer radicalement la manière de calculer l’IS.

Il s’agit de mettre en place une modulation du taux de l’IS, selon une logique de bonus-malus. Pour chaque entreprise, le taux de l’IS se verra majoré ou diminué en fonction d’un coefficient qui tiendra compte de la façon dont l’entreprise contribue à la réalisation d’objectifs définis par le Parlement. Ainsi, le coefficient pourra durablement prendre en compte la part des bénéfices réinvestis, le pourcentage d’emploi en CDI, l’effort fait en matière de réduction de gaz à effet de serre.

La même logique sera appliquée à la mise sous conditions des exonérations de cotisations sociales. Une concertation pourrait être lancée sur ce sujet avec les partenaires sociaux.

Enfin, à court terme, le redémarrage de l’investissement peut nécessiter un traitement fiscal favorable reposant sur des mécanismes d’amortissement accéléré.

b) Favoriser les PME qui créent de l’emploi

Notre pays a besoin d’un ensemble de mesures fiscales incitatives destinées à accompagner la création, le développement et l’innovation de nos PME.

Or les aides de l’Etat s’adressent aux deux extrémités du système productif : la création d’entreprises et les grands groupes, lesquels bénéficient de l’essentiel des aides publiques.

Ces dernières années, les dispositifs et les aides en faveur des entreprises se sont multipliés, sans toujours beaucoup de cohérence. Nous devons - avec les régions, qui sont devenues des acteurs incontournables du financement des entreprises - reprendre l’ensemble de ces aides, en évaluer l’efficacité, en mesurer les résultats dispositif par dispositif, et restaurer la cohérence de cet ensemble. Lisibilité et simplicité doivent guider notre action. Le recentrage de nos aides sur les PME et TPE constitue une orientation décisive : en effet, seuls 9% des aides aux entreprises bénéficient actuellement aux petites et moyennes entreprises.

C’est pourquoi nous te proposons d’instaurer un taux d’imposition minoré sur les bénéfices des PME et TPE.

c) Lutter contre la concurrence fiscale déloyale

Comme pour beaucoup de nos impôts directs, l’impôt sur les sociétés se caractérise par un taux plus élevé que ceux en vigueur dans certains pays voisins, mais par une assiette plus étroite que dans nombre d’entre eux. Dans la situation actuelle, les taux affichés ne sont pas représentatifs du poids de l’impôt effectivement payé par les entreprises. Nous souhaitons corriger cette situation et arriver à la vérité des taux, tout en favorisant l’harmonisation des caractéristiques de cet impôt - et notamment de son assiette - au sein de l’Union européenne.

Nous te proposons de saisir sans délai nos partenaires allemands afin de lancer ensemble une initiative sur le principe d’une assiette de l’IS commune à nos deux pays. Cette approche - qui aurait vocation à être généralisée - nous permettrait de débloquer la situation actuelle où un dumping fiscal dangereux se développe au sein de l’Union, y compris chez des partenaires majeurs de la France.

3.4) Assurer l’efficacité de la dépense publique

Réalisée par l’adoption en 2001, à l’initiative des socialistes, de la Loi Organique relative aux Lois de Finances (dite LOLF), la réforme de notre constitution budgétaire a vocation à répondre à une question devenue primordiale : celle de l’efficacité de la dépense publique. Nos concitoyens ont parfois le sentiment que l’argent public est prélevé sans nécessité, dans des proportions trop importantes, et pour une utilité très faible. L’association de la dépense publique à l’inefficacité, voire à la gabegie, est trop souvent faite, de façon caricaturale et injuste. Or nous pensons que le service public peut et doit rimer avec efficacité.

Seule cette efficacité permet fonde le consentement à l’impôt qui est au coeur de la démocratie. C’est pourquoi la dépense publique doit être maîtrisée, évaluée, contrôlée. Pour ce faire, une norme d’évolution de la dépense publique sera définie dans un cadre pluriannuel.

Nous devons être conscients de ce que seuls les gains d’efficacité réalisés notamment par la mise en oeuvre de la LOLF permettront de financer nos engagements en matière de services publics et de faire progresser la modernisation de nos administrations.

A cette fin, une revue systématique des programmes budgétaires devra être engagée afin d’identifier les marges de manoeuvre mobilisables et les redéploiements possibles au profit de nos priorités budgétaires. Dans ces conditions, la montée en puissance progressive du projet devra rester cohérente avec notre objectif de réduction de la dette publique.

S’agissant des dépenses fiscales (les fameuses « niches ») dont le nombre et le coût ont fortement augmenté depuis 2002, nous proposons - comme cela a été évoqué plus haut

- de les plafonner et d’en réduire le nombre. La même démarche doit s’étendre aux « niches sociales » (exonérations de cotisations et exonérations de certains revenus se substituant au salaire), dont la multiplication récente mine le financement de la protection sociale.

Les efforts de meilleure gouvernance des finances publiques doivent être étendus aux comptes sociaux et locaux. La situation actuelle, source de confusions et de redondances, doit inciter à procéder à une répartition des compétences harmonieuse entre collectivités publiques. Il faudra en particulier bannir la détestable pratique actuelle par laquelle l’Etat se défausse de certaines dépenses sur les collectivités locales hors de toute recherche du meilleur niveau d’administration possible.

Voici, Chère Ségolène, en quelques pages rapides, nos préconisations. Elles visent à :

- renouer avec la confiance, en stabilisant les prélèvements obligatoires au cours de la prochaine législature, en maîtrisant la dette publique et en accroissant l’efficacité de la dépense publique ;

- rétablir une fiscalité favorable à l’emploi et à l’activité, par une évolution de l’impôt sur les sociétés, une meilleure incitation fiscale à l’investissement et un meilleur accompagnement des entreprises en croissance ;

- restaurer la solidarité et l’égalité des Français devant l’impôt, par une réforme de l’imposition des ménages sur la base d’assiettes élargies et plus lisibles ainsi que d’une plus juste répartition des prélèvements, mais aussi par une consolidation de la fiscalité sur le patrimoine destinée à lutter contre « la société de la rente » et par la modernisation profonde de la fiscalité locale dans les territoires ;

- donner enfin à la fiscalité son rôle dans la promotion d’un développement durable, respectueux des grands équilibres écologiques, en repensant l’ensemble de notre fiscalité énergétique en fonction des émissions de carbone, en promouvant les économies d’énergie et en mobilisant notre outil de recherche pour développer des technologies de demain favorables à l’environnement.

Nous te prions de croire, Chère Ségolène, en nos amitiés socialistes.


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