Front de Gauche : Tracer la voie de la rupture avec le capitalisme, donc avec le social-libéralisme

vendredi 13 juin 2014.
 

Lorsque la poussière sera retombée, il faudra bien faire le ménage, par Robert Duguet

La gauche vient de subir coup sur coup deux défaites politiques majeures : nous employons la terminologie « la gauche vient de subir », car si le PS est frappé de plein fouet, au-delà ce sont les conquêtes sociales, les services rendus à l’échelle des communes à nos concitoyens qui vont subir négativement de profondes régressions avec cette vague bleue et bleue marine. Ne traitons pas cette question avec légèreté : la gauche existe au-delà du PS. Par ailleurs pour reprendre souffle après la défaite des européennes, peut-être faudrait-il faire ce que la gauche radicale et l’extrême gauche ne font plus depuis bien des années, je veux dire partir d’une position internationaliste. Car si on ne garde que l’œil fixé sur la ligne bleue des Vosges, on s’interdit certainement de sortir de la déprime.

Comme partout en Europe la situation française est marquée par une offensive du néo-libéralisme et du social-libéralisme, représenté par les partis de l’internationale « socialiste », contre les couches laborieuses, la jeunesse, les retraités. Celle-ci a des effets particulièrement paralysants sur le mouvement social en France. Asphyxié, chloroformé par la violence des mesures prises par le gouvernement Hollande, celui-ci n’est plus à l’offensive, si ce n’est ici et là des combats sociaux qui restent circonscrits à tel ou tel secteur ou entreprise. Naturellement cette réalité objective trouve son expression dans les deux consultations électorales qui viennent de se dérouler. La traduction électorale de cette désespérance et ce dégoût pour un système politique vermoulu, où des responsables politiques de droite et de gauche sont rattrapés par des affaires de corruption, c’est l’abstention des nôtres. Tout a été dit dans les articles écrits par les militants ou courants de la gauche radicale s’exprimant depuis quelques jours sur ce point.

Cela c’est la situation française. Les pays du sud de l’Europe qui ont été encore plus malmenés par la politique européenne ne sont pas dans une situation identique. La montée de la résistance aux impératifs économiques de la troïka commence à trouver une expression politique. C’est le cas en Grèce, en Espagne et au Portugal. On doit prendre en compte dans notre équation française l’émergence dans ces pays de formes politiques nouvelles et de masse, gagnant ici et là des positions électives et qui perturbent le jeu des partis institutionnels, de droite ou de gauche, mais d’accord sur l’essentiel : faire payer la crise aux couches laborieuses et aux classes moyennes. Dans ces pays la lutte des classe s’invite dans les urnes, ce n’est pas le cas du moins aujourd’hui dans notre pays. L’objectif politique qui était particulièrement celui du PG dans le FdG de passer aux européennes devant le PS, le FdG devenant par là même l’alternative possible à gauche, s’est avéré inatteignable. Cela ne veut pas dire que cela n’était pas nécessaire. L’objectif ne partait pas des rapports de force réels : c’est toujours la lutte de classe qui a le dernier mot, et l’abstention fondée sur le dégoût et la désespérance est un élément de la lutte de classe. Les urnes ne transcendent pas la lutte des classes. Le PG a pêché sur ce point par volontarisme électoral : sa ligne politique était en décalage avec l’état d’esprit des masses : globalement le Front de Gauche n’apparait pas comme une alternative crédible. L’abstention ne relève pas d’une indifférence à ce qui se passe sur la scène publique officielle, elle a une signification politique profonde et motivée de l’électorat de gauche, et son influence s’exerce y compris contre la gauche radicale.

Les partis de l’internationale socialiste, particulièrement le PASOK grec et le PSOE espagnol continuent de se décomposer et ce n’est pas terminé. La continuité de la percée de SYRIZA - 26,6% et 1,5 million de suffrages – traduisent une claire victoire de la gauche radicale en Grèce. L’alliance du PASOK avec la coalition de la Nouvelle Démocratie (ND) représente un exécutif dorénavant minoritaire. La poussée à gauche voit parallèlement un développement d’un Parti Aube dorée se réclamant ouvertement du nazisme et qui possède aujourd’hui une représentation parlementaire et locale. SYRIZA est directement porté par un mouvement de forte contestation sociale et ce mouvement aspire à donner à son organisation un caractère ouvertement anticapitaliste. C’est ce qu’exprime l’aile gauche DEA (Gauche ouvrière internationaliste), lorsqu’ils expliquent en conclusion de l’article que nous reproduisons :

« Nous avons besoin d’un mouvement de masse, organisé d’en bas, qui se traduise par une présence dans la rue et des actions de grève. Nous avons besoin d’un accroissement des batailles politiques stimulées par la gauche radicale. Nous avons besoin d’une alliance entre SYRIZA, ANTARSYA et le KKE, comme élément permettant d’organiser beaucoup plus largement les activistes qui ne sont pas « encartés ». Et cela exige un programme clair de la gauche radicale, entre autres ayant trait aux caractéristiques et aux actions d’un gouvernement de gauche effectif, cela placé dans une orientation anticapitaliste et socialiste. »

Pour faire la différence avec le parti de Marine Le Pen, le développement d’une formation fasciste, c’est le cas d’Aube dorée, apparait quand la contestation sociale commence à poser la question qui, du salariat ou du capital, doit diriger la société et par voie de conséquence les moyens de production. En Grèce, c’est la question de l’appropriation que l’émergence de Syriza, pose.

En Espagne le bipartisme PP-PSOE est frappé par l’émergence de nouvelles formes politiques issues directement des mouvements sociaux et des marches massives des derniers mois. Le PP passe de 42% à 26% et le PSOE de 38% à 23%. L’émergence du mouvement Podemos qui entre au parlement européen avec 5 représentants devient la quatrième force du pays. Né d’un mouvement de contestation sociale, il s’affirmera comme tel et interviendra dans les futures élections autonomes et municipales.

La France, pays de forte tradition révolutionnaire et républicaine, se trouve aujourd’hui, ironie de l’histoire, à la traine. Ceci pour le cadre objectif des rapports de force à l’échelle de l’Europe et particulièrement de la France. Maintenant reste à s’interroger sur la responsabilité particulière des organisations qui composent le FdG. Roger Martelli, un des responsables de la FASE, écrit :

« La galaxie du Front de gauche doit se convaincre en tout cas que le virage social-libéral du pouvoir, confirmé par Manuel Valls le soir même du résultat, ne conduit pas mécaniquement au renforcement d’une gauche bien à gauche. Si la colère ne s’adosse pas à la perception d’une alternative tout aussi possible que nécessaire, la voie est ouverte à l’amertume et au ressentiment, et d’abord dans les catégories populaires délaissées et méprisées. »

Puis il ajoute :

« Mais la formulation d’une alternative suppose que des choses bougent dans l’espace du Front de gauche. Certainement pas dans le sens de sa dissolution ou même de son édulcoration. Si une ou l’autre des composantes du Front était mise à l’écart, ce serait une perte mortelle pour le mouvement tout entier. Conserver et élargir : c’est l’alpha ; ce n’est pas pour autant l’oméga de toute bonne politique. Car il n’est pas possible, non plus, de se cacher que le Front de gauche n’est pour l’instant qu’au milieu du gué. Il est né de l’initiative de deux organisations, l’une inscrite depuis longtemps dans l’histoire (le PCF), l’autre bénéficiant d’abord d’une longue expérience du combat au sein de la tradition socialiste (le PG). Depuis 2008, d’autres composantes se sont agrégées au duo fondateur. Mais leur présence n’a pas annulé la prégnance du tête-à-tête originel. Or, quand un mouvement dépend d’un tête-à-tête, il se trouve soumis au risque de voir le tête-à-tête tourner au face-à-face. »

Cela ne sert à rien de poser les problèmes en marchant sur des œufs pour ne pas froisser la sensibilité de tel ou tel. Quand le principal dirigeant du PCF pousse à constituer des listes aux élections locales avec le PS, et qui plus est dans des grands centres urbains, tout en soutenant la candidature de Tsipras aux européennes, représentant d’une formation qui est cent plus à gauche que le vieux PC français, c’est un jeu politique qui ne peut plus tenir bien longtemps. Il faudra que Pierre Laurent cesse de se faire mal aux sphincters à force de tenir deux orientations parfaitement inconciliables. D’autant que déjà nous parviennent quelques informations sur des démarches faites par des cadres politiques du PCF pour entrer sur des listes conduites par le PS aux prochaines élections régionales… Cette ligne a globalement rendue le FdG illisible aux élections européennes, d’autant plus illisibles que l’abstention est depuis 1981 forte dans ce type de scrutin. Je pense qu’on arrive au bout d’un accord politique : l’organisation en cartel, reposant de fait sur l’accord PC-PG, était déjà dans la campagne présidentielle de 2012 un obstacle à l’émergence d’une force politique nouvelle, démocratique et anticapitaliste. Aujourd’hui, cela devient un corset. C’est aux militants de trancher ce débat : ou s’engager plus avant dans la voie de la construction autonome, ou retourner dans le giron social-libéral. On peut souligner la faiblesse des positions de la FASE ou de Roger Martelli, de même que celle de l’Appel pour un nouveau départ du Front de Gauche que nous reproduisons ci-dessous : l’unité dans le FdG elle se fait sur la nécessité de construction d’une force autonome, qui, à l’image de Syriza, se met en position de gouverner le pays au compte du salariat. L’unité a donc des frontières précises, elle n’est pas conciliable avec ceux qui soutiennent la politique de Hollande. Incontestablement la crise de régime a eu et aura encore des conséquences au sein du PS et d’EELV, mais ce n’est pas en s’adaptant à ces organisations que l’on tirera le bon fil, c’est en avançant clairement sur une ligne de rupture et d’autonomie que des courants de la gauche classique nous rejoindront. C’est ainsi que, pour ma part, je comprends la place de Jean Luc Mélenchon sur l’échiquier politique. Quant aux critiques qui lui sont adressées de la part du PCF d’une part, mais aussi d’autres cadres politiques issus de la FASE ou des ex-NPA, elles reposent sur quoi : trop virulent ! trop agressif ! Hénin-Beaumont, erreur politique, ses rapports avec les medias sont exécrables… tout est bon pour le rendre responsable de l’impasse dans laquelle se trouve le FdG et pour lui contester son rôle de porte-parole de la gauche radicale… Qu’un dirigeant politique fasse des erreurs, c’est le lot de tous ceux qui mettent la main dans le cambouis, tandis que d’autres les mettent dans le pot de confiture. Il faut répondre à la question centrale, à laquelle les voix critiques qui s’élèvent ici et là dans le FdG ne répondent pas : faut-il s’arrimer à une construction autonome ou faut-il se remettre dans le vieil attelage de l’union de la gauche ou de la gauche plurielle ? Tant que Jean Luc Mélenchon s’inscrira dans la volonté de résistance et de rupture avec le social-libéralisme, il faudra le soutenir. Jean Luc Mélenchon écrit dans son blog :

« Notre Front de Gauche a un large pied dans le système comme l’a montré la séquence des élections municipales. Dès lors, les petits arrangements et alliances à géométrie variable, au-delà même de leur légitimité locale ou non, nous ont directement associés au spectacle des poisons et dentelles du système. Dès lors, nous nous sommes rendus illisibles ou, pour dire plus vrai, nous avons été rendus suspects dans un moment où les suspects subissent, à juste titre, très vite un mauvais sort ! En une campagne électorale, tout le travail d’autonomisation a été détruit aux yeux du grand nombre. »

Et il ajoute à juste titre :

« La marche au point « qu’ils s’en aillent tous » est aujourd’hui incarnée par madame Le Pen. Sa dynamique est de nature révolutionnaire, sa puissance contribue à miner le système. Celui-ci n’a guère de moyens immunitaires à mesure que s’approfondit l’incurable stupidité de ceux qui le dirigent, en même temps que leur impuissance à faire autre chose que ce que les auteurs de pianos mécaniques à Bruxelles ont pré-perforé pour eux. »

Pour revenir enfin sur la question du « fascisme » à la française qu’incarnerait Marine Le Pen, aussi bien pour les dernières municipales que pour ces européennes, la victoire du FN est acquise d’une part en raison de l’abstention massive à gauche et dans le vote FN lui-même d’une majorité de salariés, d’ouvriers et de jeunes qui n’en peuvent plus de la politique menée et qui se servent du FN pour crier leur dégoût. Certes il y a au sein du FN un noyau de militants d’extrême droite, nous ne le minimisons pas, mais nous ne sommes pas prêts à hurler à la menace fasciste avec les solfériniens et apparentés. Le fascisme est né entre les deux guerres mondiales parce qu’à l’Est il y avait eu la révolution bolchévique et que cette dernière avait des conséquences sociales importantes sur les mouvements ouvriers occidentaux qui s’organisaient dans la 3ème Internationale communiste. Une fraction des possédants, dans la situation explosive de l’Allemagne en particulier, les Krupp et les Siemens ont choisi de financer la bande de voyous, de déclassés liés à la pègre dont Hitler était le chef. La classe qui représente aujourd’hui le capitalisme mondialisé n’a certainement pas pour programme économique actuel de liquider l’euro et de revenir au protectionnisme. Je ne vois pas, mis à part quelques groupuscules en marge du FN, les militants de Marine Le Pen agresser les manifestations populaires, occuper le siège des syndicats et faire régner la terreur avec des groupes francs. Du moins nous n’en sommes pas encore là. C’est un parti qui est plus vraisemblablement dans la tradition maurrassienne de ce que représentaient les Croix de Feu avant-guerre, un populisme d’extrême droite classique. Je rappelle au passage que lors des émeutes du 6 février 1934, la direction des Croix de Feu, a refusé de marcher et de marcher sur le parlement. Une partie de leurs cadres politiques par ailleurs allaient se retrouver après 1940, par nationalisme, dans la résistance.

Le dernier Blog de Jean Luc Mélenchon titre : « il faut donner son temps à la poussière pour retomber ». Mais lorsque la poussière sera retombée, il faudra bien faire le ménage. Nous ne pourrons pascontinuer comme avant. Ou le retour à la case PS et ses périphériques, ou le travail obstiné pour tracer un autre voie, celle de la rupture avec le capitalisme, donc avec le social-libéralisme. Les questions d’organisation du FdG sont en fait subordonnées au choix qui doit être défini maintenant.


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