Le "scénario Syriza" ouvertement envisagé pour la France

samedi 14 juin 2014.
 

Les convergences se cherchent à gauche entre les mécontents de la politique d’austérité gouvernementale. Samedi 7 juin, une nouvelle initiative 
a rassemblé des « Socialistes affligés », le Front de gauche et les écologistes, dessinant les contours d’une possible alliance « rouge-rose-verte ».

Privé de tout appui populaire – un récent sondage OpinionWay pour le Figaro indiquait que seuls 3 % des Français désiraient voir François Hollande se représenter en 2017 – le président de la République a également rompu les liens avec ses partenaires traditionnels à gauche. Les Verts se sont retirés du gouvernement et le Front de gauche n’y a jamais participé. Les profonds désaccords politiques ont creusé un sillon qui traverse désormais le Parti socialiste lui-même. L’isolement au sommet de l’État et le refus de discuter avec sa propre majorité – la rencontre du président avec les parlementaires a été ajournée – fragilisent chaque jour un peu plus l’hôte de l’Élysée et, mécaniquement, ouvre de nouveaux espaces de débat pour trouver une issue et une alternative aux orientations jugées « suicidaires » du gouvernement.

À l’instar du colloque organisé, samedi, à Paris, par le club des Socialistes affligés. Symbole d’une élite de gauche en rupture avec les desseins de l’exécutif, le think-tank créé par l’ancien député européen Liêm Hoang-Ngoc et le chercheur Philippe Marlière tente de jeter une passerelle entre le PS et le reste de la gauche. « Parce que la gauche est en danger », souligne Philippe Marlière et parce que s’installe « une lecture nationaliste et ethnique des dominations sociales ». Car le constat est là que l’effondrement du Parti socialiste aux dernières élections n’a pas profité aux autres formations de gauche mais suscité une abstention massive et une forte poussée de l’extrême droite. Et, adossé à cette réalité, l’échec cuisant du gouvernement sur les questions structurantes comme l’emploi, le pouvoir d’achat, la fiscalité, l’éducation… Autrement résumé, la gauche au pouvoir « mène une politique de droite ».

Au-delà du verdict, désormais partagé, proposer une alternative clairement identifiée à gauche suppose de convenir d’un contenu et d’une stratégie pour changer la donne. Car la situation est dorénavant évoquée en termes crus chez les socialistes, bien au-delà du cercle des Socialistes affligés. « Énervés », voire « ulcérés » semblerait d’ailleurs convenir davantage à leur état d’esprit, face à ce qu’ils considèrent comme un véritable hold-up sur le sens du vote des Français de 2012 et, au-delà, sur celui de leur engagement au PS et au sein de la gauche. En témoignent les propos de Sylvain Mathieu, représentant de l’ensemble des courants de la gauche socialiste à la dernière élection du premier secrétaire du PS, le 15 avril dernier, où il a récolté 32,88 % des voix du Conseil national face à Jean-Christophe Cambadélis. « Tout le monde est déboussolé, voire désespéré, explique ce trentenaire, ex-secrétaire fédéral de la Nièvre, haut lieu du mitterrandisme. Depuis un an, on assiste à une parodie de démocratie au PS, comme sur le projet européen. » Pis, « chaque jour qui passe nous réserve son lot de mauvaises surprises », poursuit Sylvain Mathieu, qui se demande « si le clivage gauche-droite signifie encore quelque chose. Il y a urgence à réagir, ça ne peut pas durer encore trois ans comme ça, ce n’est pas possible ».

Même constat chez Caroline de Haas, militante féministe qui vient tout juste de rendre sa carte et ses responsabilités au PS dans une lettre retentissante. Elle accuse le président de la République et son gouvernement de « faire disparaître les fondamentaux de la gauche » en reprenant à leur compte le fameux « Tina » (« There is no alternative », il n’y a pas d’alternative) de Margaret Thatcher. « Où est passé mon vote (de 2012 – NDLR) et celui des 17 millions de Français  ? » harangue Caroline de Haas, pour qui il n’y a pas d’autre solution que « les responsables de gauche qui sont contre cette politique discutent », dans le but assumé d’entreprendre « la conquête du pouvoir ».

C’est ce pas en direction des autres forces de gauche qu’ont décidé de faire les responsables des Socialistes affligés. Une première en termes d’affichage public s’agissant d’une initiative de membres ou sympathisants du PS, puisque ce sont les discussions en interne qui, jusqu’ici, prévalaient. Dirigeants du Front de gauche, écologistes, socialistes ont accepté l’invitation pour s’atteler à la tâche explicitement formulée de « reconstruction de la gauche ». D’emblée, Pascal Durand, ancien secrétaire national d’Europe Écologie-les Verts, exhorte chacun à « dépasser les vieilles références des XIXe et XXe siècles » fondatrices des partis actuels. « Pour ceux qui pensent qu’on pourrait se contenter d’une construction tripartite (PS-UMP-FN – NDLR) avec une seule force de gauche, en agitant le spectre du Front national, c’est une recette vouée à l’échec », prévient de son côté Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste. Pour lui, « il y a en France des forces disponibles pour reconstruire une alternative majoritaire de gauche, et le Front de gauche a conscience qu’il doit changer pour être l’un des animateurs de ce travail ». Une tâche à mener avec tous les partenaires disponibles « sans préalable d’aucune sorte ».

Le "scénario Syriza" ouvertement envisagé

Mais la question du « comment faire » reste posée. Dans tous les cas, les socialistes mécontents n’entendent pas jeter le PS, ses militants et électeurs qui lui sont attachés, avec « l’eau du bain » gouvernementale. Dans un premier temps, ils se donnent pour mission d’obtenir un congrès en octobre avec l’objectif de prendre la majorité, et donc « de mettre Manuel Valls en minorité », comme l’a répété à plusieurs reprises Gérard Filoche, de l’aile gauche du parti. Il préconise, d’ici là, « une bataille d’amendements » à l’Assemblée nationale pour le collectif budgétaire qui doit passer en Conseil des ministres demain. Si cette option échoue, reste le « scénario Syriza », du nom de la coalition de gauche radicale grecque, ouvertement envisagé par Philippe Marlière. En, d’autres termes, il s’agirait d’opérer un « dépassement du Front de gauche et du PS » dans une nouvelle force prenant la relève à gauche d’un PS discrédité par ses renoncements.

Dans les deux cas, il s’agirait de donner corps à cette alliance majoritaire « rouge-rose-verte » que les Socialistes affligés appellent de leurs vœux. « Est-il raisonnable de penser que la minorité du PS devienne la majorité », questionne, incrédule, Clémentine Autain (Ensemble), qui milite pour « un cadre nouveau » avec « les mécontents du PS, le Front de gauche, Nouvelle Donne, etc. » pour « réconcilier les citoyens » avec la politique. Pour Éric Coquerel (Parti de gauche), ce qui importe avant tout est de « ne pas être assimilés à la politique du gouvernement », l’urgence étant de se montrer « utiles au pays et de proposer des alternatives concrètes ». Enfin, sensiblement en décalage avec la revendication d’une VIe République censée rompre avec la personnalisation de la politique, Eva Joly propose d’ores et déjà l’organisation d’une « primaire pour un candidat unique des socialistes qui ne sont pas dans la théorie libérale, des écologistes et du Front de gauche ». Liêm Hoang-Ngoc, lui, a pris note des points convergents  : « Lutte contre l’austérité, nécessité de fonder une VIe République, défense des services publics, lutte contre le traité transatlantique, mise en place d’une politique de la demande, nationalisation ou participation de l’État au capital des grandes entreprises industrielles… » Autant d’éléments qui peuvent selon lui constituer « une plate-forme d’action commune ». Et de conclure  : « Quand on veut se rassembler, on peut. »


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