Quelque chose de nouveau est-il en train de naître à gauche  ?

jeudi 20 novembre 2014.
 

Textes de : Patrice 
Cohen-Seat Président d’Espaces Marx, André Chassaigne Député (PCF) 
du Puy-de-Dôme, président du groupe GDR Fanélie 
Carrey-Conte Députée (PS) 
de Paris

La gauche 
ne peut pas mourir

«  Il y a de quoi s’étonner en tout cas 
que “gauche” soit ainsi implicitement rabattu sur “Parti socialiste”, parti dont 
il est maintenant solidement avéré 
qu’il n’a plus rien que de droite. Et s’il 
est vrai que ce dernier peut mourir – 
on pourrait même dire  : s’il est souhaitable qu’il meure –, la gauche, elle, est d’une autre étoffe et, partant, d’une autre longévité.  » 
(Frédéric Lordon, le Monde diplomatique, septembre 2014)

A) « Fronde » ou changement

par Patrice 
Cohen-Seat Président d’Espaces Marx

Les «  frondeurs  » réagissent au malaise qui grandit dans leur électorat. En sont-ils à remettre en cause leur soutien au programme social-libéral du candidat Hollande  ? Il faut tout faire pour favoriser cela. Mais n’ayons pas la mémoire courte. François Mitterrand fut le prince des frondeurs de son époque en créant le PS contre les dérives droitières de la SFIO et en signant avec les communistes un programme commun qui le mena jusqu’à l’Élysée. Deux ans après, il prit le fameux «  tournant de la rigueur  » qui engagea la conversion néolibérale du PS. L’époque n’est pas la même, mais quand même…

Une force politique porte les intérêts de certaines catégories sociales. Le problème crucial est aujourd’hui que, à gauche, les couches populaires se sentent (à juste titre) abandonnées et n’attendent rien de la politique. N’espérant plus leurs suffrages, le PS se préoccupe surtout du vote de «  couches moyennes  » préoccupées d’abord de ne pas tomber dans la galère des «  assistés  ». Toute la question est donc de remettre les couches populaires dans le coup. Sans cela, les frondeurs d’aujourd’hui feront comme Mitterrand hier au lieu de rejoindre le camp du changement.

Une nouvelle version de l’union de la gauche – à la supposer possible – serait donc aujourd’hui sans issue et constituerait une opération suicide. Il faut cesser de vouloir «  peser  » sur les partis sociaux-libéraux et de se positionner par rapport à eux. En Grèce, Syriza a gagné une autorité spectaculaire en affirmant qu’elle refuserait toute alliance avec un Pasok déconsidéré, mais qu’une majorité serait possible avec tous les députés qui, si le peuple grec la mettait en tête de la gauche, rejoindraient cette dynamique nouvelle. Positionnement comparable pour Podemos en Espagne. Cela mérite réflexion.

Une responsabilité essentielle des communistes, dans et avec le Front de gauche, est de contribuer à faire revivre dans la société la vision d’un autre possible que celui des catastrophes où nous entraîne un capitalisme aveugle par nature et qui est devenu fou. Ce qui paralyse, c’est l’absence d’alternative dans un monde devenu si complexe. Peut-on penser autre chose que le capitalisme  ? Beaucoup se mettraient en mouvement s’ils savaient vers quoi on peut aller. Après les échecs du XXe siècle, il faut, comme le dit le philosophe Alain Badiou, travailler à réinventer le lien entre l’idée communiste et l’action, c’est-à-dire à faire émerger un nouveau «  projet  » communiste, un nouvel horizon d’émancipation humaine capable d’enthousiasmer ceux qui sont aujourd’hui sans espoir. C’est la condition pour que les couches populaires, les jeunes, les intellectuels et tant d’autres retrouvent le goût et même la joie de l’action politique. Alors la dynamique qui en résultera changera en profondeur les rapports de forces. Une nouvelle alliance pourra se construire entre couches populaires et couches moyennes. Elle transformera le champ politique et rendra possible à gauche des majorités solides.

B) L’urgence d’un projet alternatif à gauche

André Chassaigne Député (PCF) 
du Puy-de-Dôme, président du groupe GDR

En plaçant son action dans le sillage des injonctions de la finance et du patronat, le président de la République s’applique incontestablement à faire sauter l’ancrage idéologique de la gauche. Un parallèle avec le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et son tropisme vers les idées de l’extrême droite, n’est d’ailleurs pas dénué de sens. Ainsi, en dénonçant désormais ouvertement les avancées sociales constitutives de l’histoire de la gauche et du mouvement social, le premier ministre et son gouvernement n’appliquent-ils pas une stratégie politique similaire pour rendre perméable aux idées de la droite une majorité élue à gauche  ? L’exécutif ne manque plus une occasion de vilipender ceux qui, au sein même du Parti socialiste, se refusent à appliquer la prophétie d’une nouvelle gauche expurgée de son corpus idéologique progressiste. L’appel du pied lancé dernièrement par le premier ministre à la droite pourrait même augurer une recomposition politicienne incluant des forces de droite. Certes, cette ligne de fracture, de plus en plus nette, n’est pas nouvelle au sein de la gauche réformiste. Elle n’en arrive pas moins dans un contexte politique particulier, trouvant appui sur le terreau d’une société française brisée par trente années de libéralisme économique et de reculs des droits sociaux.

Cette «  dérive droitière  » du gouvernement permet depuis quelques mois des convergences nouvelles. Elles se traduisent par des prises de position appréciables au Parlement  : abstentions lors du vote de confiance et sur les projets de loi de finances, désaccords ouverts sur la ligne politique du gouvernement, recherche de propositions communes, dépôts d’amendements identiques par des députés PS, Front de gauche et écologistes. Mais, sur ce champ de la construction de résistances communes au sein des institutions, n’est-il pas temps d’aller beaucoup plus loin  ?

Car au-delà d’une austérité totalement contradictoire avec la satisfaction des besoins sociaux, le positionnement du pouvoir se matérialise surtout par la réalisation des vieilles revendications patronales  : le démantèlement des acquis du Conseil national de la Résistance et l’affaiblissement du modèle républicain assis sur la solidarité nationale. Au regard des enjeux, ces rapprochements sont loin d’être à la hauteur des coups portés. Devant de tels reculs de civilisation, le débat politique ne peut se borner au cadre restreint du «  jeu  » parlementaire. Je rejoins en cela l’analyse de Patrick Le Hyaric dans une tribune publiée dans l’Humanité Dimanche  : «  Ne nous y trompons pas  ! L’affaire est sérieuse. Une course de vitesse est engagée avec ceux qui, au pouvoir aujourd’hui et dans les cercles de la finance internationale, veulent liquider la gauche jusqu’à effacer son nom.  »

Malheureusement, il nous faut bien reconnaître la faiblesse des perspectives d’une politique alternative, accompagnée par le jeu médiatique et politique dominant, qui consiste avant tout à focaliser l’attention sur les querelles de personnes et les prochaines échéances électorales, plutôt que d’aborder le fond des problématiques politiques que la situation soulève. Quant au pouvoir, à l’Élysée comme à Matignon, il souhaite tirer profit de la fragmentation de la gauche que ses choix et l’absence de résultats conduisent à exacerber.

En contrepoint, la faiblesse du mouvement social, malgré quelques luttes victorieuses, empêche de mettre en dynamique des mesures rassembleuses pour commencer à sortir les salariés et les privés d’emploi de l’étau dans lequel les enferme la finance. De même, les héritages et les rapports de forces au sein des différentes formations de la gauche contribuent à réduire la contestation politique, alors que des convergences sur les contenus sont tout à fait identifiables.

Il nous faut donc répondre à la question déterminante de la construction d’un projet de transformation sociale, économique et écologique, partagé non seulement entre les forces de gauche, mais aussi avec le mouvement social et l’ensemble des citoyens. On ne peut en effet délier le débouché politique de la force de l’intervention citoyenne et d’un mouvement social et populaire. Faire émerger une véritable dynamique collective à l’échelle nationale autour d’une autre politique de gauche suppose une action partagée et conjointe de la rue jusqu’au sein des institutions, en sortant des prés carrés et des simples postures politiciennes. Les enjeux sont immenses, c’est dire les responsabilités qui sont les nôtres.

C) Les vrais défis 
de la gauche moderne

par Fanélie 
Carrey-Conte Députée (PS) 
de Paris Se passe-t-il quelque chose de nouveau à gauche  ? Le fait le plus marquant est à mon sens celui d’une gauche au pouvoir qui témoigne, plus que jamais dans les expériences passées, d’une profonde difficulté à agir durablement et efficacement sur le cours des choses.

Pourquoi  ? Parce que le contexte est indéniablement difficile, marqué par une crise économique majeure, par la situation dramatique laissée par dix années de droite au pouvoir.

Mais aussi de par une absence de volonté politique sur plusieurs sujets clés  : une loi bancaire inachevée, une réforme fiscale pourtant promise aujourd’hui écartée, des leviers de régulation auxquels on a renoncé, comme l’encadrement des rémunérations des grands dirigeants ou le ciblage a priori des aides aux entreprises… Ces éléments, au-delà d’affaiblir l’efficacité de nos orientations, contribuent à alimenter un sentiment d’impuissance du politique. Et ce, d’autant plus que la réaction est faible face à une souveraineté du pouvoir politique qui rétrécit  : les dogmes bruxellois gravés dans le marbre par le traité européen, qui régissent aujourd’hui nos choix budgétaires, amenuisent les marges de manœuvre des élu(e)s et entretiennent la petite musique du «  il n’y a qu’une seule politique possible  ». Cela peut être mortifère pour la démocratie, car si le vote des citoyens ne peuvent avoir d’impact sur des choix déjà écrits à l’avance, alors se posera nécessairement la question de l’intérêt de la participation au suffrage universel…

Mais cette situation est aussi liée à la difficulté de la gauche au pouvoir à appréhender les défis de la période, et à construire des réponses adaptées  : quels nouveaux leviers actionner face à des inégalités de plus en plus structurées autour de la constitution des patrimoines  ? Quel modèle de développement nous permettra d’agir face aux défis climatiques, tout en réduisant les précarités  ? Comment s’assurer que la révolution numérique et le progrès technologique seront facteurs de mieux-être collectif et non d’aggravation des injustices  ? Quelle VIe République bâtir face à une crise démocratique caractérisée par une défiance vertigineuse des citoyens envers les politiques  ?

Telles sont quelques-unes des questions de notre temps. Et quand certains, pour y répondre, ne proposent que la reprise de vieilles solutions libérales, à base de baisse du coût du travail ou d’affaiblissement des protections collectives, on est à mille lieues de ce que devrait être une gauche moderne.

L’enjeu auquel est aujourd’hui confrontée la gauche est donc de trouver les moyens d’inscrire dans la durée son action de transformation. Cela implique de reconstruire dans la société un rapport de forces favorable au progrès social et aux projets collectifs. Car l’individualisme et le repli sur soi structurent aujourd’hui notre pays, et les solutions politiques de gauche ne peuvent se bâtir solidement sur un tel arrière-plan idéologique. Il faut donc remettre en mouvement tous les acteurs de la transformation sociale. Dans le champ syndical, associatif, le monde de la culture… comme dans le champ politique. Si le mouvement d’émancipation parlementaire qu’a représenté «  la fronde  » de députés socialistes, décidant de défendre des amendements pour des orientations alternatives, et d’exprimer des votes en désaccord avec le groupe majoritaire et le gouvernement, est indéniablement un fait inédit dans la Ve République, il faut aujourd’hui qu’intervienne, au-delà, un travail de rassemblement des forces de gauche, pas au nom d’un appel incantatoire à l’unité, mais autour d’un projet politique porteur de solutions partagées, incarnant une synthèse du XXIe siècle entre socialisme, écologie et démocratie.

- See more at : http://www.humanite.fr/face-la-deri...


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message