Grèce. La course d’endurance du gouvernement Tsipras

samedi 28 février 2015.
 

Miroir d’un difficile rapport de forces, un mois après la victoire électorale de Syriza, le plan 
de mesures présenté par Yanis Varoufakis à Bruxelles ménage des interstices qui devraient permettre d’engager certaines des réformes les plus urgentes pour soulager le peuple grec.

Ses interlocuteurs européens auront maintenu, jusqu’au bout, une incroyable pression sur le gouvernement Tsipras, usant tour à tour de la menace et du chantage. Après l’accord conclu vendredi à l’Eurogroupe sur l’extension de l’accord de prêt liant Athènes à ses créanciers, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a transmis hier à Bruxelles, au terme d’une usante négociation, la liste des réformes sur lesquelles la Grèce s’engage et qui doit «  encore être précisée et arrêtée fin avril  ». Miroir d’un difficile rapport des forces en 
Europe, ce «  programme  » ménage des interstices, des espaces «  d’ambiguïté constructive  », selon les termes d’un membre du gouvernement grec, qui, sans lui laisser les mains libres, devraient permettre à Tsipras d’engager certaines des réformes les plus urgentes pour soulager le peuple grec, victime d’une grave crise humanitaire. Ce compromis ne met toutefois pas fin à l’ingérence politique imposée à Athènes. Il n’est certes plus question de troïka, mais l’exécutif grec est contraint de «  travailler en étroit accord avec les partenaires et les institutions européennes, ainsi qu’avec le Fonds monétaire international  » pour «  prendre des mesures qui renforcent la viabilité budgétaire, garantissent la stabilité financière et favorisent la reprise économique  », en s’appuyant sur «  l’assistance technique  » européenne. Ce plan prévoit, côté recettes, un large volet consacré à la lutte contre la corruption, l’évasion et les exemptions fiscales. Si la pression sur les classes populaires n’est pas explicitement mise en cause, il est question de «  moderniser  » et de «  rationaliser  » le système d’imposition, «  sans impact négatif sur la justice sociale  ».

Soutien aux ménages les plus vulnérables

Sur le terrain budgétaire, Athènes devra «  améliorer la gestion des finances publiques  » et procéder au «  contrôle des dépenses publiques dans tous les domaines (par exemple l’éducation, la défense, les transports, les collectivités locales, les prestations sociales)  » pour «  identifier les mesures de réduction des coûts  ». Les dépenses de santé sont elles aussi soumises au «  contrôle  », mais sans préjudice de «  l’accès universel  » aux soins, sérieusement mis à mal par cinq années d’austérité. Le document précise ensuite que «  la Grèce s’engage à poursuivre la modernisation du système de retraite  », en limitant notamment les départs à la retraite anticipée. S’agissant des dettes privées, Yanis 
Varoufakis garde une latitude pour faire adopter, comme le prévoit la loi de salut social déposée à la Vouli, «  des mesures de soutien aux ménages les plus vulnérables qui sont dans l’incapacité de rembourser leurs prêts  » et assurer la protection de la résidence principale des familles en difficulté. Le chapitre consacré à la «  croissance  » est clairement destiné à empêcher Tsipras de stopper les privatisations en cours, comme celle du port du Pirée ou de la compagnie publique d’électricité Déi. «  Pour attirer les investissements dans des secteurs clés et utiliser les actifs de l’État de manière efficace, les autorités grecques s’engagent à ne pas revenir sur les privatisations déjà achevées. Lorsque le processus d’appel d’offres a été lancé, le gouvernement le respectera, conformément à la loi  », précise le compromis. Athènes est par ailleurs tenu d’examiner «  les privatisations qui n’ont pas encore été lancées, en vue de maximiser les avantages à long terme de l’État, de générer des revenus, de renforcer la concurrence (…), de promouvoir la reprise économique nationale et de stimuler les perspectives de croissance à long terme  », une formulation assez ambivalente pour permettre à Tsipras de mettre fin à la politique de bradage du patrimoine de l’État grec. Concernant le marché du travail, les autorités grecques pourront s’appuyer sur «  l’expertise et la contribution de l’Organisation internationale du travail (OIT)  », organisme qui critiquait sévèrement, dans un rapport publié en décembre 2014, les atteintes aux droits des travailleurs et les reculs sociaux consécutifs à l’ajustement structurel. Le principe d’une hausse du salaire minimum est préservé, même si cette mesure est conditionnée à la préservation de la «  compétitivité  » et son calendrier soumis à la «  consultation des partenaires sociaux, des institutions européennes et internationales, dont l’OIT  ». Faire face à l’intégrisme libéral, une longue bataille

C’est surtout sur le terrain de la lutte contre la crise humanitaire que le gouvernement grec conserve une marge de manœuvre, avec l’objectif de «  répondre aux besoins découlant de la hausse récente de la pauvreté extrême (accès insuffisant à la nourriture, au logement, aux services de santé et à la fourniture d’énergie)  ». Terrible reflet de l’intégrisme libéral des «  partenaires  » auxquels la Grèce doit faire face, le document ajoute qu’il faudra «  veiller à ce que la lutte contre la crise humanitaire n’ait aucun effet financier négatif  ». À Athènes, hier, on mesurait la distance entre ce compromis, arraché à un contre dix-huit, et le programme de Thessalonique défendu par Alexis Tsipras durant la campagne électorale. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Sakellaridis, invitait plutôt à comparer la lettre de Yanis Varoufakis à celle adressée en novembre à la troïka par le précédent ministre des Finances, Gikas Hardouvelis (voir l’Humanité du 23 février 2015). «  Nous sommes au début d’une bataille longue et difficile. Ce n’est pas un sprint, c’est une course d’endurance, a-t-il expliqué. Nous ne pouvons pas, en trois semaines, en nous battant dans des conditions si défavorables, remporter des victoires sur tous les fronts. L’accord de la semaine dernière était une étape importante.  » Principale avancée, selon ce jeune économiste, la mise en cause, dans le texte adopté le 20 février à l’Eurogroupe, de l’objectif irréaliste de dégager un excédent primaire (hors service de la dette) de 3 % du PIB. Cette évolution devrait redonner au gouvernement grec une certaine respiration budgétaire pour affronter la crise sociale et amorcer une politique de relance. Au sein même de Syriza, pourtant, des inquiétudes et des critiques s’expriment sur un compromis jugé trop éloigné des engagements de la gauche radicale. Hier, Alexis Tsipras a rendu visite au célèbre compositeur Mikis Theodorakis, qui l’exhortait, après le cri d’alarme du résistant Manolis Glezos, à «  dire “non” au “nein”  » du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble. Dans l’aile gauche du parti, ça tangue. L’idée d’un référendum fait son chemin. «  Nous avons de profondes inquiétudes  », écrivait lundi sur son blog l’économiste Costas Lapavitsas, en relevant que «  la Grèce s’est engagée à satisfaire pleinement et en temps opportun toutes ses obligations financières envers ses partenaires  ». Incompatible, selon lui, avec l’annulation partielle de la dette défendue par Syriza. «  La partie de poker est serrée. Sans être maximaliste, on est loin du programme de Thessalonique. L’austérité n’est pas stoppée, regrette une ancienne dirigeante de Syriza. Au vu du rapport de forces, pouvait-on faire autrement  ? La question se pose. Mais on ne peut pas exiger de la Grèce qu’elle se brûle, seule, les doigts. Nous avons gagné quatre mois de répit. Il faudra les mettre à profit pour mobiliser les citoyens, dans le pays et en Europe.  »

Rosa Moussaoui


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