Quelle réponse politique face à l’ascension nationale-populiste du FN  ?

dimanche 29 mars 2015.
 

Après les 25,24 % des votants du premier tour, les points de vue de Stéphanie Roza, professeure 
de philosophie politique, d’Alain Hayot, sociologue, membre 
de la direction du PCF et René Monzat, journaliste 
et militant antifasciste.

Une alternative aux replis communautaires par Stéphanie Roza, professeure 
de philosophie politique

L’heure n’est pas à hurler au fascisme  : oui, le FN a changé, il a notoirement changé de stratégie. Avant de se précipiter pour faire tomber d’hypothétiques masques et dévoiler la face hideuse de la bête immonde aux yeux d’un peuple qui comprend de moins en moins bien un tel langage, la gauche radicale doit se pencher sur ces transformations, les analyser sans complaisance, mais sans l’hystérie qui trop souvent tient lieu de politique antifasciste. Le FN n’a pas seulement changé par un phénomène naturel de remplacement par lequel, aux nostalgiques de Vichy et aux tortionnaires de la guerre d’Algérie, se substitue peu à peu une génération de politiciens toujours réactionnaires, toujours nationalistes, mais également opportunistes, technocrates…, en un mot, plus «  classiques  ». Les crânes rasés, les croix gammées, les amateurs de ratonnades n’ont certes pas disparu, mais ils se sont faits plus discrets. Ils font même l’objet de mesures disciplinaires parfois radicales. Des mesures d’affichage  ? Sans doute. Mais qui disent quelque chose d’essentiel, pour qui sait l’entendre, des objectifs actuels de ce parti qui, désormais, se rêve sous les ors de la République. Qui, une fois au pouvoir, appliquerait bien évidemment une politique rétrograde, xénophobe, mais ne mettrait personne dans des chambres à gaz. Ni même n’abolirait, vraisemblablement, le suffrage universel.

Le FN brigue le pouvoir dans une situation qui n’a pas grand-chose à voir avec celle des années 1930. Il ne dispose pas de centaines de milliers de partisans en uniforme prêts à saccager les permanences des partis de gauche, à en assassiner les militants, à en disperser les meetings. Il dispose, en revanche, d’une base de millions d’électeurs qui, pour la plupart, ne sont pas même prêts à se déplacer à une de ses réunions publiques, mais qui ne comprennent ni n’approuvent ce qu’est devenue la France d’aujourd’hui. Qui sont remplis de méfiance et de préjugés. Qui se sentent bafoués et trahis. Et qui se vengent de tous et de tout en glissant discrètement un bulletin dans l’urne. De ces électeurs, des petits Blancs, pour la plupart, mais aussi désormais des juifs, des Arabes, des Noirs (qui l’eût cru), on a tiré des portraits divers, et qui tous contiennent une part de vérité  : petits employés barricadés dans des pavillons dont ils peinent à rembourser le crédit et qui n’ont de l’Autre que l’image renvoyée par un écran de télévision ou d’ordinateur  ; chômeurs des territoires saccagés par la désindustrialisation, emplis d’un sentiment de relégation  ; petits patrons néo-poujadistes et racistes.

Aux opprimés parmi eux, la gauche radicale devrait avoir des choses à dire et à proposer  : pour eux, elle devrait substituer à la confusion idéologique et aux stigmatisations une explication rationnelle des causes historiques et économiques de la désagrégation du tissu social, de l’agonie des solidarités, de la montée de l’individualisme consumériste  ; proposer une alternative aux replis communautaires en promouvant une société basée sur l’égalité, le progrès culturel, la mixité  ; mettre fin au désespoir en redessinant la perspective d’un avenir collectif meilleur. Mais, pour cela, encore faudrait-il être, face au FN, «  en ordre de marche  »… comme dirait Marine Le Pen. Or la gauche de la gauche est dans un état préoccupant. Déchirée par des dissensions d’appareils, incapable d’ouvrir un vrai et vaste débat sur des sujets brûlants comme la souveraineté nationale, la laïcité, l’école, la forme parti. Incapable de trancher ces questions, de dégager une majorité et de défendre un minimum de positions communes. Manquant d’unité, de contenu idéologique clair, et finalement de courage politique, la gauche de la gauche, depuis la chute du mur, n’en finit plus de se chercher. Trouvons-nous donc enfin, avant qu’il ne soit trop tard.

Une contre-offensive qui redonne l’espoir par Alain Hayot, sociologue, membre 
de la direction du PCF

Si les médias écrivent la chronique d’une irrésistible ascension de Marine Le Pen vers 2017, pouvons-nous considérer qu’ils en sont responsables  ? Si Valls et Sarkozy tentent d’instrumentaliser à leur profit le FN, est-il sérieux de réduire le poids du lepénisme, dans les esprits et dans les urnes, à leurs comportements irresponsables  ? Regardons la réalité en face, le FN est au centre de la vie politique. Il faut lancer une contre-offensive pour reprendre la main politique, idéologique et culturelle face à lui. Pour en définir les contenus, rappelons que l’influence actuelle du FN est le symptôme de trois séries de causes. Celles qui renvoient à la durée et à l’ampleur d’une crise à l’origine d’un vaste processus de désocialisation, de pertes de repères et de replis sur soi, de violence et d’obscurantisme, de divisions, de racisme et de sexisme. Celles qui renvoient à la fracture démocratique excluant des millions de gens, notamment les jeunes et les plus pauvres, de tout exercice citoyen, leur donnant le sentiment de n’être plus écoutés. Celles qui renvoient à la crise de sens qui affecte notre société. Les politiques libérales, en France et en Europe, ont détruit l’espoir d’une vie meilleure. Mais la difficulté de la gauche de transformation à construire une alternative crédible contribue à désespérer et à démobiliser.

La banalisation des idées lepénistes et l’hégémonie qu’elles exercent désormais sur la droite permettent à ce courant, que j’ai qualifié de «  national-populiste  » (1), d’être entendu, largement au-delà de sa mouvance, par tous ceux qui ont légitimement peur de l’avenir et qui ne voient pas d’autre issue que le repli. Cela lui permet aussi de s’affirmer comme le seul opposant à la politique gouvernementale et, au-delà, comme une alternative au libéralisme. En réalité, il veut lui substituer une autre vision du capitalisme destinée à en assurer la perdurance. Une vision nationaliste, autoritaire et antisociale, raciste, sexiste et homophobe, se référant aux valeurs prétendument «  naturelles  » de la famille patriarcale et à une «  identité ethnique  » dite de «  souche  » comme si les êtres humains étaient des arbres, incapables d’inventer leur propre histoire. Comment mettre en échec le «  national-populisme  »  ? En premier lieu, en menant sur le terrain des combats indissociables  : en renouant les liens de solidarité dans les entreprises et dans la cité en politisant les enjeux et les luttes, en reconstruisant ainsi une nouvelle conscience de classe. Ainsi, dans les cités, ne faut-il opposer les «  identités  » ou faut-il unir dans l’action en repensant le combat pour l’égalité de tous, quelles que soient les générations, les origines ou les religions  ? Ainsi, dans les entreprises, faut-il exiger l’expulsion des travailleurs détachés ou faut-il se battre avec eux pour l’égalité des droits de tous les salariés  ?

Il s’agit aussi de mener une grande bataille d’idées pour déconstruire les thèses nationales-populistes. Ainsi de la nation, que nous voulons libre, ouverte et fraternelle  ; ainsi de la mondialisation que nous voulons coopérative, solidaire et pacifique  ; ainsi de la laïcité qui ne peut être un ensemble d’interdits mais un outil d’émancipation  ; ainsi de la République, paravent de haine des pauvres et des étrangers pour le FN, alors que nous la voulons généreuse et citoyenne… En second lieu, il faut s’atteler à la co-élaboration citoyenne d’un nouveau récit émancipateur où l’humain prime sur le profit. Il faut réinventer la gauche, redonner espoir et faire rêver à nouveau autour d’un projet mobilisateur. Un projet qui croise l’espérance communiste à la justice et le rêve féministe à l’égalité  ; l’ambition d’un développement durable et solidaire et l’impératif écologique à faire de la planète un bien commun  ; l’aspiration de chacun-e à libérer son rapport au travail, au temps, au savoir et l’utopie d’une mondialité culturelle qui mette en relation toutes les cultures  ; enfin une révolution citoyenne qui permette à chacun-e de décider, du local au global. Là se situe sans aucun doute le cœur de la contre-offensive car c’est en éclairant l’avenir que nous nous garderons de la barbarie.

(1) Lire Face au FN, la contre-offensive, 
Éditions Arcane 17, 2014.

Construire un « nous » populaire par René Monzat, journaliste 
et militant antifasciste

La partie, en France comme en Europe, se joue entre trois courants fondamentaux. D’abord, les identitaires, pour qui l’acteur de l’histoire est constitué par un groupe défini par des différences ethniques ou culturelles héritées, servant de fondements à une inégalité à préserver. La volonté politique du «  peuple  » est déléguée par plébiscite aux chefs populistes-identitaires. Ils jouent le clash des civilisations entre une Europe blanche judéo-chrétienne et un islam, ennemi tant extérieur qu’intérieur. En deuxième lieu, les libéraux, pour qui l’histoire est un théâtre sans acteurs. Le marché tient lieu de projet, les inégalités se produisent naturellement, la démocratie ne doit pas entraver le marché. L’Europe est une zone de libre-échange atone. Et enfin, les «  éco-socialistes  », qui s’identifient à un «  peuple  » construit dans la mobilisation des catégories sociales subordonnées, qui défendent un projet d’émancipation, d’égalité, de démocratie, un projet européen de maîtrise collective de l’évolution sociale.

Ce qui était appelé gauche explose actuellement entre ces trois logiques  : l’achèvement de la mue libérale entamé quand, en disant  : «  l’État ne peut pas tout  », Jospin signifiait  : «  Personne ne peut rien devant la loi du capital  »  ; un ralliement sous une rhétorique laïque ou féministe à la poussée identitaire  ; et, la très difficile construction d’une alternative éco-socialiste par le Front de gauche, la gauche radicale. Une configuration potentiellement majoritaire se fait jour dans laquelle un bloc d’idéologie identitaire occidentaliste réussit à regrouper une large fraction des couches populaires contre les ennemis non blancs, non catholiques  ; un courant libéral dévoué aux intérêts du capital échange du sécuritaire en direction du bloc identitaire contre un soutien politique afin de rester au pouvoir. Libéraux et identitaires restent distincts car seul le maintien affiché d’une tonalité sociale et antilibérale des courants identitaires leur permet de bénéficier d’un soutien de couches populaires.

Face à ces évolutions, les courants partisans d’un éco-socialisme ne survivront en tant qu’acteurs nationaux et européens qu’à condition d’affirmer une forte volonté politique et une forte personnalité idéologique. Ces courants devront assumer des batailles idéologiques, dans la société dans son ensemble, mais aussi au sein même de la «  gauche  ». La première, l’égalité et la volonté politique s’opposant au marché, est une bataille contre le bloc libéral. Elle ne peut se mener en alliance avec les identitaires. La seconde, l’égalité au lieu de l’apartheid, est une bataille contre les identitaire qui ne peut se mener avec le Medef. Ces courants devront «  construire  » le peuple. C’est-à-dire construire dans l’action un «  nous  » politique pour une transformation sociale radicale et égalitaire de la société et non un «  nous  » identitaire construit dans l’apartheid vis-à-vis des autres. Construire ce «  nous  » populaire est la seule possibilité de regagner les fractions du peuple basculant à droite. Cela implique donc de mener la bataille culturelle vis-à-vis des adaptations «  de gauche  » au repli identitaire, celles qui exigent de pérenniser l’apartheid politique et social de la gauche vis-à-vis des organisations musulmanes, et qui soutiennent les mesures d’exclusion de femmes pieuses de l’université ou du marché de l’emploi. L’acceptation des politiques d’austérité, les compromissions avec les enjeux identitaires et l’acceptation de l’apartheid, plus que des fautes morales, sont des erreurs politiques qui facilitent le basculement des couches populaires vers les populistes xénophobes.

Que l’extrême droite n’ait plus de beaux jours devant elle, cela dépend de nous.


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