Les États-Unis, ou les gardiens de la démocratie par la force

lundi 30 mars 2015.
 

Je n’ai jamais cru en l’existence de gardiens de la démocratie. Je suis contre le fait d’avoir un gendarme protecteur qui prévient que, selon son point de vue, les limites du politiquement correct ont été dépassées. Je refuse depuis toujours les discours paternalistes et prétentieux, emplis de conseil manichéens et montrant les dangers de la ratification de projets anti-impérialistes, démocratiques et socialistes. C’est toujours la même chose ; sous le banal « je vous ai prévenu », les États-Unis ont agi pour protéger leurs intérêts et celui de leurs associés, les oligarchies hispano-américaines.

Depuis le XIXe siècle, aucun continent ne leur résiste. En Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique Latine, ils n’ont jamais hésité à mener, subventionner et parrainer des actions déstabilisatrices lorsque les gouvernements élus ne leur plaisaient pas et s’opposaient à eux. Parfois, il a suffi pour cela à la Maison Blanche de rédiger une lettre pour réclamer le paiement immédiat de dettes. D’autres fois, ils sont allés plus loin, en refusant des prêts, en mettant des obstacles aux exportations ou en fermant le flux d’investissements préalablement accordés. Ainsi, les pressions se sont transformées en sanctions lorsque ils n’obtenaient pas les résultats attendus, en d’autres termes faire plier la volonté souveraine des peuples. L’éventail couvre tous les espaces des structures du pouvoir:des sanctions économiques, politiques, diplomatiques, sociales et culturelles. Le blocage de comptes bancaires, la paralysie des importations, les accords bilatéraux de coopération et l’échange de technologies cherchent à générer le chaos, l’inflation, la rupture de stocks et la suspension de la production.

D’autre part, les sanctions politiques ont pour coutume d’avoir un impact immédiat sur le terrain de l’opinion publique mondiale et elles influent sur les relations internationales bilatérales et multilatérales. Les mesures consistent à expulser le personnel diplomatique, à refuser des visas et à promouvoir des résolutions condamnatoires, au motif – pour le cas du Venezuela – que le pays en question met en danger la paix interne, en divisant ainsi le pays et l’ordre régional ; en génèrant un conflit entre pays frères, ou encore en mettant en péril l’ordre mondial en hébergeant des terroristes et des narcotrafiquants. Pour le dire autrement, le gouvernement selon l’establishment des États-Unis, ne respecte pas les standards de la démocratie dessinée par le Pentagone.

Pour faire la publicité de leurs sanctions publiques, ils disposent de tout un dispositif international appartenant aux multinationales de la communication. CNN, Efe, BBC, Rai, Reuters et France Presse, pour n’en citer que quelques-uns ; sans oublier les chaînes de télévision, la radio et la presse écrite qui dans chaque pays reproduisent matin midi et soir, le récit appelé à rompre l’ordre légitime. Le discours ne change pas. Le but est de qualifier un gouvernement élu, démocratique et respectueux de son ordre constitutionnel de gouvernement totalitaire qui poursuit l’opposition, emprisonne ses dirigeants, torture et rejette les règles du jeu démocratique.

En Amérique Latine, les exemples fourmillent. Pendant la Guerre Froide, le Guatemala, Cuba, le Chili, le Brésil, la Bolivie, le Panama, le Nicaragua, le Pérou, l’Uruguay, l’Argentine ou le Paraguay ont fait l’objet de cette machination. Après la Guerre Froide, d’autres pays sont devenus les victimes privilégiées du harcèlement nord-américain : le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie sont des exemples de pays qui maintiennent leur projet malgré les pressions, les sanctions et les blocus. Le Honduras et le Paraguay n’ont pas eu la même chance. Les coups d’État ont triomphé sous le regard attentif du Département d’État.

La Stratégie de la tension amène aussi avec elle des tensions militaires : des manœuvres entre les forces armées des pays frontaliers et de la flotte nord-américaine. L’objectif subsiste : montrer leur soutien aux groupes putschistes, leur faire savoir qu’ils sont leurs amis et, par la même occasion, envoyer un message clair : les États-Unis sauront récompenser leurs fidèles serviteurs. Il suffit de se rappeler les dictateurs d’Amérique Centrale de la moitié du XXe siècle. Dans cette manœuvre enjôleuse, les ambassades jouent un rôle fondamental. Les attachés militaires et membres des services d’intelligence établis dans le pays se mettent à articuler les secteurs enclins au putsch militaire. On met en contact des militaires ambitieux, mécontents de la politique des avancements ou complètement opposés aux projets populaires anti-oligarchiques. On les cajole et on leur offre des privilèges. Des avancements, des entraînements dans des académies de guerre aux États-Unis, ou on les achète avec des dollars ou des prostituées.

Les pressions, sanctions et actions destinées à déstabiliser les gouvernements marquent la frontière créée par les États-Unis pour identifier l’ami qui accepte les conseils et qui revient à l’enclos, sous le regard attentif du pasteur guidant son troupeau ; le différenciant de l’ennemi, démon à poursuivre, excommunier et éliminer. Le destin de la brebis galeuse sera son sacrifice, et le sang versé, le prix à payer pour avoir osé ne pas vouloir faire partie du troupeau.

En d’autres termes, les États-Unis s’autoproclament juge, rédacteur des règles du jeu, arbitre et public et considèrent qu’ils ont suffisamment de légitimité pour modifier ces règles, expulser les joueurs et déclarer vainqueur l’équipe qu’ils préfèrent, en fonction de leurs intérêts. Dans une comparaison footballistique, il s’agirait d’aller sur le terrain en sachant d’avance que le match est perdu et que la seule façon de le gagner est de perdre sa dignité et d’accepter les miettes d’un triomphe bâtard. Et même ainsi, ils n’y arrivent pas toujours. C’est en cela que consiste la lutte pour la démocratie, faire face à la vanité et ne pas se laisser asservir. C’est une tâche certes difficile, mais pas impossible.

Marcos Roitman Rosenmann * pour La Jornada

La Jornada. Mexique, 15 mars 2015.

* Marcos Roitman Rosenmann est un universitaire, sociologue, analyste politique et essayiste chilien né à Santiago de Chile en 1955. Depuis 1974, il réside en Espagne. Il est Docteur en Sciences Politiques et en Sociologie à l’Université Complutense de Madrid. Il est également professeur titulaire en Structure sociale d’Amérique Latine, en Structure sociale contemporaine et en Structure sociale d’Espagne à la Faculté de Sciences Politiques et de Sociologie de l’Université Complutense de Madrid.


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