Agences de notation Le 4e membre de la Troïka

mardi 21 avril 2015.
 

Après la crise de 1929, le gouvernement des États-Unis reproche aux agences de notation leur faillite : elles n’ont pas prévu le choc systémique. Aussitôt, elles élargissent leurs compétences et englobent la notation de dettes publiques. La Grèce constitue (déjà) une cible. Le premier ministre grec, Vénizélos, est un modéré de centre-gauche. Le cycle infernal démarre : les agences dégradent, les taux d’intérêt s’élèvent, l’exportation agricole s’écroule, les impôts sont augmentés pour compenser le budget public, les changes placés sous contrôle, la drachme en cours forcé, les remboursements extérieurs annulés. Vénizélos est renversé, et le roi nomme le général fasciste Metaxas à la tête du gouvernement.

Moody’s est une des trois agences ango-saxonnes privées, avec Standard and Poor’s et Fitch’s rating. Au départ, elles évaluaient la solvabilité des entreprises et collectivités. La note qu’elles attribuent constitue un signal, à destination des prêteurs. Les entreprises elles-mêmes paient pour être notées – un peu comme le pharmacien qui paierait un médecin pour des prescriptions… On réalise à quel point ce mode de financement rend inévitables les conflits d’intérêt et l’opacité du travail d’évaluation. Les agences notent également, à côté, les États. La question est bien entendu politique, et pas technique, puisque les critères sont subjectifs.

Vendre la Grèce

Les agences de notation sont très loin de représenter la voix de la raison économique. Certes, pour une entreprise privée, aux informations dissimulées stratégiquement, leurs analyses sont parfois censées. Mais dans un État aux statistiques publiques, à quoi bon ? En réalité, il s’agit d’imposer une lecture particulière (privilégier les taux d’investissement aux taux de pauvreté pour « mesurer » la stabilité du pays) ou de s’ingérer dans les choix politiques. Par ailleurs, la dégradation des économies étasuniennes ou japonaises avait conduit à une baisse des taux, c’est-à-dire à un meilleur accès au crédit ! Il s’agit d’un jeu de prophéties auto-réalisatrices, plus proche de la divination astrologique que de l’étude sérieuse.

Ainsi, BNP Paribas Fortis (Belgique) a-t-elle vendu jusqu’en décembre 2009 des obligations grecques en « risque un », le plus sûr, afin de s’en débarrasser avec un bon rendement. Dans l’affaire, il s’agit uniquement d’un jeu d’écriture entre banques, qui spéculent afin de maximiser leur profit. Les obligations du trésor jouent le même rôle que des tonnes de patates ou des cargaisons de sardines : une marchandise comme les autres.

Haro sur la Grèce

Après l’arrivée au pouvoir de Syriza, trois ennemis principaux se sont distingués. L’Union européenne, le FMI, la Banque Centrale Européenne indépendante, et les agences de notation qui représentent les intérêts du capital financier. Elles ont agi de concert pour empêcher Syriza d’appliquer le programme sur lequel elle a gagné : renégociation de la dette faramineuse (et toujours en expansion) du pays, remplacement des plans d’ajustement structurel autoritaires par des mesures de relance et d’élévation du niveau de vie. Ces deux politiques sont nécessaires pour envisager une résolution de la crise de la dette. Premièrement, rendre la Grèce à nouveau solvable, donc capable de régler ses dépenses. Deuxièmement, rendre la Grèce à nouveau souveraine, donc capable d’opérer démocratiquement les choix nécessaires pour ce règlement.

Le 29 janvier, des premières menaces ont salué l’élection d’Alexis Tsipras. Standard and Poor’s lance l’offensive le 6 février. Elle dégrade de B à B- la note souveraine du pays (à cinq crans d’une note D, « défaut de paiement »), tout en gardant une « mise sous surveillance négative ». « Le temps dont dispose le nouveau gouvernement grec s’est réduit en raison de contraintes de liquidités (…) si les discussions avec les créanciers se prolongeaient, cela pourrait accentuer la pression sur la stabilité financière du pays » annonce S&P. A la suite, Moody’s place sous surveillance négative les obligations d’État, en annonçant une perspective de déclassement. Le « degré élevé d’incertitude (et ses) implications négatives sur la capacité de la Grèce à faire face à ses besoins de financement et de liquidités » est invoqué par Moody’s… laquelle n’hésitait pas, en août dernier, à parler d’amélioration pour rehausser de deux crans la note grecque. Un yoyo pervers.

Alliées de la Banque Centrale Européenne

Avant que le nouveau gouvernement ne prenne de décision majeure, alors que le cadre macroéconomique demeurait inchangé, les agences ont choisi leur camp : déstabiliser un gouvernement anti-austérité. Au lieu de juger sur pièce, les agences de notation opèrent des choix politiques.

Leurs anticipations constituent des marques de soutien ou d’hostilité aux gouvernements. Ces marques ont des conséquences politiques radicales, alors que la Grèce s’est engagée à rembourser 16 milliards d’euros en 2015. Une détérioration de la situation économique rendra bien entendu plus compliqué le remboursement – et c’est là le but.

Alliées de la Banque Centrale Européenne

Ces agences assistent ici la BCE. Alors que cette dernière n’accepte plus de titre d’emprunt grec, et a recommandé aux banques privées grecques de ne pas refinancer le gouvernement, les agences de notation volent à son secours. Comme des vautours, elles fondent sur le pays avec des discours alarmistes, afin d’accélérer les retraits bancaires, faire flancher les investisseurs, retarder les projets des entreprises, inciter les citoyens à conserver leur argent de côté. La troïka a trouvé son quatrième membre, empressé d’accroître la pression sur la Grèce durant les négociations européennes, afin de lui faire perdre pied et affaiblir sa position, la rendre dépendante de crédits internationaux. Les agences ne sont pas des auxiliaires techniques, mais des sujets politiques du néo-libéralisme.

Le pillage continue

En effet, si la Grèce a été saignée, cette hémorragie économique l’a amené à un stade d’excédent budgétaire primaire. Une très bonne nouvelle : chaque année, les dépenses publiques sont inférieures aux recettes. Dans l’absolu, le pays pourrait désormais se passer d’endettement public.

Pourtant, en conséquence de la dégradation par les agences, elle subit des taux d’intérêt de 9 %. Cela représente 23 fois le taux français ! Alors que cette dernière est en déficit, et emprunte à 0,4 %. Les banques grecques le matin sont abondées à 0,1 %, presque rien, et demande 90 fois plus à la Grèce, en s’appuyant sur des mauvaises notations. Du vol à l’état chimiquement pur. Bien entendu, les taux d’intérêt à 9 % servent, dans un second temps, à justifier la dégradation… qui a conduit à une hausse des taux dans un premier temps.

Mercenaires du néo-libéralisme, les agences de notation sont à l’affût de tout gouvernement démocratique, afin de maintenir le régime de servage actuel : aux contribuables grecs et européens de payer, en salaire et en travail, aux banques européennes d’empocher.

Hadrien Toucel


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