RUPTURES ( texte Gauche Socialiste pour le 4ème Congrès du M.J.S. à Tours les 17, 18 & 19 décembre 1999)

lundi 11 avril 2005.
 

SOMMAIRE

Introduction : Demain n’est pas écrit !

Première partie : le nouvel âge du capitalisme

A . La logique du nouvel âge

1 . Une nouvelle strate du capitalisme domine

2 . Les nouveaux maîtres du monde

3 . Le salarié kleenex

4 . Le “stade suprême du nouvel âge” : le millenium round de l’OMC.

B . La jeunesse au coeur de la tourmente

1 . Une rupture de trajectoire : la crise de l’avenir

2 . Les nouvelles gueules noires : l’apprentissage forcé de l’exploitation

3 . La bataille idéologique

C . L’impuissance de la sociale démocratie

1 . Les inégalités explosent malgré les sociaux démocrates

2 . Dire n’est pas faire

3 . Notre rôle : construire l’alternative

L’actualité du socialisme comme alternative

Deuxième partie : Pour la rupture, le réformisme radical

A . La révolution scolaire

1 . L’école des inégalités

2 . Changer l’école

B . La République métissée

1 . Casser les ghettos

2 . Construire la République métissée

C . Un vrai statut pour tous les jeunes

1 . Contre la société minimum : un statut pour tous

2 . Faire reculer massivement la précarité

3 . Vers la civilisation du temps libéré

D . Refaire le monde

1 . En Europe, la révolution démocratique

2 . Désarmer les marchés

3 . OMC : refuser le “laissez faire, laissez détruire”

4 . Un nouveau modèle humain : le développement durable

Troisième partie : Plan d’action national

Construire un outil pour la jeunesse : un cours nouveau pour le MJS

A. Pourquoi faut-il imprimer au MJS un cours nouveau ?

1. L’échec d’une démarche...

2. ... à mille lieues de l’autonomie

B. Cours nouveau pour le MJS

1. Nouveau programme

2. Nouvelles méthodes

3. Nouvelle conception du mouvement

4. Nouveau fonctionnement

Adresse à tous les adhérents

Introduction : Demain n’est pas écrit !

L’ordre du monde

Au Mexique, pour se prémunir de la seule protection sociale en vigueur (une petite indemnité pour congés maternité), les contremaîtres des usines exigent des ouvrières qu’elles leur montrent chaque mois leurs serviettes périodiques afin de prouver qu’elles ne sont pas enceintes. Les capitaux affluent vers le Mexique : d’après Jacques Chirac, c’est une « terre d’opportunité pour les investissements ».

Au Pakistan, l’ouvrier qui coud à la main des ballons de foot pour 1,50 F pièce est un enfant de moins de 12 ans une fois sur quatre. Nike a délocalisé la fabrication de ses ballons de foot au Pakistan. Prix affiché chez Décathlon : 280 F.

Dans le monde, 250 millions d’enfants travaillent, plus d’un milliard de personnes vivent avec moins d’un dollar par jour, et 840 millions d’individus souffrent de malnutrition. Dans le même monde, il n’aura fallu que 4 ans entre 1994 et 1998, pour que le patrimoine net des 200 personnes les plus riches passe de 400 à 1042 milliards de dollars.

Le règne sans partage des inégalités

Cet ordre du monde a érigé un mur entre les pays : celui qui sépare riches et pauvres. C’est ainsi que le cinquième le plus riche de la population mondiale vivant dans les pays les plus riches se partage 86% du PIB mondial contre 0,9% pour les plus pauvres. C’est ainsi que les 200 personnes les plus riches du globe ont une fortune égale au revenu annuel des 2,3 milliards les plus pauvres.

Et ce mur se moque bien des frontières. Il coupe tous les pays en deux, même ceux dont les économies dominent le monde. Aucun hasard donc si les Etats-Unis en fournissent l’illustration la plus spectaculaire : 1% de la population reçoit autant de revenus que les 38% les plus pauvres et 10% des familles les plus riches disposent de 70% du revenu national. En France, les 5% des ménages les plus riches détiennent près de 30% des patrimoines et, à eux seuls, 1% des ménages les plus riches possèdent 20% des actifs.

Le mur des inégalités contre le progrès générationnel

Du coup, c’est l’idée même de progrès qui bute sur ce mur des inégalités. Pour la première fois depuis bien longtemps, la majeure partie des jeunes de notre pays s’attend à vivre « moins bien » que leurs parents.

La certitude que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, la confiance en l’avenir pour améliorer sa propre condition s’amenuisent pour finir par disparaître à mesure que le désordre libéral s’installe. Désormais, dans cette société inégalitaire, l’ avenir que l’on promet à la jeunesse se résume ainsi : la précarité pour quotidien et l’illusion d’une émancipation par la consommation pour horizon.

La jeunesse est bien au coeur de la tourmente. Pour le mesurer, les terribles chiffres du chômage des jeunes ou du travail précaire n’y suffisent pas. Ce qui compte au moins autant, c’est la déliquescence sociale et la décomposition mentale que traduisent les 180 000 tentatives de suicide des jeunes en France en 1998 et les milliers de jeunes enfermés en prison ou plongés dans la délinquance. Les conclusions sont terribles. A la veille de l’an 2000, les jeunes ne bénéficient plus de l’élévation du niveau de vie qu’ont connu leurs aînés, contrairement aux générations précédentes qui sont parvenues à mieux vivre que leurs parents.

La logique même du nouvel âge du capitalisme

Ces chiffres résument a eux seuls la logique même du nouvel âge du capitalisme : c’est la concentration de l’essentiel des richesses entre les mains de quelques-uns qui conduit au développement de la misère de masse. Si les pays dominants s’enrichissent autant, c’est parce que les bas-fonds de la mondialisation sont cantonnés à la pauvreté. Si les gros actionnaires de Michelin touchent de gros dividendes, c’est parce que ses salariés vont subir un plan « social ».

Le capitalisme de notre temps est un système dont la finalité ne souffre d’aucune ambiguïté : le profit maximum en un minimum de temps. Son mécanisme est simple : les richesses qu’il génère proviennent directement de l’exploitation de la majorité par une minorité et aboutit à la domination de quelques uns sur le reste de l’humanité.

Intrinsèquement, le capitalisme repose sur l’inégalité. Si les uns sont riches, c’est bien parce que les autres sont pauvres, les premiers devenant sans cesse plus riches et les seconds toujours plus pauvres.

Rompre ou subir

La conclusion que nous en tirons est qu’il est illusoire d’espérer modifier les effets du système si l’on n’a pas pour méthode et pour objectif son dépassement. Si l’objectif des socialistes n’est pas la rupture avec le système capitaliste et la construction d’une alternative, nous pensons que leur volonté de transformer le monde restera insatisfaite. Perdre cela de vue, c’est se condamner à s’enfermer dans la voie illusoire de l’accompagnement social de la mondialisation libérale.

Le retard pris dans ce combat est considérable. Le socialisme semble incapable d’offrir une voie alternative au capitalisme. L’impression dominante dans le monde entier, c’est qu’il n’existe qu’un seul système possible et que malgré son cortège d’injustices, il n’est pas possible de le remettre en cause. Aussi prolifèrent dangereusement sur cette impuissance du mouvement socialiste à proposer une alternative, l’intégrisme religieux, les barbaries du national-ethnicisme et la progression des communautarismes. Le Rwanda, le Timor, l’ex-Yougoslavie ou l’Afghanistan en sont les abominables exemples.

Plutôt que de fonder une stratégie de riposte qui affronte cette réalité, les sociaux-démocrates ont d’abord cru pouvoir contourner le problème en se contentant de gérer le système avec le moins de dégâts sociaux possibles.

C’est un échec. Depuis 1989 et la chute du mur de Berlin, la social-démocratie n’a guère avancé sur le chemin de l’alternative globale. Parfois même, elle a reculé. Le tristement célèbre manifeste Blair-Schröder, en théorisant l’impuissance et l’acceptation du capitalisme comme horizon indépassable, le démontre crûment.

L’alternative est possible

La tâche est donc immense, mais nous ne devons pas partir battus d’avance. Car des opportunités nouvelles s’ouvrent pour la lutte socialiste : les exploits scientifiques, l’interdépendance croissante des individus, les progrès de la prise de conscience des effets de la mondialisation ainsi que l’effondrement du stalinisme, qui discréditait l’idée même de rupture, en sont les évidentes manifestations.

Demain n’est donc pas écrit. Car notre génération ne peut accepter un tel héritage, à mille lieues des valeurs et des principes qui sont les nôtres. Il nous est possible d’imprimer au monde une autre marque que celle d’un système qui le pourrit. C’est Condorcet qui a eu le mot juste : “On ferait beaucoup plus de choses si l’on en croyait moins d’impossibles”.

Première partie

LE NOUVEL AGE DU CAPITALISME

Au regard de l’ordre du monde qui vient d’être rapidement décrit, disons le tout net : « la mondialisation heureuse » qu’évoquait il y a peu Alain Minc n’existe pas. Face aux inégalités et à la concentration des richesses, nul besoin d’avoir fait les grandes écoles pour comprendre que c’est bien un système qui est à l’oeuvre : le nouvel âge du capitalisme. Les inégalités qu’il produit sont telles qu’un ressuscité de la fin du 19e siècle retrouverait davantage ses marques aujourd’hui qu’au début des années 1960.

Nous proposons d’abord d’analyser la mécanique et les ressorts profonds de ce système pour le comprendre précisément. Car comprendre, c’est déjà agir.

A. La logique du nouvel âge

Le capitalisme a profondément muté ces 30 dernières années au point d’entrer dans un nouvel âge. D’industriel et national, il est devenu financier et transnational. Ce que certains préfèrent nommer pudiquement « mondialisation » ou « globalisation », nous l’appelons le capitalisme financier transnational.

1. Une nouvelle strate du capital domine

Le capitalisme financier transnational a des caractéristiques bien identifiées. Ce qui le caractérise en premier lieu, c’est la tutelle qu’exerce sur toutes les catégories d’activités la globalisation financière. D’abord, ce système est autonome par rapport à la production. Ses transactions n’ont aucun besoin de correspondre à des échanges réels. Celles-ci peuvent donc se dérouler sans mécanisme de régulation extérieur à elles-mêmes. Ensuite, il constitue un espace global hautement interactif où le capital circule en continu au moyen de produits financiers de plus en plus sophistiqués. Avec cette mutation du capitalisme s’est donc formée une nouvelle strate du capital, qui domine et imprime sa marque à l’ensemble du système : celle du capital financier transnational. Lequel système n’est pas sorti d’un oeuf. Bien au contraire, il est le résultat d’une volonté politique.

C’est en effet la sphère politique qui a pris plusieurs décisions marquantes et précises rendant possible l’émergence de ce nouvel âge du capitalisme : d’abord la dérégulation du système monétaire en 1971, ensuite la déréglementation des marchés financiers et enfin la montée en puissance progressive des fonds de pension qui alimentent la sphère financière.

La globalisation financière s’est donc peu à peu imposée grâce à l’interventionnisme actif des législateurs de chaque pays. Le volontarisme le plus systématique, dont on nous rebat les oreilles qu’il est condamnable en politique, règne pourtant en maître dès qu’il s’agit d’organiser un environnement normatif favorable au déploiement du nouvel âge du capitalisme. C’est ainsi que le capitalisme financier transnational s’est progressivement émancipé de l’ensemble des normes collectives, économiques, sociales et juridiques qui fondent l’existence de la vie en société.

Cet affranchissement total du capital de toute règle trouve son aboutissement dans la mise en place, au niveau européen, du Traité d’Amsterdam et du Pacte de Stabilité Budgétaire. A eux deux, ils forment une véritable constitution économique libérale. Juxtaposée à l’absence totale de pouvoir démocratique en Europe, cette constitution impuissante les Etats en les privant de l’usage de la politique budgétaire et monétaire. Ainsi, le capital peut mener à bien le rêve qu’il caresse depuis toujours : débarrasser la sphère économique de toute intervention politique.

Exonéré de toute contrainte, le capital financier transnational a pu imposer toutes ses exigences.

2. Les nouveaux maîtres du monde

Inévitablement, au nouvel âge du capitalisme correspond aussi un nouveau type de fonctionnement des entreprises : celui du despotisme des actionnaires . Car, sous le coup de fouet de l’interconnexion en temps réel des acteurs financiers, la mobilité des capitaux a imposé tout un appareil de contrôle qui conditionne la vie des décideurs.

Dans ces conditions, la norme impérative du profit financier maximum, le fameux « Return on Equity », c’est-à-dire le service de la rente aux actionnaires, s’impose comme préalable à toutes les décisions d’entreprise. C’est le règne de la « corporate governance ». Dans l’entreprise néo-libérale, la création de valeur pour les actionnaires est désormais l’unique souci présent dans l’esprit des dirigeants d’entreprise et des investisseurs institutionnels qui gèrent les fonds spéculatifs et les fonds de pension.

Voilà pourquoi, pour répondre aux exigences de rentabilité toujours plus élevées, les grandes entreprises sont contraintes de recourir à la taille critique. Ainsi, on assiste à la fois à un recentrage sur les activités les plus rentables à travers l’externalisation d’une partie de la production, d’une part, et à des mouvements de concentration, d’autre part.

La concentration se traduit par une recomposition mondiale du capitalisme avec une explosion des investissements directs à l’étranger en vue de fusions/acquisitions. Bilan : il y avait à peine 7.000 firmes multinationales en 1973. Elles sont plus de 70.000 en 1999. La monopolisation bat son plein, branche par branche.

Ces actionnaires rentiers sont bien les nouveaux maîtres du monde.

3. Le salarié Kleenex

Mais surtout, comme d’habitude, au bout de la chaîne des contraintes, c’est sur les salariés que se décharge toute la violence des tensions qu’un tel modèle porte en lui. Les salariés, qui sont de moins en moins protégés par le droit social puisque les Etats sont dépossédés de leur souveraineté, deviennent des salariés jetables. Ils s’assimilent à une simple variable d’ajustement qui varie au gré de l’évolution de la conjoncture et des profits.

Confrontés aux exigences de productivité et de profit maximum, pressurisés par les directions et obnubilés par la menace du chômage, ils sont sommés d’accepter une intensification du travail et une augmentation de sa pénibilité, lesquelles génèrent souffrance physique et mentale.

Mais ils ne doivent surtout rien dire : d’autres rêvent de prendre leur place, leur assène-t-on comme argument massue. Au contraire, qu’ils se réjouissent : la flexibilité, la souplesse et « l’adaptabilité », c’est la « modernité » !

4. Le “stade suprême du nouvel âge” : le millenium round de l’OMC.

L’OMC est une institution libérale dont le but clairement affiché est de transformer l’humanité en un gigantesque marché planétaire au nom du « libre » échange. Elle entend fixer les « règles » de la concurrence et étendre celle-ci à toutes les activités humaines, ouvrir l’accès de tous les marchés publics aux firmes transnationales et imposer un nouvel accord sur l’investissement (du type A.M.I).

L’OMC est une organisation hermétique. Ses travaux se tiennent à huis-clos. Les textes préparés demeurent confidentiels jusqu’à leur signature. La presse se contente des communiqués officiels, brefs et laconiques.

En fait d’organisation multilatérale, elle est le lieu clos d’énormes pressions des intérêts de quelques grosses firmes transnationales. Nul représentant des syndicats, pas plus que des consommateurs ou des citoyens ne siège à l’OMC.

Les négociations du Millenium Round constituent une nouvelle étape dans la marche forcée vers la libéralisation complète des échanges et la mise sous tutelle des Etats.

Traités après traités, les Etats se dépossèdent de toutes leurs prérogatives. Le pouvoir politique édicte des règles qui lui lient les mains, le rendent impuissant et lui interdisent à jamais d’intervenir dans la sphère économique. Bref, et à l’instar du Pacte de stabilité et du Traité d’Amsterdam, le vide démocratique prévaut : c’est la condition pour que le capital financier domine.

C’est par le biais de la déréglementation du commerce mondial que l’OMC démantèle des pans entiers des législations protectrices des droits de chaque individu à vivre dignement. Car, au fur et à mesure que cette institution oblige à la privatisation des services publics et à l’ouverture à la concurrence, ce sont de nombreuses législations protectrices des droits des citoyens qui sont balayées. L’OMC s’immisce ainsi dans presque tous les domaines de la vie : depuis la présence d’organismes génétiquement modifiés dans nos assiettes jusqu’au démantèlement des services publics de l’eau, des transports, de la santé, de l’éducation etc., en passant par le brevetage du vivant ou la destruction de la législation de protection des créateurs et auteurs européens. Et cette boulimie de marchandisation ne semble pas connaître de limites.

B. La jeunesse au coeur de la tourmente

1. Une rupture de trajectoire : la crise de l’avenir

Nous l’avons écrit dès les premières lignes de ce texte : ce système est capable des pires reculs de civilisation.

Le premier d’entre eux est que l’idée même de progrès entre les générations est loin de revêtir pour nous le même sens qu’y donnaient nos parents. Notre génération doute de l’avenir. Rien de concret ne lui indique qu’elle connaîtra meilleure insertion dans la société que la génération précédente. Souvent, c’est même l’inverse qu’elle semble percevoir. La dioxine, les OGM, le retour de la course aux armements, la montée vertigineuse des inégalités et des discriminations, les formes d’emploi dominées par la précarité auxquelles on destine de plus en plus de salariés et le constant recul de l’âge de l’accès à l’indépendance matérielle et morale sont là pêle-mêle pour le lui rappeler.

Les destins sont devenus chaotiques et hasardeux et les trajets de vie se lisent en pointillés. Beaucoup vivent «  au jour le jour ». Il faut dire qu’après les études il n’y a pas forcément un emploi. Que quand on en trouve un, il est souvent précaire ou même au noir. Et il faut dire qu’après un stage, il y a souvent un autre stage et qu’après un emploi-jeune, on ne sait toujours pas ce qu’il y aura.

Le taux de chômage des jeunes est plus élevé que celui de toutes les autres classes d’âge et les 15-30 ans sont les plus touchés par la précarité. Résultat : ceux qui parviennent à s’insérer dans la société le font de plus en plus tardivement, et de plus en plus de jeunes se retrouvent en situation de rupture et peuvent légitimement se demander si le jour de leur insertion finira par arriver.

Du coup, ce sont tous les compartiments de la vie qui sont touchés. L’accès toujours plus tardif à un logement indépendant de celui des parents et à une vie intime pleinement maîtrisée (moment de l’installation en couple, naissance du premier enfant), la montée vertigineuse de la violence des mineurs, la hausse impressionnante des suicides et de la consommation des drogues dures en sont les sordides exemples.

La jeunesse encaisse en pleine face la brutale logique du système.

2. Les “nouvelles gueules noires” : l’apprentissage forcé de l’exploitation.

Si les coups les plus rudes sont portés à la jeunesse, c’est pour que la société de marché s’accomplisse pleinement en faisant naître un nouvel homme docile et servile au système, si pressurisé et si précarisé que son potentiel de révolte contre l’injustice soit réduit à néant. Parce qu’elle est la société de demain, la jeunesse est une cible déterminante. La précarité, les discriminations et les obstacles à son insertion qu’elle subit ont pour finalité de la modeler aux exigences des règles du système. Si ce funeste objectif est atteint, ceux-là ne seront pas des salariés combatifs dans le futur : depuis qu’ils en ont l’âge, ils auront été habitués à courber l’échine et à baisser la tête. Aliénés au point même de ne plus comprendre de quel côté de l’exploitation ils se trouvent...

Certains pigistes à 3000F par mois ne pensent pas une seule seconde appartenir aux classes populaires : pensez-donc, ils sont journalistes...

Exploités et aliénés, les jeunes ne pourraient plus nourrir dans le futur qu’une révolte émoussée contre la vie débridée que leur fait mener l’ordre établi. Autrement dit, ils en seraient réduits à des formes de révolte peu dangereuses pour l’équilibre du système. Comme au temps des « gueules noires » des industries minières à qui l’on montrait le chemin de la pinte de bière et à qui l’on faisait croire que les patrons souhaitaient leur bonheur pour que la conscience qu’ils avaient de leur exploitation s’amenuise. Comme à l’époque des « temps modernes  » où la répétition machinale à l’infini des mêmes gestes vidait tellement l’esprit que les hommes étaient privés de leur capacité à trouver des clés pour comprendre leur sort et agir pour en changer. Car si ces époques sont révolues pour les pays riches, soyons conscients que le capitalisme nous prépare un monde de « gueules noires  » en cols blancs : on n’est en effet pas moins exploité un clavier sur le bureau ou un portable à l’oreille qu’avec une pioche à la main. L’exploitation peut se moderniser en faisant croire qu’elle a disparu : les nouvelles formes de l’aliénation le permettent. D’ailleurs le télétravail, que l’on voudrait nous faire passer pour le must du travail libéré et auquel semble-t-il on nous destine, en brisant toute socialisation et donc toute action collective dans le monde du travail ainsi qu’en rendant impossible la séparation entre vie privée et vie professionnelle, est sans doute la forme la plus aboutie de l’exploitation.

3. La bataille idéologique

On comprend donc bien l’importance que revêt la bataille des idées et des mots dans la jeunesse. L’idéologie dominante a intérêt à lui faire passer pour des évidences naturelles les règles d’un ordre des choses qui ne pourrait résister à un refus collectif ancré dans la vie quotidienne de la génération qui demain sera la société.

D’où la mobilisation d’un si grand nombre d’appareils de communication et de culture au service d’un matraquage idéologique. Par ce biais, la sécu n’est plus un acquis social mais devient une administration lente, inefficace et dispendieuse. Les cotisations sociales sont elles-mêmes des « charges » sociales. Les fonds de pension sont la seule solution pour nos retraites...

Mais ici, rien ne se limite à la seule manifestation économique de la pensée unique : dans la vie quotidienne, c’est Jean-Pierre Gaillard pour tous à toute heure et un hamburger pour chacun en cas de petit creux. C’est à travers toutes sortes de formes d’expression que la violence, l’apologie des gagneurs, le culte grossier de la performance ou le sexisme sont banalisés et présentés comme allant de soi.

A l’extrémité du système, dans les zones laissées à l’écart des variations de la croissance économique, cette culture est bien l’opium du peuple. Victimes de la mode, pris au piège de leur propre caricature, certains jeunes des cités font l’apologie du système qui les opprime en reprenant à leur compte les valeurs qui sont les siennes : « Pouvoir et Biftons » font courir les « scarlas ». Le caïd est craint de tous. Son modèle ? Tony Montana, le mafieux du Scarface de Brian De Palma.

Le piège se referme. La victime, déjà rendue seule responsable de son sort, devient son propre bourreau.

Parler d’amour, respecter l’autre, ne pas régler les conflits par la force, agir en altruiste : autant d’attitudes raillées comme les signes d’une ridicule naïveté. Et tous ceux qui refusent ces préceptes sont classés d’office dans la catégorie des « bouffons » et des souffre douleurs. C’est par la force des symboles et des valeurs que la logique du système capitaliste entre dans nos esprits. Céder d’un pouce sur ce terrain, c’est se condamner pour tout le reste.

C. L’impuissance de la social-démocratie

Nés dans le cadre de l’Etat-nation, les Partis Socialistes ont gagné leur influence à partir des rapports de force et des compromis qu’ils ont construits face au capitalisme de chacun de leurs pays. A l’âge du capitalisme financier transnational, le cadre étatique a volé en éclats et le capitalisme d’hier s’est dilué dans la sphère financière globalisée.

La social-démocratie n’est jamais parvenue à riposter.

Souvent, elle s’est elle-même condamnée à l’impuissance face au développement diabolique des inégalités.

1. Les inégalités explosent malgré les sociaux-démocrates.

En 15 ans, avec, malgré ou sans les socialistes au pouvoir, la logique du nouvel âge du capitalisme a remporté plus de victoires qu’elle n’a subi de défaites.

Certains ont tenté de résister. Mais, trop souvent, ils ont voulu anticiper les évolutions du système, avec l’espoir toujours déçu d’une contrepartie à venir. Mais rien n’est jamais venu.

La social-démocratie, à chaque étape du développement du nouvel âge, s’est trouvée progressivement désarmée des instruments d’intervention dans l’économie. Par périodes, c’est parfois elle qui a fait voter par les parlements qu’elle dominait les lois qui l’ont dépossédée de ses armes de lutte. En France, l’argument européen et celui de «  l’adaptation nécessaire aux réalités de notre temps » auront joué à plein dans cette débandade. Pêle-mêle, c’est sous la gauche, toutes périodes confondues, que sont rentrés dans notre législation des éléments aussi éloignés de nos convictions que la désindexation des salaires sur les prix, la déréglementation des marchés financiers, l’indépendance de la Banque de France, la ratification du Pacte de Stabilité ou les nombreuses privatisations intervenues depuis 1997 (pour un montant de 170 milliards de francs français...).

Mais le capitalisme de notre époque n’est pas généreux : inutile de lui faire les bonnes manières pour espérer lui faire les poches en douce.

Cette incapacité de la social-démocratie à résister à l’installation d’un ordre aux antipodes de ses valeurs pouvait s’analyser comme la résultante de la situation majoritaire des gouvernements conservateurs, particulièrement en Europe. La gauche, minoritaire, aurait été réduite à l’impuissance par la déferlante libérale organisée par la majorité de droite.

L’arrivée simultanée au pouvoir des sociaux-démocrates dans 13 des 15 pays de l’Union Européenne rend l’argument moins percutant car on constate que la ligne d’action qui domine encore dans la social-démocratie est restée celle de l’accompagnement social des désastres de la mondialisation libérale.

2. Dire n’est pas faire

Cette impuissance, les partisans du manifeste Blair-Schröder la théorisent au moyen de fumeuses élucubrations qui ont pour but de masquer l’abandon effectif des valeurs du socialisme dont procèdent leurs politiques. Ainsi fleurissent en Europe les « 3ème voie » et autres « nouveau centre » qui proposent même la création d’une nouvelle « Internationale » avec Clinton.

Lionel Jospin s’y oppose au sein de l’Internationale Socialiste et du Parti Socialiste Européen. Nous lui donnons entièrement raison : les mots ont un sens et une portée symbolique d’importance. Mais là n’est pas l’essentiel du débat à l’intérieur de la sociale démocratie, parce que les hommes politiques et les gouvernements sont jugés sur des actes et non sur des paroles ou des déclarations d’intention.

Lionel Jospin a raison de condamner fermement les propositions outrageusement libérales du couple Blair- Schröder. Mais à quoi bon si la politique qu’il mène ne témoigne pas d’une orientation clairement différente ?

S’indigner de l’annonce conjointe des bénéfices faramineux et des licenciements chez Michelin ne sert à rien si l’on ne met pas en place le contrôle préalable des licenciements pour y remédier. Légiférer sur les 35 heures ne résout rien au chômage de masse si la loi ne contient pas les points essentiels qui garantissent le progrès pour tous, qui libèrent du temps pour chacun et qui empêchent le patronat de précariser encore un peu plus le salariat.

Répéter inlassablement qu’il faut sauvegarder le système de retraite par répartition ne règle rien si l’on n’alimente pas le fonds de garantie alors qu’il y à 60 milliards de francs de rentrée fiscales supplémentaires.

Le débat autour du manifeste Blair-Schröder est donc moins simpliste qu’on voudrait nous le faire croire. Il est loin d’être achevé : qui s’affronte dans les faits au nouvel âge du capitalisme ?

3. Notre rôle : construire l’alternative

Si la Social-démocratie semble se montrer incapable de trouver les solutions pour riposter au nouvel âge du capitalisme, c’est aussi parce que la génération qui porte ce programme d’accompagnement social vit encore dans un monde qui n’existe plus depuis 1989. Celui où le stalinisme, qui incarnait la rupture avec le système - tout en étant à la fois son meilleur soutien -, discréditait l’idée même d’alternative globale. Celui où la Socialdémocratie était dans l’entre deux permanent. Dans le nouveau monde, cette génération a du mal à retrouver ses repères.

Aussi, depuis la chute du mur de Berlin, elle s’est montrée incapable, malgré le projet européen, de proposer un autre ordre du monde que celui de la domination d’un capitalisme plus inégalitaire que jamais et d’un gendarme américain totalement hégémonique. Elle s’est montrée incapable d’empêcher l’explosion des inégalités et de proposer une alternative au système. Dès le premier coup de boutoir américain en vue d’installer son fameux «  nouvel ordre mondial », la social-démocratie a lâché prise : l’énorme majorité des partis socialistes occidentaux au pouvoir ont soutenu et participé à la guerre du Golfe.

Les mêmes se sont révélés tout autant incapables de faire fléchir le développement du national-ethnicisme sur le continent européen. Pour avoir laissé faire en Croatie ou à Sarajevo, ils ont du se plier à une intervention militaire à direction américaine au Kosovo.

Mais cette ligne d’action qui échoue n’est pas la seule possible. Une autre émerge et s’exprime dans toute la social-démocratie. Elle propose de résister et veut agir en opérant des ruptures de fond avec l’ordre établi.

Lorsque meurt un programme, s’éteint avec lui la génération qui l’a porté et parce que la jeunesse encaisse en pleine face la brutalité du système, c’est le rôle de notre génération de socialistes de construire cette alternative.

Ici, déterrer le « Gosplan du socialisme à papa » ne nous sera d’aucun secours. C’est en apportant de nouvelles réponses radicales, c’est -à- dire qui s’attaquent à la racine du problème, que nous serons utiles et efficaces. Un tel renouveau du socialisme n’a rien d’impossible. Ce qui l’est, c’est de continuer à subir.

L’actualité du socialisme comme alternative

Nous venons de le noter : la chute du stalinisme réhabilite l’idée selon laquelle une alternative globale au système est possible. En outre, les exploits scientifiques et l’énorme richesse du monde la rendent techniquement réalisable. Surtout, on observe l’émergence d’une nouvelle radicalité.

Certes, l’installation de la domination du nouvel âge du capitalisme sur le monde paraît pleine et entière. Mais, en même temps, les profonds bouleversements de la condition humaine, de la forme et des rapports de la société à son environnement que cette domination implique, peut provoquer des exigences citoyennes conformes aux valeurs et aux objectifs du mouvement socialiste.

L’émergence d’une nouvelle radicalité

Lorsque l’eau, l’air et la nourriture deviennent « pollués » au point d’être imbuvable, irrespirable et immangeable, lorsque des individus perdent leur emploi alors que leur entreprise fait des bénéfices, que parfois même l’amour devient impraticable compte tenu des rythmes divergents qu’impose souvent au couple la flexibilité, c’est chaque individu qui est touché dans son intimité quotidienne par les effets du nouvel âge.

Du coup, une conscience sociale élargie en résulte : le lien est vite fait entre la dégradation des conditions de vie (sociales, environnementales, intimes...) et le système économique qui, en étant fondé sur le rendement à tout prix, en est totalement responsable. Cette conscience, symbolisée notamment par l’indignation générale qu’ont provoquée à juste titre dans la population les « affaires » José Bové, Michelin ou encore Jaffré, engendre une nouvelle radicalité, particulièrement prégnante dans la jeunesse. Cette conscience, qui paraissait embryonnaire il y a encore peu, progresse et se diffuse à grands pas. Or, elle est le point d’appui nécessaire à la progression du socialisme comme alternative à l’ordre du monde : elle traduit la demande de règles et d’obligations applicables à tous et nourrit l’exigence de citoyenneté face à un système qui pourrit tout.

La diffusion de la nouvelle radicalité.

D’autant que ce sentiment de révolte peut se diffuser plus vite que jamais. Car un des faits radicalement nouveaux de la condition humaine de notre temps, c’est que la moitié de l’humanité vit aujourd’hui en zone urbaine. En France 85% de la population est citadine. Et le phénomène prend de l’ampleur : la population urbaine au niveau mondial augmente 2 fois et demie plus vite que la population rurale.

Evidemment, il n’y a pas plus d’urbanisation heureuse qu’il n’y a de mondialisation heureuse. D’ailleurs, les bidonvilles abritent 35% du total de la population urbaine du monde. Mais l’urbanisation modifie profondément la perception que les individus ont de leur situation. Si elle génère un anonymat souvent insupportable, elle favorise aussi l’émergence d’un sentiment intime d’appartenance à un ensemble humain où l’épanouissement personnel est largement dépendant des conditions collectives d’existence. L’urbanisation accélère la prise de conscience que, face au système, il n’existe pas de solution individualiste : l’interdépendance des individus est telle que les réponses ne peuvent être que collectives. Ici, l’idéal socialiste entre dans la réalité concrète.

Ainsi, à l’aube du nouveau siècle, la rupture avec le système n’a rien d’une utopie. C’est aux socialistes de proposer un contenu programmatique et une méthode pour la faire entrer dans les faits. C’est le sens de la deuxième partie qui suit.

Deuxième partie

POUR LA RUPTURE : LE REFORMISME RADICAL

Répétons-le : la ligne d’action que nous souhaitons voir adoptée par la social-démocratie pour faire face au nouvel âge du capitalisme est celle qui se donne pour horizon la rupture avec le système.

Cette ligne d’action porte un nom : le réformisme radical.

Cela signifie partir impérativement des aspirations des citoyens, exprimées par la nouvelle radicalité que l’on perçoit partout, pour proposer des débouchés politiques. Car c’est le rôle des socialistes que de mettre en mots et en actes politiques l’insurrection morale que suscitent les effets du système.

Pour le Mouvement des Jeunes Socialistes, ces mots revêtent un sens très clair. Notre organisation doit déployer prioritairement son énergie militante dans la recherche d’un programme clair qui traduit politiquement les aspirations de la jeunesse. C’est son rôle et sa responsabilité dans le mouvement socialiste.

Voilà pourquoi nous pensons qu’élaborer de véritables programmes de gouvernement n’est ni utile ni souhaitable pour les jeunes socialistes. Sauf à avoir comme objectif de transformer notre organisation en gigantesque vivier de cabinets ministériels, ce dont il n’a jamais été question.

Les lignes qui suivent ne seront donc pas un catalogue précis de mesures techniques : elles s’attacheront à cibler quatre lignes de front sur lesquelles il est urgent d’opérer des ruptures et qui sont au coeur des préoccupations de la jeunesse.

A. La révolution scolaire

La première des ruptures que nous préconisons concerne l’éducation. Et pour cause : lieu principal de l’apprentissage de la citoyenneté et des compétences professionnelles, ses différentes dimensions déterminent de façon significative les capacités de la jeunesse à s’intégrer, à s’épanouir dans la société et à adopter une démarche citoyenne. C’est dire si la rupture avec un système que nous dénonçons ne peut se faire que si l’école, qui est en partie le reflet de la société dans laquelle elle se trouve plongée, connaît une véritable révolution.

1. L’école des inégalités

Une analyse superficielle de l’évolution de l’enseignement pourrait nous amener à penser qu’il est de plus en plus ouvert et de plus en plus intégrateur : après la massification de l’enseignement primaire il y a un siècle, après le collège pour tous à partir des années 70, après l’arrivée massive des classes d’âge au Bac depuis les années 80, ne vivons-nous pas la dernière étape de la démocratisation de l’enseignement avec la massification de l’enseignement supérieur ?

Non. Car si la seule analyse des chiffres nous révèle la réalité de la massification de l’enseignement, elle montre aussi l’absence de démocratisation du système scolaire. Il suffit pour cela de regarder le parcours des étudiants : les fils d’ouvriers représentent 14.5% des étudiants contre 32.4% pour les fils de cadres en 1er cycle, 11.4% en second cycle pour tomber à 6.3% en troisième cycle contre 46% pour les fils de cadres. Plus généralement, on remarque que ce sont les filières qui mènent aux carrières les plus prestigieuses socialement et les mieux rémunérées qui comptent le moins d’élèves ou d’étudiants issus des couches sociales les plus défavorisées (grandes écoles, filières universitaires scientifiques, 3èmes cycles).

Si le mouvement de massification de l’enseignement est donc incontestable, le système scolaire montre également une grande capacité à renouveler sans cesse en son sein une structure socialement hiérarchisée.

Bref, l’école reste un lieu de reproduction sociale.

Par ailleurs, si l’école a historiquement toujours trouvé des modes de reproduction sociale plus ou moins bien camouflés derrière un discours méritocratique, remarquons qu’aujourd’hui la sélection qu’elle opère emporte des conséquences bien différentes de celles d’hier : en effet, la sélection ne signifie plus que l’on sera en bas de l’échelle sociale. Elle signifie que l’on sera hors de l’échelle sociale. Autrement dit la sélection, contrairement à hier, peut bien souvent être l’antichambre de l’exclusion.

Face à ceux pour qui ce constat relèverait de l’exagération, nous ne pouvons que les inviter à comparer les terminales du lycée Henri IV à Paris et celles d’un lycée de Vaux-en-Velin. Peut-être accepteront-ils alors d’admettre que ni les publics, ni les moyens, ni les perspectives d’avenir ne sont identiques.

Face à ceux pour qui ce constat relèverait d’un mauvais procès intenté à une école qui ne peut pas répondre à tous les maux de la société, nous pouvons leur donner en partie raison. Mais si l’école n’a pas les épaules assez larges pour supporter tout le poids des critiques portées envers la société, nous devons reconnaître que, du fait de l’importance de sa mission, elle a un poids particulier qui rendent légitimes les exigences de ceux qui se mobilisent contre ses dysfonctionnements.

Ce poids particulier de l’école vient notamment du fait qu’elle est pour le jeune le lieu de l’apprentissage du modèle républicain. Mais comment ce modèle pourrait-il être efficacement transmis par l’école lorsque la société n’offre plus de chance d’insertion à de larges couches de la population et lorsque l’école, en son sein, contribue trop visiblement à produire de la sélection et de l’exclusion ?

L’école ne peut pas produire l’adhésion au modèle républicain et à ses valeurs d’égalité et de respect si ellemême organise l’inégalité en orientant les jeunes socialement défavorisés vers des filières qu’ils n’ont pas choisies et qui ne les mènera nulle part. L’école ne peut pas produire l’adhésion au modèle républicain si ses méthodes d’enseignement sont trop visiblement celles qui conviennent le mieux aux couches sociales les plus favorisées. L’école ne peut pas produire l’adhésion au modèle républicain si la pédagogie qu’elle retient ne laisse aucune place au respect des élèves et des étudiants.

Les récentes manifestations lycéennes n’ont-elles d’ailleurs pas été la démonstration de l’inégalité sociale face à l’institution scolaire ? Les lycéens ne manifestaient-ils pas en effet contre le lycée à 2 vitesses ? Et, pendant qu’ils manifestaient, ceux que l’on nomme « les casseurs » n’apportaient-ils pas la démonstration des insuffisances du système scolaire ? Car n’oublions pas que ces derniers sont pourtant scolarisés au même titre que les autres manifestants.

Cette situation résulte certes en partie de la réalité du système capitaliste. Mais elle résulte aussi de l’incapacité de l’école à évoluer face à ses nouveaux publics. L’école de Jules Ferry, faite d’une exigence d’alphabétisation, de la formation d’une élite très restreinte et d’une pédagogie monolithique n’est plus en phase avec son milieu. Il est grand temps d’en bouleverser les règles.

2. Changer l’école

En préalable nous affirmons qu’il est illusoire, voire mensonger, de prétendre que l’on peut réformer le système éducatif sans moyens supplémentaires. On ne peut pas vouloir améliorer la pédagogie en embauchant, à la place d’enseignants compétents, des emplois-jeunes à peine formés ; on ne peut pas enseigner, à l’âge d’internet, les nouvelles technologies à l’aide d’une ronéo ; on ne peut pas mettre en place une aide sociale garantissant l’égalité sans augmenter les moyens budgétaires. Au contraire, la révolution scolaire nécessite un investissement massif de la Nation dans l’école.

Ceci posé, quel est le rôle de l’école ? Il doit être de permettre à des individus de devenir des citoyens et de s’insérer socialement. Or, la citoyenneté repose sur l’Egalité et ce fondement de la République est aujourd’hui tellement mis à mal que l’on parle d’ « école à deux vitesses ». Un des objectifs de la révolution scolaire est d’en finir avec cet état de fait.

Pour les libéraux, l’école doit être au service des entreprises et doit uniquement préparer à un métier pour les uns et dégager une élite dirigeante pour les autres. C’est pourquoi, malgré la massification, qui n’est qu’une démocratisation en trompe-l’oeil, on constate une sélection sociale. Créer des passerelles et briser la sélection est une condition essentielle d’une réelle démocratisation.

L’école ne doit pas uniquement former à un métier. Car quel métier ? Que seront les emplois de l’an 2020 ? Et même de l’an 2005 ? L’école doit, pour former des citoyens, donner les moyens de l’autonomie intellectuelle qui pourra permettre d’évoluer et de se former au cours de sa vie professionnelle et préparer dans les meilleures conditions possibles l’insertion professionnelle. Pour cela, il est nécessaire de changer la façon d’enseigner.

Tout d’abord, il faut qu’elle sache s’adapter à ses nouveaux publics ; on ne donne pas le goût de la musique à des adolescents qui écoutent du rap en leur faisant égrener quelques fausses notes sur une flûte à bec. Il faut mettre en place une pédagogie différenciée et individualisée au moyen de cours en petits groupes qui mettraient fin à l’enseignement professoral linéaire. Il faut mettre l’élève, l’étudiant, au centre de la pédagogie en développant la réflexion individuelle et l’esprit critique. Il va sans dire que sans recruter massivement des enseignants et sans un apprentissage de la démocratie sur les lieux d’études, une telle politique est inapplicable.

Personnaliser l’enseignement du primaire à l’université, permettre l’autonomie intellectuelle, donner à chacun les moyens de la réussite, qu’il vienne de Sarcelles ou de Neuilly, qu’il soit de milieu modeste ou issu de milieux favorisés, autant d’évolutions nécessaires pour former des citoyens. Encore faut-il pouvoir intégrer tout le monde dans le système éducatif sans discrimination, encore faut-il que tout le monde puisse sortir de l’école avec le niveau qu’il souhaite.

Donner à chacun les moyens financiers d’étudier est donc indispensable si l’on prétend défendre l’Egalité républicaine. Une allocation d’études individualisée pour tous dotée de moyens suffisants doit être mise en place pour que les étudiants puissent effectuer leurs études en étant autonomes de leurs parents et d’un travail salarié. Cette mesure permettra à de nombreux jeunes de rentrer dans le système et d’en sortir avec une qualification. Mais elle remplit aussi d’autres objectifs : les conditions matérielles de l’existence déterminant la conscience, l’autonomie matérielle est une condition de l’autonomie intellectuelle de l’étudiant. C’est pourquoi cette mesure promeut la citoyenneté.

Démocratiser l’école, former des citoyens responsables et non pas uniquement des producteurs asservis, redonner un contenu à la conception Républicaine de l’enseignement, tels sont les objectifs de la révolution scolaire.

B. La République métissée contre le ghetto libéral.

C’est l’étymologie qui vend la mèche : avec ses banlieues, la France a placé toute une partie de sa population au ban de la cité. Auparavant, c’était une décision de justice qui vous envoyait en exil avec interdiction formelle de revenir en ville. Aujourd’hui, c’est la pauvreté.

Car, dans les banlieues, la reprise de la croissance ne connaît aucune traduction concrète. Et, dans les banlieues, à cette ségrégation sociale et territoriale s’ajoute la discrimination ethnique avec, comme quotidien, un état de violence permanent.

Disons-le sans ambages : ces cités sont des ghettos.

1. Casser les ghettos

Au regard de ce cantonnement, rien d’étonnant à ce que les habitants les plus jeunes tambourinent avec violence à la porte close qu’on leur oppose. Ils refusent l’exclusion dans laquelle le simple fait d’être nés en banlieue les enferme. Bien qu’elle n’excuse pas tout et ne justifie rien, l’injustice soulève la rage et mène tout droit à la violence. Ces jeunes qu’on enferme dans le ghetto n’ont jamais rien vu d’autre autour d’eux que le chômage, la précarité et rien qui puisse leur faire espérer d’en sortir.

C’est alors que le mauvais génie vient vers les plus jeunes à qui, de fait, tout est interdit (l’emploi, les études, les loisirs) pour leur proposer un pacte : « Viens avec moi. Tu perdras ton âme, mais tu pourras « flamber » et accumuler du cash sans te lever à 7h00 pour un salaire de misère. »

Ainsi, la dérive mafieuse des ghettos n’est plus un « risque » à éviter. Elle est une réalité : les caïds sont les rois de la cité. Bien sûr, la majorité des jeunes ne bascule pas dans ce piège. Certains s’en sortent. Mais la plupart ne parviennent pas à s’insérer : habitants d’une cité qui fait peur, défavorisés socialement, souvent stigmatisés comme blacks ou beurs, ils sont rejetés par la société bien pensante. Voilà la situation dramatique que n’ont pas pu empêcher les politiques d’aménagement du ghetto qu’on affuble pudiquement du nom de « politique de la ville  ».

Pour les quartiers, tout a toujours été « impossible » : ni de crédits, ni animateurs, ni emplois. Si bien qu’à force d’entendre la longue litanie des contraintes évoquées par les pouvoirs publics pour justifier qu’ils ne prennent pas le problème à bras le corps, on peut se demander si certains n’ont pas admis implicitement un partage des rôles : « Que les pauvres restent enfermés dans leurs cités, et, à cette condition, nous pourvoirons à leur subsistance. » Reste alors à cogner sur ces « sauvageons » si jamais ils avaient l’outrecuidance de s’inviter à leur façon à la table du partage des fruits de la croissance. Rompre avec ces politiques d’assistanat des populations, de replâtrage des immeubles et de criminalisation de la jeunesse est donc un impératif. On ne peut décemment pas se contenter d’aménager les lieux de relégation sociale et ethnique. On ne peut que les briser. D’ailleurs, qui aurait osé, dans les années 60, proposer des politiques d’aménagement des bidonvilles ?

C’est donc l’ensemble des dispositifs qu’il faut remettre à plat au travers d’un programme budgétaire pluriannuel massif capable de mettre en place une véritable mixité sociale dans la ville. Oui, prendre le problème à bras le corps signifie la destruction des grands ensembles HLM et la construction de logements sociaux à répartir dans toute la ville.

Cette volonté politique porte un nom : le « Plan Marshall » pour les banlieues qu’avait proposé le sociologue Adil Jazouli. Beaucoup l’ont repris à leur compte. Personne ne l’a mis en place. Pourquoi ? La raison en est simple : cette idée porte en elle-même l’abandon des dogmes libéraux que sont la baisse des dépenses publiques, la limitation constitutionnalisée des déficits budgétaires, le démantèlement des services publics et de la puissance publique. Cette idée porte en elle-même la nécessité de renouer avec l’Etat volontaire, qui investit pour bâtir l’avenir. Bref, cette idée porte en elle-même la notion de rupture avec le système.

2. Construire la République métissée.

Si la jeunesse des quartiers et des banlieues souffre des logiques d’exclusion sociale inhérentes au système, leur destin s’ancre dans la discrimination raciale dont ils sont victimes.

En refusant d’aborder de front cette question et en réduisant à l’unique dimension sociale la crise des quartiers, la gauche a échoué dans sa tâche de mener jusqu’au bout le processus d’intégration. Pire : elle a laissé le sentiment, dans toute une génération, d’avoir instrumentalisé la lutte antiraciste à son seul profit.

Pris entre le marteau d’une droite relayant le discours du FN et l’enclume d’une gauche manipulatrice, la jeunesse des quartiers s’est alors construit sa propre identité territoriale et raciale contre le reste de la société.

D’un côté les «  bougnoules », les « negros » et autres déclassés, de l’autre les « céfrans », les « fromages », les blancs.

Petit à petit une fracture raciale se superpose à la fracture sociale.

Là se trouve l’échec le plus grave de la gauche dont la responsabilité historique, aux travers des luttes syndicales et sociales, du combat contre le colonialisme, a toujours été de défendre la vraie dimension de la République face à une droite la réduisant à un caractère ethnique et religieux. Alors que les générations issues de l’immigration ont exprimé leur volonté d’être reconnues comme membres à part entière de la communauté nationale par la lutte antiraciste et pour l’égalité, la gauche n’a pas été capable d’apporter une réponse concrète à cette demande, laissant de fait les ghettos se constituer. Ces ghettos qui, telles des tumeurs malignes, génèrent violence d’un côté et discrimination de l’autre.

La République se retrouve donc de nouveau face à une question qui lui a déjà été posée dans l’histoire. Est-elle capable de faire vivre ses principes pour tous ou n’est-elle qu’un référent intellectuel coupé des réalités sociales et humaines ?

Une première fois, la République a échoué. C’était le temps des colonies, entraînant la France dans le camp des oppresseurs des peuples, qui ont finalement fait le choix de se séparer d’elle. La même question se repose aujourd’hui, et cette fois-ci au coeur même de notre pays. Un nouvel échec sonnerait alors le glas de la République et laisserait place au modèle communautariste. Certains défendent aujourd’hui ce modèle, arguant de son caractère pratique car efficace. A ceux-là nous ne répondront pas seulement en leur opposant le bilan de ce modèle qui, aux Etats-Unis par exemple, échange la réussite de 20% de la communauté noire contre la destruction sociale, mentale et physique des 80% restants.

Nous leur disons aussi que la défense jusqu’au bout du modèle républicain d’intégration n’est pas qu’un enjeu pour les victimes de ségrégations mais, avant tout, pour l’ensemble de notre pays, celui de la défense d’un modèle de civilisation où les hommes naissent et vivent libres et égaux.

La lutte contre la discrimination ne peut donc être remplacée par l’instauration de quelconques quotas à l’américaine. La gauche doit montrer l’exemple en menant, par l’outil des services publics, une réelle politique de respect de la diversité ethnique de notre nation par une politique inégalitaire en faveur de ceux qui sont victimes de discriminations. En outre, la loi contre les discriminations doit s’appliquer avec toute sa rigueur dans l’ensemble des secteurs où celles-ci sont pratiquées.

Le jeune militant socialiste, quel que soit son parcours individuel, ne doit pas simplement être solidaire de la lutte antiraciste mais au contraire en être un acteur de premier plan car, pour notre génération, un challenge ambitieux doit être relevé : celui de faire naître la République métissée comme alternative à un monde où la guerre des identités a supplanté la lutte sociale.

C. Un vrai statut pour tous les jeunes

Puisque nous avons déjà démontré que la jeunesse subissait de plein fouet la logique du système, nous nous trouvons donc au coeur même des enjeux politiques auxquels nous devons répondre : la question de l’emploi et du statut social des jeunes, c’est-à-dire la question économique.

1. Contre la société minimum : un statut pour tous !

Ce qui est à l’ordre du jour si un coup d’arrêt n’est pas donné, c’est bien la mise en place d’une « société minimum » pour les jeunes en situation de précarité. Santé minimum, emploi minimum, salaire minimum, loisirs minimum, vacances minimum... Voilà pourquoi le statut économique et social de la jeunesse est une des urgences d’aujourd’hui.

Lionel Jospin, en fixant l’objectif du retour au plein-emploi, a mis fin à des années d’élucubrations les plus diverses sur la fin du travail ou la fin du salariat.

Mille fois d’accord, donc, avec l’affichage de cet objectif. Mais force est de reconnaître qu’il soulève dans le même temps de nombreuses questions.

Car, aux Etats-Unis, personne ne conteste la réalité du retour au « plein emploi ». C’est vrai, le chômage se situe là-bas à un niveau exceptionnellement faible du fait de la croissance soutenue que connaît le pays. Mais, dans le même temps, les revenus après impôts aux Etats-Unis ont augmenté de 115% pour les 5% les plus riches, tandis que les revenus moyens des 20% les plus pauvres ont baissé de 9%. Aux USA 20% des salariés vivent au dessous du seuil de pauvreté et 20 millions de salariés n’ont aucune couverture sociale

Aussi, à l’heure du nouvel âge du capitalisme, sortir des chiffres du chômage ne veut pas dire sortir de la pauvreté. La notion de plein-emploi est ici frappée du sceau des inégalités. Car beaucoup de ceux qui retrouvent un travail le font dans des conditions particulièrement précarisées : ils sont ainsi ceux que l’on appelle « les travailleurs pauvres ».

On le constate, l’objectif du plein-emploi renvoie à des choix qui posent directement la question globale du statut social afférent. Compte tenu de l’omniprésence de la précarité dans les emplois qu’occupent les jeunes en France, la question n’est pas simplement limitée aux Etats-Unis. Ce qui importe donc, c’est d’exiger pour tous un emploi assorti d’un vrai statut social. Bref, ce que nous exigeons, c’est un revenu qui permette de vivre et non de survivre, un contrat à durée indéterminée et une protection pour faire face aux aléas de la vie (chômage, maladie etc.).

2. Faire reculer massivement la précarité

Le travail jetable se développe : et nous l’avons dit, les jeunes sont touchés en premier lieu par le phénomène.

Aujourd’hui, ce sont près de 9 embauches sur 10 qui se font en CDD ou en intérim. La précarité s’inscrit désormais dans la durée.

L’objectif est d’en finir avec cette situation. Voilà pourquoi nous proposons d’instaurer des quotas indépassables de contrats précaires dans chaque entreprise, pour stopper leur progression et réduire leur nombre. Car la taxation du travail précaire que beaucoup avancent pour répondre au défi est typique de la fausse bonne idée.

Elle revient à laisser un passe droit aux entreprises pour utiliser des précaires à leur guise. Mais ce principe ne peut en aucun cas empêcher le travail précaire. « 90% de nos emplois sont précaires » nous diront les chefs d’entreprise. « Et alors ? Nous en avons le droit : nous payons pour çà ! »

Aussi, si la collectivité entend faire reculer la précarité, la méthode des quotas est ici incontournable car elle est la plus efficace. Il faut donc que la loi interdise aux entreprises d’embaucher plus de 5% de leurs effectifs sous forme de CDD ou d’intérim ou toute autre forme de contrat atypique. De plus, l’indemnité de précarité d’emploi qui est de 6% pour les CDD et de 10% pour l’intérim devrait, pour que les salariés soient indemnisés justement, être portée respectivement à 10% et 15%.

3. Vers la civilisation du temps libéré

Nous l’avons dit et répété : la loi sur les 35 heures constitue certes une avancée mais, en raison de ses faiblesses, elle comporte de nombreux risques d’être détournée de ses objectifs et de constituer pour le patronat un moyen de flexibiliser davantage le marché du travail.

Mais, surtout, dans cette bataille sur la réduction du temps de travail, une dimension a été totalement occultée au profit de l’impératif -non contestable par ailleurs- de lutte contre le chômage : celle du temps libéré. Or, si le travail peut procurer, sous certaines conditions, revenus, statut et protection, il n’est en aucun cas synonyme d’épanouissement. C’est pourquoi la question du temps libéré revêt une telle importance. Et c’est pourquoi nous affirmons très clairement que le défi de la réduction du temps de travail est loin d’avoir pour horizon indépassable la loi Aubry.

Nous pensons que la lutte pour la semaine des quatre jours doit rester un de nos objectifs dont il faut porter haut les couleurs. Parce que cette perspective est une opportunité pour dégager davantage de temps libre et ainsi permettre aux individus de consacrer davantage de temps à leur épanouissement personnel. Car, pour le moment, pouvoir s’occuper de soi, de ses enfants, de ses études ou même de rien si on en a envie fait figure de luxe réservé à ceux qui ne subissent pas la précarité et peuvent ainsi se décharger du fardeau de nombreuses tâches, notamment par le biais des emplois à domicile.

Dans cette optique, la société du temps choisi, pour que le temps libre qu’elle dégage soit profitable à tous, doit s’accompagner d’un véritable développement de nouveaux services publics dans le but de socialiser la production privée. Car c’est 48 milliards d’heures que nous consacrons en un an à cette production, dont plus de la moitié à des tâches ménagères. Plutôt que de réserver ce progrès humain à ceux qui peuvent s’offrir les services de « nouveaux domestiques », socialisons-les en inventant des services publics dont chacun pourra profiter. Concrètement, ce sont les activités périscolaires des enfants, les activités culturelles et sportives, certaines tâches domestiques et beaucoup d’autres activités encore qui pourraient être socialisées. Ici, dans la mesure où ce sont surtout les femmes sur qui pèse le poids de cette « production privée », une telle avancée serait certainement au moins autant libératrice pour elles que le combat médiatisé des énigmatiques « chiennes de garde » qui luttent contre le sexisme mais seulement en politique.

D. Refaire le monde

Notre génération est née avec la mondialisation. Et c’est chaque jour que nous subissons davantage cette mondialisation car elle s’est mise en place sous l’égide du capitalisme.

Pourtant, la mondialisation pourrait revêtir un tout autre visage : celui du progrès humain, du développement des techniques, de la maîtrise et du respect des ressources de la planète, des progrès de la démocratie. En accélérant le développement des sciences, des communications, l’interdépendance des peuples et des individus, elle rend possible le rêve d’une civilisation mondiale fraternelle. Un monde où la diversité des cultures et des modes de vie ne serait plus un obstacle à la communication. Un monde où la distance ne serait plus une frontière. Un monde où toutes les solidarités seraient possibles.

Cet idéal porté par des générations de militants socialistes, n’a jamais été autant à portée de main. C’est à nous qu’il appartient désormais de le dessiner.

1. En Europe, la révolution démocratique

D’abord l’Europe qui s’est mise en place se caractérise par le vide démocratique et la dépossession des Etats de toute capacités d’intervention dans l’économie. Le capital peut alors réaliser son rêve le plus fou : débarrasser pleinement la sphère économique de toute intervention du pouvoir politique. Ici, l’objectif est clair : faire sauter le verrou libéral, condition sine qua non pour redonner aux peuples, à travers l’intervention de la puissance publique dans l’économie, les moyens de décider de leur avenir.

Cette révolution démocratique passe par la remise en cause de l’indépendance de la Banque Centrale Européenne et par l’abrogation du Pacte de Stabilité de Dublin. C’est ainsi que la puissance publique, qu’elle soit nationale ou européenne, pourra à nouveau, à travers l’usage retrouvé de la politique monétaire et budgétaire, orienter l’économie. Alors seulement seront envisageables la définition et la mise en place de nouveaux objectifs sociaux et économiques pour l’Europe, diamétralement opposés à ceux qui la régissent aujourd’hui.

La convocation d’une Assemblée constituante européenne.

L’élaboration d’une Constitution et d’une Charte des droits politiques et sociaux. La mise en place d’un gouvernement fédéral, responsable devant le Parlement européen. Le droit pour ce dernier de voter le budget et de pleinement légiférer. Telles sont les conditions minimales pour donner un cours nouveau à la Construction européenne et en finir avec le vide démocratique et l’opacité qui règnent en son sein. Alors pourra naître une nouvelle ambition pour l’Europe : celle d’un Pacte pour la croissance et l’emploi, celle des services publics européens, de la convergence sociale et de la justice fiscale.

2. Désarmer les marchés

Face au marché, les experts de tout poil nous serinent toujours la même chose : rien n’est possible. La mobilité du capital permet aux entreprises transnationales d’arbitrer et de mettre en concurrence les pays afin de tirer partie des disparités qui existent en matière de fiscalité ou de normes sociales. Des masses financières faramineuses se déplacent sans cesse avec pour seule règle le profit maximum. Il est possible de porter un coup d’arrêt à cette domination des marchés financiers. Nous en avons les moyens. Nous proposons la mobilisation des opinions pour l’instauration immédiate de trois taxes et la mise en place d’une loi anti-concentration qui constituent la première étape d’une alternative globale aux règles du système.

La Taxe Tobin vise à imposer les transactions monétaires à un taux très faible (0,05%). Son objectif n’est pas de pénaliser les investissements mais de mettre « un grain de sable dans les rouages bien huilés de la finance » et de décourager les mouvements spéculatifs à court terme. Cette taxe sur les spéculations monétaires pourrait rapporter 114 milliards de dollars par an, chiffre calculé par la Banque des règlements internationaux sur la base des 1587 milliards de dollars échangés quotidiennement. Ces recettes pourraient par exemple abonder un fonds de développement.

Grâce à la forte mobilisation engagée par l’association ATTAC, cette proposition emporte désormais l’adhésion quasi-unanime à gauche. Mais cette unanimité ressemble un peu aux bonnes résolutions de rentrée : désormais tout le monde est pour la taxe Tobin, mais chaque fois qu’il faut la mettre en place, on trouve toujours un nouveau prétexte pour reporter son application à plus tard.

Le gouvernement de la gauche plurielle peut et doit montrer l’exemple en adoptant dès à présent la taxe Tobin. C’est de cette façon que la France sera forte et pourra jouer un rôle d’entraînement pour proposer son instauration au niveau européen et international.

Ensuite, la taxe sur les investissements directs à l’étranger (IDE). Les IDE ont littéralement explosé ces dernières années, passant de 60 milliards de dollars en 1985 à 315 milliards en 1995 et 355 en 1997. Ces IDE ont un double avantage pour les firmes transnationales : faire pression à la fois sur les salariés des pays du Nord en menaçant de délocaliser tout en exigeant un maximum de flexibilité dans les pays du Sud.

Il s’agit donc de mettre en place une taxation des IDE afin de faire face à l’évasion fiscale et à la remise en cause des droits sociaux des travailleurs du Nord comme du Sud. Le taux de cette taxe serait directement fonction d’une « notation » attribuée par l’Organisation internationale du Travail qui prendrait en compte le respect des normes sociales fondamentales (liberté syndicale, interdiction du travail des enfants...). Ainsi, les firmes transnationales seraient taxées plus lourdement en investissant dans les pays ne respectant pas le droit du travail.

Enfin, la taxe unitaire sur les multinationales doit permettre qu’aucune entreprise ne puisse échapper à la fiscalité ni manipuler les prix de transfert. Pour une entreprise donnée, il faut prendre en compte son bénéfice mondial consolidé, son chiffre d’affaire mondial consolidé et la répartition de son chiffre d’affaires par pays.

Par exemple, imaginons que Nike réalise un milliard de dollars de bénéfice mondial. Son chiffre d’affaires provient à 40% de ses ventes aux USA. On considérera qu’elle a donc dégagé 400 M$ de bénéfices et qu’elle sera imposée en conséquence.

D’autre part, les mouvements incessants de concentration et l’émergence de méga-entreprises bien plus puissantes que nombre d’Etats reposent avec acuité la question du renforcement de la législation antitrust. Il faut porter un coup d’arrêt aux mouvements de concentration qui s’opèrent à travers les multiples opérations de fusions et d’acquisitions. C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer considérablement la législation antitrust afin d’empêcher que ne se constituent des oligopoles ou des monopoles privés. La règle doit être que tout groupe(s) en situation de monopole ou d’oligopole doit être immédiatement démantelé ou nationalisé. Ainsi ce sont mécaniquement les droits des consommateurs qui seront préservés et de nombreux plans de licenciement évités.

3. OMC : refuser le « laissez faire, laissez détruire »

Parce que la collectivité doit faire prévaloir des normes en matière sociale, écologique et sanitaire plutôt que le libre-échange. Parce que toutes les activités humaines ne sont pas susceptibles (éducation, santé etc.) d’être marchandisées et qu’elles doivent être préservées de la loi du Marché. Parce que les Etats n’ont pas le droit, encore moins en catimini, d’engager l’avenir de leurs peuples en se dépouillant volontairement de leurs prérogatives au profit de quelques firmes transnationales et aux dépens de leurs citoyens, nous pensons que l’attitude de la France, aux négociations de Seattle doit être intransigeante. Il faut que le gouvernement se rende à Seattle pour dire qu’il refuse toute nouvelle dérégulation. Et il faut que les socialistes se rendent à Seattle pour participer au contre-sommet. Car mettre le doigt dans l’engrenage des négociations aboutirait à conclure un marcher de dupes où pour sauvegarder l’agriculture, on vendrait la santé ou l’éducation, par exemple.

Nous exigeons :

· Un audit général sur toutes les conséquences de la mondialisation et en particulier sur le respect par l’OMC de la déclaration universelle des droits de l’homme et de toutes les conventions internationales.

· Un moratoire sur toutes les négociations commerciales jusqu’à ce que les conclusions de l’audit soient rendues publiques et que des Etats généraux se soient tenus.

· La réforme de l’OMC et la subordination de celle-ci à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et aux normes émises par l’Organisation Internationale du Travail afin que les normes sociales, sanitaires et environnementales prévalent sur le principe du libre-échange.

· Le respect systématique du principe de précaution en matière de santé publique et de protection de l’environnement.

· L’interdiction des brevets sur le vivant : plantes, animaux, micro-organismes, gènes.

· Le refus de l’ouverture à la concurrence et le respect de la notion de service public dans les domaines où il ne saurait être question de marchandisation : santé, eau, éducation, énergie, télécommunications, transports...

4. Un nouveau modèle de développement : le co-développement, le développement humain, le développement durable.

Le passage à six milliards d’êtres humains et la perspective de neuf milliards impliquent la certitude de profonds bouleversements de la condition humaine, de la forme des sociétés et des rapports de l’humanité à son environnement. Davantage de monde, c’est plus d’interdépendance entre les individus et plus d’interactivité. Face à six milliards de personnes, le système productif et le système social qui l’accompagne sont soumis à des contradictions d’une radicalité nouvelle. A conditions égales du modèle de production, la généralisation du standard de vie du monde occidental développé générerait un niveau de pollution de l’air et de l’eau ainsi qu’un pillage des ressources tout simplement incompatibles avec la vie humaine. Telle est la limite dorénavant palpable du mode de production dans lequel nous vivons. Ici, la question écologique rejoint la question sociale et ne forme plus qu’un seul et même problème. C’est en effet le mode de production qui est leur racine commune.

Face à ce défi, une orientation socialiste doit proposer les principes de mise en oeuvre d’un modèle alternatif cohérent autour de trois idées modernes : le co-développement, le développement humain et le développement durable.

Le co-développement

Le co-développement prend acte de l’interdépendance des peuples face aux défis des conséquences destructrices pour tous du sous-développement social, de la destruction de l’environnement naturel et de l’absence de démocratie dans certaines Nations.

Il y répond par la fin des politiques d’ajustement structurel, la suppression de la dette des pays en développement, la mise en place d’un fonds de stabilisation du cours des matières premières financé par une taxe à l’entrée des pays importateurs, des normes d’organisation de l’échange qui compensent l’inégalité de ses termes, imposent des réglementations visant à proscrire le dumping social et la traite des êtres humains, organisent le transfert de technologies et le libre accès à l’exploitation du savoir scientifique et technologique.

Il gère les flux migratoires en tenant compte de la dignité des personnes, de la perte que l’émigration représente pour les pays d’origine et de l’indispensable retour des personnes dans un objectif de profit mutuel pour les sociétés impliquées.

Au plan politique, la logique du co-développement milite pour la formation d’ensembles régionaux économiques dotés d’institutions démocratiques permettant aux peuples d’intervenir sur les choix les concernant à l’échelle pertinente de la prise de décisions.

Le développement humain

Le modèle de développement humain procède d’une gestion à partir d’une évaluation des besoins humains et de leur transposition en objectifs de développement social. Il se dote d’instruments d’évaluation des résultats sur ses propres critères et n’intègre les indicateurs de performance économique que dans la mesure où ils concourent effectivement à des performances de développement humain.

C’est la méthode que propose le Programme des Nations Unies pour le développement humain (PNUCED) qui a établi depuis trente ans « un indicateur de développement humain » (IDH). Ainsi se trouvent mis au centre de l’action des pouvoirs publics des objectifs humains quantifiables et, comme tels, de nature à permettre une évaluation des résultats et du choix des priorités par les citoyens. Dans cette logique, la priorité d’action des politiques publiques est donc tourné vers l’instauration d’une démocratie participative approfondie qui permette à la fois l’expression des besoins humains ressentis par les populations elles-mêmes et le contrôle par elles de leur prise en charge effective. Ici, se trouve également postulé qu’il ne doit pas exister de domaines (comme par exemple l’économie ou la vie des entreprises) où l’exigence de normes d’intérêt général et de participation démocratique n’existe pas.

Le développement durable

Lié au principe du développement humain, il établit qu’un mode de production ne saurait être durable si sa mise en oeuvre fait peser sur les êtres humains ou sur leur environnement naturel une pression incompatible avec la poursuite à long terme de ce mode de développement. Une telle logique d’action pose comme base de ses choix le respect du principe de précaution en matière de mise en oeuvre de l’innovation technique, le libre accès à l’information par les citoyens, l’existence d’autorités de veille et de surveillance, le libre partage des découvertes technologiques, la mise en place d’un Service public de l’eau, du traitement des déchets, le recours à des énergies renouvelables, ce qui implique la sortie de filiales de production telle que le nucléaire.

Les exigences que pose le développement durable apparaissent ainsi en totale contradiction avec le mode de production actuellement dominant. Car le productivisme qui le caractérise organise de façon impitoyable la destruction de l’environnement naturel des hommes et donc la fin de toute perspective d’un développement à visage humain.

Troisième partie : Plan d’action national

CONSTRUIRE UN OUTIL POUR LA JEUNESSE : UN COURS NOUVEAU POUR LE M.J.S.

Dans la contribution au Congrès que nous avions déposé au Conseil National du 4 septembre, nous avions entamé notre propos en rappelant une évidence que beaucoup semblent avoir perdu de vue : le MJS est une organisation politique de jeunesse. Aussi, nous avons un rôle à jouer à part entière dans l’action politique, en tant que jeunes socialistes. Notre responsabilité politique est donc directement liée au milieu dans lequel nous sommes censés intervenir.

Or, nous entrons dans un cycle politique qui connaîtra son terme lors de l’élection présidentielle. Et cette élection, personne ne peut prétendre la remporter sans l’adhésion de la jeunesse à son projet. Le passé récent nous l’enseigne. En 1988, la victoire de la gauche fut la conséquence directe des mouvements sociaux de la jeunesse contre les projets de la droite (projet Devaquet sur la sélection à l’université et projet Pasqua sur le code de la nationalité). En 1995, la mobilisation contre le projet de SMIC Jeunes de 1994 a brisé les espoirs les plus fous de Balladur.

La période qui s’ouvre est donc cruciale. L’ensemble de la gauche aura besoin de nous dans cette bataille qui structure la vie politique de notre pays. Le rôle que jouera le MJS sera déterminant pour l’ensemble du camp socialiste. Pour lui être pleinement utile, le MJS doit se transformer en outil au service de la jeunesse, devenir la véritable caisse de résonance de ses aspirations et lui proposer un programme clair.

Pour cela, notre organisation doit partir de la situation concrète des jeunes que nous avons longuement détaillée dans le texte d’orientation qui précède, pour proposer, ensuite, les réponses politiques qui s’imposent. Ces réponses ne peuvent être que radicales, c’est à dire qu’elles doivent s’attaquer à la racine des maux, car les difficultés que rencontre la jeunesse sont inhérentes à la logique du système capitaliste.

La bataille n’est pas gagnée d’avance. Rien ne dit que la social-démocratie apparaîtra alors comme le débouché naturel de ceux qui veulent rompre avec le système. Une course de vitesse est déjà engagée avec les mouvements communautaristes, le fondamentalisme religieux et autres barbaries qui se présentent comme une alternative au système et qui ne sont en fait que ses plus fidèles soutiens objectifs.

C’est en ayant pleinement conscience de ces enjeux qui imposent au MJS de suivre un cours nouveau que nous avons fait le choix de soumettre au vote des adhérents ce texte alternatif à celui de la direction.

A. Pourquoi le MJS doit-il suivre un cours nouveau ?

Poser cette question, c’est poser celle du bilan de la direction sortante. A cette étape, écartons d’emblée un faux débat : nous n’avons pas a priori d’antipathie ou de sympathie pour l’ancienne majorité. Ce qui nous guide, c’est la seule analyse des faits. Et elle nous pousse à dire que le bilan des deux dernières années, au regard des enjeux qui dominent la période, n’est pas un bon bilan. Le MJS a-t-il fédéré la jeunesse dans le camp socialiste lors des dernières échéances électorales ? A-t-il joué un rôle moteur dans la conquête de nouveaux droits ou de nouvelles avancées pour la jeunesse ? S’est-il lui-même développé, renforcé ou mieux fait connaître ?

Nous répondons non à toutes ces questions, sans animosité, sans volonté d’incriminer, ni de remettre en cause le dévouement quotidien des camarades de la direction sortante.

1. L’échec d’une démarche...

Il s’agit en premier lieu d’un échec électoral. Car les deux derniers rendez-vous électoraux, les cantonales et les régionales de 1998, comme les européennes de 1999 n’ont pas vu les jeunes porter massivement leurs suffrages vers les socialistes, au contraire. Pour certains, ils se sont réfugiés dans l’abstention tandis que d’autres ont davantage fait confiance à Cohn-Bendit pour porter les aspirations de la jeunesse. Sans vouloir heurter aucun des militants qui ont mené fidèlement et honnêtement campagne en y engageant toutes leurs forces et tout leur temps, le MJS n’est pas parvenu à apparaître comme autre chose qu’un rassemblement de jeunes militants du PS. Parce que la direction s’est trompée en pensant qu’il suffisait de populariser les succès de l’action gouvernementale, elle n’a pas su rassembler la jeunesse derrière les socialistes. Elle n’a pas su proposer des réponses politiques en lien avec les aspirations des jeunes.

Il s’agit ensuite d’un échec politique. Car qu’avons nous obtenu pour la jeunesse depuis le dernier congrès alors même que ce sont nos aînés socialistes et leurs alliés qui dirigent le pays ? De quelles victoires pouvons-nous nous targuer ? A Toulon, il y a deux ans, l’ancienne majorité nous expliquait alors que les jeunes étaient « au coeur des priorités de la gauche ». Mais force est de constater que la réalité des faits n’apporte pas de traduction concrète à cette légitime croyance. Car non seulement il n’y a pas eu d’avancées réelles, mais on peut même pointer un certain nombre de reculs.

Ainsi, le fait que les parents puissent désormais percevoir les allocations familiales jusqu’à ce que leurs enfants atteignent 21 ans, contre 20 auparavant, va à l’encontre de la nécessité d’assurer une plus grande autonomie matérielle et morale du jeune. En outre, la stigmatisation d’un certain nombre de jeunes des quartiers au travers de l’appellation plus que déplacée de « sauvageons » n’est pas acceptable. Enfin, il n’est pas possible de se satisfaire des conditions de rentrée dans les lycées alors même que le ministre de l’éducation avait promis, suite au mouvement lycéen de 1998, une « rentrée zéro défaut ».

Ces reculs, cette absence de nouvelles conquêtes pour la jeunesse et cet échec électoral ne sont évidemment pas imputables au seul MJS. Pour autant, ils dénotent clairement des difficultés que nous avons connues ces deux dernières années à relayer les aspirations de la jeunesse. Mais comment s’en étonner : dans le texte unique de la direction (soumis à la procédure d’amendements), les mots « jeunesse » ou « jeune » n’apparaissent en tout et pour tout que huit fois, si l’on accepte de prendre en compte le « jeune » d’ « emploi-jeune »...

Or, la jeunesse devrait être, au regard de nos responsabilités, la priorité d’un mouvement autonome comme le nôtre. Si tel n’est pas le cas, c’est que les véritables enjeux pour la direction sont ailleurs. La question de l’autonomie de notre mouvement se pose donc crûment.

2. ... à mille lieues de l’autonomie

Quels sont ces autres enjeux, étrangers à ceux d’un mouvement politique de jeunesse ? Disons le tout net : nous pensons que l’ancienne majorité croit évoluer au MJS comme au sein d’une « prépa-PS ». Un peu comme si le MJS était une sorte de « division 2 » du socialisme.

L’objectif étant alors, pour ceux qui le dirigent, de monter en première division -c’est à dire au PS- et en caressant même le rêve d’accéder un jour à la mythique « champion’s league » des cabinets ministériels. Sans vouloir porter préjudice, ni atteindre personnellement aucun des individus concernés, il est notable de constater que les trois seuls présidents que le MJS s’est donné depuis qu’il est autonome sont aujourd’hui membres de ces cabinets.

Les conséquences directes de cette situation sont visibles dès l’ouverture de ce congrès : la majorité issue du congrès de Toulon de janvier 1998, conformément à nos prévisions, a explosé. Il n’y a pas de hasard en politique. Il y a donc deux textes d’orientation issus de l’ancienne majorité soumis au vote des adhérents. Tout cela n’était bien qu’un rassemblement fait de bric et de broc. Et pourtant, tous épousent la même ligne d’action politique qui n’est pas celle de la rupture avec le système. Seul l’habillage change. Ce qui fonde les différences ou les convergences de ce conglomérat qui s’est retrouvé majoritaire en 1998 obéit donc à des logiques qui ne sont ni liées à leur projet politique global, ni à leur analyse des difficultés de la jeunesse et des solutions qu’ils proposent d’y apporter.

Dès notre contribution, nous souhaitions que notre congrès ne soit pas celui du PS. Nous réitérons aujourd’hui ce souhait en esperant qu’il ne soit pas trop tard et en lançant un appel à toutes les sensibilités pour qu’ensemble, elles fassent primer le débat de fond sur toute autre considération.

B. Un cours nouveau pour le MJS.

1. Nouveau programme...

Le plus logiquement du monde, les campagnes que nous proposons de mener sont la traduction militante de l’orientation qui émane du texte que nous soumettons aux suffrages des adhérents. Ainsi, elles portent sur les thèmes qui constituent, pour nous, les lignes de front sur lesquelles il est urgent d’opérer des ruptures et qui se trouvent au coeur des préoccupations de la jeunesse. Considérant qu’elles devront être élaborées collectivement et nourries par les expériences et les suggestions de chacun et de chacune, il serait pour le moins cavalier d’en donner une description détaillée. Ces campagnes n’appartiennent pas à une tendance mais au mouvement.

· Contre l’école inégalitaire, la révolution scolaire.

· 0 % de discrimination, pour rompre avec la logique du ghetto.

· Contre toutes les précarités, un statut pour chaque jeune.

· Contre l’OMC et pour le développement durable.

Bien entendu, indépendamment de celles que l’actualité politique, sociale et culturelle exigera de mener, d’autres campagnes devront également être envisagées qui pourront se concevoir comme des grands rendez-vous nationaux rassemblant, à l’initiative du MJS, d’autres acteurs que les seuls jeunes socialistes :

· Sur la condition féminine, à l’occasion des 25 ans de la Loi Veil, organiser la tenue d’Etats Généraux des femmes, dans le but de recentrer la lutte pour l’égalité et contre les discriminations sur les thèmes et les enjeux qui concernent le plus grand nombre.

· Sur la question des drogues douces, organiser un vaste appel national à la dépénalisation qui se donne pour objectif de dépasser le débat moral et de pointer l’interdiction du cannabis comme la principale cause du développement de l’économie parallèle qui entretient la logique de ghetto.

· Sur les droits des immigrés, lancer une pétition nationale ayant pour but d’obtenir enfin le droit de vote des immigrés aux élections locales.

2. ... Nouvelles méthodes

Nous proposons pour mener à bien ces initiatives une double méthode : celle du mouvement social et celle de la déferlante militante.

C’est le soutien populaire qui est la condition du succès en politique. C’est pourquoi vouloir être en lien avec le mouvement social n’est pas un gadget politique ou une posture esthétique. Car c’est le mouvement social qui est en première ligne aujourd’hui face aux offensives de la mondialisation libérale, comme en témoignent les nombreuses mobilisations autour des thèmes de l’OMC ou de la « mal bouffe », comme les succès de mouvements comme ATTAC ou la Confédération Paysanne. C’est sa force et sa combativité qui contraignent l’adversaire à des reculs, comme la victoire (temporaire) sur l’AMI l’a montré. Le MJS peut y puiser une légitimité et un impact politique accrus car cette volonté de changement qui s’affirme chez les salariés et les jeunes, c’est le sel de la terre. Etre en lien constant avec le mouvement, c’est le retour du socialisme parmi les siens.

Pour autant, il faudra veiller à ne pas l’abandonner en chemin. Ici, aucune pression extérieure aux intérêts de la victoire des luttes que nous soutenons ne devra remettre en cause notre participation. Les contre-exemples des sans-papiers ou de l’abrogation des lois Pasqua doivent servir de leçon : dire ce que l’on va faire, faire ce que l’on a dit.

La « déferlante militante », est le principe qui découle tout naturellement de lignes qui précèdent. En appliquant notamment la méthode du harcèlement démocratique des députés de la majorité pour qu’ils légifèrent sur les points qui nous semblent prioritaires, nous éviterons aux jeunes qui se sont mobilisés sur ces questions de possibles désillusions : jusqu’au bout, nous auront fait notre possible pour faire aboutir nos revendications.

Partout et en permanence, nous devons nous attacher à montrer que la vigueur militante des jeunes socialistes n’est pas soluble dans le train-train de leurs aînés du PS. Ainsi, nous adhérons à la formule désormais consacrée dans notre mouvement selon laquelle « pour être entendus, il faut être vus ». Mais nous pensons que prendre position sur tout au moyen de communiqués de presse ou de résolutions de BN n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir.

C’est donc le plus sérieusement du monde que nous affirmons que le « démontage » d’un Mac Do ne nous choque pas ou que s’inviter calmement dans les permanences des députés adhérents de l’association ATTAC et qui n’ont pas voté l’amendement Tobin dans l’hémicycle serait loin d’être un crime.

De la même manière, il est nécessaire de mener les campagnes là où elles revêtent un sens concret pour ceux à qui elles s’adressent : nous proposons ainsi systématiquement de mettre en place des « feuilles de boite » dans les entreprises qui emploient massivement des jeunes précaires. Pizza Hut et consorts se verraient alors obligés d’apprendre ce que signifient les mots « mobilisation collective ».

3. Nouvelle conception du mouvement...

Mener ces campagnes radicales et les mener de cette façon, parce qu’elles partent directement des préoccupations de tous les jeunes et qu’elles s’adressent avant tout à eux, c’est déjà changer le Mouvement lui-même.

Un Mouvement plus facile d’accès à chacun, qui brisera définitivement la principale critique selon laquelle le MJS serait le mouvement des jeunes étudiants des centre-villes. Ce point est crucial. Car si nous voulons faire de notre mouvement un instrument qui amène des jeunes à l’action politique, il est indispensable qu’il le fasse pour les jeunes de tous horizons.

Bref, il nous faut ouvrir toute grandes les portes de notre organisation pour en faire le reflet le plus fidèle qui soit du milieu qui est le sien : la jeunesse. C’est la seule manière pour le MJS de devenir enfin l’organisation politique de masse dont la jeunesse a besoin.

4. ... Nouveau fonctionnement

Mais pour pleinement y parvenir, le MJS doit être ouvert sur lui même et non simplement sur l’extérieur. Dans notre mouvement, il n’y a pas d’un côté les bons qui savent et de l’autre, les méchants qui complotent. Chacun, par ses expériences, sa trajectoire, son identité peut amener beaucoup à notre collectif. Voilà pourquoi nous devons échanger, bien plus que maintenant, nos expériences militantes.

Qui conteste dorénavant l’adhésion des fédérations de l’Essonne et de la Savoie ainsi que de quelques autres fédérations du MJS à l’association ATTAC ? Personne.

D’ailleurs, aujourd’hui, c’est l’ensemble de notre organisation qui en est membre. Pourtant, il y a encore 6 mois, c’était une mauvaise idée, sous le mauvais prétexte que « Pierre Bourdieu était un gauchiste lié à la LCR ». En dehors du caractère peu solide sur le fond et un peu sectaire sur la forme de l’argument utilisé, ce qui choque ici c’est l’incapacité à écouter, à apprendre des uns et autres. Malgré toutes ses qualités et son dévouement, le BN apparaît trop souvent comme un « politburo » seul détenteur de la vérité, qui n’est jamais pourtant que la sienne.

Concrètement, il s’agir d’ouvrir à l’ensemble de nos adhérents les Conseils Nationaux, de mettre en place un bulletin de liaison entre les Fédérations et d’assurer l’envoi d’une « lettre des tendances » tous les 2 mois.

* l’ensemble de nos adhérents doit pouvoir participer aux Conseils Nationaux. Ceux-ci doivent devenir le principal lieu de formation, d’écoutes, de débats et d’échanges de notre organisation. La présence du plus grand nombre doit donc être favorisée.

* le bulletin de liaison permettra d’assurer l’échange et la circulation des expériences de toutes les fédérations. Il ne doit pas simplement servir d’agenda et informer des descentes des membres du SBN en province mais devenir le bulletin des fédérations elles-mêmes.

* les majorités quelles qu’elles soient, n’ont pas le monopole des bonnes idées. Voilà pourquoi l’envoi d’une lettre d’expression politique et militante ouvertes à toutes les tendances (puisque les minorités n’ont pas accès au fichier des adhérents) nous paraît un point essentiel pour que le débat vive pleinement dans l’organisation.

En outre, si la démocratisation du MJS progresse depuis 2 ans, nous pensons qu’elle peut devenir encore plus concrète. Il nous faut encore progresser sur le plan d’une juste représentation de l’ensemble des sensibilités qui composent notre mouvement.

Cela passe avant tout par la mise en place du scrutin proportionnel à tous les niveaux de représentation. C’est le seul système qui soit totalement démocratique, et qui soit fidèle à la tradition de l’ensemble du mouvement socialiste.

Cela passe ensuite par des Conseils Nationaux qui ne soient pas simplement des chambres d’enregistrement des décisions internes de la majorité. Afin que le CN soit le véritable « parlement » de notre mouvement, il faut en changer la composition. Ses membres doivent donc être désignés sur la base des résultats obtenus par les tendances qui ont soumis des textes au suffrages des adhérents lors du congrès national. Bien entendu, les animateurs fédéraux et les membres du Bureau National en sont membres de droit. C’est ainsi que le débat pourra pleinement s’y développer .

Cela passe enfin par accorder davantage de place à l’instance d’arbitrage de nos conflits, à savoir la Commission Nationale d’Arbitrage, qui doit pouvoir exercer pleinement son rôle. C’est uniquement en lui permettant de trancher les conflits qu’elle sera dotée d’un réel pouvoir de décision. Elle ne peut pas agir sous la menace d’un bureau national hégémonique qui peut, à tout moment, pour des raisons de cuisine interne, casser son jugement.

En dernier lieu, c’est au Conseil National, véritable parlement de notre organisation, de prendre position sur les conflits à la majorité absolue de ses membres.

ADRESSE A TOUS LES ADHERENTS

Ce texte alternatif à celui de la direction est le fruit d’un travail collectif des jeunes militants de la Gauche Socialiste.

On vous a déjà certainement parlé de nous. D’après les premières descriptions que l’on a du vous faire, nous serions une bande d’individus hirsutes, aux coeurs froids, prêts à toutes les manoeuvres. On susurre même, ici ou là, que si la politesse oblige à nous accueillir dans la famille socialiste, il faut quand même veiller à bien cacher les bijoux dans un tiroir fermé à clé.

Ne craignez rien : les parures et les bijoux ne nous intéressent pas... Car la Gauche Socialiste est un courant politique. Pas une bande. Ni une écurie présidentielle sans projet politique de fond dont le but serait de déstabiliser son camp uniquement pour satisfaire les intérêts d’un éventuel candidat à la présidentielle.

L’essentiel des jeunes militants de la Gauche Socialiste sont issus du mouvement social. Par ce biais, notre courant constitue un carrefour de cultures, d’expériences et d’identités différentes : antiracisme, syndicalismes lycéen, étudiant et salarié... Ce métissage militant s’unifie dans une conviction qui nous est commune à tous : l’impérieuse nécessité de changer radicalement le cours de choses et le refus de l’acceptation de la fatalité en politique.

Voilà pourquoi, au-delà du nombre d’adhérents du MJS, au-delà de tous les débats divers et variés, ce à quoi nous aspirons est clair : convaincre que notre génération peut peser dans les choix majeurs de société et la doter pour cela d’un outil politique puissant qui joue pleinement son rôle : le MJS.

Affirmer haut et fort cette identité et cette volonté coûte cher. Dans une période où l’on dénonce l’idéologie, où la mode est à l’individualisme, où, dans les appareils politiques, les voix dissonantes sont mal perçues, déclarer vouloir toujours faire passer la lutte pour les idées avant les ambitions personnelles est une incongruité qui fait office de motif de punition permanent.

Pourquoi continuons-nous malgré les coups ? Simplement parce que nous y croyons. “la lutte pour les sommets suffit à remplir le coeur d’un homme”, avait coutume de dire Albert Camus. En ce qui nous concerne, ces sommets sont ceux de nos idéaux.



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