par Louis Maurin Directeur de l’Observatoire des inégalités
Beaucoup a été dit sur le renoncement de l’actuelle majorité à réformer la fiscalité et ses conséquences en termes d’inégalités de niveaux de vie. Bien moins pour ce qui est de l’école, alors que c’est dans doute beaucoup plus grave. Celle-ci devait être « refondée », elle ne le sera en rien, et ce vide a des conséquences désastreuses pour les plus défavorisés. Dans un pays où l’on accorde une place démesurée au diplôme, l’école joue un rôle central dans la reproduction dans le temps des inégalités.
Le projet de réforme scolaire de l’actuelle majorité a accouché d’une souris. Hormis la fin de la semaine de quatre jours, qui aura fait couler beaucoup d’encore, l’élève français n’aura pas vu beaucoup d’évolution. Quasiment aucun changement au primaire ou au lycée, quelques retouches dans le fonctionnement du collège. Point.
Comment en est-on arrivé là, alors que de fortes attentes avaient été suscitées par l’annonce d’une « refondation » ? Alors que notre pays est l’un de ceux qui a produit les réflexions les plus abouties en matière de modernisation des pratiques enseignantes ?
Incompréhension
D’abord, à cause d’une incompréhension sur le contenu même d’une réforme. L’enjeu scolaire actuel n’est pas tant de savoir quels sont les horaires, le nombre d’enseignants voire même les disciplines enseignées, mais la façon dont on fait l’école, dont on enseigne. Le système d’enseignement français a peu changé depuis les années 1960, contrairement à bien d’autres pays. Il souffre d’un académisme d’un autre âge, d’une part bien trop grande donnée à la mémorisation sur l’intelligence, de la faible autonomie des élèves, d’une compétition bien trop tendue alimentée une évaluation forcenée, etc.
43 % des élèves français de 15 ans se sentent perdus quand ils doivent faire un devoir de maths, contre 18 % des jeunes néerlandais
Beaucoup plus que le niveau scolaire, l’intérêt des enquêtes dites « Pisa » de l’OCDE est de montrer que les jeunes français sont les plus anxieux à l’école du fait d’un enseignement qui, plutôt que d’aider l’élève dans sa progression, constitue une machine à trier qui fonctionne par la peur de l’échec. Ainsi, par exemple, 43 % des élèves français de 15 ans se sentent perdus quand ils doivent faire un devoir de maths, contre 18 % des jeunes néerlandais. Le règne de la carotte et du bâton qui fait que plutôt que de têtes bien faites, on produit nombre de têtes bien pleines, savant bachoteurs mais loin d’être les plus à même de raisonner. Cette situation a une répercussion sur la qualité des élites ainsi produites.
Conservatisme
La vérité est qu’il ne s’agit pas vraiment d’une incompréhension. Ces éléments sont connus de tous les experts. Dernier exemple, la « conférence nationale sur l’évaluation des élèves », qui a remis en février dernier un ensemble de recommandations sur l’évaluation fondées sur la base d’un travail de grande qualité. Il ne sera jamais appliqué. Si le gouvernement a reculé sur ce sujet comme sur la réforme scolaire en général, c’est que les intérêts du conservatisme scolaire ont eu gain de cause au moment de la décision.
L’argumentaire n’est qu’un prétexte pour préserver un système calé sur la culture des enfants de diplômés
Celui-ci a un poids particulier en France : il est tout autant défendu à droite par les conservateurs traditionnels qu’à gauche par de fervents critiques de la « mondialisation néolibérale », au nom de la défense du service public. De Marianne au Point, les mesures les plus timides, comme celles présentées sur le collège, font se lever les lobbys contre le « pédagogisme » avec le même argument : moderniser l’école serait faire le jeu de la bourgeoisie intellectuelle, la préserver dans sa forme années 1950 c’est soutenir le peuple en défendant « le niveau ». Vive les blouses, le Latin, les filières séparées pour les enfants des catégories populaires dès le primaire.
Mépris social
La France serait une exception alors que tous les pays qui ont modernisé leur école sont à la fois moins inégalitaires et meilleurs d’un point de vue scolaire. On le sait bien : l’argumentaire n’est qu’un prétexte pour préserver un système calé sur la culture des enfants de diplômés et qui leur profite à plein.
Bien des raisons expliquent le soutien à ce conservatisme scolaire de classe. L’une des principales est le mépris social porté envers ceux qui constituent la graisse du « mammouth », les enseignants. Non par les parents en général, mais par les élites politiques, médiatiques et l’institution elle-même. De la même façon qu’une partie des ouvriers se tourne vers le Front national pour exprimer leur colère, nombre d’enseignants se radicalisent faute d’être entendus et soutenus. Heureusement, quelques professeurs isolés continuent à biaiser avec les consignes officielles et font l’école autrement1. Malheureusement, ils ne sont plus réellement entendus par un pouvoir qui a rangé ses valeurs au rayon des accessoires.
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