Cet ouvrage collectif [1] (Le Croquant, 2020), dirigé par Martine Boudet, est cosigné par des représentants de fondateurs d’Attac – SNUIPP, SNES, SNESUP –, de la fondation Copernic et du groupe Jean-Pierre Vernant. Avec le soutien de l’Institut de recherches de la FSU.
Tirant la sonnette d’alarme en cette période problématique, ce livre propose un plan de sortie de crise dans les secteurs éducatifs et de recherche. Depuis une décennie, enseignant·es, publics, citoyen·nes sont confronté·es à une avalanche de contre-réformes, souvent imposées. Il devient urgent de résister à cette « culture de la violence instituée », et à la sélection sociale qui en est une motivation et qui conduit au sacrifice des nouvelles générations.
Selon les auteur.es, cette résistance nécessite à la fois la compréhension du néolibéralisme autoritaire et l’invention d’un contre-modèle. À l’heure de la mondialisation, des paramètres contextuels sont à prendre en compte : l’essor d’un « capitalisme cognitif » qui discrimine les savoirs disciplinaires en fonction de leur degré de rentabilité et qui technocratise la gestion éducative ; les nuisances d’un élitisme xénophobe qui, s’appuyant sur l’autoritarisme de la Ve République, entrave l’élaboration d’une culture commune adaptée aux évolutions, avec les outils analytiques et stratégiques requis.
Le constat est qu’un rendez-vous historique a été globalement manqué sous l’ère Hollande-Peillon, le bilan de la « Refondation » étant mitigé. On peut noter positivement la création des ESPE [2] (à la place des IUFM [3] démantelés sous Sarkozy), même si le flou concernant leur fonction n’a pas été entièrement levé, et saluer la création d’organes autonomes tels que le CNESCO [4] et le CSP [5], ainsi que de postes d’enseignement. Le maintien de la LRU [6] entérine le choix d’une Université inféodée au dogme néolibéral. Par ailleurs, le maintien de structures de gestion autoritaire (au niveau des pouvoirs intermédiaires, académique, rectoral et inspectoral) entrave la libre expression et la participation des premiers acteurs et actrices sur le terrain, que sont les enseignants et personnels d’éducation.
Depuis lors, avec l’ère macronienne, on enregistre une série de réactions en chaîne. Le projet malthusien de loi de Programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) remet en cause le statut d’enseignant-chercheur et les libertés académiques qu’il garantit. Avec la mise à l’index des sciences de l’éducation, les neurosciences sont survalorisées dans le Conseil scientifique du ministère de l’Éducation nationale, inauguré en 2018. « L’école de la confiance » version Blanquer est, d’une manière générale, celle du devoir de réserve imposé aux personnels (au motif d’un « devoir d’exemplarité ») et d’involutions aux plans programmatique, didactique et pédagogique.
L’une des résultantes est, en dépit des principes affichés de tous côtés, la progression inquiétante des inégalités scolaires, ce dont pâtissent principalement les publics des quartiers populaires et multi-ethniques. En complément d’une politique de moyens à dispenser à l’éducation prioritaire, il faut revisiter les programmes d’enseignement, pour sortir d’une vision ethnocentrée et permettre l’expression des cultures périphériques, dans leur diversité créatrice. À défaut de quoi, discriminations systémiques et violences réactionnelles ne font et ne feront que s’amplifier.
Une autre résultante est, à la différence de la valorisation des ministères régaliens (les « forces de l’ordre »), la nette dégradation des conditions d’enseignement et d’études, spécialement dans le secondaire, dont le personnel est majoritairement féminin : répression de personnels par la hiérarchie, notamment de professeurs du primaire en résistance pédagogique, violences sociétales, vie scolaire perturbée, crise du recrutement... Emblématiques de cette crise ont été le mouvement #Pas de vague en 2018 et le suicide de Christine Renon à la rentrée 2019. C’est l’un des angles morts du système, puisque géré dans l’ombre des rectorats, des académies et des établissements. De même que les CHSCT [7], qui mettent pourtant en avant les ressources psycho-sociales propres aux personnels. Des rapports parlementaires ou d’autre nature documentent cette situation, sans pouvoir inverser cette tendance délétère.
D’autres ouvrages ont été publiés sur le système éducatif et de recherche, et celui-ci s’y réfère [8]. Sa spécificité est de se concentrer sur les questions de démocratisation institutionnelle et programmatique, dans la perspective d’une transformation des modes de gouvernance, de la restauration des missions et des conditions de travail et d’études, dans un climat d’inclusion culturelle et de collégialité. Un bilan, établi par degrés de scolarisation et en fonction des contre-réformes passées ou en cours, donne lieu à des programmes de remédiation ou à des alternatives, qui complètent d’autres travaux tournés vers les mêmes objectifs.
Un appel est lancé, en conclusion, à une campagne intersyndicale et citoyenne, pour, à l’image des services de santé à l’heure de la pandémie, réhabiliter ce secteur, cet autre pilier de la République sociale. En ces temps mauvais de montée en puissance de l’extrême droite et de remise en question de l’État de droit, qui se traduit dans la fonction publique par la réduction drastique des prérogatives des commissaires paritaires syndicalistes, la promotion des acquis, et des statuts qui les garantissent, s’avère indissociable de celle des libertés professionnelles (académiques, didactiques et pédagogiques).
La publication est à l’actif d’une équipe inter-catégorielle, interdisciplinaire, intersyndicale et qui exerce dans diverses métropoles, Lille, Marseille, Nantes, Paris, Rennes, Toulouse. Elle est constituée d’universitaires et de responsables dans les secteurs de l’enseignement, de la formation, de l’inspection, de la protection des personnels…
Par Philippe Blanchet, Martine Boudet (coordination), Emmanuel Brassat, Sophia Catella, Vincent Charbonnier, Paul Devin, Marie-France Le Marec, Alain Refalo, Valérie Sipahimalani, Axel Trani, groupe Jean-Pierre Vernant.
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