La présidente du Parlement hellénique, Zoé Konstantopoulou, juge « illégale, illégitime et odieuse » la plus grande partie d’une dette utilisée, selon elle, comme un moyen d’extorsion et de subordination.
Quel est le sens de l’initiative prise par le Parlement hellénique avec la création récente d’une commission d’audit de la dette ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU Le peuple grec et tous les peuples d’Europe ont le droit de savoir en quoi consiste cette dette publique utilisée contre eux comme un moyen d’extorsion et de subordination. Depuis plusieurs décennies, la politique économique, en Grèce, s’est fondée sur des emprunts qui, souvent, ont alimenté les réseaux de corruption. Durant les cinq dernières années, le mémorandum a imposé tout un éventail de techniques antidémocratiques, violant la Constitution, pour faire peser cette dette sur les épaules du peuple grec. Ces politiques se sont imposées par des décrets gouvernementaux, par des lois de trois cents, cinq cents ou huit cents pages, construites en un, deux, trois articles tout au plus, discutées et votées à la sauvette, selon des procédures d’urgence qui ne donnaient pas aux députés la possibilité et le droit de lire ces textes pour se prononcer en connaissance de cause et en conscience.
Certaines de ces lois ont eu un impact budgétaire, d’autres non. Mais toutes ont eu un impact social et humain dramatique. Nous avons expérimenté en Grèce une grave crise humanitaire, qui a plongé la population dans une situation de détresse sociale inédite et impensable pour un pays d’Europe. Le niveau de vie s’est littéralement effondré, la démocratie a été violée. Pour une grande part, la législation imposée aux Grecs sous prétexte de promouvoir les « réformes structurelles » voulues par la Commission européenne, le FMI et la Banque centrale européenne s’est traduite par la destruction de structures publiques, de garanties collectives et de droits sociaux. Cette politique a déchiré le tissu social. Tout cela brosse un tableau très noir, lié à la dette dite publique, une dette qui s’avère dans sa plus grande partie illégitime, illégale, odieuse et insoutenable.
Vous avez voulu donner à cette commission d’audit une dimension citoyenne. Quelle forme prend cette participation populaire ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU Il faut préciser que l’audit de la dette est une obligation européenne. Un règlement de 2013 contraint les États placés sous programme dit d’assistance à procéder à l’audit de leur dette. Or tous ceux qui parlent à longueur de journée des obligations internationales du gouvernement grec ignorent sciemment cette obligation. Mais cet audit n’est pas seulement une obligation pour l’État. C’est un droit élémentaire, fondamental du peuple grec, qui doit savoir en quoi consiste cette dette. Qui l’a contractée ? Par quels accords ? Selon quelle méthode, quels mécanismes ? En quoi consistent les différents taux d’intérêt ? Pourquoi les taux d’intérêt étaient-ils beaucoup plus élevés pour la Grèce que pour d’autres pays d’Europe ? Pourquoi autant d’emprunts ont-ils été contractés ? À quels accords de corruption ces prêts ont-ils donné lieu ? Quel pourcentage de cette dette est vraiment allé à la dépense publique utile au peuple grec ? L’audit de la dette grecque, il faut le rappeler, n’est pas une idée du monde politique ou de la présidente du Parlement hellénique. Elle vient de la société civile. Il y a eu une initiative très importante en 2011, avec la création d’un Comité pour l’audit citoyen de la dette grecque. C’est pourquoi en créant cette commission parlementaire, j’ai invité des membres de cette initiative à y participer. La plupart des séances sont ouvertes, publiques et retransmises par la télévision du Parlement.
Cette dette doit-elle être remboursée si elle est, comme vous le dites, en grande partie illégitime, illégale et odieuse ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU Nous avons maintenant des indices et des éléments très clairs qui nous permettent d’affirmer qu’une grande partie de cette dette n’est pas légitime. Mais nous devons finir ce travail d’audit, pour en définir exactement la part odieuse, illégitime, illégale, insoutenable. La conséquence, c’est que chacune des parties impliquées dans le processus de conclusion de ces accords d’emprunt devra assumer ses responsabilités. Nous devrons dire clairement ce que nous proposons pour cette dette, qui n’est pas une dette contractée par le peuple grec. Chaque enfant qui naît en Grèce, aujourd’hui, est déjà endetté à hauteur de 32 500 euros. Il est hors de question de faire peser sur les générations futures le poids d’une dette qui n’est pas la leur. Il n’est pas question non plus de fermer les yeux sur cette vérité. Une fois que nous aurons les résultats définitifs de cet audit, il sera évidemment question de demander l’annulation, l’abolition de cette dette non viable.
En arrivant à la tête de la Vouli, le Parlement grec, vous vous êtes adressée à vos prédécesseurs avec cette mise en garde : « Cette Chambre ne sera plus la lessiveuse de votre corruption. » Comment menez-vous ce combat contre la corruption, pour la transparence ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU C’est une bataille. Elle oppose le peuple grec, son espoir, sa volonté de transparence, d’intégrité et de vérité aux forces de la corruption qui disposent d’armes redoutables. Par exemple les grands médias, qui ont soutenu le régime du mémorandum, qui ont prospéré lorsque le peuple souffrait et qui entretiennent toujours des liens très étroits avec les deux partis de l’ancien gouvernement de coalition, Nouvelle Démocratie et Pasok.
En quoi les premières lois soumises au Parlement par le gouvernement d’Alexis Tsipras sont, comme vous les qualifiez, des lois de « protection sociale et démocratique » ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU La toute première loi votée par la majorité parlementaire comporte deux piliers. L’un consiste en des mesures d’urgence pour aider les couches sociales les plus vulnérables, les plus touchées par la crise, à se défendre face au désastre humanitaire. L’autre volet de cette loi prévoit une réforme de l’État avec un vaste plan de lutte contre la corruption. La seconde loi permet aux citoyens et aux entreprises endettées vis-à-vis de l’État de régler leurs arriérés d’impôts de façon graduelle, sans affecter négativement l’activité économique. Ensuite, nous avons adopté la loi de réouverture de l’ERT, la radiotélévision publique grecque brutalement fermée en 2013 par le gouvernement Samaras en dehors de toute procédure démocratique. Nous avons également adopté une loi de réforme du système éducatif et une loi de démocratisation du secteur public, qui a permis à de nombreux fonctionnaires licenciés sur ordre de la troïka de retrouver leurs postes et de reprendre le travail.
Ces premières décisions, conformes au programme de Syriza, concentrent les critiques des institutions européennes et des chefs d’État et de gouvernement de l’UE… L’application concrète de ces lois se heurte-t-elle aujourd’hui à l’absence d’accord entre Athènes et ses créanciers ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU Le gouvernement grec est décidé, non seulement à faire adopter de telles mesures, mais à les faire appliquer. Personne n’a le droit de faire obstacle à cette législation de protection sociale minimale. Nous n’en sommes pas encore à appliquer notre programme, mais à restaurer cette protection de base pour le peuple grec. Ce sont les premiers pas et je vous assure que nous allons avancer. Nous sommes déterminés à accomplir tout l’itinéraire pour remplir le mandat que nous a confié le peuple grec.
Vous aviez publié, avant les élections, un Livre noir critiquant sévèrement le Taiped, l’institution chargée de liquider les actifs de l’État grec, qui a tout mis en vente, bradant jusqu’aux plages. Que devient ce bureau des privatisations tous azimuts ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU Ce Livre noir, qui comprenait en effet un chapitre sur le Taiped, était consacré à la corruption en Grèce. J’y analysais toutes les dispositions introduites subrepticement dans la loi, lors des séances de nuit, par un Parlement déserté, pour assurer l’impunité et l’amnistie aux acteurs de la corruption à grande échelle et aux bandits de grand chemin que sont les auteurs de crimes économiques. Le plan du gouvernement prévoit l’absorption du Taiped par une caisse du patrimoine public dont les missions seront orientées non plus vers les privatisations, mais vers une exploitation sociale de la propriété publique. Nous n’y sommes pas encore. Nous attendons pour l’instant le cadrage du ministère des Finances. Nous attendons très impatiemment. Lors de la désignation de la direction du Taiped, les députés comme les représentants du gouvernement ont affirmé très clairement que cette structure ne pouvait pas continuer à opérer selon les critères qui prévalaient jusque-là.
Vous évoquez une volonté de maintenir la Grèce sous une « tutelle coloniale » . Qu’entendez-vous par là ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU Le régime de troïka présentait toute une série de caractéristiques coloniales, antidémocratiques, contraires aux normes internationales en matière de protection des droits de l’homme, violant la souveraineté nationale et populaire.
Une stratégie d’asphyxie s’est déployée dès le lendemain de l’arrivée au pouvoir de Syriza, avec le coup d’État financier de la Banque centrale européenne fermant un robinet de refinancement des banques grecques. Une incroyable pression s’exerce sur le gouvernement Tsipras, pour contraindre Syriza à tourner le dos à ses engagements électoraux. Cette stratégie vise-t-elle, selon vous, à contenir l’expansion du mouvement anti-austérité en Europe ?
ZOÉ KONSTANTOPOULOU C’est une stratégie de totalitarisme économique en même temps qu’une offense aux sentiments démocratiques en Europe. Cette stratégie va échouer, car elle se heurte à la détermination du gouvernement et du Parlement, mais surtout à la détermination du peuple grec et des peuples d’Europe.
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui, L’Humanité
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