Tsipras seul contre tout devant le Parlement européen

dimanche 12 juillet 2015.
 

Quiconque sait par connaissance du passé le caractère dictatorial du capitalisme comprend que l’heure du dénouement est proche dans le bras de fer que le gouvernement Syrisa porte depuis six mois face à des institutions aussi liées FMI, UE, BCE.

Retenons ses phrases chocs "Mon pays a été utilisé comme laboratoire de l’austérité et cette longue expérience de cinq ans et demi, chacun peut le constater et l’admettre, a totalement échoué. Dans sa large majorité, le peuple grec estime qu’il n’a pas d’autre choix que de tourner le dos à cette voie sans issue.

Tsipras a probablement joué ainsi devant le Parlement européen sa dernière carte avant le choix décisif qui l’attend : signer un "accord" sous la dictée de Merkel, Draghi, Juncker, Hollande et Lagarde ou prendre tous les risques en quittant, de fait, l’euro et l’UE.

Jacques Serieys

C) Tasos Koronakis « Le non est une réponse européenne »

Tasos Koronakis, secrétaire général de Syriza, estime que l’intransigeance des créanciers d’Athènes et des Vingt-Sept, 
après le «  non  » grec, serait destructrice pour l’Europe.

Comment jugez-vous le nouvel ultimatum posé au gouvernement grec  ?

Tasos Koronakis Ce sont les dernières menaces. Je pense que dimanche, à l’issue du sommet européen, le chantage financier qui perdure depuis cinq mois cessera. Nous trouverons un accord, parce que personne n’a intérêt à une sortie de la Grèce de la zone euro.

Alexis Tsipras affirme que la proposition grecque de compromis est déjà sur la table. Ses interlocuteurs affirment le contraire. Qui ment  ?

Tasos Koronakis Je ne veux pas accuser qui que ce soit de mentir, bien que, dans la dernière période, tout le monde a pu constater d’où venait le mensonge. Nous avons déposé une offre à l’Eurogroupe, au Conseil. Nous avons adressé une lettre au Fonds européen de stabilité financière. Nos propositions sont connues. Leur philosophie est claire  : il est hors de question de faire peser encore le fardeau sur ceux qui ont peu. L’accord que nous proposons s’inscrit dans une logique de redistribution qui couvre nos besoins de financement, comprend un plan de développement et implique l’ouverture d’une vraie discussion sur la dette.

Êtes-vous toujours prêts à accepter 
des mesures budgétaires dures en contrepartie d’un allégement de la dette  ?

Tasos Koronakis Notre proposition de compromis inclut des mesures douloureuses, éloignées de notre programme et dont nous savons l’inefficacité. Mais ce que nous voulons, c’est jeter les bases d’un accord qui permette au pays de retrouver une voie de développement dans l’avenir. Surtout, les plus modestes, les plus fragiles ne doivent plus payer la facture de la crise.

Quelle est votre stratégie, face au coup d’État financier qui se poursuit  ?

Tasos Koronakis Le peuple a répondu. S’ils persistent dans cette logique, cela prouvera leur volonté de morceler l’Europe. Je pense, cependant, qu’il s’agit d’un jeu pour nous contraindre à accepter le pire des compromis, pour nous faire endosser le même rôle que nos prédécesseurs qui ont tous renié leurs engagements.

Au-delà du verdict des urnes, un profond mouvement populaire s’est levé. Comment votre parti, Syriza, s’y inscrit-il  ?

Tasos Koronakis C’est un mouvement populaire qui ébranle tout le vieux système politique. Le camp du «  oui  » ralliait tous les anciens chefs de gouvernement encore en vie, c’est-à-dire les responsables de la situation présente. Il était soutenu par les médias dominants qui ont violé la loi électorale en continuant leur propagande jusqu’à la veille même du scrutin, par les patrons qui menaçaient leurs salariés de licenciement. Il faudra, au plus vite, que le gouvernement mette en œuvre ses engagements sur l’évasion fiscale, les médias, les droits des salariés. La gauche doit encourager l’émergence de nouvelles formes d’organisation populaire.

L’austérité explique-t-elle seule la radicalisation de la société grecque  ?

Tasos Koronakis Nous avons tous conscience de vivre un tournant historique crucial. C’est dans des moments comme celui-là qu’une société se politise et se radicalise. La Grèce, depuis cinq ans, subit un traitement cruel, avec, pour résultat, une grave crise humanitaire. Or on conteste aux Grecs le droit de mettre un coup d’arrêt à cette catastrophe. Pour la première fois, le gouvernement grec défend les intérêts du pays et refuse de renier ses engagements  : les citoyens en sont témoins. Une nouvelle relation de confiance se noue entre ce gouvernement de gauche et la société. Cela ouvre un nouveau chemin, non seulement pour la Grèce, mais aussi pour toute l’Europe. C’est ce qui explique l’intransigeance des autres. Si le gouvernement grec réussit, l’espoir s’enracinera, et s’étendra à toute l’Europe.

Le ministre français de l’Économie, Emmanuel Macron, assimile Syriza au Front national. Que vous inspire cet amalgame  ?

Tasos Koronakis Syriza ne prône pas la sortie de l’Europe. Nous voulons changer l’Europe, pas la détruire. Ceux qui mènent l’Europe à la destruction, ce sont les gardiens de ces politiques délétères. Le « non » des Grecs est la plus européenne des réponses. Dans les périodes de crise, chaque fois que la démocratie est mise en cause, un boulevard s’ouvre pour l’extrême droite. Les pays européens doivent maintenant choisir  : l’alternative à l’austérité sera soit la démocratie, soit l’extrême droite. Nous, nous sommes du côté de la démocratie.

Quel est le poids du mouvement de solidarité européen et international avec la Grèce  ?

Tasos Koronakis Ces peuples qui nous expriment leur solidarité sont nos alliés les plus solides. Ici, la centrale syndicale du secteur privé, la GSEE, a appelé à voter « oui », tandis que les syndicats allemands soutenaient le « non »  ! Il y a eu dans toute l’Europe des mobilisations très larges en faveur du « non ». Mais aucun mouvement pour le « oui »  ! C’est un combat de classes. La seule question qui vaille est  : quelle Europe et pour qui  ?

Tasos Koronakis

Secrétaire général 
de Syriza

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

B) Devant le Parlement européen, Tsipras refuse de sacrifier la justice sociale à la zone euro (L’Humanité)

Le gouvernement grec veut choisir de taxer les nantis, tout en restant dans la monnaie unique. Inadmissible  ?

« Il y a bien longtemps que l’on aurait dû avoir ce débat.  » Première ­remarque d’Alexis Tsipras au terme de la séance du Parlement européen en session à Strasbourg. Pendant toute la matinée d’hier, le premier ministre grec a ainsi pu s’expliquer devant les eurodéputés, porter dans l’enceinte de la représentation des peuples de l’Union européenne le message émis par ses concitoyens lors du référendum de dimanche dernier. Au-delà du cas de la Grèce, épuisée par cinq années d’un régime de superaustérité imposé par la troïka (Commission européenne, BCE et FMI), la crise actuelle pose la question de l’avenir de la zone euro. «  Ce débat ne doit pas être mené derrière des portes fermées  », a lancé Alexis Tsipras, plaidant pour un rôle renforcé du Parlement européen. Au lendemain d’un sommet des pays de la zone euro, au cours duquel la chancelière allemande Angela Merkel a maintenu une ligne dure, opposée à une restructuration de la dette, et face aux menaces de plus en plus ouvertement ­exprimées d’exclure la Grèce de l’union monétaire, le premier ministre a confirmé une fois de plus sa volonté d’engager des réformes pour réduire les dépenses publiques, mais défend le droit pour son gouvernement de choisir les mesures à prendre, à répartir le fardeau selon des critères équitables.

C’est une arme secrète des Grecs dans la bataille qu’ils mènent, tous ensemble, contre les chantages et pour la démocratie. Dans l’adversité, sous les torrents de boue déversés chaque jour sur leurs têtes, ils laissent, derrière leur non retentissant au référendum dimanche dernier, éclater de temps en temps un puissant rire sarcastique. Mardi soir, en plein sommet des chefs d’État de la zone euro, une image, détournée par un militant de Syriza, s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux en Grèce. C’est une photo d’Alexis Tsipras en grande conversation avec Mario Draghi. Le premier ministre grec expose, geste à l’appui, le problème du moment au patron de la Banque centrale européenne (BCE), yeux fermés, tête baissée. Selon la légende, Tsipras dit  : «  Alors là, tu vois, un énorme raton laveur rentre dans la chambre d’Euclide (Tsakalotos, le nouveau ministre des Finances grec – NDLR), et il vole nos propositions.  »

Les plus acharnés ont mis en avant la perspective du Grexit

Au-delà de la blague qui renverse l’insulte habituelle adressée aux négociateurs grecs, le gouvernement Tsipras entendait arracher une discussion politique de haut niveau, avant de rentrer dans une négociation «  technique  » dans les clous néolibéraux de laquelle les institutions veulent l’enfermer en permanence. Et il l’a obtenue. Mais à la déroute infligée par la consultation populaire en Grèce aux politiques d’austérité qu’ils préconisent, la Commission européenne, la BCE, le FMI et les chefs d’État européens répondent par une nouvelle menace, tout en maintenant l’étranglement financier du pays  : sans accord dimanche prochain lors d’un Conseil européen à 28, et donc plus avec les seuls États membres de la zone euro, ils pousseront la Grèce hors de la monnaie unique. Mardi, à Bruxelles (Belgique), à l’issue d’une réunion des ministres des Finances (Eurogroupe) puis d’un sommet des chefs de gouvernement de la zone euro, c’est la perspective du Grexit qu’ont voulu mettre en avant les plus acharnés, avec les États baltes, la Finlande, les Pays-Bas et la Slovaquie en première ligne. «  Je suis fermement contre un Grexit mais je ne pourrai pas l’empêcher si le gouvernement grec ne fait pas ce qu’il doit faire, avertit Jean-Claude Juncker. La Commission européenne est prête à tout. Un scénario détaillé prévoyant la sortie de la zone euro a été préparé.  » L’Allemagne qui, par la voix de Wolfgang Schäuble et de Sigmar Gabriel, paraissait déterminée à éjecter sans ménagement la Grèce de l’euro s’est contentée d’afficher sa préoccupation  : «  Je ne suis pas optimiste  », a glissé Angela Merkel. «  La France veut que la Grèce reste dans la zone euro et elle y travaille, affirme François Hollande. S’il n’y avait pas d’accord, il y aurait forcément recherche d’une autre solution, la France est obligée d’envisager cette option.  » Comble du cynisme  : plusieurs eurocrates promettent une «  aide humanitaire  » à la Grèce en cas de sortie de la zone euro…

Derrière les postures théâtrales, la tonalité apparaît un peu différente. Selon une source proche des négociateurs grecs, il y a des «  dissensions qui se creusent entre les différents États  »  : à côté des «  faucons  » qui veulent faire payer à la Grèce sa bataille contre l’austérité, un groupe d’États plaide pour un programme d’aide de deux-trois ans qui permettrait à la Grèce de sortir de la crise. D’après cette même source, la France approuve «  pour la première fois ouvertement  » les propositions de Tsipras et l’Allemagne «  commence à assouplir sa position  ». «  Chacun sait que ledit problème grec est en fait un problème européen, ajoute-t-on dans l’entourage des négociateurs grecs. Les États-Unis mettent aussi la pression. S’il n’y a pas d’accord et qu’on laisse la Grèce aller au défaut, cela va faire l’effet de dix Lehman Brothers d’un coup  !  »

« Mon pays a été utilisé comme laboratoire de l’austérité  »

Une fois cette étape franchie, la Grèce repart à l’attaque. Remplaçant de Yanis Varoufakis au ministère des Finances et dans les réunions de l’Eurogroupe, Euclide Tsakalotos a adressé un courrier au président du mécanisme de stabilité européen (MES). Dans ce document attendu par les institutions, la Grèce s’engage à mettre en place «  un paquet de réformes et de mesures qui doivent garantir la stabilité des finances publiques et la croissance à long terme  », évoquant en particulier «  la mise en œuvre immédiate, dès la semaine prochaine, des mesures pour réformer les secteurs d’impôts et des retraites  ». Mais c’est surtout devant le Parlement européen qu’Alexis Tsipras a repris la main.

À la droite, aux libéraux, aux sociaux-démocrates qui l’ont accueilli fraîchement et hué pour certains d’entre eux, et à toute l’Union européenne, le premier ministre grec affirme, dans un discours poignant, une fois de plus, que le peuple grec entend choisir son destin et les politiques que son gouvernement mène, tout en restant dans la zone euro. «  Le choix des Grecs fait dans des conditions de pression totalement inédites ne signifie aucunement une rupture avec l’Europe, insiste-t-il. Beaucoup de pays ont subi l’austérité, mais jamais ça n’a été aussi long que pour nous… Mon pays a été utilisé comme laboratoire de l’austérité. Et on doit le dire aujourd’hui, cette longue expérience de cinq ans et demi, chacun peut le constater et l’admettre, a totalement échoué. Dans sa large majorité, le peuple grec estime qu’il n’a plus d’autre choix que de tourner le dos à cette voie sans issue.  »

Alors que le gouvernement grec s’apprête à remettre ce jeudi aux créanciers et aux chefs d’État européens son programme de réformes, Alexis Tsipras entend bien, fort de la légitimité démocratique, faire respecter les choix politiques qu’il entend faire, dans le cadre de la «  trajectoire budgétaire  » exigée par les eurocrates, mais en insistant sur la renégociation de la dette. Devant le Parlement européen, en se basant sur une étude du Crédit suisse selon laquelle 10 % des Grecs détiennent 56 % des richesses du pays, le premier ministre grec défend un programme de «  justice sociale  », celui-là même qui, dans ses principes, avait été biffé au feutre rouge par le FMI il y a dix jours. Selon nos informations, le gouvernement grec entend sortir l’institution dirigée par Christine Lagarde dans tout plan ultérieur. «  Nos propositions aux institutions incluent des réformes crédibles basées sur un partage équitable des efforts à faire, revendique Tsipras devant le Parlement européen. Cela permettra de couvrir au niveau nécessaire les besoins financiers. Les plus riches ont été totalement épargnés par les politiques d’austérité menées depuis des années. Les gouvernements précédents ne se sont jamais attaqués à la fraude et à l’évasion fiscales, aux oligarques et aux cartels. Nous, nous voulons changer la Grèce avec des réformes qui permettent d’affronter les problèmes que n’ont pas voulu affronter les mémorandums et les gouvernements précédents.  » C’est, appuie-t-il encore, au nom des valeurs de l’Union qu’Alexis Tsipras appelle à conclure un «  compromis viable et honnête, un accord qui permettra d’échapper à une rupture historique et qui irait contre la tradition européenne  ». «  Je suis sûr que nous en sommes tous conscients et que nous allons tous prendre en compte notre responsabilité historique.  »

Les lignes commencent à bouger. Mais le coup d’État financier se poursuit en Grèce. Hier soir, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de maintenir le niveau des liquidités d’urgence accordées aux banques grecques au niveau actuel. Une manière d’étrangler les banques grecques et de menacer le pays entier d’une pénurie de liquidités. Jean-Claude Juncker, Mario Draghi ou Christine Lagarde sont toujours plus drôles quand ce sont des Grecs en lutte contre l’austérité qui écrivent leur discours…

Thomas Lemahieu

A) Grèce : l’Europe cherche dans l’urgence un plan B (Mediapart)

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Alors qu’un accord semble impossible à atteindre et que le système bancaire grec est au bord de l’effondrement, les Européens cherchent d’urgence un plan B pour la Grèce. Tous évoquent un contrôle des capitaux et une possible sortie de la Grèce de l’euro. Revue des scénarios à l’étude.

« Soit il y a un accord, soit il faut un plan B », avait prévenu le ministre irlandais des finances Michael Noonan avant le énième sommet de l’Eurogroupe. Il n’y a pas eu d’accord, le 18 juin, comme cela était prévisible. Une heure a suffi pour dresser un nouveau constat de désaccord entre le gouvernement grec et les autres responsables européens.

Et maintenant, il faut penser l’impensable : il peut arriver que la Grèce fasse faillite ; il peut arriver que la zone euro éclate. Même si les chefs de gouvernement européens tentent encore de faire croire qu’un accord avec la Grèce est possible – un nouveau sommet d’urgence est prévu lundi à Bruxelles –, les chances ne cessent de s’amenuiser, tant les positions semblent irréconciliables, tant l’Europe continue de s’accrocher à un plan dont la démonstration de la faillite n’est plus à faire, tant la situation du système bancaire devient tendue. « Nous sommes dangereusement proche d’un état d’esprit qui accepte un accident », a averti le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis.

Rappelant son mandat politique et son devoir moral, le gouvernement grec maintient sa ligne : il veut un plan d’aide viable économiquement, juste socialement. Il a prévenu ses partenaires européens : s’il n’y a pas d’accord au 30 juin, la Grèce ne paiera pas le 1,6 milliard d’euros qu’elle doit rembourser au FMI.

Les agences de notation – Standard & Poor’s comme Moody’s – ont tenté de calmer les financiers qui commencent à s’alarmer de la situation. Si la Grèce ne rembourse pas le FMI le 30 juin, cet événement ne constituera pas officiellement un défaut, affirment-ils. Athènes, selon les statuts du FMI, disposerait de 30 jours supplémentaires pour honorer ses échéances. De plus, le FMI étant un créancier institutionnel, l’absence de remboursement ne déclenche pas une procédure de défaut, comme dans le cas de non-remboursement d’un créancier privé.

À son arrivée à Bruxelles, jeudi, la directrice générale du FMI a douché les espoirs. « La Grèce doit respecter ses obligations. Le paiement du 30 juin est définitif. Il n’y aura ni période de grâce, ni nouveau délai », a-t-elle déclaré. Klaus Regling, le responsable du mécanisme financier européen, qui a assuré une partie des plans de sauvetage pour l’Europe, lui a emboîté le pas : « Nos prêts sont liés à ceux du FMI. Si celui-ci n’est pas payé au 30 juin, ce sera considéré comme un événement déclencheur de défaut. Et nous avons alors la possibilité de demander le paiement anticipé de nos prêts. »

Les Européens, qui n’ont cessé de sous-estimer la capacité de résistance de Syriza depuis son élection, agitent la menace du péril à venir, en cas d’échec. « S’il n’y a pas d’accord, nous entrons dans des eaux inconnues », a prévenu le président de la BCE, Mario Draghi. En écho, le gouverneur de la banque de Grèce, ancien ministre des finances du gouvernement de droite d’Antonis Samaras, a adressé mercredi une mise en garde sévère au gouvernement grec et aux parlementaires. « Faute d’accord, l’échec marquerait le début d’un chemin douloureux qui pourrait conduire en premier à un défaut de la Grèce et par la suite à la sortie de la Grèce de la zone euro et vraisemblablement de l’Union européenne. (…) Une crise d’endettement gérable se transformerait en une crise incontrôlable, faisant courir de grands risques au système bancaire et à la stabilité financière », a-t-il déclaré. « Tout cela conduirait à une profonde récession, une chute dramatique des revenus, une hausse exponentielle du chômage et un effondrement de toutes les réalisations économiques que la Grèce a obtenues depuis son entrée dans l’union européenne et spécialement dans la zone euro. Alors qu’elle est membre du cœur de l’Europe, la Grèce se verrait reléguée au rang de pays pauvre dans l’Europe du Sud. »

Rarement banquier central s’autorise de telles incursions dans le politique. La présidente du parlement grec, Zoe Konstantopoulou, a réagi, en qualifiant le rapport du gouverneur de la banque de Grèce d’« inacceptable ». Mais le gouverneur de la banque de Grèce a sans doute jugé cet avertissement indispensable, tant la situation devient incontrôlable : le système bancaire grec est au bord de l’effondrement.

La panique bancaire s’est installée chez les Grecs. Depuis le début de la semaine, les retraits des banques ne cessent encore de s’accélérer. Deux milliards d’euros seraient sortis en trois jours, dont un milliard pour la seule journée de mercredi. Depuis janvier, plus de 25 milliards d’euros sont sortis des banques. La banque centrale européenne (BCE) tient les banques grecques en faillite à bout de bras : elle leur a accordé 83 milliards d’euros par le biais des fonds d’urgence de liquidité (ELA).

Vendredi, une nouvelle réunion d’urgence est prévue à la BCE pour savoir si elle autorise ou non un nouveau relèvement du plafond des aides bancaires. La décision relève de fait de l’arme nucléaire : tout refus signifierait la fin de partie pour la Grèce. Interrogé récemment pour savoir si la BCE pourrait couper cette assistance respiratoire aux banques grecques, le président de la banque centrale, Mario Draghi, a répondu que son mandat dépendait de la volonté des gouvernements européens.

Interrogés sur la situation bancaire, les responsables de la BCE ont averti les membres de l’Eurogroupe que les banques grecques ne pourraient peut-être pas ouvrir lundi, compte tenu du flot des retraits, selon Reuters. « Demain oui, lundi je ne sais pas », aurait répondu Benoît Cœuré, membre du directoire. La BCE a par la suite démenti les propos écrits par l’agence. Mais deux membres de l’Eurogroupe les ont confirmés.

Face à la menace d’un écroulement bancaire, d’un défaut de paiement incontrôlable de la Grèce, les différents acteurs tentent de mettre au point des solutions alternatives. Dans la panique, les banquiers centraux et les responsables européens préparent un plan B, sur lequel ils n’avaient jamais officiellement travaillé. De son côté, Syriza semble aussi préparer un plan secret au cas où. Ils n’envisagent pas du tout les mêmes solutions.

LE SCÉNARIO CHYPRIOTE

Lundi dernier, la Süddeutsche Zeitung a dévoilé un plan B sur lequel travailleraient tous les créanciers de la Grèce (FMI, BCE, pays européens). Selon le quotidien allemand, il pourrait être mis en place dès ce week-end. L’idée serait de forcer le gouvernement grec à transiger, en imposant un contrôle des capitaux en Grèce, qui limiterait les retraits bancaires et les transferts à l’étranger. Le parlement grec devrait adopter une loi spéciale pour la prise en compte de ces dispositions.

En cas de refus, les responsables européens seraient prêts à isoler la Grèce, en la coupant du système monétaire européen et des mécanismes communautaires appelés Target 2, afin de la forcer à mettre en place les mesures requises. La chancellerie allemande n’a pas démenti ces informations.

Cette solution, qui a été évoquée dès décembre dans une étude de Goldman Sachs, reprend le schéma mis en place lors de la crise chypriote de 2013. Alors que le système bancaire hypertrophié de Chypre, devenu la plaque tournante du blanchiment des capitaux russes et moyen-orientaux, était au bord de l’effondrement, les Européens avaient imposé au nouveau gouvernement tout juste élu un plan de sauvetage drastique. Pendant plusieurs jours, toutes les banques avaient été fermées. Un contrôle des changes avait été imposé, les retraits sévèrement encadrés (moins de 300 euros par semaine). La deuxième banque du pays avait été liquidée et tous les comptes transférés vers la banque de Chypre. Les actionnaires et les créanciers ont été balayés. Tous les dépôts au-dessus de 100 000 euros – montant garanti dans toute l’union européenne – avaient été taxés voire saisis. En contrepartie de mesures « structurelles », la Troïka lui a accordé un plan d’aide de 10 milliards d’euros.

Pendant deux ans, Chypre a vécu ainsi entre parenthèses de la zone euro – le contrôle des capitaux vient juste d’être levé. Résultat ? Une économie qui a chuté plus de 15 %, des salaires qui ont diminué de 15 à 30 %, un chômage qui atteint plus de 16 % de la population active, un taux de créances douteuses qui dépasse les 50 %. Mais les Européens jugent que ce schéma chypriote est un succès reproductible : au premier trimestre, le PIB a progressé de 1,6 %.

Ce scénario présente de nombreux avantages, selon certains responsables européens. Syriza serait forcé à négocier ; la Grèce ne serait pas exclue du sein de la zone euro mais subirait juste une mise entre parenthèses provisoire ; les risques de contagion, tant redoutés depuis la crise de la zone euro de 2012, pourraient être écartés. Cela permettrait aussi de renvoyer à plus tard le délicat problème des dettes de la Grèce.

L’ennui pour les tenants de ce scénario est que la Grèce n’est pas Chypre. Les banques centrales peuvent décider de fermer les banques quelques jours. Mais aucune disposition européenne ne peut forcer un État membre à adopter un contrôle des capitaux. Seuls les parlements nationaux le peuvent. Comment imaginer que les parlementaires grecs accepteraient de voter de telles dispositions, surtout pour forcer leur gouvernement à accepter un mémorandum qu’il repousse depuis plus de cinq mois ?

De plus, imposer un contrôle des capitaux et un contrôle bancaire en Grèce est devenu, à ce stade, assez illusoire : les Grecs, prévenus du précédent chypriote, ont déjà anticipé ce risque, en accélérant les retraits bancaires. Leur argent est caché sous les matelas, investi dans l’achat de grosses berlines allemandes – les ventes de Mercedes ont fait un bond de 44 % en avril en Grèce – ou placé à l’étranger. Selon les dernières estimations, les fortunes grecques déposées à l’étranger, principalement dans les banques européennes et suisses, représentent plus de 400 milliards d’euros.

Si la BCE décide de fermer le robinet des fonds d’urgence aux banques grecques et d’isoler la Grèce du système monétaire européen, c’est l’effondrement immédiat. Le gouvernement grec n’aurait plus alors comme solution que de nationaliser l’ensemble du système bancaire, de se déclarer en faillite et sans doute de sortir de l’euro. Le contraire de ce que souhaitent les Européens, qui ne veulent surtout pas être accusés d’avoir poussé les Grecs vers la sortie.

LE SCÉNARIO ISLANDAIS

C’est vers une autre île que l’aile gauche de Syriza semble avoir trouvé des références pour élaborer son plan : l’Islande. Estimant que la poursuite des discussions avec les créanciers de la Grèce était désormais inutile, celle-ci se serait largement inspirée de ce qui s’est fait en Islande en 2008 pour imaginer un scénario alternatif, préparé dans le plus grand secret.

Celui-ci reposerait sur un défaut généralisé de toutes les dettes grecques. Aucun des créanciers, que ce soit le FMI ou la BCE, ne serait épargné. Cette faillite imposerait là aussi la nationalisation des banques, un contrôle des capitaux. « Les banques doivent être nationalisées immédiatement, et une structure de défaisance (bad bank) doit être créée », a déclaré un député du Syriza. « Plus les retraits s’accélèrent, plus cela sera facile », dit un autre.

Cette solution radicale aurait l’immense mérite de remettre tous les compteurs à zéro, selon ses défenseurs. La Grèce en aurait fini de ses dettes insoutenables – 180 % du PIB – que les créanciers refusent de renégocier, et qui plombent définitivement son avenir. « Syriza a de forts motifs idéologiques pour frapper les élites financières. Ils voient les banques comme le centre névralgique d’une oligarchie qui a dirigé le pays pendant plus d’un demi-siècle comme une affaire de famille. Forcer ces institutions à la banqueroute amènerait une purge politico-sociale, mieux connue sous le nom de révolution », explique l’éditorialiste du Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard, qui détaille longuement ce plan [1].

Les pays européens seraient les autres grands perdants dans ce scénario. Ils ont prêté plus de 250 milliards d’euros dans le cadre du plan de sauvetage. L’Allemagne et la France sont engagées à elles deux à hauteur de 160 milliards d’euros. Jusqu’à présent, ces dettes ne figurent dans aucun budget public. Elles sont inscrites dans les comptes du mécanisme européen de stabilité financière. Mais si la Grèce dénonce ces prêts, tous les États seront appelés en garantie. La France devrait alors inscrire au moins 55 milliards d’euros de dettes supplémentaires.

Comment les gouvernements européens expliqueront-ils alors leur faute de 2012, lorsqu’ils ont choisi de prendre à leur compte toutes les créances privées à l’égard de la Grèce, d’aider leurs banques plutôt qu’Athènes ? Comment justifier que l’ensemble de la population soit soumise à de nouvelles cures d’austérité pour payer les engagements irresponsables pris dans le passé par des créanciers privés ? C’est cette faute politique historique et l’impossibilité d’en faire l’aveu qui ont bloqué toutes les tentatives de restructuration de la dette grecque et précipité Athènes vers la faillite (voir les aveux calculés du FMI) [2].

Tout cela n’est pas pour déplaire à l’aile gauche de Syriza, mais aussi à toute la frange nationaliste grecque. Mais là encore, la Grèce n’est pas l’Islande. Lorsque l’île nordique a décidé d’un défaut généralisé et de la nationalisation complète de son système bancaire, elle avait sa monnaie, des réserves de change et le soutien du FMI. Celui-ci lui a consenti une aide de plus de 10 milliards de dollars pour se redresser. Après deux plans de sauvetage, la Grèce a épuisé son crédit auprès du FMI, surtout si celui-ci n’est pas remboursé de ses traites passées. Il lui faudrait trouver d’autres créanciers. De nombreux politiciens grecs regardent vers la Russie. Alexis Tsipras était encore à Moscou le 18 juin. Mais jusqu’à présent, les discussions avec Vladimir Poutine semblent s’être uniquement centrées sur le projet de gazoduc vers la Turquie. Moscou n’a fait aucun geste financier pour Athènes.

De plus, même si le maintien dans l’euro est en théorie possible – certains envisagent la création d’une monnaie parallèle –, il est en pratique impossible. Difficile d’imaginer un rebond économique si le carcan monétaire de l’euro subsiste, empêchant la Grèce de s’autoriser de dévaluations. De plus, les Européens ne voudront certainement pas partager un système monétaire avec la Grèce, même si aucune disposition ne peut forcer Athènes à sortir de la monnaie commune.

Une sortie de l’euro s’imposera, prédisent les économistes. Mais jusqu’à présent, Alexis Tsipras et les principaux membres du gouvernement ont repoussé cette hypothèse, revendiquant d’être membre de plein droit de l’union monétaire, et de l’Europe. L’enchaînement des événements et les forces disparates qui militent pour une sortie pourraient décider à leur place.

LA SORTIE DE L’EURO

Pour une fois, des responsables européens et une partie de la gauche de Syriza et des nationalistes grecs se sont trouvé un point commun : tous sont partisans d’une sortie rapide de la Grèce de l’euro.

Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, ne cache pas depuis des mois son désir d’expulser la Grèce. Les circonstances sont bien plus favorables qu’en 2012, explique-t-il. L’Europe s’est dotée de mécanismes de protection et la banque centrale européenne a désormais la formidable arme du quantitative easing pour éviter tout phénomène de contagion. Et puis, le traitement infligé à la Grèce ramènerait tous les autres pays dissidents – à commencer par la France et l’Italie d’un point de vue économique, l’Espagne d’un point de vue politique – dans le droit chemin. La zone euro trouverait enfin une cohérence.

Il a rallié à ses vues nombre de pays européens, comme la Lituanie, la Slovaquie, la Finlande, les Pays-Bas, qui n’en peuvent plus du dossier grec, qui ne voient pas pourquoi ils devraient financer un système social souvent beaucoup plus généreux que le leur. Mais il s’est heurté jusqu’à présent à l’opposition ferme d’Angela Merkel (voir à ce sujet l’excellente enquête du Spiegel) [3]. La chancelière allemande ne veut pas entrer dans l’histoire comme celle qui aurait tué le rêve européen, ni comme celle qui ferait basculer la Grèce de l’OTAN vers la Russie.

Pour faire taire un certain nombre de craintes, Wolfgang Schäuble a peaufiné son scénario. Son entourage évoque maintenant « un divorce de velours » avec la Grèce. Athènes sortirait de l’euro et ré-adopterait la drachme. Mais l’Europe lui apporterait des crédits de secours, et la BCE lui prêterait son concours afin de stabiliser son système monétaire et relancer son économie. Ces aides permettraient d’arrimer la Grèce à l’Europe et lui éviter la tentation de se tourner vers Moscou, explique-t-on. En contrepartie, Athènes pourrait aussi accepter de ne pas faire défaut d’une partie de ses dettes à l’égard des autres pays européens.

S’il doit y avoir divorce, autant qu’il soit brutal et sans concession, disent les partisans d’une sortie de l’euro en Grèce. Ceux-ci ne voient plus ce qu’ils ont à perdre. Ils ont le sentiment d’avoir déjà tout perdu : l’économie totalement effondrée, le chômage touche plus de 28 % de la population, un tiers de la population est au-dessous du seuil de pauvreté, des centaines de milliers de Grecs n’ont plus accès au système de santé. « Nous serons pauvres, mais au moins nous aurons regagné notre souveraineté », expliquent-ils.

Nombre d’économistes partagent cette analyse. La sortie de l’euro, accompagnée d’une dévaluation de la drachme de 20 à 50 % par rapport à la monnaie unique, apporterait l’oxygène dont le pays a besoin, explique Wolfgan Munchaü dans un article publié dans Financial Times. « Les premiers mois seraient chaotiques mais l’argent reviendrait. La Grèce serait probablement en meilleur état économique hors de l’euro, si elle poursuit une bonne politique », prédit l’économiste britannique Gabriel Sterne.

Tous font le pari que les 400 milliards d’euros qui ont été déposés à l’étranger reviendront une fois que la stabilité monétaire sera installée : la dévaluation de la drachme par rapport à l’euro apportant un supplément de pouvoir d’achat très précieux. L’observateur Charles Gave se demande même si cette fuite des capitaux n’a pas été voulue par le gouvernement de Syriza, tant son inertie par rapport aux retraits bancaires semble inexplicable. Syriza se serait ainsi constitué volontairement un trésor de guerre à l’extérieur de la Grèce, au cas où et qui pourrait être rapatrié très vite.

Si la sortie de la Grèce de l’euro paraît souhaitable à nombre d’économistes, il en va tout autrement pour les autres membres de l’euro, à les entendre. Même si certains affirment que rien de préjudiciable ne peut se passer, d’autres sont beaucoup plus inquiets. Pressant les Européens de trouver une solution rapide pour la Grèce, le secrétaire américain au trésor, Jack Lew, n’a pas hésité à parler de « moment Lehman » en cas de sortie de la Grèce, provoquant un nouvel effondrement du système financier international.

Sans arriver à un scénario aussi apocalyptique, certains économistes redoutent que le système de l’euro ne soit cassé avec une sortie de la Grèce. Les assurances données par Mario Draghi en pleine crise de 2012, affirmant que « l’euro était irrévocable », en tout cas, n’auraient plus cours. Les armes mises en place par la BCE pour endiguer la contagion risquent de perdre très vite de leur efficacité.

Déjà, les marchés financiers commencent à tester les résistances. Les taux d’intérêt espagnol, italien, portugais recommencent à monter. Ils atteignent à peine 2,5 à 3 %, très loin des taux stratosphériques enregistrés pendant la crise de l’euro. Mais ce sont les signes avant-coureurs de nervosité. « Une fois qu’un pays est parti, l’union monétaire change en un système de parité fixe, dans lequel une analyse coût-bénéfice se met en place pour savoir si un autre pays doit partir », a averti, en désespoir de cause, le ministre grec Euclide Tsakalotos. Mais l’avertissement n’a pas été entendu. Les responsables européens ne veulent plus écouter. Ils veulent seulement en finir avec la question grecque, quelles qu’en soient les conséquences.

Martine Orange

Notes

[1] http://www.telegraph.co.uk/finance/...

[2] http://www.mediapart.fr/journal/int...

[3] http://www.spiegel.de/international...


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