Athènes reprend la main face aux créanciers

vendredi 26 juin 2015.
 

Les caméras sont installées ? Les photographes ont réglé leurs objectifs ? C’est bon ? Moteur, on tourne ! JeanClaude Juncker embrasse Alexis Tsipras comme du bon pain. Plus tard, il tapotera la joue du premier ministre grec. La semaine dernière, à Luxembourg, Christine Lagarde, la patronne du Fonds monétaire international (FMI), avait traité les Hellènes de grands enfants capricieux devant toute nouvelle rasade d’austérité, en réclamant de voir des « adultes » à la table des négociations, et voilà que, devant les objectifs, hier midi, à Bruxelles, le président de la Commission européenne ajoute en quelque sorte le geste à la parole.

Le décor est planté pour une journée présentée comme historique ­ les chefs d’État de la zone euro devaient se retrouver hier soir ­, les acteurs des institutions comme la Commission, la Banque centrale européenne ou le FMI surjouent la familiarité et le scénario de la grossière production est cousu de fil blanc : les ordo-libéraux de l’Union européenne veulent sauver les Grecs des sauveurs qu’ils ont démocratiquement élus en janvier dernier. Mais Alexis Tsipras refuse toujours de jouer la partition qu’on entend lui dicter en échange du déblocage d’une « aide » de 7,2 milliards d’euros ­ dont le versement est suspendu depuis l’été dernier — et, petit à petit, il commence à enfoncer des coins dans le bloc des créanciers.

Dimanche soir, face au FMI et aux institutions européennes qui exigent toujours un plan de coupes des retraites et une hausse de la TVA sur l’électricité, le gouvernement grec a étayé sa série de contrepropositions. « Je crois qu’il est temps pour une solution substantielle et viable qui permette à la Grèce de renouer avec la croissance, avec la cohésion et avec la justice sociale, au sein de la zone euro », a lancé Alexis Tsipras en arrivant lundi matin à Bruxelles. Dans le détail, les Grecs se disent prêts à accepter la fixation à 1 % (contre 0,75 % dans leur position initiale) de leur excédent budgétaire primaire (hors charges de la dette) et l’augmentation du taux de TVA pour certaines activités (hôtellerie par exemple), comme le leur demandaient ces dernières semaines les créanciers. Ils acceptent de supprimer un régime de préretraites dès 2016, tout en s’engageant à reculer progressivement l’âge de départ à la retraite jusqu’à 67 ans. Mais d’après les représentants grecs à Bruxelles, aucune des contre-propositions ne mord sur les « lignes rouges » décidées par Syriza : les retraites et les salaires sont préservés et la fiscalité sur l’énergie n’augmente pas.

Pour trouver les ressources budgétaires nécessaires, le gouvernement grec table sur un impôt sur la fortune ainsi que sur une taxation extraordinaire des bénéfices supérieurs à 500 000 euros des entreprises. À côté du rétablissement des droits sociaux et d’une politique de contractualisation collective dans les entreprises, il présente également un plan de lutte contre l’évasion fiscale et contre la corruption.

Avec ce plan qui sort de la logique de coupes et de réductions purement « paramétriques » dans laquelle les créanciers entendaient l’enfermer, la Grèce paraît en mesure de reprendre la main dans le bras de fer avec les ordo-libéraux européens. En milieu d’après-midi, avant le sommet, le soir même, des chefs d’État de la zone euro, Jeroen Dijsselbloem, patron de l’Eurogroupe, a, pour la première fois depuis des lustres, salué les « nouvelles propositions » du gouvernement grec. « Elles doivent être considérées comme une étape positive dans le processus, même si, comme les institutions ont eu très peu de temps pour les étudier, nous ne pouvons pas totalement nous prononcer sur le fond. »

Commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici salue, lui, une « base solide dans la recherche d’un accord ». Pour les créanciers, il s’agirait désormais, dans les jours qui viennent, et d’ici au Conseil européen qui se réunit jeudi et vendredi prochains, d’étudier avec les « services techniques » la portée financière des mesures présentées par les Grecs... Mais avec la mobilisation grandissante dans toute l’Europe en solidarité active avec cette Grèce qui refuse l’austérité (lire aussi ci-contre), les affaires se comAthènes reprend la main face aux créanciers pliquent pour les « techniciens » ou les « experts » gardiens des dogmes ordolibéraux de l’Union européenne. C’est bel et bien de la politique et de la démocratie que réclament à cor et à cri les Grecs et leurs soutiens en Europe.

« La zone euro se meut de manière très mystérieuse, raillait Yanis Varoufakis à l’issue de l’Eurogroupe de la semaine dernière. Des décisions d’une importance capitale sont approuvées par les ministres des Finances qui ne peuvent y réfléchir puisqu’ils sont tenus à l’écart des détails, pendant que des hauts fonctionnaires non élus, mais travaillant pour des institutions hyperpuissantes décident de tout, à l’abri des regards, et sans considération pour un gouvernement qu’ils considèrent comme isolé et en difficulté. » En jouant sa carte jusqu’au bout, la Grèce réussit à desserrer cet étau. Signe, peut-être, que la pression commence à se faire sentir, la France et l’Allemagne ne disent plus exactement la même chose à son propos. Face aux contre-propositions du gouvernement Tsipras, quand Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, bougonne qu’il ne voit « rien de substantiel » dedans, Michel Sapin salue un « travail de qualité ». Alors que, jusqu’ici, les créanciers ont toujours réalisé leur consensus entre eux en exigeant toujours plus de sacrifices de la Grèce ­ à la fois les réformes antisociales et l’austérité budgétaire ­, une brèche paraît s’ouvrir pour renverser cette logique délétère. Sans doute pas décisif, à quelques jours du Conseil européen des 25 et 26 juin, le sommet de la zone euro, sur le point de s’ouvrir à l’heure où ces lignes étaient écrites, devenait l’occasion d’un retour à la politique à l’échelle de l’Union.

Thomas Lemahieu, L’Humanité

ACCORD ENTRE ATHÈNES ET MOSCOU SUR UN GAZODUC

La Grèce a décroché un accord de 2 milliards d’euros avec la Russie le 19 juin. Le contrat porte sur l’allongement d’un gazoduc russe, à l’état de projet, qui doit traverser la Turquie. Si l’accord est confirmé, les travaux seront réalisés par une société détenue à parts égales par la Russie et la Grèce, mais financée par la banque de développement russe VEB. Si les deux pays se sont empressés de souligner l’absence d’aide financière, cet accord reste un moyen pour Athènes de rappeler à ses créanciers qu’elle peut trouver de l’argent ailleurs et pour Moscou de défendre ses exportations.


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