Crise de l’élevage, crise laitière, l’impératif « compétitif » et la crise de la paysannerie

mercredi 29 juillet 2015.
 

Le plan de soutien aux éleveurs surendettés, notamment les jeunes, est certes nécessaire à court terme, cependant il ne doit pas servir à maintenir un système à bout de souffle et passer sous silence que tous les éleveurs sont aujourd’hui en crise, concernés par la baisse généralisée des prix.

Pour résoudre durablement cette crise, il faut stopper net cette politique de libéralisation délibérée qui a poussé au surendettement et met aujourd’hui en péril des dizaines de milliers d’éleveurs. On continue à favoriser la saturation des outils de production des entreprises agroalimentaires au détriment des éleveurs et des territoires.

Par ailleurs, il est illusoire de réactiver le mirage de l’export, dont les aléas (embargo russe, contraction des débouchés chinois) sont en grande partie responsables de la crise actuelle. Cela devient carrément cynique quand Manuel Valls envisage de profiter de la faiblesse actuelle des grecs pour conquérir leurs marchés agricoles.

Et que dire enfin du silence sur les accords de libre-échange en cours de négociations avec les États-Unis et le Canada. Aucun avenir pour les paysans européens face aux méga fermes-usines nord-américaines !

Le bon sens économique et paysan appelle à s’attaquer aux causes profondes de ces crises récurrentes, notamment par la maîtrise des volumes au niveau européen et la réorientation des politiques agricoles vers un autre modèle.

Ces aides seront donc à fonds perdus, comme la Cour des comptes en fait état dans son rapport, et ne serviront qu’à financer la restructuration et le plan de licenciement de l’agriculture à taille humaine mis en place par les industries agro-alimentaires.

Crise de l’élevage : Le Sénat prend les mêmes et recommence (16 juillet 2015)

Les éleveurs de vaches laitières, de bovins viande et de porcs subissent la crise au quotidien, sur leurs fermes. Loin de ces réalités, le président du Sénat s’est posé aujourd’hui en sauveur de l’élevage, en continuant à brasser les mêmes méthodes qui ont conduit dans le mur. Il faut dire qu’il n’avait pas l’intention de s’ouvrir à d’autres options puisque, encore une fois, les « représentants des agriculteurs » n’étaient que la FNSEA*, sa section jeune et ses sections spécialisées. Ce n’est pas parce qu’on est président du Sénat qu’on peut se dispenser d’appliquer le pluralisme !

Selon eux, la solution serait dans le désendettement des paysans. Sauf qu’ils n’ont pas comme objectif de les sortir d’une situation catastrophique, mais plutôt de leur permettre d’investir encore, de s’endetter encore, de produire encore plus ! Bref, on efface la situation actuelle, et on la reproduit.

Les éleveurs en ont ras-le-bol de ces grand’messes à répétition qui ne font que confirmer la catastrophe ! Les pouvoirs publics et leur volonté de dérégulation sont largement à mettre en cause dans cette situation. Il faut agir d’urgence sur les prix et revoir le fonctionnement même de ces filières malgré les réticences des industriels. La Confédération paysanne a toujours été porteuse de réelles solutions pour l’élevage. Reste à savoir si l’objectif de nos gouvernants est bien de trouver des solutions…

Crise laitière : Les industriels affichent leur mépris des éleveurs

Hier matin, lors du Conseil d’administration du CNIEL*, le collège producteur a souhaité discuter de la crise laitière en cours… et les transformateurs y ont opposé une fin de non-recevoir ! Voilà qui démontre l’esprit dédaigneux des industriels face aux éleveurs. La Confédération paysanne partage donc les raisons qui ont conduit Thierry Roquefeuil à démissionner de la présidence de l’interprofession.

Avec toutes les clés de la filière en leur possession (organisation de producteurs par entreprise, gestion des volumes, concentration de la production…), les industriels sont actuellement en position de mettre en place un véritable plan de restructuration de la filière laitière. En clair, un plan de licenciements est en marche pour assurer la disparition de dizaines de milliers d’éleveuses et d’éleveurs laitiers ! Ce n’est donc pas que la crise du lait ne les intéresse pas, c’est qu’elle leur est utile !

Les pouvoirs publics, coupables de cette situation par leur désengagement, doivent agir pour redonner du pouvoir aux éleveurs ! Il est désormais clair qu’ils doivent prendre des mesures d’urgence sur la crise sans attendre un assentiment qui ne viendra pas des industriels qui préfèrent jouer la division entre producteurs.

Dès aujourd’hui, la Confédération paysanne va aller interroger les laiteries pour exiger des explications sur le prix du lait et la stratégie employée pour faire remonter les prix. Les éleveurs de la Loire et du Rhône seront mobilisés cet après-midi devant une laiterie Sodiaal (1re coopérative laitière en France). Nous ne laisserons pas les industriels, qu’ils soient privés ou coopératifs, jouer avec l’avenir des éleveuses et des éleveurs !

*Centre national interprofessionnel de l’économie laitière. Le collègue producteur regroupe la section spécialisée lait de la FNSEA* (FNPL* – Fédération nationale des producteurs de lait avec le syndicat Jeunes agriculteurs) et la Confédération paysanne. Les transformateurs sont représentés par la FNIL (Fédération nationale des industries laitières) et par la FNCL (Fédération nationales des coopératives laitières).

Et si on s’occupait des paysans ? (03 juillet 2015)

La commission des comptes de l’agriculture vient de se réunir pour constater, comme tous les six mois, que le nombre de paysans diminue. Hier, le Conseil supérieur d’orientation du ministère de l’Agriculture devisait salle Sully sur les investissements dans les fermes et notre compétitivité nationale. Pendant ce temps-là, les éleveurs de porcs, de bovins viande et de vaches laitières appellent à l’aide. Et s’il y avait un lien ?

Les chiffres de la commission des comptes sont clairs, le prix de la grande majorité produits agricoles est en chute, et les volumes augmentent. On incite donc les paysans à compenser la baisse des prix par une augmentation de la production, donc de l’investissement, donc de l’endettement, donc du temps de travail. Et on ne gagne toujours pas plus ! Mais c’est « compétitif » selon les courbes du ministère, et tant pis si chaque jour des hommes et des femmes doivent quitter le métier.

On se rassurera en apprenant que la commission des comptes de l’agriculture va désormais travailler sur toutes les agricultures (petites fermes, diversité des territoires…) et prendre en compte l’évolution du nombre d’actifs agricoles. On se sentira soulagé de lire que l’usine des 1000 vaches devra, dans les 15 jours, être ramenée à 500. Mais doit-on pour autant s’en satisfaire quand on sait que les petites fermes sont chaque jour dénigrées et empêchées d’exister par des règlementations faites pour l’industrie alors qu’elles sont créatrices d’emploi et de dynamique des territoires ? Peut-on laisser croire que l’avenir des producteurs laitiers est aux usines de 500 vaches qui écrasent les prix et avec eux tous les éleveurs qui font leur métier avec compétence et passion et souhaitent simplement en vivre ?

Après le Conseil supérieur d’orientation d’hier, il est temps d’admettre que le seul objectif est de sauver la production, pas les producteurs. Tous ces paysans qui disparaissent chaque jour c’est une incroyable richesse qui s’efface. Soyons clairs : les agri-managers ne sauveront ni le climat, ni les territoires ruraux, ni la gastronomie, et surtout pas l’emploi !

Prospective lait de vache : L’avenir au service de l’emploi et la vitalité de nos territoires (30 juin 2015)

La filière se retrouve aujourd’hui à FranceAgriMer autour des résultats d’un grand travail de prospective. La Confédération paysanne s’étonne du faible rôle des pouvoirs publics dans les quatre scénarios présentés. Nous prenons note également du scénario de généralisation de l’usine des 1000 vaches qui s’avère catastrophique : il nous conforte dans notre combat et devoir d’alerte contre l’industrialisation.

Dans une logique gagnant-gagnant de tous les acteurs de la filière, voilà notre scénario pour l’avenir :

Les autorités politiques à tous les niveaux prennent à bras le corps les nouveaux enjeux : changement climatique, alimentation de qualité pour tous, partage des richesses, droit du travail harmonisé…

En Europe, cela se traduit par une réflexion globale, en premier lieu sur l’emploi. Le modèle de développement agricole est revu sur cette base, avec comme objectif de stopper la diminution du nombre de paysans. La PAC* devient une politique de création d’emplois, plutôt que de suppression. Deux des premières mesures fortes mises en œuvre dans la nouvelle PAC* sont l’instauration d’une conditionnalité sociale des aides et la différenciation des soutiens selon la taille des fermes. Un dispositif de régulation du marché laitier au niveau européen, intégrant des critères de répartition équitable, est mis en place permettant une gestion dynamique de la production, à la baisse comme à la hausse.

Les effets croissants du changement climatique s’accompagnent de la reconnaissance du potentiel de stockage de carbone des sols agricoles, à commencer par les prairies. Cela valorise les systèmes plus herbagers avec un focus sur l’herbe comme culture productive, la diversification des cultures, l’autonomie fourragère et les techniques culturales moins consommatrices d’intrants. L’industrie laitière française s’appuie sur cette image d’excellence pour une stratégie export recentrée exclusivement sur les produits à haute valeur ajoutée. Les organisations de producteurs structurées par bassin ont permis d’imposer une mutualisation des coûts de collecte et négocient collectivement le prix du lait de leurs producteurs, ainsi que la destination privilégiée pour leur lait commercialisé.

La politique du commerce mondial privilégie désormais sécurité des approvisionnements et développement local des productions agricoles partout où cela est possible. Les accords de libre-échange abandonnés, les droits de douane empêchent d’un côté la concurrence sur les denrées de masse protégeant les paysans locaux, mais de l’autre côté ne freinent pas particulièrement les importations de produits à forte valeur ajoutée ou innovants, la balance commerciale française laitière continuant à progresser.

Les pouvoirs publics jouent un grand rôle dans la réorientation de la demande, à commencer par la restauration collective. La distribution (GMS, crèmeries…) intègre l’interprofession laitière et revoit sa stratégie pour satisfaire les consommateurs qui s’étaient éloignés. L’accent est mis sur les qualités nutritives des aliments : la PAC* établit alors un lien fort avec une politique alimentaire européenne.

La diversité laitière des régions françaises subsiste avec un tissu dense de fermes : des élevages herbagers intensifs du Grand Ouest, aux systèmes de polyculture-élevage redynamisés dans les zones dites intermédiaires et aux systèmes de montagne.

Le revenu plus élevé et davantage sécurisé des éleveurs, accompagné d’un contrôle du prix du foncier en France et des phénomènes de surcapitalisation, permet de relever le défi du renouvellement des générations.

Ci-dessous : le communiqué de presse commun Coordination européenne Via Campesina. Européen Milk Board diffusé ce matin

Communiqué de presse

Les éleveurs européens demandent une reconnaissance immédiate de la crise en cours ainsi que des outils publics de régulation du marché laitier

(Bruxelles, le 30.06.2015) À l’occasion de la 7e réunion de l’Observatoire européen du marché du lait qui a lieu aujourd’hui à Bruxelles, nous – la Coordination européenne Via Campesina (ECVC) et l’European Milk Board (EMB) – exigeons une reconnaissance immédiate de la crise et des mesures de prévention de crises pour l’avenir, à l’instar du Comité des régions ainsi que du Parlement européen, via le rapport Nicholson. La fermeté avec laquelle la Commission européenne persiste dans sa politique de libéralisation, sans se préoccuper de l’avenir des éleveurs laitiers européens, nous paraît inacceptable.

Avec la fin des quotas, c’est un ensemble d’outils à disposition de la filière laitière qui a été démantelé. La volatilité des cours mondiaux engendre des crises cycliques qui font disparaître un grand nombre d’éleveurs laitiers. Les conséquences sociales, environnementales et économiques sont de très grande ampleur sur les territoires européens.

Aujourd’hui, l’OCM unique ne contient plus beaucoup d’éléments de régulation et d’intervention pour les éleveurs laitiers. Les outils existants qui ont été adoptés lors du « paquet lait » méritent une évaluation. Leur mise en place au niveau communautaire doit être revue compte tenu des évolutions perceptibles depuis le 1er avril 2015, date de fin des quotas. Risques avérés d’abandon de collecte en Espagne, prix en-dessous de 30 centimes d’euros le litre dans un grand nombre de pays, perte continue d’emplois paysans... la crise laitière est bien là !

ECVC et EMB nous accordons pour exiger des institutions européennes et des 28 États membres une politique laitière européenne juste et équitable. Nous leur proposons de travailler ensemble à la résolution de la crise actuelle ainsi qu’à la mise en place d’outils de réduction de la production de portée générale pour prévenir des crises futures.

Cela doit se poursuivre par une prise de conscience de la Commission européenne de la situation intenable des éleveurs laitiers européens. La réforme demandée conjointement par nos organisations représentatives ECVC et EMB passe aussi par une définition de la notion de crise, partagée par tous dans l’UE, ainsi que par le renforcement des missions de l’Observatoire européen du marché laitier. Nous soutenons qu’il est primordial de mettre en œuvre de nouveaux instruments, complémentaires aux instruments existants. Ces derniers n’ont pas été à même d’éviter la crise actuelle, ni ne pourront-ils prévenir les crises futures.


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