Affaire Battisti : une blessure faite à la démocratie ! (Laurent Fabius)

mardi 20 mars 2007.
 

Hier, des "sources proches de la police" indiquaient que Cesare Battisti, ancien activiste de gauche dans les années 70, avait été interpellé au Brésil dans le cadre d’une opération conjointe des forces franco-italo-brésiliennes.

On se demande, en premier lieu, ce qui justifie que la France, dont le Président, qui crie son amour du bon peuple, certifie que "la France est la patrie des droits de l’homme", intervienne, au Brésil, dans le cadre d’une action policière italienne, visant à faire croupir, jusqu’à la fin de ses jours, un homme en prison, sans, surtout, prendre le soin de le faire passer par la case tribunal.

Et qui fait l’annonce de cette révolution qui fait que de la France une sorte d’officine de barbouzes ? Le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, de l’aménagement du territoire, des collectivités locales et des cultes.

Quelle image entend-on donner pour notre pays ? Celle d’un Etat incapable de faire juger des citoyens français habitant en France, et qui, avec un zèle pour le moins suspect, prête sa main à des opérations troubles, visant à permettre à un pays de violer les principes fondamentaux des droits de l’homme, à savoir ceux qui régissent le droit de répondre des crimes dont on vous accuse devant un tribunal ?

Par cet acte, je le dis, le gouvernement a commis un acte dont la gravité exceptionnelle menace la vie d’un homme, la dignité de notre pays et l’un des fondements de notre République !

La France, depuis 1976, donnait sa parole d’accueillir et de ne pas extrader les anciens militants rescapés de la crise italienne des années 1970. Cet engagement solennel fut avalisé par neuf gouvernements successifs, de gauche comme de droite.

Le 22 février 1985, lors d’une réunion au sommet entre Bettino Craxi et Françcois Mitterrand, fut réaffirmée la position de la France.

Le Président Mitterrand établit clairement une ligne, que d’aucuns voulurent nommer "doctrine" :

"Oui, j’ai décidé l’extradition, sans le moindre remords, d’un certain nombre d’hommes accusés d’avoir commis des crimes. Je n’en fais pas une politique. Le droit d’asile, dès lors qu’il est un contrat entre celui qui en bénéficie et la France qui l’accueille, sera toujours et a toujours été respecté ; il n’était d’ailleurs pas demandé, dans la circonstance, en temps utile. Je refuse de considérer a priori comme terroristes actifs et dangereux des hommes qui sont venus, particulièrement d’Italie, longtemps avant que j’exerce les responsabilités qui sont miennes, et qui venaient de s’agréger ici et là, dans la banlieue parisienne, repentis... à moitié, tout à fait,... je n’en sais rien, mais hors du jeu. Parmi eux, sans doute une trentaine de terroristes actifs et implacables. Ce sont justement ceux qu’on ne contrôle pas, c’est à dire qu’on ne sait pas où ils sont ! On dit qu’ils sont en France ? [...] La France est et sera solidaire de ses partenaires européens, dans le respect de ses principes, de son droit : elle sera solidaire, elle refusera toute protection directe ou indirecte pour le terrorisme actif, réel, sanglant"

"Nous avons environ 300 Italiens réfugiés en France depuis 1976 et qui depuis qu’ils sont chez nous, se sont “repentis” et auxquels notre police n’a rien à reprocher. Il y a aussi une trentaine d’Italiens qui sont dangereux mais ce sont des clandestins. Il faut donc d’abord les retrouver. Ensuite ils ne seront extradés que s’il est démontré qu’ils ont commis des crimes de sang. Si les juges italiens nous envoient des dossiers sérieux prouvant qu’il y a eu crime de sang, et si la justice française donne un avis positif, alors nous accepterons l’extradition. Pour les nouveaux arrivants, nous sommes prêts à être très sévères et à avoir avec vous le même accord qu’avec l’Espagne. Nous sommes prêts à extrader ou à expulser à l’avenir les vrais criminels sur la base des dossiers sérieux."

Les choses étaient claires. Parce qu’il avait confiance en cette promesse de notre pays, Cesare Battisti se présenta, il y a 16 ans, comme l’indiquait, au nom de la Ligue des Droits de l’Homme "aux portes de la France".

Cesare Battisti fut jugé en son absence selon les "lois spéciales" de l’Italie d’alors, lois qu’Amnesty International et la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (144 organisations à travers le monde) condamnèrent sans relâche, et encore aujourd’hui, de même que les tortures qui les accompagnèrent, concluant que "les autorités italiennes avaient violé tous les accords européens et internationaux sur des procès équitables".

En 2004, Silvio Berlusconi réclama au gouvernement Raffarin, qu’on lui "donne Battisti". Aussitot dit, aussitot fait, l’on place l’intéressé sous lettre de cachet.

Et alors que deux arrêts de la Cour d’Appel de Paris, en mai 1991, ayant l’autorité de la chose jugée, déclaraient que Cesare Battisti n’était pas extradable, considérant, d’une part, que "rien ne peut se substituer à la présence effective à son procès de celui ou de celle qui est accusée des crimes les plus graves", et que "ce droit lui est dénié par la procédure de contumace italienne qui, en l’espèce il faut le relever, offre moins de garanties que la loi française", et, d’autre part, que "la conduite de l’extradable était de nature à l’exclure du bénéfice des droits définis à l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’Homme".

Cette décision de justice de 1991 était définitive. Le droit de toutes les nations démocratiques interdit de juger par deux fois la même chose. Il interdit aussi d’emprisonner un homme, jugé en son absence, sans recours à un nouveau procès.

Mais le gouvernement Raffarin, et le Président de la République, ne l’entendirent pas ainsi, eux qui, ayant nommé tous leurs proches au sein des plus hautes juridictions, firent rejuger le dossier Battisti, dans un sens qui leur serait favorable. Et ce fut, bien entendu, le cas.

Mensonges d’Etat, désinformation massive, tout ceci pour abuser les françaises et les français sur les véritables enjeux de l’affaire Battisti.

Il y avait l’engagement de la parole de notre pays, que l’on a admirablement, non seulement renié, mais aussi totelement pietiné, chose que l’on ne saurait faire sans y perdre l’honneur.

Le 22 octobre 2003, devant le Sénat, l’alors Ministre de l’Interieur, Dominique de Villepin, aujourd’hui Premier Ministre, affirmait "la tradition française de l’asile plonge ses racines dans notre plus lointain passé. Aux temps les plus obscurs existaient déjà des clairières sacrées, des sanctuaires inviolables, des refuges pour les proscrits" : tout ceci n’était donc que mensonge...

La France "donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. [Elle] le refuse aux tyrans". Tel était le droit s’asile instauré par la constitution de 1793. Aujourd’hui, le principe est inverse : la France accueille les tyrans, et vend les opprimés.


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