Portugal : une droite enlisée, une gauche enhardie, un Président désespéré

mercredi 4 novembre 2015.
 

Le gouvernement portugais ultra-libéral de centre droit, qui allait « bien au-delà de la Troïka » a remporté une majorité relative aux élections législatives du 4 octobre. Avec 36,8%, et 1.994 000 voix, la coalition gouvernementale sortante (PSD et CDS) a été déclarée vainqueur. La seconde place revient au Parti Socialiste, avec 32,4% et 1.746 000 voix. La poussée la plus importante, et la plus grande surprise, vient du Bloc de Gauche, qui a atteint 10,2% avec 551 000 voix, suivi par le Parti Communiste, avec 8,3% et 446 000 voix. Si l’on compare aux élections précédentes de 2011, les partis de droite perdent plus de 700 000 voix, le PS en gagne 160 000, le Bloc 260 000 et le PCP 3 400.

Le PS, qui a gouverné le pays pendant les 40 dernières années avec les Socio Démocrates (PSD) et les Conservateurs (CDS), a reçu un coup sévère, même si les sondages des dernières semaines prévoyaient clairement cette issue. N’étant pas perçu comme une alternative à l’austérité de droite, il a fait une campagne désastreuse après l’arrestation pour corruption de son dirigeant le plus connu, Jose Socrates. Il doit maintenant faire face à son plus grand dilemme : tourner à droite et donner son soutien à un gouvernement de droite, ou tourner à gauche et ouvrir une séquence politique totalement nouvelle au Portugal : un gouvernement PS soutenu au Parlement par les partis de gauche (Bloc et PCP) qui représentent maintenant 18,5% des voix.

Le Président de la République, ancien Premier Ministre (1985-95), Cavaco Silva, a déclaré précédemment, excédant largement son mandat, qu’il ne cautionnerait pas une majorité relative et un gouvernement instable. Un mensonge de plus dans sa longue carrière. Deux jours après les élections, n’ayant consulté que son parti (le PSD), Silva annonce au pays qu’il a demandé à Passos Coelho ( Premier Ministre sortant et leader de la coalition victorieuse) de former un gouvernement stable qui ne pourrait pas inclure de partis qui « n’assument pas les traités et accords internationaux historiques », à savoir l’OTAN, l’Union Européenne, l’Euro, le Pacte Budgétaire, et le futur TTIP. Cette option revenait clairement à exclure le Bloc et le PCP de toute solution de gouvernement. Malgré tout, c’est vers la gauche que s’est tourné Antonio Costa, leader du PS.

La réunion PS-PCP, au lendemain de la déclaration dans laquelle le Président avait énoncé ses « règles », fut reçue comme un choc : les communistes déclaraient qu’ils étaient prêts à soutenir un gouvernement PS et, éventuellement, à y participer. Ils avaient été dépassés une fois encore par le Bloc de Gauche et donnaient un signe historique de leur disponibilité politique à participer à une plus large coalition. Au cours de la campagne, dans un débat avec le PS, la porte-parole du Bloc, Catarina Martins, avait posé des conditions pour des discussions et un accord à gauche, demandant au PS de revenir sur trois points de son programme : pas de gel des retraites actuelles, pas de réforme de la Sécurité Sociale qui impliquerait des coupes sur les retraites futures et pas de flexibilisation du droit du travail. Dans son discours, au soir des élections, Martins était aussi claire : « Le Bloc de Gauche fera tout son possible pour empêcher la coalition de droite de former un gouvernement. Nous attendons maintenant la réponse des autres partis ». Le PCP prit ensuite la parole pour appuyer cette idée. La décision était entre les mains du PS.

Après avoir obtenu le soutien du PCP, le PS commença à parler de bonnes chances de pouvoir former un gouvernement de gauche. Ce qui mit la coalition de droite et ses barons dans tous leurs états. Tout fut dit, depuis l’expression « coup anti-démocratique ». En agitant le drapeau de la peur du rouge et de la période révolutionnaire, les articles et éditoriaux ont montré comment la simple perspective d’une rupture avec l’extrême austérité ouvrait les portes à une hostilité générale diffusée dans les médias mainstream. L’Union Européenne envoya, via Wolfgang Schaüble, ses félicitations à la fragile victoire de la coalition de droite, perçue comme un soutien des Portugais à une austérité encore renforcée et, via Durao Barroso, l’affirmation qu’un gouvernement soutenu par des partis d’extrême-gauche devrait faire face à une offensive massive des marchés.

Après une réunion frustrante de la coalition (PSD-CDS) avec le PS, Costa alla rencontrer Catarina Martins dans les locaux du Bloc. La porte-parole du Bloc de Gauche déclara ensuite que « le gouvernement de Passos (PSD) et Portas (CDS) c’est fini ». La chute de la Bourse, le lendemain, fut présentée comme une conséquence de cette réunion et de ces déclarations. Depuis, « les marchés » ont remonté, ce qui signifie, en réalité, qu’ »ils » n’en ont rien à faire.

Une deuxième réunion du PS avec la coalition se révéla tout aussi frustrante et mit un terme aux négociations autour d’un bloc du centre. Le PSD-CDS acceptait 20 mesures du programme électoral du PS, alors que le PS en demandait 20 de plus (ce à quoi la coalition répondait qu’elle était prête à négocier sur tout). Le PS se tourna totalement vers une solution de gauche, même si elle causait des remous en son sein, les principaux dirigeants se divisant sur cette solution de gauche. Aujourd’hui, Antonio Costa a promis de soumettre cette solution de gauche à un referendum interne. Les partis de droite ont alors accepté le fait qu’ils avaient perdu le terrain, se sont posés en victimes et s’en sont remis à un veto Présidentiel.

La possibilité d’un gouvernement PS soutenu au parlement par le Bloc de Gauche et le Parti Communiste est maintenant crédible. Le diable, bien sûr, réside dans les détails. Il est clair que le PS n’endossera aucune posture anticapitaliste, qu’il n’acceptera pas la défiance vis-à-vis du régime d’austérité de l’UE et qu’il aura d’importantes difficultés à mettre en œuvre certains des accords conclus avec le Bloc de Gauche ou le PCP. Les partis de gauche luttent pour assurer un arrêt de l’austérité à court terme et une certaine augmentation des revenus du travail et pour empêcher le retour de la coalition « plus que la Troïka ». Ils exploitent également les possibilités de forcer le PS à choisir entre la voie du PASOK et celle du Labour, en tirant vers la gauche et en positionnant certains membres et dirigeants comme des représentants de facto de la droite.

Deux semaines après les élections, le Président de la République a insisté sur sa volonté de nommer Passos Coelho Premier Ministre, contre la majorité du Parlement (PS+Bloc+PCP+Verts =53%). Dans son discours au pays, le 22 octobre, il s’est adressé directement aux parlementaires PS, les appelant à la rébellion, à voter contre leur propre parti et à donner leur soutien à un gouvernement de droite. Il a, de plus, à nouveau attaqué la gauche, mettant en avant son « indisponibilité » à soutenir une solution comportant des partis « anti-européens », ce qui est le terme utilisé pour empêcher tout accord entre le PS, le Bloc de Gauche et les Communistes. Il a terminé par une menace très claire : il n’acceptera pas un gouvernement majoritaire de la gauche. Maintenant, le PS, le Bloc et le PCP (ou l’un des trois) doivent présenter une motion de défiance qui amènera la chute du gouvernement de droite. La question demeure : l’élection présidentielle aura lieu en janvier et le Président actuel ne peut pas dissoudre le Parlement et convoquer de nouvelles élections. De même, le Président élu ne pourra pas dissoudre pendant les 6 premiers mois de son mandat. Ce qui signifie que le Parlement élu en octobre restera en place pour 9 mois au moins. Si Cavaco Silva persiste dans son action illégale de ne pas nommer un gouvernement de gauche, le précédent gouvernement restera en place, privé des principaux moyens de pouvoir, sans budget, c’est-à-dire incapable de mettre en œuvre de nouvelles mesures. Au lendemain de la décision de Cavaco Silva de désigner la droite pour diriger le pays, le candidat PS au poste de Président de l’Assemblée (deuxième personnage de l’Etat), Ferro Rodrigues, une des personnalités les plus à gauche du PS, a été élu avec 120 voix, réunissant le PS, le Bloc, le PCP et les Verts, et battant le candidat de droite. Il s’agit de la première défaite pour la droite et, la semaine prochaine, le test final aura lieu, la motion de défiance contre le gouvernement de droite, qui fera peser toute la responsabilité sur le Président, pour soit nommer un gouvernement de gauche, soit plonger le pays dans un coma de 9 mois ( ce qu’il appelle sans doute stabilité et responsabilité).

Les contradictions au sein de l’ensemble de ce processus semblent renforcer le tournant du PS vers la gauche. La rébellion de ses dirigeants les plus droitiers semble avoir été mise à mal par les actions réactionnaires du Président de la République. Si le PS avait choisi ce ne pas faire ce tournant à gauche (c’est-à-dire ne pas accepter un programme minimum pour mettre un terme à l’austérité et restituer en partie tout ce qui a été pris au peuple ces dernières années), il aurait du faire face à une fusion avec le PSD. Ce mouvement apparent vers la gauche ouvre toute une nouvelle série de possibilités. Au Portugal comme dans d’autres pays, avec les élections en Irlande et en Espagne comme point de mire. Tous les signaux émis par la bourgeoisie portugaise étaient en faveur d’un gouvernement PSD-PS. Il ne peut plus en être question. Maintenant, le centre politique est fragmenté. La gauche doit avancer et s’assurer que la position au milieu du champ politique ne sera plus que des sables mouvants. Le combat de classe qui se déroule au Parlement portugais contraint les forces réactionnaires à se démasquer. Les actions désespérées du Président de la République, pour conserver le statu quo de la misère, de l’austérité, de la précarité et du détournement massif de la valeur du travail vers le capital, montrent à quel point ils sont été pris par surprise par une gauche enhardie. Le temps viendra bientôt de mettre à nouveau ces contradictions dans les rues et de détruire une fois pour toutes cet « arc de pouvoir ».

Joao Camargo. Article rédigé le 16 octobre et remis à jour le 23 octobre. Publié en anglais sur le site d’Europe Solidaire Sans Frontières. Traduction Mathieu Dargel.


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