Environnement et santé. Cancer : si l’on parlait des causes ?

jeudi 19 novembre 2015.
 

Le cancer s’est installé dans les sociétés industrialisées comme une fatalité. Première cause de mortalité en France avec 150 000 victimes par an (plus de 400 par jour), le cancer n’a pourtant rien de « naturel ». Il a connu depuis les années 1980 une progression forte et continue jusqu’au milieu des années 2000. Le nombre de nouveaux cas a doublé en 25 ans alors que la population n’a augmenté que de 16%. De même la hausse de l’espérance de vie n’explique pas non plus l’essentiel du phénomène. Et en particulier la recrudescence des cancers chez les jeunes.

Cette explosion de la mortalité par cancer a même conduit des médecins à parler d’épidémie. D’autres le contestent en arguant que le fléau se serait justement stabilisé ces dernières années. Cette stabilité à un niveau très élevé n’a pourtant rien de rassurant. Car le taux de guérison stagne désespérément autour de 50%, avec 360 000 nouveaux cas déclarés en France chaque année.

Prendre le cancer à la racine

Affronter politiquement un tel fléau nécessite de se poser la question de ses causes. La géopolitique du cancer donne un premier éclairage saisissant. Il est à l’origine du quart des décès dans les pays dits « industrialisés », contre 12% à l’échelle mondiale. Le cancer est donc un mal de la civilisation productiviste occidentale : son taux d’incidence est 9 fois plus élevé dans les pays occidentaux qu’en Afrique, et deux fois plus élevé qu’en Asie. Et d’ailleurs ce sont les pays du sud les plus rapidement industrialisés qui sont désormais les plus violemment touchés selon l’OMS, notamment le Brésil, la Chine et l’Inde. Avec l’extension du modèle occidental productiviste, l’OMS prédisait en 2005 une hausse de 50% des cancers à l’échelle mondiale d’ici 2020. Elle a désormais relevé ce chiffre à + 75% pour 2030. Un fléau aussi historiquement et économiquement marqué mériterait une attention politique beaucoup plus marquée. Tout est fait comme si le cancer ne devait être que l’affaire individuelle des personnes qui ont la malchance d’en être les victimes.

Des causes environnementales méconnues

La ventilation des dépenses de recherche concernant le cancer est éloquente : 97% des dépenses sont consacrées à tout ce qui peut le soigner (y compris son dépistage précoce) et seulement 3% à l’étude et au traitement de ses causes ! Le poids des firmes pharmaceutiques dans cette recherche, y compris publique, n’est pas sans expliquer cette indifférence aux causes. Surtout quand on sait que ce sont souvent les mêmes firmes qui produisent les substances cancérogènes et les traitements, sans cesse plus couteux et complexes, pour soigner les cancers qu’elles ont déclenchés. C’est le cas notamment de BASF, BAYER et Syngenta/Novartis.

Faute d’études suffisantes sur les causes, on ne peut que poser des pistes probables. Selon l’OMS, 90% des cancers auraient un facteur explicatif dans l’environnement au sens large, et seulement 5 à 10% auraient une cause génétique.

Le mirage des causes individuelles

Les seules études fréquemment relayées par la presse portent sur des facteurs isolés de cancer, le plus souvent individuels, plutôt que sur des facteurs environnementaux ou sociaux. On assiste ainsi à une stigmatisation récurrente de l’alcool et de la cigarette. Ils sont effectivement facteurs de risques de cancers. Mais ils n’expliquent pas du tout l’ampleur du fléau dont on les rend responsables. Leur consommation baisse d’ailleurs fortement depuis 30 ans (de manière considérable pour l’alcool) alors que le nombre de cancers explose. La présence d’un nombre croissant de cancérogènes dans l’alimentation et la dégradation de la qualité de l’air respiré devraient être des suspects tout aussi sérieux que l’alcool et la cigarette. Ces facteurs isolés ont cependant l’immense avantage de renvoyer à la responsabilité individuelle et de nier la dimension sociale et écologique du cancer. Alcools et cigarettes sont présentés comme des facteurs de risque « évitables », comme si les autres facteurs (pesticides, plastiques, solvants, air pollué etc) ne l’étaient pas tout autant ! Or des études de l’OMS montrent que la réduction des facteurs de risques individuels (moins boire, moins fumer etc) ne pourrait éviter qu’un tiers des cancers. C’est pourtant là-dessus que se concentre l’essentiel des campagnes dites de prévention. Les politiques publiques passent ainsi à côté de l’essentiel dans l’approche des causes du cancer.

L’impunité des pesticides

Une cause encore insuffisamment évaluée et prise en compte des cancers est l’impact des substances chimiques sur notre métabolisme, et en particulier notre alimentation. Des associations de consommateurs multiplient les études attestant de la présence de traces multiples de pesticides dans des produits de consommation courante : pommes, salades, saumon etc. Officiellement les pesticides sont autorisés tant qu’il n’est pas démontré qu’ils sont dangereux. Reste que l’évaluation actuelle de leur toxicité est une pure blague. Déjà on ne teste en réalité que la toxicité aigüe à court terme (celle qui tue 50% d’un échantillon en 3 mois) et pas la toxicité chronique (qui peut tuer d’un cancer au bout de 3 ou 10 ans par exemple). Le cancer passe ainsi en dessous des écrans radars des évaluations « officielles ». Cette imposture a été magistralement démontrée par le professeur Séralini et son étude In vivo démontrant la toxicité chronique d’un maïs OGM et de l’herbicide Roundup qui lui est associé.

Autre problème : on ne teste que l’impact de chaque substance isolée. Ce qui ne correspond à aucune réalité. Car dans un produit agroalimentaire transformé et a fortiori dans nos systèmes digestifs, respiratoires et nerveux, des milliers de substances chimiques interagissent. Et des substances non toxiques de manière isolée peuvent le devenir fortement avec cet effet cocktail.

Surtout la meilleure preuve du grave problème sanitaire posé par les pesticides est que le travail agricole avec ces produits est désormais classé « travail dangereux ». Et le cancer est la cause de décès de 36% des agriculteurs hommes, soit dix points de plus que le reste de la population, même si leur espérance de vie reste de 2 ans supérieure à la moyenne, grâce à une meilleure qualité de vie globale.

Des causes éradicables

Tout ça n’a rien d’une fatalité. D’ailleurs l’histoire des produits phytosanitaires depuis 30 ans est largement celle de leur interdiction. Le meilleur produit devrait être celui que l’on n’utilise pas. Et l’agriculture biologique devrait devenir une nécessité collective pour toute la société. Malheureusement on en est loin. La France est le 3ème consommateur mondial de pesticides alors qu’elle n’est qu’autour de la 30ème place des surfaces agricoles mondiales. Et sur ce plan aussi Hollande fait pire que Sarkozy. Alors que le Grenelle de l’environnement avait fixé en 2008 un objectif de réduction de 50% des pesticides en 10 ans, le gouvernement vient de rabaisser l’objectif à seulement 20% pour 2020. Et la réalité est que leur usage a continué à augmenter de 5% en moyenne de 2009 à 2013. L’agriculture n’est qu’un exemple des secteurs à transformer radicalement pour supprimer les causes du cancer. C’est aussi l’agro-alimentaire, la chimie, la construction, les transports et plus largement tout le système productif qu’une bataille sérieuse contre les causes du cancer doivent conduire à faire bifurquer. La planification écologique sera aussi une révolution de santé publique.


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