Une « maison commune » ? : Manuel Valls mise sur une recomposition du paysage politique (article du Monde)

lundi 1er février 2016.
 

« En région PACA, j’appelle à voter pour Christian Estrosi face à l’extrême droite. Dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, j’appelle à voter pour Xavier Bertrand face à l’extrême droite. Et dans la grande région Est, j’appelle à voter pour Philippe Richert face à l’extrême droite qui ne peut pas l’emporter ! » En appelant nommément à soutenir au second tour des régionales les candidats du parti Les Républicains, lundi 7 décembre, Manuel Valls a fait sensation. Sur le plateau du 20 heures de TF1, le premier ministre a défendu sans hésiter, contrairement à la droite, le front républicain face au Front national – « moi, j’assume mes responsabilités », a-t-il expliqué –, mais il a également envoyé en creux un message très politique à la gauche.

La nouvelle tripartition du paysage national, avec un FN en dynamique puissante et constante depuis 2012, rend de plus en plus inéluctable une recomposition à terme de l’offre politique. Une perspective qui, en réalité, ne surprend pas M. Valls, qui a anticipé depuis longtemps un tel cas de figure. En juin 2014, devant le conseil national du Parti socialiste, le chef du gouvernement s’inquiétait déjà que « notre pays [puisse] se défaire et se donner à Marine Le Pen ». Si la gauche ne se réinvente pas, avertissait-il alors, elle « peut mourir » car « elle n’a jamais été aussi faible dans l’histoire de la Ve République ». Pour l’ancien rocardien, le PS tel qu’il avait été pensé par François Mitterrand au congrès d’Epinay, en 1971, est à bout de souffle. « Nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout peut-être même d’un cycle historique de notre parti », estimait-il il y a dix-huit mois.

L’effondrement du PS en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en PACA, arrivé troisième au premier tour des régionales et contraint au retrait de ses listes pour tenter d’empêcher une victoire du FN, pourrait lui donner raison. Avec la chute de ces deux bastions du socialisme local, c’est tout un pan de l’histoire du parti à la rose qui disparaît, celui de l’héritage des années Mauroy dans le Nord et des années Defferre dans le Sud.

Bâtir une « maison commune »

Pour M. Valls, l’après-régionales pourrait donc provoquer un bouleversement politique, à gauche comme à droite. A gauche, en soldant définitivement le vieux socialisme et en obligeant le PS à évoluer. « Il faut que le Parti socialiste puisse éventuellement se dépasser, ça veut dire qu’il faut rassembler plus largement, qu’il faut intégrer », a d’ailleurs expliqué, mercredi 9 décembre sur LCP, le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, proche de M. Valls. A droite, en produisant une scission au sein des Républicains. Dans l’entourage du premier ministre, on veut croire que « si le FN remporte deux à trois régions, LR va vaciller sur le plan politique et idéologique. La projection des résultats sur les législatives de 2017 risque de provoquer un départ d’élus LR vers le FN ».

L’occasion serait grande alors pour M. Valls de tenter de bâtir sa « maison commune » ouverte à « toutes les forces progressistes », telle qu’il l’avait dessinée en octobre 2014 dans un entretien à L’Obs, pour faire face à « la menace d’une droite dure et d’une extrême droite qui progresse ». En plus du premier ministre, l’affaire pourrait également servir François Hollande qui sait qu’il va avoir besoin, outre d’une gauche mal en point mais rassemblée, d’une partie des voix du centre et de la droite modérée pour l’emporter à la prochaine présidentielle.

Mais une recomposition du champ politique est-elle possible dans l’urgence électorale et sous la pression de la menace FN ? Ou, au contraire, le paysage partisan va-t-il devoir attendre le juge de paix que seront les résultats de mai 2017, pour se reconfigurer ? Plusieurs points rendent pour l’instant hautement improbable un tel scénario à court terme. A droite d’abord, où l’année 2016 va être occupée par la primaire pour la présidentielle. On imagine mal, dans ce contexte de compétition interne, des dirigeants de LR se tourner vers la gauche honnie par leurs militants. Au centre ensuite, où le refus par M. Hollande de saisir la main tendue par François Bayrou après sa victoire en 2012, est encore dans tous les esprits.

Incohérence totale

A gauche enfin, où tout geste du PS vers la droite risque de compromettre davantage encore l’union des forces de gauche pour 2017. Si les socialistes ont réussi à sceller des alliances, entre les deux tours des régionales, avec les écologistes et les communistes, dans la précipitation et en incohérence totale avec leurs désaccords politiques des derniers mois, celles-ci sont fragiles et ne survivraient pas à un nouvel infléchissement vers la droite du gouvernement en 2016.

Surtout, si la gauche selon Manuel Valls veut devenir une nouvelle force politique attractive, elle va devoir reconquérir les électeurs des classes populaires, partis au fil des années vers le FN et l’abstention. Or, le premier ministre, s’il peut encore s’enorgueillir de bons sondages auprès de ces catégories sociales de Français, souffre également d’un double handicap. Lorsqu’il a été nommé à Matignon par M. Hollande en avril 2014, c’était au nom des valeurs d’ordre et de sécurité qu’il incarne, pour enrayer notamment le départ des milieux populaires vers l’extrême droite. Un an et demi plus tard, cette entreprise est un échec, le FN ayant réalisé des scores historiques au premier tour des régionales.

Parallèlement, le terne bilan économique et social de son gouvernement et la hausse constante du chômage – 40 000 chômeurs supplémentaires le mois dernier – le coupent chaque jour davantage des classes moyennes et populaires, concernées au premier chef. L’équation d’une recomposition comporte donc de multiples inconnues, pour M. Valls comme pour l’ensemble de la classe politique, incapable pour l’instant d’inventer l’après.

Bastien Bonnefous

Journaliste au Monde


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