Reconstruire la gauche : Un chantier idéologique et organisationnel

vendredi 25 décembre 2015.
 

par Pierre Mathiot, professeur 
de science politique, Sciences-Po Lille

À l’issue de vingt mois d’élections aux résultats pour le moins contrastés pour l’ensemble des forces de gauche, la question n’est plus de savoir s’il est nécessaire de reconstruire à gauche (ou de reconstruire la gauche) mais s’il est (encore) possible de le faire. Ce n’est en effet pas le moindre des paradoxes que de constater que François Hollande se trouve en situation de possible réélection en 2017, ce alors même que la gauche politique, dont il est issu, est dans une très profonde déliquescence idéologique, divisée, affaiblie par les revers électoraux et le départ de ses militants, incapable de voir émerger des dirigeants nouveaux, éloignée des milieux populaires, inaudible dans la jeunesse. À cet égard, il est malheureusement clair que la double perspective de la présidentielle et des législatives de 2017, ajoutée à la gestion des effets, tant matériels que politiciens, de l’actuelle séquence électorale, ne crée pas les conditions optimales pour qu’un examen de conscience doublé d’une réflexion innovante, et efficace électoralement, prenne corps dans les divers appareils partisans. Si l’on oublie tout de même un instant le poids des logiques (et des intérêts) propres aux organisations partisanes, il semble que deux chantiers au moins devraient être rapidement lancés.

Il faut lancer un chantier idéologique et programmatique. Il est peu de dire que la gauche est aujourd’hui fortement divisée lorsqu’il s’agit d’analyser la situation économique et sociale, d’envisager quelles politiques publiques devraient être mises en œuvre, de les hiérarchiser selon leur degré de priorité. Cette division est d’autant plus incompréhensible et démobilisatrice pour les citoyens qu’elle traverse plusieurs des partis de gauche. Il est impératif que les diverses forces de gauche soient capables de faire le point sur leurs désaccords et d’identifier aussi les lignes principales autour desquelles il pourrait être possible de construire une plateforme commune. Le souci de mon point de vue est moins de constater qu’il existe schématiquement aujourd’hui deux courants principaux de pensée à gauche que d’établir précisément sur quelles bases ils se fondent et se distinguent et autour de quels points ils sont en mesure, localement et nationalement, de s’entendre. Cette exigence est une urgence car les citoyens, à force de ne rien comprendre à ce qui s’échange sur les plateaux de télévision, s’éloignent, quand bien même ils font encore (mais pour combien de temps) l’effort de voter pour la gauche. Cette exigence repose aussi, me semble-t-il, sur la nécessité impérieuse de sortir des discours incantatoires et simplificateurs qui ne servent plus qu’à resserrer des rangs clairsemés. Cette exigence, enfin, suppose, simplement et fondamentalement, de poser la question de savoir ce que c’est qu’être de gauche en 2016 en rappelant peut-être que l’un des principes fondateurs de cette identité est le mouvement, la réforme, le changement de l’ordre des choses.

Il faut aussi ouvrir un chantier organisationnel. Le constat n’est pas nouveau mais il est de plus en plus lancinant : les partis politiques, du fait de leur inertie, constituent une partie du problème lorsqu’on parle de reconstruction. Si l’on met de côté la famille écologiste, dont les manières de faire partisanes sont à la fois originales mais génératrices d’ingouvernabilité interne, il faut accepter enfin de se dire clairement que le fonctionnement des partis, les logiques de leadership, l’influence extrême des professionnels de la politique et des permanents, agissent comme un répulsif de plus en plus puissant tant pour celles et ceux qui envisageraient de s’engager que pour les électeurs. Certes, la relance de la dynamique démocratique ne renvoie pas seulement à une réforme profonde des partis politiques, mais celle-ci doit en constituer l’un des fondements, pour chacun d’entre eux et sans doute en lien les uns avec les autres.

Le rassemblement et la lisibilité par Serge Regourd, directeur 
de l’Institut 
du droit 
de la culture 
et de la communication, Toulouse-I-Capitole Quand un universitaire, doté de fortes convictions dites «  de gauche  », se confronte pour la première fois de sa vie à une élection – tête de liste départementale du rassemblement « Nouveau monde en commun » pour la région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon – il est d’abord confronté à un constat implacable : «  C’est quoi la gauche aujourd’hui ?  », question – et parfois réponse désespérante – entendue des centaines de fois durant cette campagne.

Alors, avant même de construire de savants discours, d’échafauder de nouvelles grilles programmatiques, de recourir à de nouveaux paradigmes, il convient, humblement, de faire retour au réel, au quotidien de ceux pour qui la «  gauche  » est supposée faire sens. Retour en quelque sorte aux exigences les plus élémentaires de la praxis, selon Marx. Et, prosaïquement, nous voilà entravés déjà par un problème de vocabulaire, d’identification terminologique, qui constitue la condition même de toute communication. Or, qui oserait aujourd’hui soutenir que la communication n’est pas – hélas – au cœur de la politique ? Ou que la politique n’est pas, si souvent, réduite à une pure communication ?

Sur ce terrain de la communication – qui définit l’espace public – le vocable de «  gauche  » s’inscrit dans un champ lexical sursaturé et illisible pour le citoyen ordinaire : le Front de «  gauche  » comporte une composante, un Parti de «  gauche  ». La première règle épistémologique est, pourtant, que le même mot ne peut désigner le tout et une partie de ce tout. Mais le Parti socialiste est aussi un parti – le premier – de «  gauche  ». La deuxième règle épistémologique est, pourtant, que l’on ne peut être à la fois dehors et dedans. Pour faire bonne mesure, on ajoute le Parti radical «  de gauche  », et comme l’électeur de base ne comprend pas ces subtilités sémantiques, on le rassure en lui disant que la radicalité est ici modérée et ne relève évidemment pas «  de la gauche de la gauche  »… Raymond Devos et Boby Lapointe sont des génies du langage… pour faire rire. La duplication de leur jonglerie lexicographique dans l’ordre du politique engendre, à l’inverse, des larmes de désespérance.

Ne plus savoir ce que les mots veulent dire constitue, déjà, le premier symptôme de la maladie qui affecte la «  gauche  » et qu’il faut traiter d’urgence. Camus disait en substance que «  se tromper sur les mots, c’est ajouter au malheur du monde  ». L’absence d’identification qui résulte des polysémies ci-dessus évoquées rend la gauche illisible.

Ayant admis qu’une partie de celle-ci n’est plus réellement la gauche et qu’elle vise en réalité à opérer une recomposition politique avec une partie de la droite et du centre droit, il reste que «  la gauche de la gauche  » sera réduite à l’impuissance tant qu’elle continuera à cultiver la multitude de ses chapelles et à privilégier ce qui fragmente.

Lever de telles hypothèques mortifères, tel était le sens du large rassemblement constitué pour les élections régionales en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, grâce à la lucidité et à l’intelligence politique de responsables comme l’écologiste Gérard Onesta et la communiste Marie-Pierre Vieu. Il ne s’agit, certes, que d’un fragile laboratoire, mais le rassemblement, l’unité, et donc la lisibilité et l’intelligibilité, constituent les premières conditions de reconstruction d’une gauche, qui devra elle-même déconstruire les amalgames et contradictions terminologiques : l’unité d’action corrigera la multiplicité des appellations. Encore la praxis !…

Texte présent dans le dossier de l’Humanité

Et maintenant, comment Reconstruire la gauche ?


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