La Banque centrale européenne, un gouvernement non élu

vendredi 22 janvier 2016.
 

Compte rendu bref d’une conférence présentée au Parlement européen par le député européen allemand Fabio de Masi (Die Linke) sur ce sujet.

Le constat : les décisions de la BCE sont arbitraires et vont toujours dans le sens des puissants

La Banque centrale européenne est à la solde des banques commerciales et renforce le pouvoir de la finance. Grâce au SMP en 2010, la BCE a racheté les titres grecs et empêché l’effondrement de leur valeur, alors qu’ils étaient pour une large part détenus par des banques françaises et allemandes (Trichet agissait avec le soutien de Merkel et d’Obama). La restructuration de la dette grecque a ensuite été différée jusqu’en 2012, afin de permettre aux banques françaises et allemandes de se débarrasser de leurs titres grecs.

La politique d’assouplissement quantitatif (QE) menée aujourd’hui par la BCE représente un transfert de richesse au profit des riches. Le rachat par la banque centrale de titres publics et privés ne soutient pas la demande dans la zone euro, fait simplement monter le cours des bourses et augmente la valeur de certains actifs détenus essentiellement par les riches, comme l’a explicitement reconnu Donald Trump dans le cas des Etats-Unis. Cette politique monétaire non conventionnelle agit comme un bailout (renflouement) pour les banques privées. Elle permet cependant aussi de réduire les taux d’intérêt souverains des pays de la périphérie de la zone euro.

En Grèce, la BCE a fait du chantage et a enfreint son mandat. Depuis l’arrivée de Syriza au pouvoir en janvier 2015, les dirigeants de la BCE ont tenu un discours d’intimidation produisant une fuite des dépôts. Au moment du référendum à l’été 2015, la BCE n’avait pas le droit de mettre fin aux liquidités d’urgence apportées au système bancaire (ELA). Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 127) stipule en effet que la banque centrale doit garantir le bon fonctionnement du système des paiements. Le vice-président de la BCE Vítor Constâncio n’avait pas non plus le droit de menacer la Grèce d’exclusion de la zone euro en cas de « non » au référendum ; comme il l’a reconnu lui-même par la suite, une telle mesure aurait été illégale. Pour ces deux motifs, une plainte pourrait être déposée contre la BCE devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

La recapitalisation des banques grecques intervenues en décembre 2015 visait à diluer la part des pouvoirs publics dans les banques. Dans les accords passés entre la Grèce et la Troïka depuis cet été, l’idée d’un maintien de la structure des banques grecques, marquée par une domination du secteur privé, est systématiquement présente.

Les propositions : desserrer l’étau de la dette, mettre en place un SME rénové ou une monnaie commune.

Lors de leurs interventions, les eurodéputés espagnols (Paloma Lopez, Miguel Urban) ont dénoncé l’austérité et appelé à une « démocratisation » de la Banque centrale européenne. Le Sinn Fein irlandais (Pearse Doherty, Matt Carthy) souhaite solliciter la Banque stratégique d’investissement pour prêter à l’économie réelle - à l’inverse du QE actuel - et résorber ainsi les écarts de développement au sein de l’Union économique et monétaire européenne.

Débat

Les propositions les plus en phase avec le sommet du plan B sont venues du représentant syndical de la BCE Johannes Priesemann, de l’économiste allemand Andreas Nölke (par ailleurs invité au sommet du plan B), de l’économiste Carlos Carvalhas et de l’euro-député Joao Ferreira, tous deux membres du PC portugais. Les interventions de Nölke, Carvalhas et Ferreira sont résumées ci-après :

Andreas Nölke : pour un SME réformé ou une European Clearing Union (monnaie commune). Une réforme des institutions européennes dans le sens d’un budget fédéral européen et d’une démocratisation de la BCE est très peu probable. Défendre une réduction de la croissance pour parvenir à une économie plus durable peut par ailleurs être intéressant pour l’Allemagne, mais pas pour les pays du Sud qui souffrent d’un chômage de masse. Il faut faire campagne pour une alternative globale : un Système Monétaire Européen (SME) réformé ou une European Clearing Union. La Clearing Union est un système monétaire défendu par les économistes J.M. Keynes, K. Davidson ou P. Whyman dans lequel les relations entre les devises seraient fixes, le système de paiements fermé et les mouvements de capitaux contrôlés. Un rééquilibrage symétrique serait mis en place, avec des sanctions en cas d’excédents ou de déficits de la balance des paiements des pays. (Actuellement en zone euro, seuls sont sanctionnés les déficits des pays de la périphérie, alors que l’Allemagne enregistre des excédents commerciaux extravagants.) L’Allemagne serait alors obligée de réinjecter ses réserves oisives, par de l’investissement, une augmentation des dépenses publiques ou des importations depuis d’autres pays. Dans le cadre de ce système, la BCE jouerait toujours un grand rôle, mais son mandat serait différent.

Dans l’état actuel des choses, il serait très dur de convaincre l’Allemagne d’abandonner sa politique mercantile. Néanmoins, une telle refonte de l’ordre monétaire européen pourrait se produire en cas de crise économique majeure. Cette crise pourrait démarrer en Italie ou en France. Elle justifierait la réintroduction d’un contrôle des capitaux en zone euro, actuellement proscrit par les traités.

Carlos Carvalhas, Joao Ferreira : pour un apurement de la dette, une nationalisation des banques et une reprise en main de la monnaie. Pour les dettes européennes, il faut parvenir à une solution négociée et organisée (plan B) ou alors reconnaître aux pays qui le souhaitent la possibilité de décider de façon souveraine. Une restructuration de la dette doit intervenir, avec un apurement de la partie illégitime. Des cours ou institutions publiques doivent être mise en place pour traiter les situations d’insolvabilité. La monnaie, créée par les banques commerciales, est un bien public qui doit être contrôlé démocratiquement grâce à une nationalisation des banques. Une politique du crédit doit ramener les banques à leur fonction sociale première : le développement des PME et des ménages. Une sortie de l’euro de gauche, qui défende les travailleurs, doit être réfléchie, à une échelle nationale ou européenne.

Sur le rapport des 5 présidents : renforcement de l’Europe austéritaire.

En parallèle de la conférence, l’eurodéputé Fabio de Masi a attiré notre attention sur le rapport des 5 présidents publié en juin 2015, qui prévoit de réviser les traités européens jusqu’en 2025. Il s’agit de soustraire encore davantage la politique économique des Etats-membres à toute délibération démocratique. Une commission budgétaire européenne devrait ainsi être mise en place pour contrôler plus strictement la politique des Etats, des comités de compétitivité devraient veiller à l’ « ajustement » des salaires dans chaque pays et un marché unique des capitaux devrait relancer la titrisation et achever l’intégration financière européenne.


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