«  La colère, ça fait partie de la vie. C’est indispensable à la survie  » Xavier Mathieu

dimanche 31 janvier 2016.
 

Après le jugement rendu contre les 8 de Goodyear, dans un contexte de criminalisation du mouvement social, entretien avec Xavier Mathieu, ex-salarié de Continental et animateur de la lutte contre le fermeture de l’usine de Clairoix.

Quelle est ton analyse de la condamnation des huit ex salariés de Goodyear  ?

Ce jugement s’inscrit dans la logique des poursuites contre ceux d’Air France, dans la logique de la politique répressive du gouvernement Hollande-Valls. En effet, c’est le parquet, c’est-à-dire l’État, qui a engagé les poursuites contre les syndicalistes de Goodyear. Dans le même contexte, nous, ceux de Conti, nous aurions été lourdement condamnés pour le saccage de la sous-préfecture.

Pour les politiciens, avec le soutien actif des médias, il faut faire un exemple. à l’opposé, aucun patron n’a jamais été condamné à des peines de prison pour des accidents du travail même mortels, alors que c’est prévu dans la loi. La différence c’est que nous, c’était sous Sarkozy, et que là, c’est sous un gouvernement de «  gauche  »...

Ceux qui devraient être condamnés, ce sont les patrons comme ceux de Continental, pour lesquels la justice a estimé que la fermeture de l’usine n’était pas économiquement justifiée. Nous avons un président qui avait fait de la finance son ennemi... et a placé au ministère de l’Économie un ancien de la banque Rothschild et nommé comme Premier ministre celui qui a fait le moins de voix à la primaire du PS et qui avait pu déclarer, déambulant dans une brocante, « Belle image de la ville d’Évry... », demandant à la personne qui l’accompagnait  : «  Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos  »...

Le gouvernement préfère faire des cadeaux aux patrons et réprimer ceux qui luttent. Il préfère donner les 40 milliards du CICE aux patrons plutôt que de créer directement des emplois dans la fonction publique. Chez Goodyear, on peut imaginer que le gouvernement s’était engagé auprès de la direction à des poursuites... malgré l’accord de fin de conflit dans lequel la direction de Goodyear s’engageait à renoncer aux poursuites.

Après les poursuites ou les condamnations contre des manifestants de Notre-Dame-des-Landes, des salariés d’EDF-GDF, d’Air France, de Goodyear, d’Attac Marseille, de Ford, un pas est-il franchi dans la criminalisation du mouvement social, du mouvement syndical  ?

Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, ils mettent en place l’état d’urgence avec des flics, des caméras partout. Mais tout ça ne sert à rien contre ceux qu’ils prétendent empêcher d’agir. Le gouvernement dénonce les violences des syndicalistes mais lui fait la guerre, la vraie guerre, aux populations avec des milliers de femmes, d’enfants tués. C’est vraiment d’un cynisme insupportable de faire passer une chemise arrachée ou la retenue 30 heures de deux cadres nourris, désaltérés, pouvant accéder aux toilettes, pour des violences inacceptables. En fait il s’agit de décourager les mobilisations, alors que pendant ce temps les employeurs qui eux licencient abusivement, illégalement, vont pouvoir provisionner le «  coût  » pour des licenciements plafonnés.

«  Coup de folie  », «  pétage de plomb  », ou pour Lepaon «  pas dans les habitudes de la CGT  »... La violence des salariéEs est-elle légitime ou doit-on toujours avoir l’air de s’excuser, de regretter  ?

Moi je ne pense pas m’être excusé de quoi que ce soit. C’est vrai qu’on est amené à expliquer, justifier les réactions violentes, dans certaines situations. D’ailleurs beaucoup de salariéEs, même parmi les Conti, quelques mois avant la grève et même au début de la lutte, auraient pu condamner de telles violences. Mais quand on est soi-même dans de telles situations, on assume complètement de telles réactions. Les médias, les politiciens qui commentent, critiquent ces actions, n’ont jamais été dans de telles situations.

En fait, c’est même un miracle que les salariés acceptent les conditions qu’on leur fait, la violence que représente la suppression de nos boulots, de nos moyens de vivre. En France depuis des années il n’y a pas eu d’actes de violence ouvrière malgré les attaques subies, les conditions de travail dégradées, les suppressions d’emplois, les usines fermées, les vies démolies. La colère, ça fait partie de la vie, c’est un réflexe. C’est indispensable à la survie.

Plus de 100 000 signatures de la pétition «  Goodyear  », de nombreux témoignages de soutien, la CGT qui appelle à la création de comités unitaires contre la répression. Comment vois-tu la construction de la riposte  ?

Bon, les pétitions, on en connaît les limites. Celle contre le Tafta qui a recueilli plus d’un million de signatures a fini à la poubelle. Nous, les Conti, quand on a reçu nos convocations au commissariat de Creil, on a fait une AG devant l’usine et on s’est retrouvé à quelques centaines devant le commissariat. Et à chaque fois qu’on était convoqué devant un tribunal, on appelait à un rassemblement. Il n’y a que la mobilisation, que les gens dans la rue, qui peuvent les faire reculer. Il n’y a que la solidarité à la base qui vaille. J’espère bien sûr que la CGT va appeler à une immense manifestation à Amiens le jour du procès des Goodyear.

Le bilan de la violence patronale chez Goodyear, c’est que 750 d’entre eux n’ont toujours pas trouvé de travail, 70 sont en CDI, 80 ont créé leur entreprise, une trentaine en CDD supérieur à 6 mois, une trentaine en intérim, à peu près 140 départs en retraite, et 9 décès. Qu’en est-il pour les Conti  ?

Entre 400 et 500 ex-Conti au chômage, plus de 250 divorces depuis la fermeture du site, et deux suicides... L’employeur ne fait pas face à son obligation de reclassement prévue par la loi pour tous les salariés et donc devrait être poursuivi pour non- respect de cette l’obligation de reclassement.

T’as gagné un an, deux ans, de quoi payer ta maison, mais après  ? Quoi qu’il arrive, les salariés, les pauvres, ils perdent. Les patrons eux, même quand ils perdent, ils gagnent... Pour ceux de Continental, ils auraient dû nous payer, tous, jusqu’à l’âge de la retraite, jusqu’à 62 ans… C’est ça le vrai préjudice.

Ils n’avaient pas le droit de fermer l’usine. Ils ont étés jugés pour ça et condamnés à nous payer un an ou deux ans de salaire… Un vrai gouvernement, vraiment socialiste, devrait faire que les vrais coupables soient vraiment condamnés. Ça serait cela la vraie justice.

Propos recueillis par Robert Pelletier


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