1er mai 2016 - Des "casseurs" ? Non, des policiers en civil

jeudi 16 juin 2016.
 

Dans la rue comme sur le plan politique, le gouvernement semble vouloir opposer entre elles les forces engagées contre la loi travail. Dimanche à Paris, cette stratégie de la division s’est au contraire soldée par un échec cuisant. Récit.

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Les dispositifs d’encadrement sécuritaire massifs, de même que les violences policières systématiques au cours des manifestations contre la loi travail ou des rassemblements de Nuit debout, ont-ils pour objectif de faire monter la tension pour provoquer la cassure du mouvement ? Durant les défilés des derniers jours à Paris, les forces de l’ordre ont isolé par deux fois la tête du cortège, allant jusqu’à bloquer plusieurs milliers de personnes au cours de la manifestation du 1er mai. Ce même jour, loin d’aboutir à l’effet recherché – celui d’une désolidarisation d’une partie du cortège vis-à-vis d’une autre – cette stratégie a renforcé l’hostilité vis-à-vis des forces de l’ordre, et engendré leur déroute sur la fin de la manifestation.

La tonalité du jour, plutôt inédite pour un défilé traditionnellement festif, avait été donnée peu de temps après le départ de Bastille. Un groupe d’une dizaine de policiers en civil, casqués et encapuchonnés, tente alors de se faufiler sur la gauche du cortège, au pied de la Coulée verte. Vite repérés, ils font l’amère expérience de l’extrême hostilité des manifestants. Une mèche est allumée, un pétard s’envole, explose avec fracas au beau milieu des agents. Ces derniers rentrent alors la tête dans les épaules, se bouchent les oreilles, battent en retraite sous les huées. Ils ne réapparaîtront plus avant la Nation.

Des "casseurs" ? Non, des policiers en civil

Pendant ce temps, comme d’usage depuis le 31 mars, la tête de la manifestation, composée de mouvements autonomes comme le MILI, de lycéens, d’étudiants de plusieurs universités parisiennes, mais aussi de militants syndicaux et de simples manifestants, est encadrée de près par plusieurs cordons de CRS : un sur la gauche, un sur la droite, une rangée sur le devant de la manif. Les premiers affrontements ne tardent pas : d’un côté, bouteilles, pétards, quelques feu d’artifices et plusieurs bombes agricoles s’abattent sur les policiers. En face, des grenades assourdissantes, de nombreuses salves de lacrymogène. Derrière, on continue à chanter.

Devant, de nombreux militants ont couvert leur tête, leurs yeux et leur visage pour se protéger des gaz et ne pas être reconnus. Un peu plus loin, la police filme en permanence le déroulement des opérations. Pendant plus d’une heure, le cortège avance péniblement, au rythme des assauts des uns, des contre-attaques des autres. Puis vers 16h, une unité de gendarmes mobiles arrive par la rue de Chaligny et coupe le trajet des manifestants, isolant ainsi la tête de la manif. Un peu plus haut, au niveau de la rue de Reuilly, le boulevard Diderot est déjà bloqué : plusieurs milliers de personnes sont ainsi prises au piège, et le cortège coupé en deux parties. De part et d’autre du cordon, la situation devient vite très tendue. Dans la nasse, des affrontements se poursuivent, accompagnés d’un épandage massif de gaz lacrymogènes. En aval, le reste de la manifestation arrive peu à peu jusqu’à former un bloc très compact face aux gendarmes mobiles qui lui interdisent d’avancer, n’hésitant pas à gazer généreusement et à utiliser leurs matraques sur les premiers rangs. Les forces de l’ordre font alors pression – y compris plus en arrière sur les syndicats – pour diriger le reste de la manif en direction des rues adjacentes, afin de contourner la tête qui s’en serait trouvée abandonnée à son sort. Mais au lieu d’obtempérer, le cortège fait bloc, se montrant de plus en plus menaçant vis-à-vis du barrage de gendarmes mobiles. Jusqu’à obliger ces derniers à se retirer.

Le haut de la manifestation juste après la jonction. Entre temps, les manifestants pris en sandwich ont été repoussés une centaine de mètres plus haut par une autre ligne de gendarmes, qui voit maintenant le reste de la manifestation lui fondre dessus par l’arrière. Pris en tenaille, les gendarmes s’écartent pour laisser les manifestants opérer la jonction, puis se tassent les uns contre les autres de chaque côté du boulevard, isolés de tous renforts. Une charge très brutale menée par une partie des manifestants les refoule ensuite dans les rues adjacentes. Encaissant bouteilles, gravas, mobilier urbain, feux d’artifice, les gendarmes reculent et disparaissent de la vue des manifestants.

Les gendarmes mobiles sont "nassés" à leur tour

Pendant cet affrontement, les marcheurs situés un peu plus en arrière ont retenu la leçon : ils continuent à faire bloc, avancent pour éviter qu’un cordon de CRS ne puisse s’immiscer et scinder à nouveau le cortège. Coupée en deux l’espace d’une heure, la première partie de la manifestation apparaît alors très soudée. Au milieu d’un nuage de lacrymogènes, les plus expérimentés donnent des conseils à ceux qui n’ont pas l’habitude de ces conditions extrêmes : « Continuez à marcher, respirez lentement ! » Plus aucun policier n’encadre désormais la manifestation, qui a le champ totalement libre et termine sa route en chantant jusqu’à Nation : « Et la rue elle est à qui ? Elle – est – à – nous ! »

Sur le parcours de la manif. Comment expliquer cet usage massif et systématique de la force, également observé ces derniers jours sur la place de la République ? Cité par Le Monde, le politologue Olivier Fillieule observe : « Ce qui paraît frappant, c’est ce qui ressemble à une stratégie délibérée de l’autorité civile, consistant à déroger à de nombreux préceptes du maintien de l’ordre, par une présence trop massive d’effectifs, par des manœuvres à contretemps, par la bride ouvertement lâchée sur le cou des hommes du rang (...). Les raisons d’une telle stratégie sont ouvertes à interprétation. Mais la recherche délibérée d’un pourrissement de la situation est très difficilement contestable ».

À l’occasion des manifestations en cours, le gouvernement espère-il matérialiser dans la rue ce qu’il s’évertue à obtenir sur le plan politique ? À savoir une division du mouvements entre, d’un côté, les organisations syndicales et, de l’autre, les mouvements plus autonomes – tels que les coordinations nationales étudiante et lycéenne et, surtout, la Nuit debout – qui aiguillonnent le mouvement et cherchent actuellement à construire un rapport de forces plus appuyé sur le terrain. Les opposants à la loi travail ont à nouveau rendez-vous dans la rue aujourd’hui, pour le début de l’examen du texte par l’Assemblée nationale. Un meeting unitaire doit avoir lieu à partir de midi sur l’esplanade des invalides, précédée d’une manifestation étudiante au départ de Montparnasse.


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