Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l’Athènes classique

mercredi 3 octobre 2018.
 

Plan de l’article

- Le dèmos à l’Assemblée (Une participation intense. « Qui veut prendre la parole ? » Le dèmos au théâtre)

- Un peuple spectateur ? (Un peuple de moutons. Un dèmos tapageur)

par Villacèque Noémie, « Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l’Athènes classique », Participations 2/2012 (N° 3) , p. 49-69

- Conclusion

« Vous vous faites toujours spectateurs de paroles et auditeurs d’action. [...] Bref, [vous êtes] des gens dominés par le plaisir d’écouter, semblables à un public installé là pour des [conférences de] sophistes plutôt qu’à des citoyens qui délibèrent de leur cité. »  (Thucydide, III ,38, 4-7)

Ces propos, que l’historien Thucydide met dans la bouche de l’orateur Cléon, relèvent de la rhétorique anti-démocratique qui se répand à Athènes durant les dernières décennies du Ve siècle avant J.-C. [2]

Le dèmos athénien est ainsi relégué à la place du spectateur, qui se contente de regarder faire et, selon les circonstances, de siffler ou d’applaudir : il apparaît « gouverné » (Thucydide, II, 65, 9 ; Aristote, Constitution d’Athènes, 28, 1), ou « assujetti de plein gré aux lois » (Platon, Lois, III, 700a 3-5), voire, pendant la période troublée de la guerre du Péloponnèse (431-404), « corrompu » et « trompé » (Aristote, Constitution d’Athènes, 28, 3 ; 28, 4) par des démagogues ambitieux qui auraient usurpé son pouvoir, pour devenir, à sa place, les vrais acteurs de la vie politique.

C’est en nous attachant à comprendre et à déconstruire ce topos de la démocratie athénienne comme spectacle que nous tenterons de préciser les enjeux et les formes de la participation du dèmos, qui – faut-il le rappeler ? –, exerce un pouvoir décisionnel direct (3 : La souveraineté du peuple s’exerçait dans les tribunaux...)

Si, comme le rappelle Charles Girard, Athènes est bien souvent prise pour modèle « d’une communauté de citoyens se gouvernant par l’échange public d’arguments » (2011, p. 144), nous verrons que l’image d’un peuple spectateur des comédies que lui joueraient les démagogues à la tribune nous invite à revenir sur une conception purement dialogique de la délibération et à envisager, pour les citoyens athéniens, d’autres façons de participer aux débats et à la prise de décision qui s’en suit. Cette recherche s’inscrit ainsi dans la continuité de certaines inflexions récentes de la théorie délibérative (Young, 1996 ; Polletta, 2005, Bächtinger et al., 2010 ; Lavelle, 2011), qui tend à prendre ses distances avec une conception purement argumentative ou dialogique de la délibération, telle qu’avaient pu la conceptualiser initialement Habermas et ses condisciples.

Ainsi, en nous appuyant non seulement sur les textes – de natures très diverses – qui nous sont parvenus pour cette période, mais également, bien que dans une moindre mesure, sur l’archéologie de la Pnyx, colline où siégeait l’Assemblée, nous examinerons, tout d’abord, le problème de la participation du dèmos, ce qui nous amènera à soulever la question de sa place et de son pouvoir dans la délibération, face aux membres de l’élite. Nous irons ensuite au théâtre, afin d’examiner, brièvement, comment les citoyens-spectateurs participaient à l’assemblée théâtrale. Enfin, nous étudierons précisément ce qui, dans le comportement des citoyens, a conduit les adversaires de la démocratie à stigmatiser la théâtralité du régime athénien.

Le dèmos à l’Assemblée

L’argument de l’apathie politique est un topos cher aux détracteurs de la démocratie, qu’elle soit antique ou moderne, qu’ils la considèrent comme une preuve de l’incapacité du peuple à gouverner et/ou qu’ils l’envisagent comme un moindre mal (Finley, 1976, p. 48-60). Le poète comique Aristophane, par exemple, compare le peuple athénien assemblé à un troupeau de moutons – nous aurons l’occasion d’y revenir. Comment expliquer cette image ? Quelle était la réalité de la participation à Athènes ?

Une participation intense

À la fin du VIe siècle, étaient citoyens athéniens les descendants mâles d’un Athénien qui avait été enregistré dans un des dèmes clisthéniens (Aristote, Politique, VI, 4, 1319b, 19-27 ; Constitution d’Athènes, 21, 2 ; Ruzé, 1997, p. 389-399). Mais en 451-450, « sur la proposition de Périclès, on décida de ne pas laisser jouir de droits politiques quiconque ne serait pas né de deux citoyens » (Aristote, Constitution d’Athènes, 26, 4) ; il fallait en outre être âgé de plus de 18 ans (Aristote, Constitution d’Athènes, 42, 1). L’ensemble des citoyens, autrement dit le dèmos, peut siéger à l’Assemblée, être tiré au sort pour siéger dans les tribunaux et, après trente ans, au Conseil (la Boulè), et être en charge des différentes magistratures. Selon les calculs de Chester Starr, avant la guerre du Péloponnèse, environ 18,5 % de la population totale de la cité pouvait participer et voter aux assemblées démocratiques (Starr, 1990, p. 33).

L’ekklèsia, l’Assemblée du peuple athénien, se réunissait sur la Pnyx, une colline située à 400 mètres au sud de l’agora, exclusivement réservée à cet usage.

Les citoyens étaient assis sur la pente naturelle du rocher, légèrement concave. Il est impossible de distinguer la moindre trace de gradins taillés dans la pierre, qui est seulement égalisée ; aucune trace non plus d’encastrements qui auraient permis d’installer des bancs de bois. Les textes laissent d’ailleurs entendre que les Athéniens s’asseyaient à même le sol et apportaient parfois des coussins pour compenser sa dureté (Aristophane, Cavaliers, 754 et 783-784 ; Guêpes, 42-43). Un tel aménagement permettait aux citoyens, les jours de grande affluence, de se tenir debout sur le rocher brut. Si les archéologues n’ont retrouvé aucune trace de la tribune, on peut aisément la restituer dans l’axe de l’auditorium (Thompson, 1982, p. 134). Édifiée en pierre (Aristophane, Paix, 680 ; Cavaliers, 956), elle devait être assez vaste pour permettre à l’orateur de s’y mouvoir aisément (Eupolis, Cités, fr. 207 Kock).

Il y avait en moyenne quatre assemblées par prytanie – soit environ une par semaine, l’année étant divisée en dix prytanies. Sauf circonstances exceptionnelles, les séances, qui commençaient à l’aube (Aristophane, Acharniens, 19-20), ne se prolongeaient guère au-delà de midi. L’ekklèsia devait, entre autres choses, élire les magistrats, les contrôler et organiser un vote à leur sujet une fois par prytanie, gérer les ressources financières de la cité, débattre des lois nouvelles, organiser certains rituels, traiter les questions de politique extérieure en prenant toutes les décisions importantes, en assurant les relations diplomatiques (Starr, 1990, p. 39-48). L’ordre du jour ainsi que les décrets – que l’Assemblée pouvait rejeter ou amender – étaient préparés par le Conseil.

En moyenne, 6000 citoyens, sur un total de 45 000 environ, venaient participer aux séances de l’Assemblée ; ce n’étaient pas toujours les mêmes. L’Assemblée du peuple ne représentait pas le peuple, elle était le peuple : « non pas parce que tous les citoyens y prenaient part, mais parce que tous pouvaient y aller et que l’assistance se renouvelait », souligne Bernard Manin (1995, p. 48), qui parle, à propos de l’Assemblée, d’une rotation de fait. La volonté affichée du système étant de garantir que chaque citoyen « qui le voulait » (ho boulomenos) pouvait y prendre part, la question reste de savoir dans quelle mesure « ceux qui le voulaient » pouvaient vraiment assister à l’Assemblée. Il est certain que les citoyens qui vivaient dans la ville même pouvaient plus facilement venir siéger sur la Pnyx que ceux qui résidaient à l’autre bout de l’Attique. Cependant, les études montrent que la représentation du corps civique à l’ekklèsia était moins déséquilibrée qu’on pourrait le penser. Certes, il n’était probablement pas toujours aisé pour un paysan d’abandonner ses champs pour aller siéger sur la Pnyx, et ce n’est que plus tard, au IVe siècle, que l’institution du misthos ekklèsiastikos, une indemnité de présence à l’Assemblée, apportera une amélioration, d’ailleurs relative, de sa situation. Cependant, les sources donnent l’image d’un paysan très mobile (Ruzé, 1997, p. 419-422). Plus largement, les textes mentionnent sur la Pnyx une population socialement hétérogène, ouvriers et petits commerçants citadins, paysans, artisans, négociants, riches et pauvres (Xénophon, Mémorables, III, 7, 6 ; Platon, Protagoras, 319b-d).

Une telle fréquence des assemblées supposait une implication importante de l’ensemble des citoyens. Les déplacements nécessaires pour ces séances et le temps qu’il fallait y consacrer témoignent d’une hyperactivité politique, sans commune mesure avec ce qui est exigé d’un citoyen aujourd’hui. Ceci se comprend d’abord par le fait que les questions débattues étaient cruciales et que les décisions prises engageaient immédiatement les citoyens, tant collectivement qu’individuellement. En outre, la participation était un privilège et une obligation attachée à la citoyenneté : le citoyen qui ne se serait pas intéressé aux affaires de la cité n’était pas digne de son statut. La loi de Solon, telle que nous la rapporte Aristote, est de ce point de vue tout à fait significative : « Celui qui, lors d’une stasis dans la cité, n’aura pas pris les armes avec l’un des deux partis, qu’il soit privé de ses droits et qu’il n’ait plus part à la cité. » (Aristote, Constitution d’Athènes, VIII, 5 ; trad. Loraux, 1997, p. 100). Même en cas de conflit, le citoyen se doit de prendre parti : « la neutralité n’existe pas » (Loraux, 1997, p. 101 ; Dabdab Trabulsi, 2006, p. 114). Au Ve siècle, le Périclès de Thucydide, dans l’oraison funèbre qu’il prononce en 431 pour les morts de la première année de la guerre du Péloponnèse, insiste sur cette nécessité de participer à la vie de la cité, sans quoi le citoyen « [n’est pas considéré comme] tranquille, mais inutile » (Thucydide, II, 40, 2).

Ainsi, la participation à l’Assemblée – comme aux Tribunaux – était-elle très étendue, tant numériquement que socialement. Si les adversaires de la démocratie, tel Platon, pour ne citer que lui, avaient à se plaindre de quelque chose, c’était bien d’une trop large participation aux affaires publiques (Ehrenberg, 1947 ; Adkins, 1976, p. 318 et 325).

« Qui veut prendre la parole ? » 

Il subsiste deux objections que l’on soulève toujours pour contester l’authenticité de toute démocratie : chaque citoyen pouvait-il véritablement intervenir et prendre personnellement part au débat ? À l’Assemblée même, n’était-ce pas les orateurs qui, forts de leurs compétences et de leur éloquence, gouvernaient ?

Si tous pouvaient prendre la parole à l’Assemblée, les 6000 citoyens présents sur la Pnyx ne font pas tous usage de ce droit, loin de là, l’écrasante majorité d’entre eux se contentant d’écouter les interventions et de voter. La plupart des citoyens, remarque Nicole Loraux (1979, p. 5),

« devaient être au moins capables d’entendre et de lire : ainsi définirais-je volontiers ce que l’on a appelé la “demi-instruction” du peuple athénien, présentant un haut niveau d’alphabétisation en dépit de l’absence de tout enseignement public, mais sans doute plus actif à l’Assemblée par sa présence ou par ses réactions que par ses prestations oratoires ».

L’historienne rappelle alors les paroles de Thésée dans la tragédie Les Suppliantes d’Euripide :

« Quant à la liberté, elle est dans ces paroles : “Qui veut, qui peut donner un avis sage à la cité ?” Lors, à son gré, chacun peut briller… ou se taire. Peut-on imaginer plus belle égalité civique ? » (v. 438-441 ; trad. C.U.F., légèrement modifiée)

« À son gré ou à la mesure de son instruction », commente Nicole Loraux. Comment comprendre alors l’isègoria, « égalité à l’Assemblée, réciprocité dans la circulation de la parole » (Loraux, 1979, p. 4), parfois envisagée comme synonyme de la démocratie ? Moses Finley explique que l’Assemblée « reconnaissait par son comportement l’existence d’une compétence politique tout aussi bien que technique et, [qu’] à toutes les époques, elle garda le regard fixé sur les quelques hommes capables de tracer les lignes politiques entre lesquelles elle devait choisir » (Finley, 1976, p. 73-74). En effet, la plupart des auteurs de décrets et d’amendements appartiennent à de grandes familles ou sont eux-mêmes connus pour avoir exercé des fonctions exigeant une certaine fortune (Ruzé, 1997, p. 456). Cette réalité a modifié la signification même du terme d’isègoria qui, du sens littéral de « liberté de parler égale pour tous » a rapidement glissé vers le sens plus général d’« égalité de droits dans un état démocratique », empiétant sur le champ de l’isonomia. Les Athéniens prennent ainsi acte du caractère fondamentalement inégalitaire de la compétence rhétorique, si bien qu’il n’est plus question de la liberté de chacun de prendre la parole, mais de l’égalité en droit de tous les citoyens, quelle que soit leur classe sociale.

C’est pourquoi, bien qu’on ne puisse douter qu’à partir du milieu du Ve siècle, Athènes est une cité où « le peuple règne », une cité « libre », qui n’est pas « gouvernée par un seul citoyen » pour reprendre les mots d’Euripide (Suppliantes, 404-406), les historiens s’accordent généralement pour affirmer que le dèmos était gouverné, par Périclès notamment – réélu stratège presque tous les ans de 443 à sa mort, en 429. Au livre II de son Histoire de la guerre du Péloponnèse, l’historien Thucydide (II, 65, 5 et 8-9) fait son éloge et le présente comme le chef et le protecteur de la cité. Il est celui qui sait parler au dèmos et contenir les instincts les plus bas de la foule. Chantre de l’oligarchie modérée, l’historien façonne ainsi un Périclès à l’image de son idéal politique, jusque dans la célèbre formule : « Cela devenait, pour le nom, une démocratie, mais, dans les faits, le gouvernement du premier citoyen » (II, 65, 9 ; nous traduisons).

Or force est de constater que cette formule a bien souvent été prise au pied de la lettre par les modernes : pour l’historien Christian Meier, par exemple, « ce qui est décisif sur le plan de l’histoire universelle, c’est qu’à cette époque, et pour la première fois – même si ce n’était qu’à l’intérieur de la communauté des citoyens –, la chose publique était vécue dans l’intérêt du plus grand nombre, celui de gouvernés, indépendamment de leur statut, de leur fortune et de leur éducation. » (Meier, 1995, p. 189 ; c’est l’auteur qui souligne)

Déjà, en 1672, Thomas Hobbes écrit, dans son autobiographie en vers, que Thucydide, dont il avait commencé la traduction dans les années 1620, lui plaît « plus que tous les autres » historiens, parce qu’« il a montré que la démocratie était mauvaise et [qu’] un seul homme était beaucoup plus sage que la foule » (Hobbes, 1839 [1672], p. lxxxviii, l.80-83). Ainsi a-t-on bien souvent présenté le système athénien comme un simulacre de démocratie, masquant en fait un régime monarchique (Morrison, 1950) ou, tout au moins, dominé par un pouvoir personnel (Meier, 1995, p. 172-173). Comme le note José Antonio Dabdab Trabulsi, cette image de la démocratie comme « sorte de royauté consentie », « sera non seulement la position de Thucydide, mais une grande trouvaille politique qui permettra, tout au long de l’histoire, aux conservateurs de tous pays et de tout temps, d’admirer la grandeur d’Athènes sans approuver le régime populaire » (Dabdab Trabulsi, 2006, p. 169 ; voir aussi 2011).

Pourtant, si l’on examine les récits thucydidéens des assemblées auxquelles participe Périclès, il apparaît très clairement que si ses discours étaient brillants et convaincants, c’est qu’ils étaient perçus comme tels par le dèmos, qui décidait, après avoir écouté les arguments des uns et des autres, de les approuver par le vote. En 432, par exemple, lors d’une séance de l’ekklèsia débattant de l’ultimatum lancé par Sparte, « de nombreux orateurs vinrent parler ; ils se rangeaient à l’un et l’autre avis » (Thucydide, I, 139, 4). Parmi ces orateurs, Périclès, lui, propose de repousser l’ultimatum : « les Athéniens, jugeant que c’était lui qui leur avait donné les meilleurs conseils, votèrent ce qu’il leur demandait » (Thucydide, I, 145 ; nous traduisons et nous soulignons).

En dépit de l’immense prestige dont jouit Périclès, le dèmos n’hésite pas à manifester son mécontentement à l’égard du stratège :

« À la suite de la deuxième invasion de l’Attique, un renversement d’opinion se produisit chez les Athéniens, qui voyaient leur territoire dévasté pour la seconde fois et qui souffraient de l’épidémie en même temps que de la guerre. Ils en voulaient à Périclès, qu’ils accusaient de les avoir entraînés dans ce conflit. Ils le rendaient responsable de leurs infortunes et manifestaient l’intention de traiter avec les Lacédémoniens. Ils allèrent jusqu’à envoyer des ambassadeurs à Sparte, mais sans aucun succès. Ne sachant plus alors à quoi se résoudre, ils s’acharnaient contre Périclès. » 

(Thucydide, II, 59, 1-2 ; trad. Roussel, 2000 [1964] ; voir aussi Ostwald, 1986, p. 200-201)

Certes, le stratège décide alors de convoquer une assemblée « pour calmer leurs inquiétudes et les ramener à des sentiments plus confiants » (II, 59, 3 ; trad. Roussel, 2000 [1964]), et les Athéniens « furent convaincus par ses arguments » (II, 65, 2 ; nous traduisons). Il n’en reste pas moins que le dèmos montre ici sa souveraineté : il peut, s’il le souhaite, passer outre les conseils de Périclès et envoyer une ambassade à Sparte.

Comme le note Arnold Gomme : « Peut-être que rien n’éclaire davantage la réalité de la démocratie à Athènes, du contrôle de la politique par l’ekklèsia, que cet incident : l’ekklèsia rejette le conseil de son homme politique le plus puissant et de l’orateur le plus persuasif, mais ce dernier reste en fonction, soumis à la volonté populaire, jusqu’à ce que le peuple s’en débarrasse. » (Gomme, 1962, p. 166)

L’Assemblée décide même de lui infliger une amende (Thucydide, II, 65, 3). Ainsi, Périclès a beau avoir une influence décisive sur l’ekklèsia, il n’en est pas le maître (voir encore II, 13, 1, où Périclès craint très clairement la réaction du dèmos) – rappelons d’ailleurs que les stratèges ne pouvaient agir individuellement, mais toujours collégialement. De même, les deux assemblées au sujet de Mytilène, en 427, montrent bien comment un orateur plébiscité pour ses conseils un jour, pouvait être totalement désavoué le lendemain (Thucydide, III, 35-50). Les orateurs étaient sous une tension perpétuelle, car ils étaient pour ainsi dire jugés par le dèmos à chaque vote ; la seule influence qu’ils pouvaient exercer était immédiate et, par conséquent, très précaire (Sinclair, 1988, p. 136-162 ; Ober, 1996, p. 132-135 ; Dabdab Trabulsi, 2006, p. 204-209). Ils risquaient toujours une graphè paranomôn (action en illégalité) et donc une condamnation judiciaire pour avoir mal conseillé la cité, sans parler de l’ostracisme, procédure politique de mise à l’écart. À défaut de prendre la parole directement, les citoyens athéniens disposaient d’un pouvoir d’empêchement, les élites politiques étant en outre contraintes par l’institution d’un système de responsabilité (Rosanvallon, 2006).

Le dèmos n’était donc en aucune façon dirigé par de quelconques hommes politiques. S’il est vrai que c’est toujours l’élite qui prend la parole à la tribune, tandis que les citoyens sont, dans leur écrasante majorité, censés garder le silence, en réalité, les citoyens ordinaires participent aux débats en réagissant plus ou moins vivement, en faisant du chahut (thorubos) – nous y reviendrons. Et c’est toujours à eux que le pouvoir de décision revient : par ce tumulte délibératif d’abord, par le vote ensuite. Dès lors, comment comprendre les propos du Cléon thucydidéen, qui qualifie ses concitoyens de « spectateurs de paroles et auditeurs d’actions » ? Comment appréhender, plus largement, le topos de la démocratie comme spectacle ? Pour ce faire, rendons-nous à présent dans le théâtre de Dionysos.

Le dèmos au théâtre

À la différence du spectateur du théâtre du XIXe siècle, tenu au silence, plongé dans l’obscurité pour mieux se faire oublier des autres, voire de lui-même, en Grèce ancienne, les spectateurs participent activement à la représentation dramatique. La notion d’illusion dramatique ne saurait en effet s’appliquer au théâtre grec : les représentations avaient lieu en plein air et en plein jour. Jouées exclusivement dans le cadre de concours dédiés à Dionysos, pendant la fête des Grandes Dionysies et celle des Lénéennes, les pièces s’enchaînaient tout au long de la journée, sans interruption. C’est pourquoi les spectateurs mangeaient sur place et bavardaient. Il faut se figurer un public bruyant et réactif, qui n’hésitait pas à applaudir, à siffler, à lancer des projectiles sur les acteurs (Moretti, 2001, p. 79-88 ; p. 271-277).

Situé sur le flanc sud-est de l’Acropole athénienne, le théâtre de Dionysos Éleuthéreus pouvait accueillir, pour la période qui nous intéresse, entre 10 000 et 15 000 spectateurs, répartis sur environ 45 gradins (Moretti, 2000, p. 295). Parmi ce public, les citoyens athéniens étaient largement majoritaires. À ce dèmos spectateur, il faudrait sans doute ajouter des enfants (Aristophane, Paix, 50-53 et 765-766 ; Nuées, 537-539), ainsi que, selon toute probabilité, des femmes (Sourvinou-Inwood, 2003, p. 177-184). Les métèques et les étrangers étaient également présents en nombre [7] [7] Les métèques sont les étrangers qui vivent de façon... . Les esclaves, quant à eux, semblent avoir été autorisés à se rendre au théâtre, à condition que leurs maîtres paient pour eux (Platon, Gorgias, 502 d 5-7).

Or, si ce public n’est pas silencieux, loin de là, il n’est pas non plus oublié par les poètes, qui n’ont de cesse d’établir un dialogue entre l’orchestra (l’aire de terre battue où évoluaient les acteurs et le chœur) et les gradins, créant une cohésion exceptionnelle non seulement entre le poète, le chœur, les acteurs et les spectateurs, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes. Ainsi, le poète comique Aristophane fait-il dire au coryphée, dans sa pièce les Nuées (v. 575) : « Holà ! Public éminemment sagace ! Ouvrez bien vos oreilles ! » Contrairement à ce qu’on pense généralement, ce type d’adresses aux spectateurs, très fréquent dans la comédie, existe également dans la tragédie, bien qu’elles soient toujours indirectes – formellement destinées à des personnages, à des figurants ou encore au chœur (Villacèque, 2007). Les exemples ne manquent pas, tel ce passage de l’Œdipe à Colone de Sophocle, où le roi Créon semble interpeller les spectateurs : « Voyez-vous cela, vous autres, les gens du cru ? » (v. 871). Comme le chœur à qui s’adresse d’abord Créon, les spectateurs étaient, dans leur grande majorité, des « gens du cru ». N’étaient-ils pas doublement visés par cette réplique, et en qualité de spectateurs et en leur qualité d’autochtones ? La réponse d’Œdipe va dans ce sens : « Ils nous voient, toi et moi, et se rendent compte : ce sont des actes que j’ai à subir, et je n’ai que des paroles pour riposter » (v. 872-873). Par l’intermédiaire du chœur, les spectateurs sont pris à témoin par les personnages du drame et deviennent, malgré eux, les juges du différent qui oppose Œdipe à Créon, comme s’ils assistaient à un débat à l’Assemblée ou au tribunal (Eschyle, Prométhée, 240-241 ; Sophocle, Œdipe à Colone, 872-873). Les poètes transforment ainsi, pour quelques instants du moins, le spectacle en délibération.

Ce faisant, les poètes jouent de la similitude des espaces. En effet, malgré d’indéniables différences de taille et d’aménagement, la Pnyx et le théâtre de Dionysos sont deux espaces d’assemblée qui se ressemblent : le koilon du théâtre s’appuie comme celui de la Pnyx  sur la pente d’une colline, légèrement concave, de façon à ce que l’auditoire puisse voir et entendre ce qui se passe dans l’orchestra ou à la tribune. En outre, l’auditoire de la Pnyx et celui du théâtre de Dionysos sont comparables, puisque, si le public du théâtre est hétérogène et globalement représentatif de la société athénienne, le dèmos y est dominant, numériquement, mais aussi et surtout en sa qualité de référent et destinataire des festivités. Jouant explicitement sur cette ressemblance des espaces, le poète comique Aristophane transforme, dans plusieurs pièces, les gradins du théâtre de Dionysos en Pnyx fictive, faisant endosser aux spectateurs le rôle de citoyens participant à une séance de l’Assemblée (Aristophane, Acharniens, 19-173 et 317-318 ; Cavaliers, 750-751, 783-784 ; Thesmophories, 655-658, par exemple). Mais il transforme aussi, du même coup, par détournement comique, la délibération en spectacle : dans sa comédie intitulée l’Assemblée des femmes, représentée en 392, les Athéniennes, excédées par la bêtise des décisions prises par leurs maris, décident de se déguiser en hommes pour prendre la parole à l’Assemblée et faire voter des lois donnant le pouvoir aux femmes, dans la cité comme à la maison. La Pnyx apparaît alors comme un vaste théâtre, où chacun joue son rôle à la tribune.

Si les poètes peuvent transformer le spectacle en délibération, mais aussi, symétriquement, la délibération en spectacle, c’est également parce que les édifices théâtraux accueillent régulièrement l’Assemblée du peuple. Comme la Pnyx, le théâtre est un espace démocratique, au sens où il permet aux citoyens de mettre les affaires de la cité es méson, « au centre », de délibérer, de s’écouter les uns les autres et de se regarder faire de la politique : c’est pourquoi on y réunit, une fois par an, juste après les Grandes Dionysies, l’Assemblée du peuple, chargée de juger du bon déroulement des festivités (finances, organisation, etc. ; cf. Démosthène, Contre Midias, 1- 9 ; Aristote, Constitution d’Athènes, 59, 2 ; Politique, VIII, 46). C’est également dans le théâtre qu’elle se réunit annuellement pour passer en revue les éphèbes : les futurs citoyens qui effectuaient leur service militaire (Aristote, Constitution d’Athènes, 42, 4). En revanche, on notera que la Pnyx et les tribunaux athéniens n’ont jamais accueilli de représentations théâtrales, même au IVe siècle, alors que le théâtre de Dionysos est en travaux. Cela n’évite pourtant pas aux assemblées qui s’y tiennent d’être qualifiées de théâtrales, les citoyens étant bien souvent présentés comme des spectateurs assistant à une pièce jouée par les orateurs-acteurs.

Un peuple spectateur ?

Les propos de Thucydide, cités en ouverture de notre article, sur les « spectateurs de paroles et auditeurs d’action » sont mis, non sans ironie, dans la bouche de Cléon, celui qui, selon Aristote (Constitution d’Athènes, 28, 3), « paraît le plus avoir corrompu le peuple par ses emportements et qui le premier cria à la tribune et parla tout en se débraillant, alors que les autres orateurs gardaient une attitude correcte » (voir aussi Plutarque, Nicias, 8, 6 ; Diodore de Sicile, XII, 55, 8 ; Cicéron, Brutus, 28 ; Quintilien, Institution Oratoire, XI, 3, 123). Pour beaucoup d’aristocrates athéniens, en effet, « les hommes qui suivirent [Périclès] étaient plus égaux entre eux et ils aspiraient chacun à cette première place : ils cherchèrent donc le plaisir du peuple, dont ils firent dépendre la conduite même des affaires » (Thucydide, II, 65, 10). L’image d’un dèmos stupide, qui se laisse berner par les démagogues, et celle d’un dèmos trop agité sont deux des multiples facettes de la critique de la démocratie telle que ses adversaires l’expriment à la fin du Ve siècle. Ces deux images, en apparence contradictoires, s’articulent autour de la question de la théâtralisation de la politique, qui gêne profondément les détracteurs du régime athénien.

Un peuple de moutons

Dans les deux premiers livres de La Guerre du Péloponnèse, Thucydide présente la rhétorique de Périclès comme empreinte non seulement d’autorité mais également de pédagogie. Alors que les Athéniens lui reprochent de les avoir entraînés dans la guerre, le stratège, pour sa défense, se définit lui-même dans une litote comme n’étant « inférieur à personne pour juger ce qu’il faut et le faire comprendre » (Thucydide, II, 60, 5, ainsi que II, 40, 2 et 3. Voir Ober, 2006, p. 152 ; Yunis, 1996, p. 73).

Or, à en croire leurs détracteurs, loin de vouloir instruire le dèmos, les successeurs de Périclès l’auraient abruti par leurs beaux discours, pour mieux le berner. Dans la comédie d’Aristophane intitulée les Cavaliers, représentée en 424, le protagoniste n’est autre que Dèmos en personne, soit Monsieur Lepeuple ; c’est un vieillard baveux, gâteux et lubrique, qui se laisse complaisamment courtiser par deux personnages fort vulgaires, dont l’un ressemble beaucoup à Cléon. Le poète, dans cette pièce, met en scène l’idée déjà vue chez Thucydide (II, 65, 10, cité plus haut), qui devait être assez courante à l’époque, du moins parmi l’élite intellectuelle : à la stupidité du dèmos correspond la malhonnêteté des démagogues, qui le séduisent pour mieux le tromper. Dans les Guêpes, Aristophane convoque une autre image, celle du troupeau. La comédie s’ouvre sur deux esclaves sommeillant devant la demeure de leur maître ; l’un raconte son rêve à l’autre :

« Il me sembla, dans mon premier sommeil, qu’il y avait dans la Pnyx une assemblée de moutons siégeant ensemble, avec bâtons et manteaux courts. Puis ces moutons, à ce qui me parut, étaient harangués par un mastodonte prêt à tout avaler, lequel avait une voix de truie flambée. » (v. 31-36)

Le troupeau évoque bien entendu la foule dont on ne peut distinguer les individus. Aussi doux que des moutons (voir aussi Aristophane, Paix, 935), les citoyens suivent aveuglément et en masse le démagogue qui les harangue : Cléon, en l’occurrence, qui apparaît ici tel que le décrit Thucydide (III, 36, 4), « à tous égards le plus violent des citoyens, et de beaucoup le plus écouté du peuple à ce moment ». D’ailleurs, déjà dans les Cavaliers, le personnage qui représente Cléon est accusé de guetter « celui des citoyens qui est sot comme un mouton » (v. 264) pour le gruger.

On retrouve cette idée d’un peuple abruti se laissant guider par des démagogues peu scrupuleux dans les Suppliantes d’Euripide, tragédie représentée vers 422, année de la mort de Cléon sur le champ de la bataille d’Amphipolis. Elle est avancée par le personnage d’un héraut venu de Thèbes, cité oligarchique alors ennemie d’Athènes, dans le débat qui l’oppose à Thésée l’Athénien à propos des régimes politiques :

« La cité dont je suis ici le délégué est gouvernée par un seul homme, et non par la populace (ochlos) : on n’y voit pas de parleur qui l’abrutisse et la tourne, selon son intérêt personnel, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, qui, agréable sur le moment et donnant beaucoup de plaisir, fait aussitôt des ravages, quitte à masquer ensuite ses fautes antérieures grâce à de nouvelles calomnies et esquiver le châtiment. D’ailleurs, comment le peuple (dèmos), sans savoir gouverner comme il faut ses idées, pourrait-il diriger la cité comme il le faut ? » (v. 410-418 ; trad. Debidour, 1999, modifiée)

Sans employer le terme, le personnage du héraut thébain résume bien ce que le « démagogue » pouvait représenter aux yeux des adversaires de la démocratie : la dégénérescence de la cité. C’est la populace irresponsable et incompétente – argument récurrent de la rhétorique anti-démocratique à l’époque (Thucydide, III, 38, 6 ; Xénophon, Constitution d’Athènes, I, 6-8) comme aujourd’hui (Rancière, 2005) – qui, tournée et retournée par les démagogues, dirige la cité. Le dèmos, lui, n’a pas l’intelligence et l’autorité nécessaires pour gouverner : le peuple n’existe pas.

En outre, comme Thucydide, le héraut thébain de la tragédie d’Euripide stigmatise le plaisir que les démagogues procurent au peuple pour parvenir à leurs fins. Or ce plaisir est à rapprocher des charmes ravageurs de la sophistique fustigés par le Cléon thucydidéen – encore lui – qui, on l’a vu, traite les citoyens assemblés de « gens dominés par le plaisir d’écouter, semblables à un public installé là pour des sophistes » (Thucydide, III, 38, 7).

Les démagogues, associés aux sophistes, sont donc tenus pour responsables de l’intrusion du théâtre dans la vie politique, voire dans la vie quotidienne des citoyens. Se faire acteurs leur aurait permis de séduire le dèmos pour mieux le contrôler.

Ainsi, les successeurs de Périclès sont-ils accusés d’abrutir les citoyens. On est cependant tenté de s’interroger sur la bonne foi de telles accusations. Une masse stupide, un troupeau de moutons, ne constituent-ils pas le fondement de tout pouvoir oligarchique ? Dans les Suppliantes d’Euripide, comme en réponse à l’oraison funèbre de Périclès, le héraut thébain se targue que, dans sa cité, « un pauvre laboureur, même instruit, n’aura point le loisir de vaquer aux affaires publiques » : pas de risque qu’« un gueux s’empare du pouvoir en séduisant la foule par sa faconde, lui qui n’était rien naguère » (v. 420-425, trad. C.U.F.). Car c’est bien cela qui effraie les adversaires de la démocratie : loin d’abrutir le peuple, les discours des orateurs, sur la Pnyx comme dans les tribunaux, l’éduquent. Et, lorsque les démagogues se font acteurs, crient et gesticulent, c’est pour mieux se faire entendre, pour mieux se faire comprendre des 5 000 à 6 000 citoyens massés sur la Pnyx : face à une telle assemblée, dans un espace dont les conditions acoustiques étaient médiocres, le théâtre était pour ainsi dire nécessaire. Si le caractère pédagogique de la rhétorique péricléenne était louable aux yeux de Thucydide, c’est que cette rhétorique était, à ses yeux, empreinte d’autorité. En adoptant et en revendiquant la posture de l’éducateur, Périclès se situe au-dessus du dèmos, et sur ce point, l’analyse d’Antonis Tsakmakis nous semble tout à fait pertinente : « Par l’instruction et par la raison, Périclès essaie de décourager toute action populaire malvenue et de transformer la foule en un ensemble d’individus responsables » (Tsakmakis, 2006, p. 168). Mais désormais, et, aux yeux des aristocrates, les « nouveaux politiciens » en sont la preuve vivante, n’importe quel gueux peut prendre la parole à l’assemblée : non seulement le citoyen n’est pas empêché par l’obscurité de sa condition de s’occuper de politique, mais, pis encore, il se saisit volontiers de son droit. Les adversaires de la démocratie sont bien conscients, malgré le « discours officiel » qu’ils ne cessent de répéter, que la mise en représentation du judiciaire et du politique n’abrutit pas le dèmos, bien au contraire. Car les citoyens, forts de cette éducation civique, au sens propre, participent pleinement – et bruyamment – aux débats. C’est ce qui gêne une partie de l’élite athénienne, comme nous allons le voir à présent.

Un dèmos tapageur

Si les adversaires de la démocratie reprochent au dèmos de se comporter sur la Pnyx comme au théâtre, ce n’est pas pour stigmatiser son apathie, mais, au contraire, pour regretter ses applaudissements et ses sifflets, ses murmures et ses huées. Notons que le terme thorubos, qui dénonce ce « tumulte », ce « bruit d’assemblée », signifie plus généralement le « désordre », la « confusion ».

Le tumulte du peuple assemblé apparaît, en effet, dans bien des textes, comme une force inexorable, et par là même inquiétante. Pour Platon (République, VI, 492b 1-c 8), c’est un torrent qui enfle et emporte tout sur son passage, y compris le jeune homme de bonne éducation, qui en vient, comme les autres, « à juger de ce qui est beau et de ce qui est laid », adoptant même les goûts de la masse. Il n’est donc pas possible de faire régner l’ordre et la justice dans des tribunaux « remplis de vacarme comme au théâtre parce que le public approuve ou blâme par des cris ce que disent ceux qui parlent pour l’une et l’autre parties » (Platon, Lois, IX, 876a 9-b 6 ; voir Bers, 1985). En effet, selon Platon, dans le théâtre de Dionysos, ce ne sont pas des juges qualifiés et impartiaux qui décident de l’issue des concours, mais le public, masse inculte et présomptueuse. C’est pour décrier cette situation que le philosophe forge, au livre III des Lois (700e 5-701a 3), le terme de « théâtrocratie » (voir aussi République, IV, 424b 3-425a 8). Ainsi, le philosophe réduit-il le thorubos de l’ekklèsia et des tribunaux à un jugement esthétique sans valeur, parce qu’émis par la masse inculte. C’est cette dernière que stigmatise également le Cléon thucydidéen pour qui les Athéniens, qualifiés de spectateurs, se montrent, dans les assemblées, désireux de prendre la parole, et veulent à tout prix « paraître, non point des retardataires dont l’intelligence est à la traîne, mais des gens capables d’applaudir avant les autres un trait de subtilité » (Thucydide, III, 38, 6). Ce brouhaha caractéristique de tout rassemblement humain est ainsi érigé en tare incurable de la démocratie, cristallisant tous ses désordres.

Le thorubos est de fait plus souvent associé à la masse (plèthos) voire à la populace (ochlos) qu’au dèmos. Dans le récit de Thucydide (IV, 28), c’est la populace qui, par son thorubos, oblige Cléon à accepter la proposition de Nicias et à partir combattre à Pylos, en 425 ; en effet, Cléon avait pris la parole à l’Assemblée pour dénigrer la façon dont le stratège Nicias menait les opérations, raillant son inefficacité. Nicias riposta en lui proposant de lui laisser sa place. Face au tumulte provoqué par cette proposition, Cléon fut contraint d’accepter (il s’en sortit d’ailleurs remarquablement ; cf. Thucydide, IV, 38-39). La scène se passe à l’Assemblée : Thucydide aurait très bien pu employer le terme « peuple » (dèmos), plutôt que celui de « populace » (ochlos). Xénophon en fait de même lorsqu’il relate le procès intenté aux stratèges vainqueurs dans les îles Arginuses (Helléniques, I, 7, 12-13). Comment l’expliquer ? C’est peut-être là pour ces auteurs une façon d’éviter de dire ce qui, précisément, les gêne : le thorubos est une expression parfaitement légitime de la souveraineté du dèmos.

Si seuls quelques orateurs prennent effectivement la parole à la tribune, les 5 000 à 6 000 citoyens qui participent à l’Assemblée exercent leur droit à la parole, en votant, certes, mais avant cela, en faisant du tapage. Dans l’Assemblée des femmes, comédie d’Aristophane dans laquelle les femmes décident, rappelons-le, de se déguiser en hommes pour prendre la parole à l’Assemblée, l’un des personnages raconte comment, lors de la séance à laquelle il vient de participer, un « jeune homme fort avenant, au teint clair […] a bondi pour haranguer le peuple » :

« Il s’est mis en devoir de montrer qu’il faut confier la cité aux femmes ! Et alors tumultueuses acclamations de la foule des cordonniers, et chez les campagnards, brouhaha de protestations. […] Mais ils étaient en minorité. Et le gars leur tenait tête, à pleine voix, en disant beaucoup de bien des femmes et beaucoup de mal de toi. » (427-436 ; trad. Debidour, 1999, légèrement modifiée)

Pour comique qu’il soit, puisque les cordonniers ne sont autres que les femmes déguisées, ce passage montre bien que les réactions n’étaient pas unanimes au sein de l’assemblée : lorsque les uns applaudissaient, d’autres pouvaient huer (Xénophon, Helléniques, VI, 5, 36-3). Judith Tacon souligne très justement qu’ « en se rangeant derrière des orateurs proposant chacun sa politique, les Athéniens montraient qu’il y avait une dimension politique précise dans leur participation aux débats de l’Assemblée et donnaient au thorubos un sens fortement démocratique » (Tacon, 2001, p. 182). En effet, par le thorubos, les citoyens pouvaient certes manifester leur sympathie à l’orateur monté à la tribune, mais ils pouvaient également le faire taire, comme le souligne Socrate dans le Protagoras (319c 1-7) :

« Si quelqu’un s’avise de leur donner des conseils [sur des questions techniques], sans qu’ils le reconnaissent comme spécialiste, qu’il soit très beau, riche ou bien né, on ne l’écoute pas davantage, mais on lui rit au nez et on le chahute, jusqu’à ce que celui qui s’est avisé de prendre la parole s’en aille de lui-même, pour avoir été tant chahuté, ou que les archers viennent l’arracher à la tribune ou l’expulsent sur ordre des prytanes. »

Le seul tumulte des citoyens assemblés peut faire battre en retraite un orateur, ou même inciter les prytanes à donner l’ordre de l’expulser de la tribune : il peut donc permettre au dèmos d’imposer massivement son avis (Xénophon, Mémorables, III, 6, 1 ; Isocrate, Sur la Paix, 3 ; Thucydide, IV, 28 ; Wallace, 2004, p. 227 ; Roisman, 2004, p. 265 ; ainsi que Cossart, 2010, p. 100-101). Deux épisodes, déjà évoqués, le confirment : en 425, lorsque Cléon doit accepter la stratégie que lui cède Nicias ; et en 406, lorsque l’Assemblée délibère au sujet de stratèges revenus des îles Arginuses, c’est par le thorubos et non par le vote que le peuple impose sa décision. D’ailleurs, s’ils demandent parfois le silence (Démosthène, Sur la paix, 3 ; Sur l’organisation financière, 14 ; Prologues, 55 [56], 3), les orateurs eux-mêmes, tel Démosthène, ne contestent pas la légitimité du thorubos, loin s’en faut :

« Si, Athéniens, on est intimement persuadé d’avoir quelque chose d’utile à dire et que l’on se lève pour parler, c’est là, me semble-t-il, une décision honorable et judicieuse ; mais si l’on contraint ceux qui ne le veulent pas à écouter, j’estime moi, que c’est une mesure absolument honteuse. » (Démosthène, Prologues, 55 [56], 1 ; voir aussi Eschine, Contre Timarque, 34 ; Démosthène, Sur l’ambassade infidèle, 23-24 ; Contre Stéphanos I, 6-7)

Ainsi le chahut de l’assemblée relève de l’exercice normal de la liberté de parole et constitue un régulateur du fonctionnement des institutions collectives, tandis que son contraire, le silence religieux de la masse, est le propre des peuples soumis et des régimes autoritaires. En 411, après le coup d’État oligarchique, l’Assemblée a continué à se réunir mais « aucun […] citoyen ne protestait plus, par crainte » ; « le peuple se tenait tranquille, en proie à une épouvante telle qu’on s’estimait heureux, même en gardant le silence, de ne pas subir de violence » (Thucydide, VIII, 66, 2 ; trad. C.U.F., légèrement modifiée). Et, en 404, lorsque Théramène demande à l’Assemblée de « remettre la cité aux mains de trente citoyens », les Athéniens commencent par « [déclarer], au milieu du tumulte, qu’[ils] n’en feraient rien ». Mais devant les menaces proférées par Théramène et Lysandre, « tous les bons citoyens présents dans l’assemblée, comprenant la manœuvre et, sentant leur impuissance, ou bien restèrent en se tenant tranquilles, ou bien se retirèrent » (Lysias, Contre Ératosthène, 73-75 ; trad. C.U.F., légèrement modifiée). La tranquillité et le silence semblent être aux régimes oligarchiques ce que le brouhaha est à la démocratie (Platon, Lois, III, 700c 4-d 2).

Les adversaires du régime athénien pointent ainsi du doigt une théâtralisation de la politique qui aurait eu lieu à partir de 429 et dont les démagogues seraient les artisans. Face à cette exubérance théâtrale à laquelle se livreraient les démagogues, le peuple, complice, réagit effectivement en spectateur. Loin d’être abrutis par les beaux discours, les citoyens se comportent comme au théâtre, font du tapage, en un mot, participent. Si les adversaires du régime athénien s’exaspèrent du thorubos des assemblées politiques et judiciaires, c’est que celui-ci témoigne de la liberté de parole et de la souveraineté du dèmos.

Reste à savoir s’il y eut réellement, dans les années 420, un phénomène de théâtralisation dans les domaines politique et judiciaire. Manquant de sources relatives au déroulement des assemblées durant les décennies qui précèdent la mort de Périclès, il nous est impossible d’établir une comparaison entre les deux périodes. On peut cependant douter que Cléon ait été le premier, comme le dit Aristote, à brailler et à gesticuler à la tribune de l’Assemblée : l’acoustique sur la Pnyx était très probablement mauvaise, du moins jusqu’aux travaux de réaménagement du début du IVe siècle. Parler fort et adopter une gestuelle ample était nécessaire pour se faire comprendre, sinon entendre, de l’ensemble des citoyens présents ; on voit mal comment Périclès aurait pu faire autrement.

Cependant, il y eut très probablement, après sa mort et avec l’arrivée des « nouveaux politiciens », un changement de style, que l’élite intellectuelle a expliqué – à juste titre semble-t-il, mais non sans exagération – par l’origine sociale de ces derniers. Si l’on ajoute à cela le fait que Cléon fut à l’origine d’une augmentation conséquente de l’indemnité donnée aux jurés des tribunaux, on comprend aisément non seulement le sentiment de rupture qu’exprime l’élite dans les textes qui nous sont parvenus, mais également que le démagogue concentre toutes les critiques. En outre, il ne faut pas oublier qu’à cette époque, une grande partie de la population de l’Attique a trouvé refuge derrière les murs de la ville : cela s’est certainement traduit par une fréquentation accrue des tribunaux et de l’Assemblée, d’autant que les questions alors débattues étaient capitales. Ce qui explique également que le dèmos ait été, à cette époque, particulièrement réactif.

Conclusion

Le dèmos athénien, loin de se laisser gouverner (archesthai), était souverain (kurios) : si ce sont en général les citoyens appartenant à l’élite qui prennent la parole à l’Assemblée, et s’ils sont donc un petit nombre à exercer leur droit de parole, le pouvoir de décision revient, de fait, à la masse des citoyens, qui participent nombreux aux assemblées politiques et judiciaires, en dépit de conditions matérielles souvent difficiles. Quand les détracteurs du régime athénien qualifient le dèmos de spectateur, lui reprochant de confondre la Pnyx ou les tribunaux et le théâtre de Dionysos, ce n’est pas pour l’accuser d’apathie, mais bien au contraire pour déplorer qu’il soit toujours en position de délibération. Dans les tribunaux, des jurys populaires de plusieurs centaines de citoyens écoutaient les parties, puis votaient à bulletin secret, sans délibération préalable, formellement du moins. Dans les faits, celle-ci se déroulait pendant l’audience. De même, à l’Assemblée, les citoyens ne disposaient pas d’un temps spécifiquement réservé à la délibération (Sintomer, 2011, p. 261-263). Ils débattaient entre eux, de façon spontanée, informelle et souvent tumultueuse, alors même que les orateurs prononçaient leurs discours à la tribune, avant de voter à main levée. Cette pratique délibérative, la seule que les Athéniens aient jamais connue, est paradigmatique : on la retrouve au théâtre, où se déroulent les concours dramatiques. Si des prix étaient attribués au terme de la fête, après tirage au sort de cinq des dix bulletins de vote des dix jurés, eux-mêmes tirés au sort, ces derniers ne pouvaient ignorer les spectateurs, qui, pendant les représentations, participaient activement et bruyamment à cette assemblée théâtrale.

Où qu’ils s’assemblent, les Athéniens forment un « public délibérant », pour reprendre l’heureuse formule de Bernard Manin (2011, p. 107). Ainsi, les adversaires de la démocratie pointent-ils du doigt une mise en représentation du politique. Convoquer le théâtre n’est pas simplement une façon de dénigrer un régime qui faisait une large place aux spectacles, c’est aussi et surtout un argument politique fort : l’élite anti-démocrate est consciente, plus encore que le dèmos lui-même, de ce que le théâtre est une stratégie de partage du savoir – et donc, lorsqu’il est transporté sur la Pnyx, de partage du pouvoir. Si la mise en représentation du dèmos par lui-même apparaît comme le moteur des institutions, puisqu’elle sert les notions de publicité et de communauté et donc la démocratie, si elle est encore le témoignage du filtre à travers lequel les Athéniens regardaient leur société et leur histoire, elle est aussi, au même degré que les pièces jouées dans le théâtre de Dionysos, une source inépuisable de plaisir. En assistant à son propre spectacle, la communauté des citoyens peut ainsi prendre conscience d’elle-même et de sa puissance.

Bibliographie

Adkins A. W., 1976, « Polupragmosune and “Minding One’s Business”. A Study in Greek Social and Political Values », Classical Philology, 71, p. 301-327.

Bächtiger A., Niemeyer S., Neblo M., Steenbergen M. R., Steiner J., 2010, « Disantangling Diversity in Deliberative Democracy : Competing Theories, their Blind Spots and Complementarities », The Journal of Political Philosophy, 18 (1), p. 32-63.

Bers V., 1985, « Dikastic Thorubos », in P. A. Cartledge, F. D. Harvey (dir.), Crux. Essays presented to G. E. M. de Sainte Croix on his 75th birthday, Londres, Imprint Academic.

Cossart P., 2010, Le meeting politique. De la délibération à la manifestation (1868-1939), Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

Dabdab Trabulsi J.-A., 2006, Participation directe et démocratie grecque. Une histoire exemplaire ?, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté.

Dabdab Trabulsi J.-A., 2011, Le Présent dans le Passé. Autour de quelques Périclès du XXe siècle et de la possibilité d’une vérité en Histoire, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté.

Debidour V.-H., 1965-1966, Aristophane, Théâtre complet, 2 vol., Paris, Gallimard.

Debidour V.-H., 1999, Les Tragiques grecs. Eschyle, Sophocle, Euripide. Théâtre Complet, Paris, De Fallois.

Ehrenberg V., 1947, « Polypragmosyne : A Study in Greek Politics », Journal of Hellenic Studies, 67, p. 46-67.

Finley M. I., 1976 [1973], Démocratie antique et démocratie moderne, trad. M. Alexandre, Paris, Payot.

Girard Ch., 2011, « L’usage des références aux cités grecques dans les théories contemporaines de la délibération », in M.-J. Werlings, F. Schulz (dir.), Débats antiques, Paris, Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie René-Ginouvès, p. 141-153.

Gomme A. W., 1962 [1956], A Historical Commentary on Thucydides, vol. 2, Oxford, Clarendon Press.

Hobbes Th., 1839 [1672], Thomas Hobbes Malmesburiensis Vita Carmine Expressa, in W. Molesworth (dir.), The Latin Works, vol. 1, Londres.

Lavelle S., 2011, « Critique de la raison dialogique. Habermas, le paradigme dialogique et le tournant délibératif : aspects, limites et alternatives », communication au colloque « Le tournant délibératif : bilan, critiques, perspectives », 16-17 juin 2011, EHESS, Paris.

Loraux N., 1979, « Aux origines de la démocratie. Sur la “transparence” démocratique », Raison présente, 49, p. 3-13.

Loraux N., 1993, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la « cité classique », Paris, Payot & Rivages.

Loraux N., 1997, La cité divisée. L’oubli dans la mémoire d’Athènes, Paris, Payot & Rivages.

Manin B., 1995, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy.

Manin B., 2011, « Comment promouvoir la délibération démocratique ? Priorité du débat contradictoire sur la discussion », Raisons politiques, 42 (2), p. 83-113.

Meier Ch., 1995 [1980], La naissance du politique, trad. D. Trierweiler, Paris, Gallimard.

Moretti J.-Ch., 2000, « Le théâtre du sanctuaire de Dionysos Éleuthéreus au Ve siècle avant J.-C. à Athènes », Revue des Études Grecques, 113 (2), p. 275-298.

Moretti J.-Ch., 2001, Théâtre et société dans la Grèce antique, Paris, Librairie Générale Française.

Morrison J. S., 1950, « Pericles Monarchos », Journal of Hellenic Studies, 70, p. 76-77.

Ober J., 1996, The Athenian Revolution. Essays on Ancient Greek Democracy and Political Theory, Princeton, Princeton University Press.

Ober J., 2006, « Thucydides and the Invention of Political Science », in A. Rengakos, A. Tsakmakis (dir.), Brill’s Companion to Thucydides, Leiden, Brill, p. 131-159.

Ostwald M., 1986, From Popular Sovereignty to the Sovereignty of the Law. Law, Society, and Politics in Fifth-Century Athens, Berkeley, University of California Press.

Polletta F., 2005, It Was Like a Fever. Story Telling in Protest and Politics, Chicago, Chicago University Press.

Pontier P., 2006, Trouble et ordre chez Platon et Xénophon, Paris, Vrin.

Rancière J., 2005, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique.

Roisman J., 2004, « Speaker-Audience Interaction in Athens. A Power Struggle », in I. Sluiter, R. M. Rosen (dir.), Free Speech in Classical Antiquity, Leiden, Brill, p. 261-278.

Rosanvallon P., 2006, La contre-démocratie, Paris, Seuil.

Roussel D., 2000 [1964], Thucydide. La guerre du Péloponnèse, Paris, Gallimard.

Ruzé F., 1997, Délibération et pouvoir dans la cité grecque de Nestor à Socrate, Paris, Publications de la Sorbonne.

Sinclair R., 1988, Democracy and Participation in Athens, Cambridge, Cambridge University Press.

Sintomer Y., 2011, « Délibération et participation : affinité élective ou concepts en tension ? », Participations, 1 (1), p. 239-276.

Sourvinou-Inwood Ch., 2003, Tragedy and Athenian Religion, Lanham, Lexington Books.

Starr Ch. G., 1990, The Birth of Athenian Democracy. The Assembly in the Fifth Century B. C., Oxford, Oxford University Press.

Tacon J., 2001, « Ecclesiastic Thorubos. Interventions, Interruptions, and Popular Involvement in the Athenian Assembly », Greece & Rome, 48, p. 173-192.

Taillardat J., 1965 [1962], Les images d’Aristophane. Études de langue et de style, Paris, Les Belles Lettres.

Thompson H. A., 1982, « The Pnyx in Models », in Studies in Attic Epigraphy, History and Topography Presented to Eugene Vanderpool, Princeton, American School of Classical Studies at Athens, [Hesperia suppl. 19], p. 133-147.

Tsakmakis A., 2006, « Leaders, Crowds, and the Power of the Image. Political Communication in Thucydides », in A. Rengakos, A. Tsakmakis (dir.), Brill’s Companion to Thucydides, Leiden, Brill, p. 161-187.

Villacèque N., 2007, « “Toi, spectateur de mes tourments”. Les adresses au public dans la tragédie grecque », Cahiers du Centre Gustave-Glotz, 18, p. 263-280.

Villacèque N., 2013, Spectateurs de paroles ! Délibération démocratique et théâtre à Athènes à l’époque classique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes (à paraître).

Wallace R. W., 2004, « The Power to Speak – and not to Listen – in Ancient Athens », in I. Sluiter, R. M. Rosen (dir.), Free Speech in Classical Antiquity, Leiden, Brill, p. 221-232.

Young I. M., 1996, « Communication and the Other : Beyond Deliberative Democracy », in S. Benhabib (dir.), Democracy and Difference. Contesting the Boundaries of the Political, Princeton, Princeton University Press.

Yunis H., 1996, Taming Democracy. Models of Political Rhetoric in Classical Athens, Ithaca et Londres, Cornell University Press.

Quand les adversaires du régime athénien reprochent aux citoyens assemblés de se comporter en spectateurs et aux orateurs de se faire acteurs pour mieux les séduire, ce n’est pas pour stigmatiser une quelconque passivité du dèmos, mais, au contraire, pour déplorer qu’il participe intensément. Ce topos nous invite à revenir sur une conception dialogique de la délibération. En effet, si ce sont toujours des membres de l’élite qui prennent la parole à la tribune, les citoyens ordinaires, loin de garder le silence, participent activement à la délibération : une délibération informelle et tumultueuse par laquelle le peuple, « public délibérant », réaffirme sa souveraineté... avant de voter à main levée.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message