22 août 1922 Le Costa Rica annule toutes les dettes contractées par les gouvernants précédents

vendredi 9 septembre 2016.
 

En janvier 1917, le gouvernement du Costa Rica, sous la présidence d’Alfredo Gonzalez, est renversé par le secrétaire d’Etat de la Guerre, Federico Tinoco, qui fait procéder à de nouvelles élections et établit une nouvelle Constitution en juin 1917. Le putsch de Tinoco est soutenu par l’oligarchie qui rejetait la politique suivie par le gouvernement antérieur. Et pour cause, celui-ci avait décidé d’imposer une taxe sur la propriété et un impôt progressif sur les revenus [1]. Tinoco reçoit également le soutien du patron de la tristement célèbre transnationale nord-américaine, la United Fruit Company (devenue à partir de 1989, Chiquita Brands International), connue pour avoir contribué à renverser plusieurs gouvernements latino américains afin de maximiser ses profits [2].

Le gouvernement Tinoco est ensuite reconnu par plusieurs Etats sud-américains, ainsi que par l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et le Danemark. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie ont, quant à eux, refusé de le reconnaître.

En août 1919, Tinoco quitte le pays en emportant une forte somme d’argent qu’il venait d’emprunter au nom de son pays à une banque britannique, la Banque Royale du Canada [3]. Son gouvernement tombe en septembre 1919. Un gouvernement provisoire rétablit alors l’ancienne Constitution et convoque de nouvelles élections. La loi n° 41 du 22 août 1922 annule tous les contrats passés entre le pouvoir exécutif et des personnes privées, avec ou sans approbation du pouvoir législatif, entre le 27 janvier 1917 et le 2 septembre 1919 ; elle annule également la loi n° 12 du 28 juin 1919, qui avait autorisé le gouvernement à émettre seize millions de colones (la monnaie costaricaine) de papier-monnaie.

Il est utile de souligner que le nouveau président de la république, Julio Acosta, a d’abord opposé son véto à la loi de répudiation des dettes en arguant que cela allait à l’encontre de la tradition qui consistait à respecter les obligations internationales contractées à l’égard des créanciers. Mais le Congrès constituant, sous pression populaire, a maintenu sa position et finalement le président a retiré son véto. La loi de répudiation des dettes et de tous les contrats passés par le régime antérieur constitue une rupture évidente avec la tradition de la continuité des obligations des Etats malgré un changement de régime. Cette décision unilatérale souveraine du Costa Rica ressemble de manière évidente à la décision prise en 1867 par le président Benito Juarez soutenu par le Congrès et le peuple mexicain de répudier les dettes réclamées par la France [4]. Elle s’inscrit également dans la foulée du décret bolchévique de répudiation des dettes tsaristes adopté en 1918.

La Grande Bretagne a menacé le Costa Rica d’une intervention militaire s’il n’indemnisait pas les sociétés britanniques affectées par la répudiation des dettes et d’autres contrats. Il s’agissait de la Banque Royale du Canada et d’une société pétrolière. Londres envoya un bateau de guerre dans les eaux territoriales du Costa Rica [5].

Le Costa Rica maintint sa position de refus d’indemnisation en proclamant haut et fort que† :

« La nullité de tous les actes du Régime Tinoco a été définitivement réglée par un décret de l’Assemblée Constituante†du Costa Rica qui était la plus haute et l’ultime autorité compétente en la matière et sa décision sur cette question réalisée dans l’exercice des droits souverains du peuple du Costa Rica, ne peut être modifiée par une autorité étrangère » [6].

Afin de trouver une solution, le Costa Rica accepta de s’adresser à un arbitre international en la personne de William H. Taft, le président de la Cour suprême des Etats-Unis, afin qu’il donne son avis sur les deux principaux litiges avec la Grande-Bretagne, l’affaire de la Banque Royale du Canada et celle d’une concession pétrolière qui avait été accordée par le dictateur Tinoco à l’entreprise British Controlled Oilfields Ltd.

En s’adressant à William H. Taft, qui a été président des Etats-Unis de 1909 à 1913, le Costa Rica comptait bien avoir gain de cause en profitant de l’intérêt qu’avait Washington de marginaliser la Grande-Bretagne dans la région. Le Costa Rica était convaincu que Taft lui donnerait raison car le consul des Etats-Unis dans la capitale San José avait exprimé son soutien à la loi de répudiation des dettes. Ce soutien du consul avait été mal pris par Londres qui s’en était plaint par voie diplomatique auprès du gouvernement de Washington. Il faut également préciser que dans un premier temps, Washington a tenté de convaincre le gouvernement britannique d’accepter de porter l’affaire devant les tribunaux costaricains comme l’exigeait le Costa Rica. C’est devant le refus de Londres de reconnaître la compétence des tribunaux du pays débiteur que l’affaire fit finalement l’objet d’un arbitrage. On comprend dès lors que le Costa Rica ne courait pas beaucoup de risques. Et effectivement, William H. Taft décida de rejeter la demande d’indemnisation exigée par Londres.

Il faut souligner que, deux ans après la sentence et la confirmation de la répudiation des dettes, le Costa Rica a pu trouver des banquiers disposés à lui octroyer du crédit. Ce qui démontre qu’une attitude très ferme d’un pays contre ses créanciers ne l’empêche pas de trouver de nouveaux prêteurs.

Il est important de se pencher sur les arguments de Taft. D’abord il établit clairement que la nature despotique du régime de Tinoco n’a aucune importance.

Dans sa sentence, William H. Taft déclare notamment : « Prétendre qu’un gouvernement qui s’installe et fait fonctionner harmonieusement son administration, avec l’assentiment de la population pendant une période substantielle, ne peut devenir un gouvernement de facto s’il ne se conforme pas à la constitution en vigueur reviendrait à prétendre que dans le cadre du droit international, une révolution contraire au droit fondamental du gouvernement en place ne peut pas établir de nouveau gouvernement. » Ce qui signifie que Taft rejette l’argument du Costa Rica en rapport avec la nature du régime de Tinoco. Selon Taft, Tinoco qui exerçait de facto le contrôle sur l’Etat même s’il n’avait pas respecté la Constitution avait le droit de contracter des dettes au nom de l’Etat.

L’argument de Taft reproduit plus haut ouvre la voie à la reconnaissance de gouvernements révolutionnaires qui arrivent au pouvoir sans respecter la Constitution. Taft déclare que si l’on exclut la possibilité qu’un gouvernement inconstitutionnel devienne un gouvernement régulier, cela veut dire que le droit international empêcherait un peuple qui a réalisé une révolution de mettre en place un nouveau gouvernement légitime. Ce qui, selon Taft, n’est pas concevable. Bien sûr, en pratique, ce qui est arrivé le plus souvent au cours des deux derniers siècles, c’est la reconnaissance (et le soutien donné par le gouvernement de Washington en particulier) de régimes dictatoriaux qui ont renversé des régimes démocratiques, l’apport d’un soutien à ces régimes dictatoriaux pour se financer à l’étranger, et l’exercice d’une pression sur les régimes démocratiques qui ont succédé pour qu’ils assument les dettes contractées par la dictature. Cela marque la différence entre la théorie qui est basée sur l’histoire de la naissance des Etats-Unis se rebellant contre le régime constitutionnel britannique en 1776 et la pratique ultérieure des Etats-Unis.

Le jugement de Taft contient un passage qui affirme qu’il faut respecter la règle de la continuité des obligations des Etats malgré un changement de régime† : « Des changements de gouvernement ou de politique interne d’un Etat n’affectent pas sa position au niveau du droit international. (...) malgré des changements de gouvernement, la nation subsiste sans que ses droits et ses obligations soient modifiés (...). Le principe de la continuité des Etats a des résultats importants. L’Etat est tenu de respecter des engagements qui ont été pris par des gouvernements ayant cessés d’exister ; le gouvernement restauré doit généralement respecter les engagements pris par l’usurpateur (...). » [7]. Cela indique très clairement la position conservatrice de Taft.

En revanche, Taft donne raison au Costa Rica contre la Grande-Bretagne sur la base d’autres arguments importants. Taft affirme que les transactions entre la banque britannique et Tinoco sont remplies d’irrégularités et que la banque en est responsable. Il ajoute que « le cas de la Banque royale ne dépend pas simplement de la forme de la transaction, mais de la bonne foi de la banque lors du prêt pour l’usage réel du gouvernement costaricain sous le régime de Tinoco. La Banque doit prouver que l’argent fut prêté au gouvernement pour des usages légitimes. Elle ne l’a pas fait. » [8] Reprenons le raisonnement de Taft : Tinoco pouvait contracter des emprunts bien qu’il ait pris le pouvoir en violant la Constitution, mais il devait le faire dans l’intérêt de l’Etat. Taft affirme que Tinoco a réalisé des emprunts auprès de la Banque Royale du Canada pour son bénéfice personnel [9]. Taft ajoute que la Banque le savait parfaitement et est donc directement complice. Précisons que selon le raisonnement de Taft, si Tinoco avait emprunté de l’argent pour développer le réseau des chemins de fer, le régime qui lui a succédé aurait été obligé de rembourser, sauf si les contrats avaient été marqués d’irrégularités.


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