Ce texte de Pierre Kiroul date de 2016. Il ne correspond pas à l’orientation du PG. Nous le mettons en ligne pour la qualité de son argumentation et ferons passer, évidemment, tout message de forum.
L’union européenne en question
Les impasses annoncées
Printemps 2016 : Mais qui avait ainsi mis le feu aux poudres ?
« La récession économique se termine », les activités reprennent, le chômage « continue de baisser » ( !) (1). Personne ne croit plus depuis longtemps à ce genre de baliverne diffusée par des journalistes besogneux.
Si les entreprises peuvent encore limiter les dégâts c’est grâce aux mesures gouvernementales permettant la baisse du coût du travail et l’exonération fiscale. L’effet pervers qui en résulte – tout le monde le sait aujourd’hui - est logiquement le ralentissement inéluctable des échanges, la stagnation des marchés.
Mais aujourd’hui sur ces sujets brûlants, ces faits indéniables, nos politiciens la mettent en sourdine. Seuls les populistes ( de droite) continuent à vouloir faire croire, que, de l’intérieur, sans changer le système tout entier, on peut changer les choses et revenir « au bon vieux temps » en éliminant peut-être une partie de la population.
Il a bien fallu se rendre à l’évidence. Après chaque élection s’en est venu la déception, le dégoût.. Faute d’une vision radicale remettant en question le système capitaliste, toutes les solutions proposées avaient toujours leur même revers mortifère. En sourdine s’échappait, dans la confusion, la conclusion déprimante du genre « on a tout essayé… ».
Après un petit sursaut d’optimisme sans fondement entre 2013 et 2015, aujourd’hui, avec plus de réalisme, on avoue ne pas trouver de solution. Même ceux, dont le métier est justement de trouver des issues, disent leur désarroi. Les représentants du G20, réunis récemment à Hangzhou, n’ont rien émis de nouveau. Seule la brise du matin calme leur amenait le parfum de la Chine et du yuan conquérant. On accorde fort justement de moins en moins d’attention à ces grandes réunions internationales. Les manifestants de jadis, qui faisaient à cette occasion un foin de tous les diables, se sont dissipées. Il est vrai que manifester en Chine…Tout le monde s’en fout car on sait très bien que ces messieurs-dames ne font, en évoquant la nécessité de relances budgétaires, qu’étaler leur incompétence et surtout leur impuissance. Et Stirglitz n’y pourra rien (2)
On l’a vu ces derniers temps : la seule prétendue solution en Europe est venue de la Banque Centrale, de Mario Draghi, qui comme aux Etats-Unis, a déversé sur le marché un flot de liquidités permettant de fait la continuation de la spéculation financière, seule activité apparaissant aujourd’hui rentable. On sait que cela ne durera pas mais on fait comme si. « Mets t-en plein les fouilles ; ce sera déjà ça de pris avant la catastrophe annoncée » me disait un certain Picsou.
Parallèlement à cette spéculation, la baisse du coût du travail est un enjeu féroce où les salariés sont les victimes désignés. Licencier est le maître-mot ..Ce n’est pas la naissance de nouveaux marchés qui s’offre comme perspective mais, simplement à court terme, cette baisse dudit coût du travail autant qu’il soit possible. C’est toujours ça de pris grommellent les requins qui tournent en rond dans la nasse. C’est toujours sur le dos des salariés que peut se faire le profit . Et donc baisse des salaires, démantèlement du code du travail, exonération fiscale (3). Voilà les armes désuètes, la conception misérable et étriquée de nos décideurs capitalistes.
En réalité ils n’ont pas le choix des armes ; ils n’en ont plus et tirent donc leurs dernières munitions de fusils à bouchon.
Un spectre hante l’Europe : l’immigration. Les guerres, qui n’ont pratiquement jamais cessé au Moyen-Orient depuis 1945, ont connu une recrudescence telle que ce sont à présent les populations civiles qui sont massacrées en masse. Dans l’Histoire ces conflits ont été provoqués par les manœuvres et les interventions de « puissances étrangères ». Et même la Russie, menacée par les puissances occidentales, y retrouve ses intérêts « historiques ». Cette fameuse quête de l’accès aux mers chaudes, à la Méditerranée, ne vaut-elle pas que l’on s’accroche à la Syrie d’Assad et à la base de Tartus ? La guerre entre la Russie et ses alliés d’un côté et les Occidentaux de l’autre a déjà commencé sur le terrain, au Moyen-Orient. La conséquence prévisible est un exode massif de populations, qui fuient non seulement la guerre mais la misère et la faim. Les exilés ne viennent pas seulement de Syrie, mais d’Afghanistan, du Pakistan, d’Erythrée, du Soudan… En évoquant l’Empire Romain qui s’est ainsi effondré, sous l’assaut de vagues d’immigrés eux-mêmes poussés par d’autres barbares, on nous dira que l’on fait ici une comparaison osée, une de celles que pourraient faire les populistes. Et pourtant les frontières de Schengen nous font irrésistiblement penser aux limes romains destinées à interdire l’arrivée de Barbares, qui furent si vite submergés. Ni ces frontières d’hier ni celles d’aujourd’hui n’arrêtent les flots de centaines de milliers de personnes. La meilleure façon de les intégrer, ou même plutôt d’arrêter le flux, serait de changer l’Empire euh pardon la société capitaliste elle-même. Au fond tout le monde sait cela même si l’on juge que c’est « impossible ». Et c’est bien la résistance des puissants à tout changement réel qui mène à la barbarie, à des affrontements sans fins.
Mais un autre danger, intérieur celui-là, mine l’Union Européenne. La crise économique provoque des tensions, une polarisation à l’intérieur même d’une entité qui n’a jamais réussi à faire son unité politique. Il y a un fossé, qui ne fait que s’élargir entre les pays du nord et ceux du sud du continent. Et l’argent déversé pour aider les plus « pauvres » revient, logique capitaliste oblige, là où il peut rapporter c’est-à-dire principalement en Allemagne. Les désaccords deviennent récurrents et chacun veut retirer ses billes. L’exemple de la Grèce réduit à une faillite sans espoir, illustre la conception étriquée qui a longtemps dominé : la recherche du sacro saint équilibre budgétaire si cher à l’Allemagne.
La Grande-Bretagne, par l’intermédiaire d’un référendum, annonce qu’elle quitte l’Union Européenne. En réalité, comme pour le référendum de 2005 en France, les décideurs capitalistes font ce qu’ils veulent. Déjà son départ est remis aux calendes…
Sans aller plus loin ici on comprend que la récession économique a créé les conditions d’une crise institutionnelle que les promoteurs capitalistes de l’Union Européenne ont été, sont toujours incapables de résoudre.
Cette crise institutionnelle touche aussi tous les grands états, particulièrement ceux de l’Occident où l’on constate une polarisation. D’un côté une extrême-droite - disons les populistes - de l’autre une extrême-gauche - disons les anti capitalistes. Ces deux courants traversent les sociétés et se traduisent politiquement par des mouvements nouveaux. En Grande-Bretagne on a vu le succès, dans le parti travailliste, de Corbyn. Aux Etats-Unis Bernie Sanders, le prétendant aux élections présidentielles, énonçait un discours radical, critique du système. En France c’est plus dans la rue, dans les luttes sociales, que sur le terrain strictement politique, où aucune organisation de gauche radical n’émerge, qu’une alternative de démocratie directe mettant radicalement en question le système capitaliste, se fait de plus en plus prégnante. Nuit Debout fait écho à Occupy Wall Street. Mais, plus inquiétant pour le pouvoir, un mouvement de masse d’insurgés prêts à en découdre avec les forces de l’ordre, se fait jour, énonçant clairement une volonté de changement radical. Il serait rassurant pour le pouvoir de n’y voir que quelques groupes minoritaires, faciles à marginaliser. Mais il semble bien qu’il s’agisse d’un mouvement de fond. Ceux qu’on arrête, le plus souvent, sont des citoyens lambda. La police française qui a un lourd passé de répression ne peut que se faire toujours plus cruelle à mesure que le danger social augmente (4)
Un pouvoir d‘achat doit néanmoins être garanti. Même s’il ne concerne qu’une fraction de la population. D’où le mirage qu’entretient une certaine gauche défendant une politique keynésienne dont chacun sait qu’elle serait en réalité impossible à mener dans le contexte actuel. Stigliz peut énoncer des idées, proposer des plans de sauvetage. On n’est plus en 1950. Pour amorcer la pompe il faudrait certes fabriquer de la monnaie et la répartir. Cela a déjà été essayé et, compte tenu de la saturation des marchés, il n’y a pas eu de retour sur investissement. Pour ce qui est des biens manufacturés tout ce qui sera acheté proviendra de l’étranger puisque les industries nationales, dans les pays occidentaux anciennement industrialisés, n’existent pratiquement plus. Bon, on serait quand même d’accord pour empocher un peu de monnaie au passage même si, comme du sable, on sait qu’elle va nous couler entre les doigts. On se dira là encore que « c’est déjà ça de pris ». Après on verra bien. L’aboutissement sera l’accentuation d’une faillite progressive. Négatif, dira t-on. Mais pas si mal finalement. Parce qu’à présent de plus en plus nombreux sont ceux qui veulent qu’on en finisse radicalement avec ce ledit système même si cela se termine en apocalypse ….
Face à l’attaque néolibérale, qui s’est généralisée dans le monde entier, on attendait la réaction populaire. En 2010-2011, c’est la situation sociale qui avait fait s’enflammer l’Afrique du nord. En Grèce on avait certes rué dans les brancards. Mais les insurgés grecs se sentaient bien seuls : le reste de l’Europe ne bougeait pas. Il se disait qu’en France il y avait bien des manifestations de défense de l’environnement, que le gouvernement de gauche était certes déjà responsable de la mort d’un manifestant, mais qu’aucun vaste mouvement social ne pouvait plus surgir. On se résignait. Surtout après les attentats aveugles des facho-terroristes. Et surprise, des grèves éclataient, des secteurs entiers se retrouvaient paralysés, des manifestations parfois violentes se déroulaient en ce printemps 2016.
Pendant des semaines, des mois, des assemblées de contestation, de propositions, se réunissaient dans toutes les villes… D’un coup on sentait venir le chaos…ou plutôt le KO possible de tout un système que l’on savait déjà à l’agonie. Même ceux qui étaient chargés de nous endormir tous les soirs commencèrent à s’inquiéter. N’entendions-nous pas déjà, dans le lointain, le doux son de leurs miches qui faisaient pif-paf ? Des émeutiers, nombreux, tenaient le pavé dans nombre de grandes villes. Les services d’ordre des syndicats, malgré les injonctions du Premier Ministre, ne faisaient plus la loi. Tout ce que trouvait à dire certains responsables syndicaux étaient de montrer la menace des combats de rue, si on ne les écoutait pas, eux, les « raisonnables ». Quel argument !
La presse anglo-saxonne poussait des cris d’orfraie devant ces « french bastards » issus d’un pays connu pour être non seulement celui de mangeurs de grenouilles mais aussi un repère de révolutionnaires invétérés et de feignants.
Le gouvernement en annonçant son projet de Loi El Khomri ? Les syndicats en appelant à la grève ? Les mystérieux groupes « anarcho-autonomes » ?
Les médias avaient en effet remis au goût du jour un qualificatif pour désigner les insurgés : c’était des « casseurs ». Terme qu’on avait déjà tenté de généraliser, sans succès, en mai-juin1968, du fait, à cette époque, du nombre grandissant d’émeutiers.
Non, celle qui avait provoqué, peut-être sans le vouloir, cette révolte, n’était pas la représentante d’un syndicat ou d’un parti mais une simple pétitionnaire. Cela avait en effet commencé par la diffusion d’une pétition contre la loi-travail (5). Les syndicats appuyèrent ensuite à leur manière cette contestation. La CGT, de par son congrès d’avril, se montrait combattive. Elle rompait en effet avec sa stratégie de concertation d’avec la CFDT pour se rapprocher de FO, l’organisation devenue à présent rivale de ladite CFDT.
Mais d’une façon générale les syndicats étaient implantés dans les derniers secteurs où l’emploi, les conditions de travail étaient protégés par des conventions collectives, ou surtout par le droit de la fonction publique. Permettant le plan de carrière, ils n’existaient plus vraiment que dans ces grandes boites. Le syndicalisme est pratiquement inexistant – hormis le classique « syndicat-maison » - dans les petites entreprises. Et cela est vrai pratiquement partout en Europe, là où le syndicalisme n’est pas « obligatoire ». En Allemagne ce n’est que récemment que des syndicats représentant les intérets des employés de la grande distribution existent, arrivent à se faire entendre.
D’un mouvement qui s’annonçait au départ uni, solidaire, non corporatiste on passa bientôt à la lutte pour l’aboutissement de revendications bien corporatistes celles-là. On aurait pu espérer l’inverse. Car c’est vers le rétrécissement de toute perspective de remise en cause réelle de la société qu’on se dirigeait. Bien sûr le gouvernement aux abois jouait là-dessus. Il accepta les revendications des cheminots contre l’avis de leur propre direction. Les routiers aussi virent certaines des leurs aboutirent. Diviser pour mieux régner, certes. Mais un syndicalisme digne de ce nom aurait cherché à élargir le mouvement d’abord localement, en arrêtant les activités ville par ville, région par région. tel que cela avait pu se passer dans les années 1950-1960. Ou plus près de nous dans le temps, dans les Antilles où toutes les zones d’activités commerciales avaient été bloquées pendant plusieurs semaines. Comme d’hab, les employés des sociétés pétrolières cessèrent rapidement leur grève et leurs blocages. Ces fausses attaques, ces épées de bois rageusement brandies, ces défilés promenades sans conséquences, toutes ces armes inoffensives en frustraient beaucoup, toujours plus nombreux.
Les « casseurs » venaient-ils du milieu « anarcho-autonomes ». Rien de moins sûr. Quel groupe politique, quelle mouvance, pouvait mobiliser ainsi tant de monde ? Car les émeutiers se comptaient bien par milliers. Les rares fois où leurs interviews furent diffusés par les médias, on se rendait vite compte qu’il s’agissait de révoltés, contestant le capitalisme, semblant instruits mais sans emploi ou sans revenus suffisant. Cette image était évidemment difficile à montrer car elle indiquait la profondeur de la révolte et son caractère de remise en cause de toute une société.
Depuis plus de 20 ans les mouvements sociaux en France ne se sont jamais terminés par une victoire des manifestants. Mis à part peut-être le projet CIP de Dominique de Villepin en 2006. Mais il ne concernait qu’une frange de la population. On avait toujours, d’une façon ou d’une autre, en ligne de mire, ceux que l’on destinait à être plumé tôt ou tard.
Les grèves concernent avant tout les salariés en mesure de les faire, qui sont relativement nantis au regard d’une partie importante de la population sans emploi stable. Au printemps 2016, ils sont le moteur de la lutte. Si la solidarité interprofessionnelle caractérise au départ le mouvement, celui-ci prend ensuite, comme nous l’avons dit, des allures de combats plus corporatistes. Il serait peut-être réducteur de penser que les déclencheurs et animateurs des mouvements sociaux seraient à rechercher uniquement parmi les salariés de secteurs dits « protégés ».
Difficile de prévoir la suite. On a dit que si un mouvement social avait ses limites, il servait néanmoins d’expérience pour une mémoire collective. Et la révolte suivante en tiendrait toujours compte. Les échecs peuvent ainsi développer une polarisation aux allures de guerre civile. D’un côté les manifestants plan-plan de naguère qui ont « compris-que-toute-révolte-est-inutile » et qui espèrent encore ne pas être complètement tondus. De l’autre un mouvement de masse « d’éléments radicalisés », de « casseurs » incontrôlables par les institutions que sont les partis et les syndicats. Le choix des armes ?
(1) Si le taux de chômage était réellement de 4,5% aux Etats-Unis, la masse salariale serait en augmentation. Or le salaire horaire moyen a été en progression de 2,5 % sur un an, un rythme quasi-inchangé depuis décembre dernier. L’absence d’inflation salariale est évidemment surprenante avec un taux de chômage aussi faible ! La réalité réside dans la présence cachée de la « non labour force ». C’est-à-dire dans les 95 millions d’Américains en âge de travailler et qui ne travaillent pas. Ils ne sont pas ou plus comptabilisés comme chômeurs. Cette « force » de presque 100 millions de chômeurs explique pourquoi les salaires n’augmentent pas…
(2) « L’euro Comment une devise commune menace l’avenir de l’Europe » septembre 2016. Essai de Joseph Stiglitz. L’auteur pointe les faiblesses de l’Union européenne, ses déséquilibres, son absence de vision à terme et donc son manque d’unité politique. Il émet surtout l’idée de plans de relance de la demande. Pour ce qui est de l’unité politique européenne on voit mal ce qui pourrait aujourd’hui faire redresser la barre. La désunion est totale. Aucune grande pensée n’anime les chefs d’Etat. Une flexibilité de l’euro ne serait qu’une étape vers la fin de la monnaie unique. En ce qui concerne la relance, on ne voit pas très bien quelles sont les perspectives du marché. Pour qu’il y ait un semblant de solvabilité il faudrait toujours faire marcher la planche à billets, en continuant à creuser les déficits des états sans aucun espoir réel de retour sur investissement.
(3) Défiscalisation et licenciements sont les principaux « atouts » des entreprises. Celles-ci voient alors parfois leurs actions grimper en flèche pour le bonheur des actionnaires.
(4) La police française fut l’arme des tous les pouvoirs et notamment celle du régime du Maréchal Pétain pendant l’Occupation. C’est la police française qui arrêtait les Juifs et les parquaient au Vel d’hiv. C’est elle qui traquait les résistants – les « terroristes – et les policiers qui rejoignirent la Résistance ne furent qu’une minorité tardivement ralliée, quoiqu’on en dise. Les CRS, nouvelle police créée par la gauche en 1945, finirent par intégrer ces anciens GMR de la police de Pétain. Les « exploits » de cette police, avec sans doute en partie les mêmes éléments, se perpétuèrent pendant la Guerre d’Algérie où à Paris les manifestants algériens furent frappés, jetés dans la Seine, torturés en octobre 1961.
(5) On attribue généralement à Caroline De Haas, co-fondatrice d’Osez le Féminisme, ancienne militante PS passée par le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, l’origine de la pétition lancée le 19 février 2016 intitulée « Loi Travail : non merci ! ». En six jours elle rassembla 530 000 signatures…
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