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Le jeune Rimbaud ou l’exigence d’une vraie vie
Roman
I
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade.
*
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n’est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
II
Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
*
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
III
Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux col effrayant de son père...
*
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif...
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...
IV
Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !...
*
Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.
Poésies, Arthur Rimbaud
Tu regardais la mer...Couché sur la falaise,
Je te voyais debout au bord de la fournaise
Où brûlaient, au-dessus des flots, les rocs épars.
Pas un souffle. Les pins craquaient. De toutes parts,
Un soleil dévorant s’abattait sur les choses,
Et toi, qui respirais une touffe de roses,
Distraitement, sur les rochers tu t’effeuillas...
On voyait sous les pins scintiller les villas ;
L’herbe sèche cherchait l’ombre maigre des branches
Et le sable enflammé buvait les vagues blanches.
Rien ne pouvait subir la fureur de l’éther.
Tout dormait. Et toi seule, au-dessus de la mer,
Tu te dressais, sauvage, avec ta chevelure
A moitié déroulée, et tendant ta figure
Aux rayons enflammés de l’astre, tu parus
Un moment, tant l’air chaud tremblait sur tes bras nus,
Etre l’autel vivant de l’ardent paysage,
Et je voyais la mer adorer ton visage.
Douceur du sable chaud ! Plénitude ! Paresse !
On savoure à longs traits l’immense après-midi.
Mon corps, que mon esprit s’imagine engourdi,
Gît sur le sable, heureux, délié du servage :
Quelles fêtes, le grain délicat de la plage,
L’embrun, les flaques d’or, les rubans de varech,
L’odeur du large ! Il n’est plus mien. Il joue avec
Ces grands êtres, le vent, le ciel, la mer, la terre ;
Il retrouve leur beau langage élémentaire,
Que l’esprit, tout guidé sur l’abstrait, n’entend plus.
Du rire des cailloux roulés par le reflux
Au bond des flots rentrant dans la grotte qui gronde,
Il écoute le chant des premiers jours du monde,
Ravi de se savoir si neuf et primitif,
D’être tiré du même fond que le récif
Ou du même tissu que l’onde aux vertes moires ;
Il n’est plus chair, il n’est plus sang : il est mémoire.
Les Allégresses (Fernand Dauphin)
Juin flamboie. Etendu dans la prairie en fleur,
Je rêve au bord d’une eau charmante de lenteur
Où les brins d’herbe font des raches d’émeraude.
Le soleil brûle,l’air pèse, la terre est chaude.
Mon regard attentif sous le regard des cils,
Observe l’araignée à l’affût dans ses fils,
Et la cigüe avec sa blanche ombelle où bouge
Un insecte luisant et rond comme un grain rouge.
Je respire. Le vent par larges souffle lourds
Propage sur les prés des ondes de velours.
Une troupe de beaux papilons entrelace
Des guirlandes de fleurs sans tiges dans l’espace.
L’herbe que mon oeil proche explore m’apparaît
Mystérieuse ainsi qu’une obscure forêt.
Dans cette demi-nuit verte,les sauterelles
Traînent leur ventre rose et font plier les prêles..
Puis, vaincu par l’immense ardeur du firmament,
Je m’endors,et mes yeux gardent en se fermant
La vision d’un clair village sur la côte
Et du ciel bleu qui rit à travers l’herbe haute.
Charles Guérin
( le Semeur de cendres)
L’été et notre vie étions d’un seul tenant
La campagne mangeait la couleur de ta robe odorante
Avidité et contrainte s’étaient réconciliées
Le château de Maubec s’enfonçait dans l’argile
Bientôt s’effondrerait le roulis de sa lyre
La violence des plantes nous faisait vaciller
Un corbeau rameur sombre déviant de l’escadre
Sur le muet silex de midi écartelé
Accompagnait notre entente aux mouvements tendres
La faucille partout devait se reposer
Notre rareté commençait un règne
(Le vent insomnieux qui nous ride la paupière
En tournant chaque nuit la page consentie
Veut que chaque part de toi que je retienne
Soit étendue à un pays d’âge affamé et de larmier géant)
C’était au début d’adorables années
La terre nous aimait un peu je me souviens.
René CHAR
Un oiseau nage dans le ciel
à lents et paresseux coups d’ailes ;
il glisse, appuyé sur le vent ;
et le silence ensoleillé
de ce jour si beau n’est troublé
que d’un frisson de branches lent.
*
Un nuage, aussi, vogue et passe,
là-bas, au plus haut de l’espace
où tout est paix et liberté.
A l’horizon un toit seul fume
vers le fin croissant de la lune
tracé en clair dans la clarté.
*
L’oiseau, la fumée, le nuage
s’envolent pour d’autres voyages ;
le ciel reste nu dans sa gloire.
L’air est transparent, l’arbre rêve
et cet après-midi s’achève
insensiblement dans le soir.
La demeure en juillet, pendant l’après-midi.
A l’ombre des volets la chambre s’acclimate ;
Le silence est heureux, calme, doux, attiédi,
Pareil au lait qui dort dans une fraîche jatte.
*
La pendule de bois fait un bruit lent, hardi,
Semblable à quelque chat qui pousse avec sa patte
Les instants, dont l’un chante et l’autre est assourdi.
Le soleil va et vient dans l’ombre délicate.
*
Tout est tendre, paisible, encouragé, charmant,
On dirait que la joie auprès de nous habite ;
Pourtant l’on ne se sent aucun attachement...
Pourquoi n’est-ce jamais dans ces instants qu’on quitte
La vie, avec son grand espace de tourment ?
Les éblouissements (Anna de Noailles)
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