La bataille idéologique contre la « France Insoumise » s’élargit…

dimanche 2 juillet 2017.
 

On pouvait croire au lendemain des élections présidentielles et législatives que les attaques souvent infondées contre la « France Insoumise » et ses militants connaitraient un répit. Il n’en est rien.

Les derniers développements concernant Jean Luc Mélenchon lui-même dénotent un regain d’énergie de la part de tous ceux qui font du « Mélenchon Bashing » leur fonds de commerce. Danièle Obono et Mathilde Panot, élues « France Insoumise », respectivement dans la 17éme circonscription de Paris et la 10ème du val de marne, témoignent malgré elles d’un acharnement redoublé contre le seul pôle qui revendique et affirme son indépendance vis-à-vis d’Emmanuel Macron et qui s’oppose radicalement à la politique de régression sociale que le gouvernement s’apprête à mettre en œuvre. Ce qui ici nous occupe, ce sont évidemment les arguments utilisés par des journalistes ou des représentants de l’oligarchie médiatico-politique, mais à la lumière de la situation, d’éclairer les termes et les enjeux de la bataille idéologique qui s’annonce.

Durant des années les questions idéologiques ont été laissées de côté, sous prétexte que « l’existence déterminant la conscience », il suffisait de gagner les conditions politiques permettant de modifier l’existence pour que la conscience suive. En laissant le terrain libre, peu à peu, le capital a gagné une hégémonie sur les masses, pour reprendre Gramsci, et la bataille idéologique a été cédée pas à pas, au point de voir aujourd’hui le monde d’Orwell s’imposer. Les mots sont utilisés pour leur contraire. Il est question de « charges » en lieu et place de cotisations sociales, de « liberté du travail » lorsqu’il s’agit de sa suppression, de « sécurité » pour état d’urgence permanent et menace sur les libertés de tous les citoyens. La pensée est diluée. Tout est fait pour interdire au citoyen de comprendre, d’analyser et donc d’agir pour modifier ses conditions d’existence. Il est donc urgent de reprendre lorsque cela se pose les termes des discussions, de rectifier, de mettre à nu les mensonges, de combattre sur le terrain des idées qui s’insinuent en toutes questions, souvent sous la forme de la calomnie, du mensonge, de la bêtise aussi. Et cela d’autant plus lorsque sont mis en cause de façon ignominieuse, raciste ou encore abjecte les militants qui n’ont de cesse que de combattre pour l’intérêt général.

Du prétendu salaire à l’histoire du Matheux

Les méthodes utilisées mettent en lumière l’existence d’un arc entre la « Fachospère » qui se démène sur les réseaux sociaux et ses propagateurs qui s’emparent des idées nauséeuses. Dernière en date, « les revenus de Jean Luc Mélenchon qui avoisineraient les 40 000 euros mensuels ». L’attaque lancée sur des sites d’extrême droite est tellement grossière qu’elle devait être relayée de façon plus raisonnable, plus prompt à convaincre. Et c’est là que la bataille idéologique, la vraie, est engagée. Après un décompte des salaires de députés, des frais de fonctionnement parlementaires, de conseiller général, la conclusion serait sans appel : aucun élu –à fortiori Mélenchon- n’aurait droit de se qualifier d’insoumis et de vouloir défendre des intérêts étrangers aux siens, vu l’état de ses revenus. En un mot commençant, seuls les porteurs de bleus de travail sont habilités à parler des ouvriers. Pour les autres, silence ! Disqualifiée donc la « France Insoumise » qui ose se prononcer contre tout recul social imposé par le gouvernement Macron.

L’argument a une histoire. Ce sont d’abord les staliniens dans les années 60 et ensuite qui au nom du « monopole » du parti communiste de l’implantation dans la classe ouvrière qualifiait ses opposants de « petits bourgeois déguisés en ouvriers » pour mieux interdire toute voix discordante. Il n’est pas inintéressant de constater que l’argument aujourd’hui est recyclé par les tenants de la finance qui voient à juste titre le danger pour le système d’une implantation de la « France Insoumise » dans les couches les plus défavorisées. Mais comme l’explique le bon sens, et comme l’expliquaient en leur temps Marx ou Jaurès, ce n’est pas l’habit qui compte, mais le programme. Et c’est précisément ce qui fâche les censeurs des temps actuels. Derrière les attaques qui visent Mélenchon, ce n’est pas seulement l’homme qui est concerné, mais l’ensemble des insoumis, leur regroupement, leur programme et leur capacité à mener l’action unie pour la défense des travailleurs, des jeunes, des retraités, des salariés, et avec eux l’ensemble des couches sociales que Macron veut « matraquer », qui sont menacés.

La question du Matheux est également pleine d’enseignement, non pas sur le fond qui est assez limpide, mais sur le positionnement de tous ceux qui en ont fait argument. De quel droit un politique qui a fait carrière jusqu’à l’assemblée ou dans les ministères se permet-il de critiquer un médaillé Fields de mathématiques ? Tout est là. Et cela devrait suffire à discréditer Mélenchon pour son « fameux ton agressif », sa renommée « violence passive ».

Les défenseurs du « Matheux » ont le mérite de souligner par leur attitude ce qu’est la soumission totale à l’autorité, au pouvoir, et par opposition permettent de comprendre pleinement l’insoumission dont se réclament des centaines de milliers. La médaille Fields de Cédric Villani lui donnerait autorité sur toute chose, puisque reconnu dans son domaine par une institution renommée. Mais pourquoi faudrait-il par principe se plier à l’autorité, même lorsque celle-ci est en total décalage avec le sujet abordé. C’est bien la question de l’obéissance qui est posée. Plus encore que la soumission, c’est la servilité qui est ici revendiquée. Car on peut être excellent en mathématiques, et archi nul en économie ou en social ! La question est celle du code du travail, du contrat, de la loi « travail » XXL que prépare Macron et qu’il destine aux ordonnances. Il n’y a là aucune inconnu, aucune équation à résoudre. Juste un choix à faire. Et c’est porter crédit à l’intelligence de Villani que de lui proposer quelques explications sur le sujet afin de lui éviter de se fourvoyer dans une régression sociale sans précédent. Ambition généreuse peut-être présomptueuse car comme ses défenseurs, le Matheux, élu REM, a vraisemblablement déjà fait son choix… C’est ce qui nous intéresse, le reste n’est que brouillard répandu pour interdire une fois encore la discussion sur les véritables enjeux.

Et les ouvriers, ils sont où ?

En écho à la simple question salariale qui interdirait à celui qui se situe au-dessus de la moyenne de porter attention au sort fait au plus grand nombre, la question posée sur « C News » à la nouvelle élue Mathilde Panot est aussi révélatrice du combat idéologique que mène l’oligarchie pour asseoir son pouvoir et interdire toute contestation politique organisée. En substance « il n’y a pas d’ouvriers élus à l’assemblée, pas un, et vous le regrettez, mais à la France insoumise, vous êtes comme les autres ». Et pour enfoncer le clou : « vous-même êtes issue de sciences po, donc vos reproches, il faut les faire à vous-mêmes ».

Il est intéressant de noter le but recherché dans ce type d’interpellation de la part de journalistes qui tous les jours ronronnent pour faire tourner la machine médiatique. Il faut créer le buzz, et là, l’angle est simple : REM, LR, PS, France Insoumise, FN, tous sont logés à la même enseigne, sans ouvrier, sans peuple, sans reconnaissance, sans légitimité. Il faut ramener le mouvement « la France Insoumise » au niveau des autres, ce qui d’ailleurs n’est pas totalement faux. En ce qui concerne l’abstention par exemple (voir sur ce site : le deuxième tour des législatives, un vote plein d’enseignements à l’adresse suivante : http://la-sociale.viabloga.com/news... ) nul n’est épargné. Mais là n’est pas le sujet. La différence entre la France Insoumise et tous les autres est faite du programme. Sans être ouvriers dans leur condition sociale, les élus de la France Insoumise, dès lors qu’ils sont fidèles à leur engagement, sont les seuls à avoir obtenu leur mandat sur un programme qui précisément défend l’ouvrier, le salarié, le retraité… L’argument qui veut mettre tout le monde dans le même sac, rejeté par les français, vise à désarçonner. Mais que vaut l’argument sur le fond des choses ? Si le programme est ce qui compte, et non la tambouille permanente, les ouvriers sont bien présents à l’assemblée. Ils y ont un groupe, une représentation, un point d’appui. Que leurs députés soient issus de sciences po ou d’ailleurs, là n’est pas le problème. La question une fois encore est celle du programme, de la détermination, de la fidélité, tout simplement. L’ouvrier est plus présent à l’assemblée dans les conditions actuelles que si un ouvrier salarié y était élu sur des positions de compromis avec Macron et ses soutiens politico financiers. Les ouvriers y sont présents par la France Insoumise, tout simplement, comme d’ailleurs les banquiers y sont installés avec les élus « macroniens » de EM et leurs soutiens du PS ou de LR.

L’idéologie xénophobe à l’œuvre

Ils ne reculent devant rien, et il n’aura pas fallu longtemps pour que les relents racistes propagés par la « Fachosphère » submergent des commentateurs zélés qui pourtant une semaine avant en appelaient à Macron pour faire barrage à Le Pen.

C’est le quotidien le « Figaro » qui s’est lancé, dénonçant « une député Insoumise » qui « défend le droit de dire Nique la France », ce qui « soulève une bronca ». Comme la machine est faite pour se nourrir elle-même, la « bronca » dont il est question nous ramène au plateau de RMC où était invitée la veille la députée Danièle Obono. Le « Figaro » donc dans le sillage de RMC.

Pour les besoins de la propagande, « Figaro » et RMC remontent aux années 2010 et à la mise en examen du chanteur du groupe de rap « ZEP » coupable d’une chanson intitulée « Nique la France », et d’un sociologue, pour « injure publique » et « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence ». Au départ, une plainte de « l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne », une association d’extrême droite. La « Fachosphère » donc en action.

Avec d’autres, Danièle Obono signe en 2012 une pétition à l’initiative des « Inrocks » en soutien au chanteur et au sociologue poursuivis. Il n’en fallait pas moins pour que l’entreprise de propagande soit engagée pour décrédibiliser, pour marginaliser, au moyen d’arguments racistes et communautaristes inadmissibles. L’échange est éloquent :

« En tant que députée, êtes-vous fière d’avoir signé ? »

« Pour défendre la liberté d’expression de ces artistes, oui. Parce que ça fait partie des libertés fondamentales »

« Vous pouvez dire "vive la France" ? » ose un journaliste.

« Je peux dire « vive la France », mais pourquoi, en soi ? Je ne me lève pas le matin en disant "Vive la France" »

« Vous signez plus facilement nique la France que vous ne dites "vive la France » !

Voilà comment donc est née « la bronca ».

Ainsi journalistes et chroniqueurs évitent le fond de la question. Les propos incriminés dans la chanson de ZEP en 2010 : « Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes. Nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes ».

Le contenu social et politique de l’appel signé par Obono est tout simplement gommé. Le capitalisme, le colonialisme, l’impérialisme, autant de mots en isme qui ne mériteraient aucune attention, aucun intérêt. Ce qui compte, là, pour discréditer la nouvelle députée et la « France insoumise », est le simple « Nique la France », synonyme de rejet pur et net de la république. La bataille idéologique bat son plein. Tous les observateurs ont pu constater dans les derniers mois l’inflexion sérieuse de la « France Insoumise » sur la question nationale, la réhabilitation dans les rassemblements du drapeau bleu blanc rouge, son lien à la révolution française fondatrice de la république, l’engouement provoqué dans la jeunesse notamment lors des réunions tenues par Jean Luc Mélenchon. C’est cela que la bataille idéologique se propose de casser et c’est pour cela que Danièle Obono est devenue la cible du petit personnel de l’oligarchie médiatico-politique.

En réalité, c’est le combat contre la république sociale qui est menée par ces chroniqueurs, la désincarnation de la république du contenu dont elle peut et doit être chargée. Le système tolère la république pour peu qu’elle ne remette pas en cause les privilèges de quelques-uns au détriment du plus grand nombre. Il tolère la république synonyme de capitalisme, d’impérialisme, de colonialisme. Tel est le sens de cette histoire qui dépasse de très loin les seules offuscations morales. Car celles-ci prêteraient à rire. Quelle tête auraient en effet pu faire nos pseudos moralistes de pacotilles face à André Breton évoquant « une nation de porcs et de chiens », face à Léo Ferré parlant du « temps que j’baise ma marseillaise », face à Aragon lorsqu’il « conchie l’armée française", ou encore Renaud qui déclare « votre République, moi j’la tringle ».

L’attitude de ces « moralistes » d’occasion et leurs propos sont identiques à ceux du Front Nationale, lorsque dans le ton ils ne sont pas pires. Qu’aurait-on entendu si en pleine campagne électorale Marine Le Pen avait interpellé Danièle Obono la noire, en omettant de s’adresser à Mamère par exemple ou bien d’autres, blancs comme neige, également signataires de la même pétition, mais ignorés contrairement à la députée de la France Insoumise.

Conclusion provisoire

Nous pouvons donc constater que l’hystérie anti Mélenchon et anti « France Insoumise » est loin de se calmer. Tout est bon, mensonge, calomnies, racisme… Et souvent bêtise pour duper le peuple, les travailleurs, les jeunes que le gouvernement craint de retrouver sur son chemin dans les mois qui viennent.

Le but recherché est simple. Il faut interdire à un regroupement politique comme la « France Insoumise » de faire le lien entre les difficultés quotidiennes subies par les français et la politique dictée par Macron et son gouvernement.

Comme l’indiquait Gramsci, l’enjeu de la période revient à « détruire une hégémonie pour en créer une nouvelle » dans le cadre d’un affrontement dont l’issue est déterminée par les positions acquises avant l’échange de coups. La question stratégique est concentrée dans la relation qui se construit entre le regroupement politique et les couches sociales dont le mouvement pourra bouleverser l’ordre établi. C’est pourquoi si « l’action est nécessaire pour combattre l’hégémonie bourgeoise », la conscience indispensable n’est pas spontanée. Elle doit s’appuyer sur une analyse et une compréhension scientifique du monde et de l’histoire. Et une compréhension des arguments abjectes qui sont propagés et qu’il faut relever, souligner, expliquer pour mieux les démonter et permettre d’avancer.

Jacques Cotta

Le 24 juin 2017


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