De quel travail avons-nous besoin  ? Quelle finalité  ? et pour quelle société  ?

lundi 9 octobre 2017.
 

1) Le modèle des libéraux est une impasse par Adrien Quatennens, député France insoumise (FI) du Nord

Adrien Quatennens Alors que la financiarisation de l’économie et les politiques libérales qui freinent l’investissement sont largement responsables de la montée du chômage, c’est au Code du travail qu’il conviendrait de s’attaquer urgemment  ! C’est qu’en situation de pénurie d’emploi (un emploi non pourvu pour 300 chômeurs en France), le chômage de masse est devenu le désastre absolu (parmi tant d’autres) de l’ère libérale. Alors que la preuve est faite par les quinquennats précédents et par les études de l’OCDE qu’il n’y a pas de corrélation entre la diminution des droits des travailleurs et la baisse du chômage, Macron et sa joyeuse cohorte nous somment de croire que le problème de l’emploi tient dans le manque de «  flexibilité  ». Une vue de l’esprit qui, à grand renfort de rabattage médiatique, infuse dans l’opinion. Si cette feuille de route directement inspirée du Medef ne fonctionne pas pour l’objectif qu’elle prétend viser (la création d’emplois), elle cartonne pour faire de la France la championne d’Europe des dividendes versés aux actionnaires.

L’intérêt des salariés est devenu l’angle mort des débats sur le Code du travail. Remplacer le chômage par la précarité, quelle perspective enthousiasmante  ! Il ne semble plus y avoir de place dans le débat public pour s’interroger sur l’utilité sociale de l’emploi. À cela, nous devons ajouter la soutenabilité écologique de l’activité. Alors que la politique de l’offre accélère le productivisme irrationnel et que, compte tenu des avancées techniques, un salarié d’aujourd’hui produit jusqu’à quatre fois plus qu’un salarié en 1980, nous devons réaffirmer sans complexe que la diminution du temps de travail demeure un progrès.

Osons pousser la réflexion sur un plan plus philosophique  : à quoi bon travailler plus longtemps que le temps nécessaire à la production de ce dont nous avons réellement besoin  ? Les injonctions des libéraux, tous étiquetages confondus, empêchent une telle audace. Et pourtant, il est certain que leur modèle est une impasse. La mise en avant du «  dialogue social  » pour justifier des ordonnances qui aggraveront le mal qu’elles prétendent soigner n’est qu’un prétexte pour légitimer le pouvoir patronal qui n’a, lui, de cesse d’augmenter.

Les mots de Jean Jaurès quand il disait que «  la grande Révolution a rendu les Français rois dans la cité et les a laissés serfs dans l’entreprise  » sont d’une criante actualité. Il y a urgence à instaurer la citoyenneté dans l’entreprise. Les salariés ne sont-ils pas souvent les mieux placés pour prendre des décisions et faire des choix stratégiques pour leur entreprise  ? Il s’agit donc d’abord et avant tout de revenir sur les dispositions qui vont à l’encontre des droits des salariés  : nous devrons supprimer toutes les dispositions des lois antérieures permettant aux accords d’entreprise ainsi qu’aux accords de branche de déroger aux règles plus favorables prévues par la loi. De même, le rôle des instances représentatives du personnel doit être renforcé. Rétablissons ce qui a été détruit et construisons de nouveaux droits, l’éradication de la précarité et l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle comme objectifs prioritaires. S’attaquer radicalement au chômage ne doit pas nous empêcher de nous poser ouvertement la question de savoir quelle société nous voulons. Évidemment, c’est le genre de questions qui, si essentielles soient-elles, échappent à ceux qui ont entamé la marche d’une inlassable continuité.

2) Un élément central de civilisation par Gérard Filoche, ex-inspecteur du travail, responsable PS

Gérard Filoche Ex-inspecteur du travail, responsable PS La question qui se tranche derrière les projets scélérats des lois El Khomri et des ordonnances Macron relève d’un enjeu millénaire. Toute l’histoire de l’humanité y est concentrée. Comment traite-t-on dans une société ceux qui travaillent, ceux qui produisent les richesses  ? Évolue-t-on dans le sens de les respecter, de les traiter de mieux en mieux, ou bien cherche-t-on à les exploiter au maximum dans des conditions toujours plus rudes  ? L’évolution de la division du travail à travers les siècles semblait avoir connu un cours relativement progressiste dans les pays capitalistes les plus avancés. Le capital a eu besoin pour bien fonctionner de salariés bien formés, bien traités, bien payés, il y a eu des concessions de sa part d’autant que les luttes sociales l’y contraignaient. On était passé de l’esclavage aux loueurs de bras, journaliers et tâcherons, puis à un véritable statut de salarié. L’histoire de la naissance, de la construction du Code du travail en France, notamment depuis 1906 (catastrophe de Courrières) et 1910 (première version du Code), est celle à la fois de la réduction du temps de travail et de la hausse des salaires, celle de la conquête d’un état de droit dans les entreprises. Il a fallu un siècle, beaucoup de grèves générales et d’occupations d’entreprises, mais on est passé de 40 à 35 heures et de la journée de 10 heures à celle de 8 heures. On devait normalement marcher vers la semaine de 32 heures en quatre jours. L’employeur était devenu soumis à des obligations de résultats en matière de santé, d’hygiène, de sécurité, de conditions de travail et de respect de l’ordre public social. Il y avait des médecins du travail, des agents de sécurité, des inspecteurs du travail et des juges prud’homaux, des contrôles et des sanctions.

Les entreprises n’ont, certes, pas cessé d’être un lieu d’exploitation, les capitalistes cherchent toujours forcément et impitoyablement le profit maximal, mais le rapport de forces faisait que l’exploitation semblait se réguler avec un minimum de dignité et de respect. Il existait un Smic et des horaires limités et contrôlés. Le Code permettait aux femmes et aux hommes qui travaillent de résister aux exigences des patrons, des actionnaires, des donneurs d’ordres. Cela semblait tant bien que mal, de façon chaotique, évoluer dans le bon sens. D’ailleurs un salariat bien éduqué, bien respecté, bien rétribué, disposant de temps libre et pouvant se payer des loisirs hors du travail, c’est évidemment meilleur pour les entreprises elles-mêmes et l’économie tout entière, même capitaliste.

Voilà pourtant ce qu’ils essaient de balayer avec les lois El Khomri et les ordonnances Macron.

Rien ne les arrête plus (tant que le salariat ne se soulèvera pas et ne les battra pas à plate couture), ils remettent en cause ce qui semblait acquis, ils cassent le droit du travail avec acharnement, et tentent de détruire le statut du salariat pour revenir aux loueurs de bras du XIXe siècle. Tout se résume à cela  : là où nous avions imposé que les droits humains s’imposent aux entreprises, ils veulent nous imposer que les entreprises l’emportent contre les droits humains. On n’avait pas fait cesser l’exploitation, on l’avait adoucie, ils veulent la rendre à nouveau violente et faire sauter toutes les règles, barrières, freins, protections sociales que nous y avions mis.

Macron est le nom de cela. Certes, c’est un personnage falot et instable, autoritaire et creux, il a été élu grâce à une manipulation d’élection, il a réussi un «  putsch de cabinet  » appuyé sur le CAC 40, le Medef, les 95 % de grands médias dominés par les 9 milliardaires, mais le voilà qui se veut le chef de «  la France start-up  »  ! Il se dit Jupiter, Trader et Uber à la fois  : il a écrit un livre qui s’appelle Révolution mais c’est une contre-révolution qu’il veut imposer. Pour lui, les humains qui veulent du bien-être avec leur travail sont des gêneurs, il veut les mater par ordonnances et leur enlever des droits qu’ils ont mis un siècle à conquérir. Au lieu de «  marcher  » vers le progrès et la civilisation de partage, son monde est celui de la guerre et de Mad Max.

C’est pourquoi le salariat, menacé de façon aussi agressive, se trouve confronté à une obligation d’agir. Le rôle de ceux qui sont les plus conscients des enjeux historiques actuels est d’expliquer, d’expliquer, d’expliquer, de mobiliser et d’unir.

Un dessein nouveau pour l’émancipation par Aymeric Seassau, membre du conseil national du PCF, en charge du secteur travail, emploi, entreprises

Membre du conseil national du PCF, en charge du secteur travail, emploi, entreprisesAvec sa loi travail XXL, Emmanuel Macron veut achever un cycle de quatre réformes (ANI en 2013, lois Macron et Rebsamen en 2015, loi El Khomri en 2016) mises en œuvre par l’exécutif précédent. Au pas de course, il veut réaliser le vieux rêve des néolibéraux et dynamiter le socle du pacte social bâti à la Libération après plusieurs dizaines d’années de conquêtes ouvrières et syndicales. Partout où elles se sont appliquées les politiques de dérégulation du travail ont conduit à une explosion de la précarité, de la pauvreté, des inégalités sociales. Elles sont partie intégrante de l’offensive néolibérale en cours depuis plus de quarante ans comme corollaire de la financiarisation du capitalisme qui a suivi son entrée en crise systémique. L’intérim, le CDD, les contrats précaires, les tentatives, avec le CIP ou le CPE, de modifier le droit du travail dès l’entrée des jeunes sur le marché du travail constituent un même mouvement  : la flexibilité pour baisser le coût du travail. Il s’est heurté à de fortes résistances sociales et politiques qui ont parfois su le mettre en échec.

La proposition du nouveau pouvoir est inédite par son ampleur et son caractère global. Elle s’attaque à tous les types de contrat et veut ramener à un tête-à-tête dans l’entreprise, c’est-à-dire au plus près du pouvoir patronal, la négociation de tout ce qui encadre la vie au travail de 17 millions de salarié-e-s de droit privé.

La bataille qui s’est engagée dès le début du quinquennat Macron est décisive parce qu’elle pose les termes de l’affrontement de classe de notre temps. Les communistes veulent y prendre toute la place, avec leur force militante, avec l’engagement de leurs élu-e-s et parlementaires, avec leurs propositions novatrices pour construire l’alternative.

C’est un défi considérable pour une gauche affaiblie et divisée qui traverse une crise profonde.

Face à l’offensive qui consiste à mettre plus encore les travailleurs en concurrence pour faciliter les profits, nous voulons agir sur deux champs complémentaires  : la sécurisation des parcours au travail et la réduction du temps de travail lui-même.

La sécurité d’emploi et de formation telle que la proposent les communistes est un projet d’une portée aussi forte que fut la Sécurité sociale  : un droit nouveau à la mobilité et à la formation dans la sécurité, sans perte de revenu. En protégeant les salarié-e-s, elle empêche qu’ils soient la première variable d’ajustement dans la course aux profits et aux dividendes. Elle permet à chacun de se réapproprier le travail, son travail, par la formation tout au long de la vie. Ainsi, le travail doit permettre la construction personnelle et non uniquement le revenu alimentaire.

Par ailleurs, les congés payés, la Sécurité sociale, les retraites ont constitué des prises sur la plus-value et permis la rémunération du temps non travaillé. En les défendant, en ouvrant à nouveau le chantier de la réduction du temps de travail avec la semaine de 32 heures (accompagnée de la sécurité d’emploi et de formation qui évitera les effets pervers des 35 heures, qui ont trop souvent contribué à la flexibilité), la gauche peut reprendre l’offensive idéologique face aux néolibéraux. L’accès accru aux loisirs, à la culture, à l’émancipation personnelle, dans et après le travail grâce à la sécurisation des parcours professionnels et de formation. Voilà le dessein des communistes pour le travail. Il porte en lui les germes du dépassement du capitalisme. Non pour gagner son pain à la sueur de son front mais pour faire, de chaque individu, le producteur libre imaginé par Marx.


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