Comment Macron a liquidé Alstom – retour sur un scandale d’État

lundi 2 octobre 2017.
 

Vente à la découpe, fausses promesses aux salariés, refus de l’intervention de l’État…. En trois ans, Emmanuel Macron a validé ou laissé faire la liquidation d’Alstom et de ses anciennes filiales, désormais toutes passées sous pavillon étranger.

Cette gigantesque braderie s’est faite au nom de dogmes libéraux archaïques que les autres pays n’appliquent pas et au mépris de l’intérêt national. La demande d’une commission d’enquête parlementaire par les députés de la France insoumise est pleinement justifiée tant l’affaire ressemble à un scandale d’État.

Sabordage dans l’énergie

C’est le point de non-retour pour Alstom, acté dès l’automne 2014 par Emmanuel Macron alors tout récent ministre de l’Economie. Au nom du gouvernement PS, il valide la vente de la branche énergie d’Alstom à l’américain General Electric. Tout y passe : turbines, réseaux, énergies renouvelables notamment marines où Alstom excelle, et même les éléments nécessaires aux sous-marins nucléaires français. Officiellement, l’État a défendu les intérêts nationaux en créant des « co-entreprises » entre Alstom et General Electric et en obtenant des promesses de garanties de l’emploi. Dans les faits, c’est un hold-up en bonne et due forme comme le démontre le documentaire « Alstom : une affaire d’État » diffusé sur LCP ce lundi 25 septembre et qui peut être revu en ligne. La vente a été préparée en secret et conduite par le PDG d’Alstom Patric Kron. A l’époque Alstom est opportunément poursuivi pour corruption aux États-Unis et donc soumis à une forte pression pour céder à General Electric en l’échange d’une certaine clémence de la justice américaine dans ce qui a tous les traits d’une guerre économique totale. Au lieu de défendre le fleuron français, Emmanuel Macron cède. Moins de trois ans après, le bilan est accablant. Alstom a déjà prévu de se retirer des co-entreprises pour empocher l’argent et donc laisser tout le pouvoir à General Electric. Au lieu des 1000 créations d’emplois promises, General Electric s’apprête à licencier 345 salariés à Grenoble dans un ancien site d’Alstom. Le site en question est spécialisé dans les turbines pour barrages hydroélectrique, première source d’énergie renouvelable en France. Voilà qui en dit long sur la défense de l’intérêt général et de la transition énergétique. A l’époque du rachat d’Alstom énergie par General Electric, Jean-Luc Mélenchon avait réclamé la nationalisation d’Asltom. Arnaud Montebourg alors ministre avait officiellement cherché une autre solution pour la branche énergie. Sitôt éjecté du gouvernement en août 2014, il avait été remplacé par M. Macron qui validait la vente à General Electric quelques semaines plus tard.

Meurtre prémédité dans le ferroviaire

A l’époque, tous les spécialistes du sujet le disaient : la branche ferroviaire (locomotives, signalisation etc) d’Alstom ne pourra tenir le choc durablement une fois séparée de la branche énergie. Là encore, M. Macron se voulait rassurant. Par cynisme ou par incompétence, il expliquait que la vente de la branche énergie apportait de l’argent frais pour le ferroviaire. Quelques mois plus tard, en septembre 2016, intervenait une première alerte avec l’annonce de la fermeture de l’usine de locomotives de Belfort. M. Macron avait opportunément démissionné de son poste de ministre de l’Économie pour se lancer dans la campagne présidentielle quelques jours avant l’annonce de cette fermeture, finalement annulée après une forte mobilisation sociale et politique. Aujourd’hui, Emmanuel Macron, devenu président de la République, valide la vente de la branche ferroviaire à l’allemand Siemens. Et preuve de la volonté liquidatrice, le gouvernement a annoncé dans le même temps qu’il n’achèterait pas les actions d’Alstom qu’il loue à Bouygues depuis des mois et dont l’option d’achat préférentiel arrive à échéance dans les prochains jours. L’État ne sera donc plus présent au conseil d’administration pour suivre la fusion. Bouygues vendra ses parts au plus offrant dans quelques mois et Siemens sera bientôt seul maître à bord. C’est d’autant plus vrai que Siemens va bénéficier de bons de souscription d’action pour acquérir 2% du capital supplémentaire dans les quatre ans qui viennent et prendre donc plus que les 50% du capital convenus dans la fusion. Cette prétendue « fusion entre égaux » n’est donc qu’un vulgaire marché de dupes.

Chantiers navals : abandon sous anesthésie

Dans le même temps, le gouvernement s’apprête aussi à laisser filer les chantiers navals de St Nazaire, anciens chantiers de l’Atlantique. L’entreprise appartenait au groupe Alstom il y a encore une décennie, le groupe s’appelant d’ailleurs Alstom-Atlantique. C’est le gouvernement Sarkozy qui avait accepté la séparation de cette branche du reste d’Alstom en 2006 sur injonction de la Commission européenne au moment du renflouement d’Alstom par l’État. Après plusieurs années sous pavillon sud-coréen, les chantiers navals vont passer sous contrôle majoritaire de l’italien Fincantieri.

Là encore, la responsabilité de M. Macron est écrasante. L’annonce de la mise en vente des chantiers par STX remonte à 2014. Ce dossier a donc été sur la table du ministre de l’Économie pendant toute la durée du passage de M. Macron à Bercy. Qu’en a-t-il fait ? Rien. Pourtant, en trois ans, il aurait sans doute été possible de construire une solution solide et durable pour « retrouver une participation majoritairement publique et nationale » comme l’avait demandé Jean-Luc Mélenchon dès 2014. En effet, même le président de la région Pays-de-la-Loire, pourtant LR, Bruno Retailleau se disait prêt à participer au capital aux côtés de l’Etat. Il faut dire que le chantier revêt une importance stratégique puisqu’il est le seul capable d’accueillir les constructions militaires de très grande taille comme un porte-avions. Et les chantiers de St Nazaire sont en bonne santé économique avec des carnets de commandes civils plein pour plusieurs années.

Au cœur de l’été 2017, le gouvernement Philippe s’est résolu à nationaliser le chantier avant son passage chez l’italien. Mais à l’époque déjà, le ministre Bruno Le Maire annonçait déjà que cette nationalisation n’était que transitoire, le temps de discuter avec le repreneur italien. Et en effet, ce 27 septembre, Emmanuel Macron en personne va valider la prise de contrôle majoritaire à 51% de Fincantieri. Là encore, M. Macron fait preuve d’ingéniosité pour anesthésier les victimes de l’opération. Ainsi, le capital serait officiellement réparti à 50-50 entre d’une part l’Italien et d’autre part les actionnaires français (Etat et Naval Group, ex DCNS). Mais l’État va « prêter » 1% du capital à Fincantieri pendant douze ans ! Il aura donc les mains libres. Bien sûr, pour enrober ce renoncement, le gouvernement met en avant des « clauses de revoyure ». Mais les faits sont là et Fincantieri aura bien 51% du capital. Sans compter que ce montage baroque risque de plonger l’entreprise dans une incertitude permanente alors que l’activité de construction navale suppose une grande visibilité par la durée et le montant des chantiers.

La descente aux enfers, un destin programmé ?

Surtout, chat échaudé craint l’eau froide dit l’adage. Et ces promesses n’engagent plus que ceux qui veulent bien y croire. L’Italien Fincantieri possède d’autres chantiers dont les carnets de commandes sont moins pleins que ceux de Saint-Nazaire. Et tout indique que le chantier français – comme Alstom transport d’ailleurs – risque de suivre le même sort qu’Alstom énergie : les intérêts français et l’entreprise absorbée passant au second rang aux yeux du nouveau propriétaire. La crainte est d’autant plus justifiée qu’un fantôme hante l’industrie française et Alstom : Alcatel. L’entreprise de télécom appartenait elle aussi au même groupe qu’Alstom jusqu’aux années 1990 (notamment à l’époque de la CGE-Compagnie générale d’Electricité). Et le modèle suivi par Alcatel a de quoi glacer les autres anciennes filiales d’Alstom qui semblent destinées au même avenir. Alcatel a été séparée du reste groupe au nom de la spécialisation sur le cœur de métier pour être un « single player » (« joueur unique », NDLR). Puis Alcatel a été vendu à un groupe étranger, l’américain Lucent au nom de son développement international. Avant d’être pillé et de sortir essoré par cette fusion, puis d’être revendu à un autre groupe étranger Nokia avec de nouvelles suppressions d’emplois à la clé malgré les promesses d’un certain Emmanuel Macron au moment de ce rachat début 2016 (lire notre article du 20 septembre).

Faillite des élites économiques et politiques françaises

A chaque étape du dépeçage, les gouvernements français ont refusé toute intervention durable de l’État pour protéger et développer ces fleurons technologiques. Tout indique que STX, les activités énergie d’Alstom et maintenant Alstom-transport sont engagés sur la même pente. Cruelle leçon de l’histoire, dans la plupart des cas les activités d’Alstom sont rachetées ou concurrencées par des conglomérats étrangers (General Electric, Siemens…) ayant continué d’agréger différentes activités au lieu de se spécialiser dans un seul cœur de métier comme l’ont décidé les élites économiques et politiques pour Alstom.

Cette braderie s’apparente à un pillage en bonne et due forme alors que Alcatel, STX, Alstom Energie ou Alstom transport disposaient tous d’atouts technologiques, de savoir-faire de pointe, de carnet de commandes remplis. C’est bien le commandement économique et politique qui a sabordé ces fleurons. Une preuve de plus de la faillite stratégique du capitalisme français et des gouvernements qui se sont succédé. Depuis trois ans, M. Macron avait la possibilité d’intervenir sur ces quatre entreprise, au mieux il n’a rien fait, au pire il a accompagné – et organisé ? – ces abandons de souveraineté industrielle et technologique. Voilà qui mérite sans aucun doute une commission d’enquête parlementaire comme le réclame les députés de la France insoumise.

Matthias Tavel


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