Si le réchauffement persiste sur sa lancée, le nombre de morts qu’il provoque pourrait croître de 5 400 % d’ici à 2100, selon une étude publiée vendredi, qui parle de 152 000 décès.
Le chiffre est tombé vendredi, avec une précision aiguisée comme une faux : d’ici à la fin du siècle, les événements météorologiques extrêmes pourraient provoquer la mort de 152 000 personnes par an en Europe. Soit près de 55 fois plus qu’aujourd’hui, alors que les tempêtes, vagues de chaleur et autres inondations qui frappent l’Union européenne tuent environ 3 000 personnes chaque année. Cette perspective glaçante est avancée par des scientifiques du Centre commun de recherche de la Commission européenne. Cette hausse spectaculaire de la mortalité est quant à elle imputable au réchauffement climatique. Alarmiste ou alarmante ? Décryptage avec Hervé Le Treut, climatologue, directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL) et coauteur du cinquième rapport du Giec.
Les scientifiques, dont les résultats sont publiés dans The Lancet Planetary Health, se sont penchés sur les sept catastrophes météorologiques les plus meurtrières qui sévissent en Europe, à savoir les vagues de chaleur et de froid, les incendies, les inondations fluviales et maritimes, les sécheresses et, enfin, les tempêtes. Ils ont étudié les données de 2 300 catastrophes survenues entre 1981 et 2010, et ont croisé le tout avec des modèles climatiques, démographiques et économiques. Au total, deux tiers des Européens (contre 5 % durant la période 1981-2010) pourraient y être exposés plus ou moins violemment. Les vagues de chaleur arrivent en tête des phénomènes les plus meurtriers, provoquant 99 % des décès, lesquels passeraient de 2 700 à 152 000 par an en 2100. Soit une hausse de... 5 400 %. Les morts imputables aux inondations maritimes augmenteraient elles aussi de façon conséquente (+ 3 780 %). Les hausses seraient moins spectaculaires pour les incendies (+ 138 %), les inondations fluviales (+ 54 %) et les tempêtes (+ 20 %).
Sorti de sa précision (au millier de morts près), « le chiffre de 152 000 décès par an d’ici à la fin du siècle n’a rien de surprenant », relève Hervé Le Treut. Les vagues de chaleur provoquent déjà de nombreux morts en Europe, rappelle le climatologue. En France, celle de 2003 (15 000 décès) a laissé une marque indélébile. L’étude prédit que l’Europe du Sud sera bien plus touchée que le Nord. Reste de nombreuses inconnues. Les scientifiques sont partis du postulat que les politiques climatiques, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, resteraient équivalantes à celles à l’œuvre. De fait, leurs résultats sont envisagés dans le cadre d’une hausse des températures mondiale de 3 °C. « Mais il est très difficile d’anticiper les politiques à venir », note Hervé Le Treut. Lors de la COP21, la communauté internationale a décidé de limiter le réchauffement global à 2 °C. Chaque pays s’est, depuis, engagé à un certain niveau d’efforts. Néanmoins, ces engagements ne permettent pas, aujourd’hui, de tenir le cap des 2 °C promis. Beaucoup envisagent un réchauffement minimal de 2,8 °C, voire plus. « Mais ces engagements des États ne portent que jusqu’à 2030, reprend Hervé Le Treut. Ce qui va se passer après va énormément compter. »
Cette étude ne se contente pas de confirmer des craintes. « Elle identifie clairement les zones de vulnérabilités européennes », explique Hervé Le Treut. Une donnée essentielle, si l’on veut pouvoir s’adapter, économiquement, voire physiquement, aux effets du réchauffement. « Quelle que soit son intensité, celui-ci sera un fait, poursuit-il. Il ne faut pas seulement réduire les gaz à effet de serre, mais prendre en compte les changements futurs dans nos politiques d’aménagement. »
L’urbanisme sera un secteur pilote, estime encore Hervé Le Treut, quand les îlots de chaleur, entre autres, se concentreront dans les villes. « Or, modifier une ville prend du temps, souligne-t-il. L’adaptation doit s’anticiper à l’échelle de décennies. »
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