LREM. Le parti du président Macron déserté par sa base militante

samedi 18 novembre 2017.
 

Les comités locaux de LREM se vident de leurs adhérents. Un phénomène de mutation politique rapide qui, selon des « marcheurs » désenchantés exprimant de vifs mécontentements, donne à la formation des airs d’« ancien monde  »...

La machine La République en marche (LREM) ne soulève plus d’espoirs chez ses adhérents. La force militante pâtit d’une formation en déshérence depuis le départ d’Emmanuel Macron et de ses lieutenants dans les cercles du pouvoir  ; la direction collégiale provisoire est inaudible dans les débats politiques... et dans toute la France, la ferveur des campagnes passée, un nombre important de militants jettent l’éponge dans certains comités locaux. « Des animateurs locaux me disent qu’ils se retrouvent seuls des fois aux réunions », affirme l’ex-référent territorial d’Ardèche, Michel Costes, constatant que la dynamique s’effrite. C’est aussi le cas dans la Sarthe. Lionel Borremans, militant de la première heure et fondateur d’un comité local dans la Sarthe, par ailleurs élu local PS, constate que l’activité militante est au point mort depuis les législatives : « LREM ne va plus sur les marchés populaires, sauf celui du centre-ville, fréquenté par les personnes des beaux quartiers. Dans les zones populaires, il ne se passe strictement plus rien. »

Transformés en marionnettes

Adhérente depuis des mois à Marseille (Bouches-du-Rhône), Sabrina réalise la supercherie de la participation citoyenne. « Je croyais faire partie d’un collectif où chaque personne est entendue, mais c’est l’inverse. Nous avons été des marionnettes, le temps de l’élection. Une fois que tout est terminé, ils n’ont plus besoin de nous », accuse cette mère au foyer qui s’est investie à 200 % dans la campagne, entre les distributions de tracts, les collages des affiches, la tenue de bureaux de vote… Désormais, cette petite main estime que les comités locaux sont à l’abandon et que leur « travail n’est pas reconnu » par les instances nationales, au point de penser que « (sa) parole ne compte pas ». « Nous ne sommes qu’une fenêtre publicitaire », regrette Sabrina, à des kilomètres de l’image de « mouvement citoyen » sur lequel s’est bâti le parti présidentiel. Un sentiment partagé par un animateur local, aux manettes d’un comité depuis janvier dernier, pour qui les adhérents ne sont bons qu’à « prêcher la parole gouvernementale ». « On a reçu des tracts du QG pour convaincre sur les ordonnances, mais c’est difficile de motiver les troupes », explique ce militant qui vit avec LREM sa première expérience en politique. Car il assure avoir été surtout « convaincu à 100 % par Emmanuel Macron. Aujourd’hui, je me vois mal aller sur le terrain alors que je ne suis pas d’accord sur tout, que ce soit sur la loi travail ou l’ISF ». À cela s’ajoute la diffusion des mesures du gouvernement sur les réseaux sociaux. Ainsi, ce marcheur reçoit, via l’application Telegram, des publications à relayer «  en riposte » sur Facebook et Twitter. La dernière remonte à jeudi, quelques heures à peine après la présentation du budget 2018 par la France insoumise. Mais il préfère ne pas les partager, gêné par ce mode de fonctionnement. « Ça donne l’impression qu’on nous dit quoi penser... »

Cette désaffection résulte aussi d’un profond malaise vis-à-vis du parti, en pleine structuration. LREM a tenté d’associer ses adhérents et les citoyens à la réflexion politique, avec une première consultation en ligne sur la stratégie logement lancée du 26 septembre au 23 octobre. Mais l’initiative n’a pas recueilli un franc succès : seulement 19 344 personnes y ont participé, selon les chiffres du parti. Preuve que l’entreprise politique n’a pas la force de frappe suffisante pour mobiliser ses 383 000 adhérents revendiqués. « Pourquoi y participer quand on se rend compte que les valeurs du mouvement sont du pipeau ? » se demande un adhérent de l’Essonne qui avait pris sa carte au Parti socialiste en 1981. Ce militant aguerri, impliqué sur le terrain, nous raconte avoir été effaré de constater une organisation ultraverticale : « C’est pire qu’au PS ! On doit filer droit, les pouvoirs sont aux mains des instances et du référent territorial, les adhérents sont à peine représentés au conseil (à hauteur de 25 % – NDLR). » Lui avait souhaité fonder deux comités locaux dans sa ville, mais ses initiatives ont été refusées par les instances nationales. Car, à l’inverse des prémices d’En marche  !, la création des comités locaux est aujourd’hui soumise à la validation des instances nationales.

Ce manque cruel d’horizontalité a également eu raison de l’adhésion d’un ­ex-animateur local de la première heure en Seine-Saint-Denis. « Il n’y a aucune démocratie interne, tout est centralisé, je ne connais pas le FN mais je me demande si ce n’est pas plus démocratique », affirme l’ancien marcheur. L’idée de claquer la porte de LREM lui trotte dans la tête depuis avril dernier, notamment après la désignation de son candidat aux législatives par une commission nationale d’investiture de neuf membres, dont aucun n’a été élu. Pour lui, « le choix des candidats a été fait de manière peu démocratique, (nous) n’avons pas eu notre mot à dire. Ce qui a conduit beaucoup de personnes à militer du bout des doigts ».

La récente nomination par Emmanuel Macron du porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, au poste de délégué général nourrit encore plus sa colère. D’autant que, sauf coup de théâtre, l’ex-député et maire PS sera le seul candidat à postuler à la tête du parti présidentiel. Le vote du conseil, lors de la convention du 18 novembre à Lyon, ne sera qu’une formalité. « Pfff, on est en monarchie ! C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire... C’est contraire aux valeurs du mouvement. Pourquoi désigner son successeur par le haut sans consulter ? » fulmine le Dyonisien.

Une analyse en écho à celle de Corinne Lepage, soutien d’Emmanuel Macron à la présidentielle. L’ancienne ministre de Jacques Chirac a estimé que « cette affaire Castaner, c’est le contraire du projet initial d’En marche  !  ; cela ressemble à une forme de centralisme démocratique 2.0 où tout est managé d’en haut ». Sur la structure du parti, elle souhaite que LREM corrige le tir, jugeant que les comités ont été « la possibilité donnée aux Français de s’emparer de leur propre avenir ». Mais elle a « l’impression très franchement qu’on est passé tout à fait à autre chose ». L’entreprise politique doit, selon elle, mettre à jour son logiciel.

L’enjeu est crucial pour le parti présidentiel, qui a en tête les élections intermédiaires. Pour s’implanter dans les territoires, il devra compter sur une force partisane soudée et dotée d’un corpus idéologique défini. Dans des villes, les tractations vont déjà bon train pour figurer sur une liste aux municipales. « Des personnes ont tenté de mettre la main sur le comité pour être bien vues par les instances et espérer être sur une liste... C’est de la politique politicienne », déplore une ex-animatrice locale dans l’Aisne qui avait fondé un comité dès décembre 2016. Lassée de ces méthodes, elle a claqué la porte de l’organisation vis-à-vis de laquelle elle ressent une « extrême déception ».

LOLA RUSCIO, L’Humanité


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