Aux États-Unis, la Marche contre les armes : et après ?

lundi 2 avril 2018.
 

L’image était fort belle : une carte postale d’un pays progressiste, en phase avec la pensée universaliste et, qui plus est, portée par la jeune génération, celle du futur, celle qui fera l’Amérique de demain.

La tonalité dans la presse mondiale a été aux louanges et à la glorification de cette journée du 24 mars 2018. Il n’aurait pas fallu forcer beaucoup pour que la foule reprenne en chœur le même slogan : « Yes, we can ! »

Que de symboles

On attendait, bien évidemment, les « survivants de Parkland », du nom qu’ils ont eux-mêmes choisi. Emma Gonzalez, qui avait attiré tous les regards au lendemain de la tuerie, a parfaitement tenu son rôle… en ne disant rien. Elle s’est dressée là, en face de la foule, sans prononcer un mot jusqu’à ce qu’un « bip, bip, bip » retentisse et qu’elle explique enfin que, le 14 février, ces six minutes et vingt secondes avaient été les plus horribles de sa vie. Le temps de la fusillade. Le temps qu’il faut pour tuer 17 personnes.

Une petite fille de 11 ans a parlé après elle. Naomi Walder, qui est en CM2 à Parkland a dit représenter celles et ceux dont les médias ne parlent jamais depuis cette Saint-Valentin maudite : les Afro-Américains. Car, a-t-elle expliqué, ce sont les premières victimes des armes dans ce pays. Et personne ne le dit. C’est donc une enfant qui l’aura fait.

Ce massacre a frappé les esprits parce qu’il a eu lieu dans une école et que tous les Américains se sont identifiés aux parents des petites victimes. Le lien avec d’autres tueries, dans d’autres écoles, a également été fait, notamment avec des prises de paroles de survivants de Sandy Hook, une école primaire qui a connu un pareil drame en 2012 : il y avait alors eu 27 petites victimes de 5 et 6 ans.

Les participants à ces marches n’étaient pas tous anonymes. Face au drame national, des personnalités de la musique, de la mode, ou du cinéma se sont mêlées à la foule : Paul McCartney, George Clooney, Justin Bieber, Myley Cyrus, Ariana Grande, Amy Svhumer, Demi Lovato, Kanye West et Kim Kardashian étaient également présents au milieu des anonymes, à New York, à Washington ou à Los Angeles.

Pour finir de convaincre les plus indécis, Yolanda King est montée sur cette grande scène et s’est adressée à la foule. Du haut de ses 9 ans, la fille de Martin Luther King III et surtout petite-fille de l’auteur du plus beau discours jamais prononcé par un Américain : « I have a dream », a évoqué son rêve à elle, celui qui allait tout changer : « Ça suffit ! » Elle a alors fait chanter la foule au rythme de « Nous serons une grande génération ».

Réplique immédiate

La réplique ne s’est pas fait attendre. Depuis quelques jours, les opposants à cette contestation d’un droit que certains jugent inaliénable étaient devenus inaudibles. Mais ils continuaient pourtant à s’exprimer et à faire entendre un autre son de cloche. Et s’ils n’ont pas été présents aux abords des manifestations, comme c’est souvent le cas aux États-Unis, leurs voix ont commencé à porter un peu plus dès la fin de la journée.

Cela a commencé par un questionnement en règle : qui a organisé tout cela ? Et surtout qui a payé, alors que la logistique étaient impeccable ? Certainement pas des enfants, alors que la propagande officielle est qu’ils se sont organisés seuls, loin des partis ou des associations déjà actives autour de cette question, ou engagées dans une lutte contre le président des États-Unis.

C’est vrai que le site de la Marche pour la vie est étonnamment bien construit, avec un merchandising très élaboré, comme on en trouve lors des campagnes présidentielles américaines : des t-shirts, des caquettes, des bandanas, des sacs, tout une panoplie de gadgets vendus à des prix prohibitifs et donc réservés à une clientèle de militants très engagés.

Un site qui se double d’une application et d’un support informatique qui requiert des serveurs puissants, des réseaux qui soutiennent l’ensemble et, certainement, une armée d’informaticiens qui veillent à la stabilité du tout. Comment croire que les enfants de Parkland aient pu faire cela tout seuls ? Il n’y a donc aucune surprise lorsqu’on apprend que l’on retrouve backstage des personnes qui ont organisé la campagne de Barack Obama.

« Apprenez à tirer ! »

Les opposants ont posé ces questions et ont interrogé sur la propagande qui s’est abattue sur les États-Unis et sur le monde : face à l’annonce d’une foule comprise entre 800 000 et 1 millions de manifestants, il a été fait remarquer que le record historique dont se prévalent les organisateurs est bien loin d’être atteint. Les chiffres sont tombés en fin de journée : 202 796 (seulement) à Washington, où on en attendait au minimum 300 000, et des manifestations bien plus modestes que prévues à New York (175 000), à Atlanta ou Pïttsburgh (30 000), à Houston (55 000).

Même à Los Angeles, il n’y a eu que 55 000 manifestants, d’après le maire démocrate et anti-armes de la ville Eric Garcetti, les journaux se contentant de signaler « plusieurs dizaines de milliers ». A Miami, il n’y a eu aucune marche, car tout le monde s’est retrouvé à Parkland, qui n’est qu’à quelques kilomètres. Mais, même là, ils n’étaient « que » 15 000.

Enfin, la NRA, qui a fait le choix de ne pas communiquer durant toute la journée anti-armes, se rattrape bien depuis et reprend un à un les arguments des manifestants pour les tailler en pièces, au nom de la sécurité de tous. Ses plus fidèles lieutenants sont les élus qu’elle finance abondamment depuis tant d’années et qui ont repris, eux aussi, la parole depuis la fin des manifestations : Rick Santorum a alors conseillé à tous ces jeunes de prendre leur place dans la société et d’apprendre à tirer, « au cas où ». Ce serait d’après lui, bien plus utile que de crier au loup.

Zéro impact ?

Le pire dans tout cela c’est que tout le monde semble bien d’accord sur ce qui va arriver dans les prochains mois, voire les prochaines années : c’est-à-dire RIEN.

Rien ne se fera, en effet, car rien n’a véritablement été demandé. Les exigences des lycéens sont restées floues, peut-être pour ne pas donner prise à une récupération politique. Mais en se contentant de demander « moins de violence » et « moins d’armes », ces jeunes n’ont pas permis de mener le débat à un niveau qui permette une transformation en profondeur.

L’enjeu était de taille car, si les Américains sont partagés de façon égale sur cette question (grossièrement 50 % sont pour et 50 % sont contre suivant les années), l’occasion était assez unique de faire bouger les lignes, alors que les sondages indiquent tous que les lignes ont bougé et que jusqu’à 70 % des Américains se disent prêts à accepter la modification de certaines lois.

Réformer, mission quasi impossible

Certes, cela n’est pas facile car rien ne se prête à une évolution dans ce domaine. En mettant à part le poids de la NRA et l’enjeu des dons aux élus, le climat général dans le pays et l’héritage que constitue symboliquement les armes dans une histoire américaine façonnée par la révolution et la conquête de l’Ouest, les institutions sont le frein le plus formidable qui soit à cette évolution. Pour changer le 2e amendement, celui qui donne ce droit de posséder une arme, il faut en effet trouver une majorité de deux tiers dans chacune des chambres au Congrès et, en plus, réussir à réunir la même super-majorité dans deux tiers des 50 États américains pour la ratification. Tout cela dans un nombre d’années limitées avant l’expiration de la proposition… C’est quasiment une mission impossible.

Le plus gros danger pour le pouvoir est donc ailleurs et Donald Trump a bien compris que c’est de sa cote personnelle donc il a été question après cet attentat perpétré à quelques kilomètres à peine de sa résidence de Floride. Il a su immédiatement déjouer ce piège en se mettant à l’écoute des victimes, en se rendant sur place ou en semblant s’opposer de front à la NRA, jusqu’à évoquer un changement de la loi et un renforcement des mesures contre les armes.

Rien de tout cela ne s’est fait non plus et on aurait pu s’en douter, tant les positions pro-armes du président des États-Unis sont connues et ont été un socle de sa campagne. Le jour même de cette manifestation, il a toutefois sécurisé ses flancs en dénonçant la vente libre des bump stocks, ces accessoires qui permettent de transformer une arme semi-automatique en automatique et en annonçant qu’il donnait instruction au secrétaire d’État à la Défense de le faire sans délai.

Il convient toutefois de rappeler que c’était déjà une proposition mise en avant par tout le monde après la pire tuerie que les États-Unis ont connue dans leur histoire civile, il y a à peine quelques mois à Las Vegas. Cette idée a pourtant été très vite écartée dès que les médias n’en ont plus parlé.

Avertissement pré-électoral

Le plus difficile reste peut-être à venir pour ces jeunes de Parkland, poussés par leur enthousiasme et leur envie de changer le monde, comme on veut le faire au temps de l’adolescence. Ce drame va les faire grandir un peu trop vite et ils vont apprendre que devenir adulte passe aussi par la déception de ne pas pouvoir changer ce monde parfois très dur. Après les lumières des manifestations, il va leur falloir apprendre à gérer l’attente et retourner dans l’ombre.

Cela ne veut pas dire que rien n’est impossible et ils l’ont montré par leur exceptionnelle mobilisation. Ils peuvent aussi s’appuyer sur les exemples du passé, en particulier des luttes des années 60 qui ont prouvé que des jeunes, même idéalistes, peuvent renverser des modèles qui semblent immuables. Mais ce temps-là est-il venu ?

Donald Trump a peut-être tweeté trop vite lorsqu’il a félicité cette jeunesse qui a fait un bel acte civique en exerçant son droit à la manifestation et à la prise de parole qui est garantie par le premier amendement, sous-entendant bien évidemment qu’il faut respecter tous les amendements, y compris le second. Le président est persuadé que les choses ne changeront pas et il gère l’immédiat.

Mais à ce clin d’œil provocateur à tous les coups qui sont portés en retour, notamment sur les chiffres de la participation, des voix s’élèvent déjà aux côtés des lycéens et font remarquer qu’un meeting politique a rassemblée plus de 200 000 personnes : voilà un avertissement qui est d’une tout autre nature et qui peut faire réfléchir tout le monde en cette année électorale.

Jean-Éric Branaa

The Conversation

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