L’Union de la gauche et le programme commun dans les années 1970

dimanche 23 avril 2006.
 

Pour comprendre les raisons pour lesquelles durant les années 70 la gauche va réussir à s’unir, non sans difficultés et soubresauts, il faut remonter quelques années auparavant.

Une gauche divisée depuis le Libération

Depuis la Libération, la gauche, la SFIO et le PCF, n’arrivent pas à trouver les voies de l’union. La phrase est connue, mais elle illustre bien une époque. Pour Guy Mollet secrétaire général de la SFIO : « le Parti communiste n’est pas à gauche, il est à l’Est ».

Même Léon Blum, pourtant resté dans l’imaginaire collectif du peuple de gauche comme le chef du Front populaire, justifie la création d’une « troisième force » pour lutter notamment contre « la dictature du communisme mondial ». Beaucoup d’anticommunisme soude ce genre de regroupement et pour Blum encore le véritable conflit international « c’est celui du socialisme et du communisme ».

Cette « troisième force » coincée entre le PCF et le RPF gaulliste casse la gauche en deux blocs hostiles. Plusieurs municipalités sont gérées en commun par la SFIO et le MRP démocrate-chrétien. De plus, le mouvement socialiste s’émiette dans une longue série de groupes aux influences réduites (PSA puis PSU, l’UGCS, la CIR, etc.)

La Ve République modifie tout

En 1958, la mise en place de la cinquième République modifie radicalement la donne.

Si la SFIO de Guy Mollet continue sa dérive en appelant à voter oui à la Constitution défendue par le Général de Gaulle, quelques uns pressentent que les règles ont changé et qu’il est indispensable que la gauche en tire des conséquences. C’est le cas tout particulièrement de François Mitterrand.

Il comprend que le fonctionnement institutionnel met en place une bipolarisation de l’affrontement politique. Désormais ce doit être gauche contre droite. Il n’y a plus de place pour des regroupements centristes du type « troisième force » des années précédentes. Il se pose immédiatement en principal opposant au Général de Gaulle, de façon frontale. François Mitterrand devient l’homme du « non ». Non à de Gaulle, non à ces institutions mises en place sous la menace d’un coup de force des parachutistes, non au nouvel ordre qui s’installe. Pour la suite, ce non sera fondateur. Parce qu’il s’est dressé comme l’un des principaux opposants à de Gaulle, Mitterrand pourra par la suite rassembler toute la gauche sur son propre nom.

Le candidat unique

Ce sera le cas dès 1965. Cette année-là, lors de l’élection présidentielle il devient le candidat unique de la gauche, soutenu par le PCF, la SFIO, le PSU (en réalité sans grand enthousiasme) et les radicaux. L’objet de ces lignes n’est pas de rappeler les conditions dans lesquelles Mitterrand, président de la modeste Convention des Institutions Républicaines (CIR), réussira ce tour de force. Mais on peut essayer d’en retenir quelques leçons. S’il y parvient, c’est qu’il est déjà identifié publiquement comme un opposant frontal au pouvoir gaulliste et que le Parti communiste, principale force à gauche, voulait s’engager dans une stratégie d’Union de la Gauche rompant avec les années précédentes.

Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF, sera un soutien déterminant et dira du candidat : « Quelles que soit les remarques qui peuvent être faites sur la personnalité de Mitterrand, il est incontestablement un opposant résolu au régime de pouvoir personnel ». La publication de son ouvrage Le coup d’état permanent qui dénonce rudement les institutions gaullistes, ses prises de position nombreuses contre la politique du pouvoir en place, l’ont campé comme un adversaire intransigeant du « Général ».

De plus, il n’exclut personne à gauche. C’est tout l’inverse ; puisqu’il juge déterminant d’obtenir le soutien des communistes. Ils sont très peu à l’époque, dans la gauche non-communiste, à défendre une telle position. Quelques accords électoraux de désistements mutuels existent entre le PCF et la SFIO ; rien de plus que des pratiques locales. Enfin, ses amis et lui sont les seuls convaincus que cette candidature unitaire créera une dynamique. Beaucoup en doutent, notamment dans les états-majors des partis de gauche.

Si tous ont des intérêts internes pour soutenir Mitterrand, la majorité est convaincue qu’il s’agit là d’une bataille perdue d’avance et que de Gaulle l’emportera dès le premier tour. Il en sera autrement. La campagne provoquera une dynamique inattendue à gauche.

Des dizaines de meetings rassembleront des milliers de militants. Et le soir du premier tour, le 5 décembre 1965, François Mitterrand mettra Charles de Gaulle en ballottage, en obtenant 32,23 % des voix contre 43,71 %. C’est un succès manifeste car personne alors n’aurait imaginé un score aussi important. Depuis 1958 et sa constitution approuvée par près de 80% des électeurs, le Général de Gaulle a emporté aisément toutes les élections.

Le 18 décembre, à l’occasion du second tour il réunira 45,49 % des voix. Le rassemblement de la gauche commence à démontrer toute sa pertinence et sa puissance, même si c’est encore un échec. Il devient prometteur. Mai 1968 et ses conséquences Mai 1968 et ses dix millions de grévistes percutent cette mise en place. Paradoxalement, malgré les nombreuses victoires sociales obtenues par la grève générale, les principaux partis de gauche ne bénéficient pas de cette formidable mobilisation. Si sur le plan social le pouvoir a dû lâcher du lest, sur le plan politique il réagit.

Les élections législatives de juin 1968 bousculent la gauche politique.

Les reports de voix sont mauvais, l’abstention progresse à gauche. L’extrême-gauche appelle à s’abstenir sur le slogan « Elections, pièges à cons ! ». En revanche, à droite on se mobilise car la bourgeoisie a eu peur. Le raz-de-marée gaulliste emporte tout. La déception est vive. Le Général de Gaulle devra néanmoins partir un an plus tard (le Page 9 27 avril 1969), après avoir essuyé un « non » à 53,18 % lors d’un référendum sur la régionalisation.

Mais, en 1969, la gauche ne se rassemblera pas. Représentée par quatre candidats (Defferre, Duclos, Rocard et Krivine), elle sera éliminée dès le premier tour. Le candidat du PCF, Jacques Duclos obtiendra 21,52 % et Gaston Defferre pour la SFIO seulement 5,07 % !

Le congrès d’Epinay

C’est dans ce contexte que s’ouvre la décennie 70, et que se tient le congrès d’Epinay (les 11, 12 et 13 juin 1971) du Parti socialiste. Avant tout ce congrès est celui de « l’unité des socialistes ». Beaucoup de groupes politiques veulent mettre un terme à la dispersion en se rassemblant dans une formation commune. C’était le cas de l’UGCS en 1969. C’est désormais celui de la CIR.

Mais surtout, l’idée que sans union, la gauche est condamnée à la marginalité fait son chemin. Beaucoup dans ce Parti socialiste (depuis 1969 la SFIO a changé de nom) craignent que toute alliance à gauche se déroule sous l’hégémonie du PCF. François Mitterrand qui rejoint ce nouveau parti socialiste est sur une autre ligne.

Grâce à elle, il y est majoritaire et devient Premier secrétaire dès son premier congrès. C’est une ligne offensive que l’on peut résumer ainsi : l’unité de la gauche passe avant tout par l’accord entre les socialistes et les communistes. Cet accord doit se matérialiser très rapidement dans un programme commun de gouvernement plutôt que se perdre dans d’interminables discussions idéologiques entre les deux partis.

Mais surtout, pour permettre la réalisation de ce futur programme commun, François Mitterrand propose une orientation politique créant des conditions plus favorables. Depuis quelques années, on l’a déjà vu, le PCF est pour un Programme commun de la gauche. Mitterrand sait que cette union avec le PCF exige de la part du PS une orientation nettement marquée à gauche, rompant avec les années d’errance idéologique de la SFIO.

L’Union passe par la rupture... avec le capitalisme

A Epinay, dans son discours, Mitterrand est clair sur la ligne que doit avoir son nouveau parti. Il déclare : « Réforme ou révolution ? J’ai envie de dire (..) oui, révolution. Mais ce que je viens de dire pourrait être un alibi si je n’ajoutais pas une deuxième phrase : violente ou pacifique, la révolution c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture - la méthode cela passe ensuite - , celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, cela va de soi, c’est secondaire..., avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peutêtre adhérent du parti socialiste. »

Concernant les relations avec le PCF, Mitterrand pointe dans ce même discours qu’il s’agit là du cour du débat, contre ceux qui voudraient rester flous sur ce point. Il ironise  : « Mais enfin, vous savez... le détail qui change tout... on est d’accord sur tout, et puis... il y a juste un point d’accrochage, il est là... accord avec le parti communiste, dialogue avec le parti communiste ». Pour lui il faut aller avec détermination et sans perte de temps vers l’accord car : « vous croyez que vous pourrez aborder les élections sans dire aussi aux Français pour quoi faire ? Cela aussi c’est créer les conditions de l’échec permanent ! ».

A l’inverse, pour lui, ceux qui ne veulent à ce stade qu’un dialogue ont tort. Il assène : « Mais le dialogue idéologique qui pose des problèmes vraiment fondamentaux, le dialogue idéologique, il tend à résoudre quoi d’ici 1973 ? (...) dialogue idéologique, est-ce que cela veut dire que si on ne s’entend pas sur l’essentiel, on ne pourra s’allier aux élections  ? (...) Voilà pourquoi, en conclusion, je dirai qu’il n’y a pas d’alliance électorale s’il n’y a pas de contrat de majorité. Il n’y aura pas de gouvernement de gauche s’il n’y a pas de contrat de gouvernement... ».

A Epinay, c’est cette orientation et cette stratégie qui l’emportent : rassemblement de tous les socialistes, Union de la Gauche et programme commun. C’est parce qu’il défendait ces idées et qu’il était le plus efficace et le mieux placé (depuis 1965) pour les mettre en ouvre, que François Mitterrand devient le Premier secrétaire du PS.

Le « Allende français »

Pour son premier voyage à étranger comme Premier secrétaire en novembre 1971, il fera le choix hautement symbolique du Chili, pour rencontrer Salvador Allende qui gouverne son pays à la tête d’un gouvernement d’Unité populaire qui rassemble six partis de gauche dont quatre ministres communistes. Les réformes de l’UP sont dominées par une réelle volonté de rupture avec l’ordre capitaliste, particulièrement avec la nationalisation du cuivre première richesse naturelle du Chili.

Durant ce voyage, où il croise Fidel Castro lui aussi en visite, la presse locale baptisera Mitterrand le « Allende français ». Pour la gauche, et même l’extrême gauche française, c’est un premier signe fort : l’unité de la gauche est possible, elle existe et est majoritaire ailleurs. Mitterrand ne cachera pas l’objectif de ce voyage : « Le Chili, dira-t-il, est une synthèse intéressante et originale. En France, pays industriel avancé dans la zone d’influence occidentale, il est peu probable que puisse se développer une action violente sans qu’elle soit réprimée par les forces de la grande bourgeoisie.

Le mouvement populaire peut, en revanche, légitimement penser l’emporter par la voir légale : grâce au suffrage universel et aux pressions des travailleurs dans les secteurs en crise. Il s’agit de démontrer aux Français que cette voie est possible. La preuve ? Le Chili est en train de l’apporter ».

1972 : le Programme commun

A partir de cette nouvelle orientation, en France les évènements s’enchaînent rapidement. L’année s’était ouverte sur une manoeuvre de Pompidou qui voulait empêcher le rapprochement du PS et du PCF. Prétextant de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, il organise un référendum. Le PCF appelle à voter non. Les socialistes, afin d’éviter d’être sur un ligne opposée à celle de leurs futurs partenaires, font le choix de l’abstention. Le 23 avril 1972, seulement 36,12 % de la totalité des électeurs diront oui. La droite au pouvoir est affaiblie, l’Union de la Gauche n’est pas stoppée par cette péripétie. La manouvre a échoué.

Quelques semaines plus tard, le 27 juin 1972, un an après le Congrès d’Epinay, le PS, le PCF et le Mouvement des Radicaux de Gauche signent un programme commun. Les principaux engagements sont les suivants :

- Application effective de la semaine de 40 heures en cinq jours pour l’ensemble des salariés avec maintien intégral du salaire (ce qui n’était pas encore le cas dans beaucoup d’entreprises).

- Amorce d’une augmentation substantielle des salaires.

- Augmentation générale des retraites et pensions. Celles-ci ne pourront pas être inférieures au SMIG et seront rapidement amenées à 75 % du salaire annuel moyen des dix meilleures années.

- Objectif primordial : la résorption du chômage et du sous-emploi chronique.

- Dans le secteur bancaire et financier, la nationalisation concernera l’ensemble du secteur, c’est-à-dire la totalité des banques d’affaires, les principaux holdings financiers et les banques de dépôts (...).

- Nationalisation de plusieurs grands groupes industriels (Dassault, Rhône-Poulenc, Péchiney, etc.).

Ainsi, c’est plus de cent vingt pages d’engagements qui sont pris par les signataires de ce programme commun. Dans son préambule, ils affirment vouloir « mettre fin aux injustices et aux incohérences du pouvoir actuel. Pour y parvenir et pour ouvrir la voie au socialisme, des changements profonds sont nécessaires dans la vie politique et sociale de la France. (...) Ce programme est un programme d’action. ».

L’accord qu’ils constatent entre eux est « suffisamment large pour leur permettre de proposer au pays un programme commun de gouvernement pour la prochaine législature ».

Progression électorale et renforcement politique

Les résultats ne se font pas attendre. La dynamique de l’Union est en marche. L’exemple des résultats aux législatives est clair. En 1967, la gauche réalisait près de 9,5 millions de voix soit 43 % des suffrages. En 1968, elle reculait avec près de 8,8 millions de voix soit 40 % des suffrages. Mais dès 1973, moins d’un an après la signature du Programme commun elle progresse : 10,5 millions de voix soit 46 % des suffrages. En 1974, lors de l’élection présidentielle, François Mitterrand candidat unique des signataires du Programme commun réalise au premier tour plus de 10,8 millions de voix. A quoi il convient d’ajouter 940 000 voix écologistes (René Dumont) et d’extrême-gauche (Arlette Laguiller). Au second tour, c’est plus de 12,7 millions de voix qui se porteront sur le candidat Mitterrand. Cinq ans auparavant, la gauche avait été éliminée dès le premier tour. Au final, Giscard battra Mitterrand par moins de 350 000 voix. Chaque camp s’est pleinement mobilisé. L’abstention est tombée à 12,06 % en métropole. C’est le score le plus bas depuis 1848, date de la mise en place du suffrage universel, un score tout à fait comparable à ceux que l’on relève dans les pays où le vote est obligatoire.

Dans la dynamique de la campagne de 1974, des forces politiques convergent aussi vers ceux qui portent l’union. Une forte minorité du PSU, après avoir critiqué deux ans auparavant le contenu du Programme commun, rejoint le PS, constatant qu’il n’y a pas d’espace politique en dehors de l’Union de la Gauche. Cette marche en avant rencontrera néanmoins de sérieux obstacles. Au sein même de l’arc de force de l’Union, certains jugent qu’elle est trop favorable au Parti socialiste Page 12 qui en est le principal bénéficiaire puisqu’il apparaît comme le moteur de cette union, sa colonne vertébrale, l’élément le plus déterminé.

Le 20 mars 1977, pour les élections municipales la gauche est majoritaire en voix dans le pays. Elle emporte contre la majorité 32 villes de plus de 30 000 habitants. Les nouveaux maires sont essentiellement socialistes.

1977 : l’éclatement

Le PCF décide alors de « réactualiser » le Programme commun. Prétexte pour casser une dynamique qui lui échappe, ou volonté d’établir un programme qui « colle » au plus près des revendications du peuple de gauche en allant plus loin dans les augmentations de salaires et les nationalisations ? L’objet de cet article n’est pas de se prononcer sur ce point. Mais les conséquences sont manifestes. En réaction à ces exigences le MRG considère que les conditions d’un accord ne sont plus réunies. Le PS n’est pas d’accord avec la « réactualisation » communiste. Le 23 septembre 1977, c’est la rupture.

Dans le peuple de gauche, la volonté d’union reste forte. Le PS refuse de changer de ligne. Pour Mitterrand, il faut « tenir bon ». Il répète : « Notre parti n’a qu’un combat : celui qu’il mène contre la droite. Il n’a qu’une stratégie : l’Union de la Gauche ».

Dans un « Appel aux français » du PS on peut lire : « le programme commun de la gauche existe, il faut l’appliquer ; sur les points qui restent en divergence, les électeurs s’exprimeront au premier tour. Pour le second tour, une seule règle : désistement sans conditions pour le candidat de gauche arrivé en tête au premier tour. Après la victoire, gouvernement d’union de toute la gauche ».

Face à la division, il importe parfois d’être unitaire pour deux, pour trois, pour tous.

1978 : forces et faiblesses

La dynamique des années précédentes va tout de même se tasser pour les législatives de mars 1978. Quelques mois auparavant la gauche était nettement majoritaire en voix, elle comptabilise cette fois-ci au premier tour 48,57 %, à quoi il faudrait ajouter 2,14 % de voix écologistes. Mais au second tour, les reports de voix sont mauvais et la droite l’emporte nettement avec 290 sièges contre 201.

Les rapports de force internes à la gauche ont changé, le Parti socialiste a plus de députés que le PCF à l’Assemblée nationale. Sous la cinquième République, c’est la première fois. Cette progression du Parti socialiste est due à son obstination vis-à-vis de sa ligne unitaire, à sa ligne anti-capitaliste et à un investissement fort sur le terrain social. Dans La rose au poing, Mitterrand écrit : « Reconstruire un grand parti socialiste exige que plusieurs conditions soient remplies et d’abord qu’il récupère la confiance de ceux qu’il a pour mission de défendre en les rejoignant sur le terrain des luttes. L’authenticité ne s’invente pas, elle se prouve à l’usage ».

Dans des brochures de formation destinées à ses militants, le PS prévient : « Il faut que le PS soit présent dans le maximum d’entreprises et que les militants socialis- tes s’y battent à visage découvert ». C’est avec cette orientation politique que le PS redevient le premier parti de la gauche.

1979 : le Congrès de Metz

Malgré ces résultats, cette ligne est vivement contestée à gauche par ses partenaires et en interne au PS. Après les résultats des dernières législatives et une baisse de la côte de Mitterrand dans un sondage, Michel Rocard, depuis toujours critique sur l’alliance privilégiée avec les communistes, affirme : « Cela signifie probablement qu’un certain archaïsme politique est condamné, qu’il faut parler plus vrai, plus près des faits ».

Pour lui, il faut « s’adapter à la nouvelle situation ». En clair, en finir avec le Programme commun PS-PCF considéré comme irréaliste car trop étatiste et chercher d’autres alliés que les seuls communistes (comme la CFDT et ses réseaux), afin de contourner leurs exigences. La motion Rocard dira par exemple, alors que les communistes réclament plus de nationalisations : « En dehors de quelques pôles dominants et de secteurs clés qui seront nationalisés, l’immense majorité des entreprises restera dans le secteur privé ». « Parler plus vrai » signifie qu’il faut préparer le peuple de gauche à la rigueur budgétaire, rester prudent, ne faire aucune promesse qui serait jugée trop à gauche ; ce qui revient à se priver des moyens de créer une dynamique sociale.

En 1979, le congrès de Metz va trancher ce débat. Il aborde de fait, et tous les délégués en sont conscients, l’orientation que le PS doit mettre en ouvre pour la présidentielle qui suit, et par voie de conséquence le candidat qui doit la porter. L’alternative est simple : faut-il rester sur la ligne du Programme commun (et d’Epinay), malgré les difficultés que posent les partenaires, avec François Mitterrand ? Ou bien fautil acter cette rupture et bâtir de nouvelles alliances avec des forces sociales moins à gauche, mais dites plus « modernes », avec Michel Rocard ? Le congrès va décider entre « première » et « deuxième gauche ».

Dans son discours à Metz, Mitterrand sera clair : « L’Union de la Gauche, c’est l’union des partis politiques de gauche (pardonnez cette lapalissade). L’Union de la Gauche, c’est l’union des forces populaires représentées dans le combat politique par les partis et force politiques qui sont les représentants ou les interprètes naturels des classes sociales, du front de classe dont nous sommes les représentants.

L’union, parce que pour paraphraser Winston Churchill, elle est la pire des solutions, à l’exclusion de toutes les autres. Cela ne marche pas. On l’a bien vu. On s’en plaint. Je m’en plains. Il faut tenir bon. C’est ce que je demande. Ou bien, est-ce qu’il faut poser le sac au bord de la route ? Il faut accepter tout simplement que l’union marche quand le Parti communiste décide qu’elle marche et qu’elle ne marche plus quand il a décidé qu’elle ne marcherait plus ?... Mais voilà la réalité. Qu’on m’en propose une autre ! Et comme on m’en propose une autre sous la confusion des vocables, qu’on dise quoi ! Qu’on dise quoi ! Des syndicats ? Des associations ? Lesquels ? Veulent-ils ? Peuvent-ils ? Est-ce conforme à leur vocation, à leur histoire ? Avons-nous la garantie qu’il s’agira de bâtir ensemble une société socialiste ? Et si ce n’est pas cela, de qui parle-t-on ? L’Union de la Gauche avec les gens de gauche, ce n’est déjà pas si facile, mais l’Union de gauche avec les gens de droite, permettez... »

C’est Mitterrand dans la continuité du Congrès d’Epinay qui l’emporte. La motion Rocard obtient 21 %.

1981 : Mitterrand Président

La campagne présidentielle qui suit sera difficile. La droite multiplie ses attaques contre Mitterrand, cherche à effrayer l’électorat en dramatisant la possible présence de communistes au gouvernement et mène une rude campagne. De janvier à avril 1981, sur 33 sondages publiés dans la presse, 7 seulement sont favorables à François Mitterrand. A gauche aussi la concurrence est rude. Quelques semaines avant le premier tour, Edmond Maire secrétaire général de la CFDT et militant de la « deuxième gauche » rocardienne, déclare que selon lui « Giscard sera réélu ».

Au premier tour la gauche sera représentée par 6 candidats (contre 4 pour la droite  !). Chaque formation signataire du Programme commun présente son candidat (Michel Crépeau pour le MRG, Georges Marchais pour le PCF et François Mitterrand pour le PS). Mais la recherche de l’efficacité contre la droite l’emporte et le candidat au profil le plus unitaire en tire avantage. Pour l’électorat de gauche c’est Mitterrand qui porte le « talisman de l’unité ». Il réalise 25,84 % au premier tour.

Au second tour, le report des voix fonctionnera, même si Georges Marchais ne prononce le mot de « désistement » qu’au tout dernier moment. La poussée de la gauche est trop forte et Mitterrand l’emporte avec 52,22 % des voix. Pour la première fois sous la cinquième République un homme de gauche est élu Président.

Quels rapports avec l’extrême-gauche ?

Si le Programme commun réunissait les trois principaux partis de gauche, et que le PS accueillera en 1974 une part importante des militants du PSU entraînés par la dynamique unitaire, plusieurs organisations refuseront de le rejoindre. C’est le cas des formations trotskistes qui ont très sensiblement augmenté leur influence, particulièrement dans la jeunesse, depuis mai 1968. Généralement, leurs critiques sont dures contre cet accord qu’elles jugent vulgairement électoraliste, au contenu en-dessous des aspirations des masses.

Le PS n’affronte pas ces organisations qu’il appelle « gauchistes ». A contrario, il entend maintenir des points de convergences avec elles, rester à leur écoute.

Pas d’ennemis à gauche

Pour les socialistes, colonne vertébrale du Programme commun, il n’y a pas d’ennemis à gauche. Les signes d’attention qu’il envoie sont nombreux. En février 1972, Pierre Overney militant maoïste de La cause du peuple est ignoblement assassiné par un vigile aux usines Renault Billancourt. Certaines organisations du mouvement ouvrier tout en dénonçant ce crime critiquent les provocations régulières des maoïstes accusés d’avoir une part de responsabilité dans la mort de ce militant. Ce n’est pas le cas de François Mitterrand qui s’exprime très fermement à la Mutualité le 16 mars 1972 : « C’est contre le système que le Parti socialiste se mobilise. Nous respectons le combat Page 15 d’Overney même si nous doutons des méthodes employées. Il est à l’avant-garde d’un immense mouvement qui montre la menace là où elle se trouve. »

Dans la revue Le Débatd’avril-mai 1973, Mitterrand précise : « Le regard neuf est indispensable. Il doit être permanent et s’appliquer à tous les aspects de la société. Le socialiste doit regarder à tout instant et en ce sens la pratique gauchiste nous a énormément apporté. C’est le gauchisme qui a permis de porter un regard neuf sur la nature et la pollution, les cadences du travail, les OS, le service militaire, la hiérarchie sociale, les tabous sexuels. Ce regard neuf permet ensuite aux syndicats et aux partis, c’est-à-dire aux gros bataillons, de conférer, avec le temps de retard inhérent aux organisations structurées, la dimension politique aux problèmes et situations découverts par le regard neuf ».

En juin 1973, la Ligue communiste sera dissoute par le gouvernement pour avoir organisé une manifestation violente contre un meeting d’extrême-droite. Ses dirigeants, principalement Alain Krivine, sont recherchés par la police. Ce dernier, avant de se livrer aux forces de l’ordre est reçu Cité Malesherbes, siège du Parti socialiste, par François Mitterrand qui s’entretient longuement avec lui propose de rester le temps qu’il voudra dans les locaux. Puis, c’est accompagné de ce dernier qu’Alain Krivine se livrera à la police.

La LCR face au programme commun

Et pourtant la Ligue communiste ne ménageait pas ses critiques. Dans les jours qui suivent la signature du Programme commun en 1972, elle publie une brochure au titre moqueur « Quand ils seront ministres... ». La critique est rude contre Georges Marchais et François Mitterrand, considérant que ce Programme commun n’est pas assez à gauche, et que ses signataires « capituleront » devant la bourgeoisie.

Mais les rédacteurs de la brochure concèdent toutefois : « Un grand nombre de travailleurs (...) qui aspirent profondément à l’unité dans la lutte, verront dans cet accord électoral un premier pas vers l’unité, et lui accorderont leur confiance. L’espoir ainsi créé peut se traduire par un renforcement des luttes, par la mobilisation de certains secteurs prêts à exiger dès maintenant ce qu’on leur promet pour demain. (...) La bourgeoisie ressent profondément l’équilibre précaire de cette situation.

Si elle a accueilli l’accord PS-PC avec une telle rage, c’est qu’elle craint pour ses sièges parlementaires, bien sûr. Mais surtout elle craint que les masses travaillées par le ferment révolutionnaire n’aillent plus loin que le cadre défini, elle craint que la dynamique enclenchée, il ne soit difficile de l’arrêter. C’est pourquoi elle cherche à compromettre dès à présent l’alliance PS-PC en présentant le PCF comme gauchiste pour effrayer l’électorat socialiste ».

En 1981, sans présenter de candidat au premier tour, la LCR appellera à « Battre Giscard  » et à voter Mitterrand au second tour.

LO, toujours dans la nuance...

Lutte ouvrière aussi, multipliera les critiques incessantes contre le Programme commun. En 1974, sa candidate à la présidentielle expliquera à la télévision : « Mitterrand n’est pas des nôtres. La caution des grands partis ouvriers qui se réclament de la classe ouvrière ne suffit pas à faire oublier qu’il a du sang d’ouvriers et d’opprimés sur les mains. Non, mille fois non ! ». Page 16 Mais, LO appellera à voter Mitterrand au second tour des présidentielles de 1974 et de 1981.

L’OCI, de la critique au vote Mitterrand dès le 1er tour

Les positions de l’OCI (organisation dont le principal dirigeant est Pierre Lambert et dont l’héritier aujourd’hui est le Parti des travailleurs), et de l’AJS (son organisation de jeunesse) évoluent au fil des années. Elles accueillent d’abord très négativement l’arrivée de François Mitterrand à la tête du PS en 1971. Le secrétaire général de l’AJS déclare alors : « La politique de Mitterrand est d’utiliser le sigle du Parti socialiste pour en faire un Parti bourgeois. L’AJS considère l’opération Mitterrand comme un danger pour le mouvement ouvrier et souhaite son échec le plus rapide ». Mais, comme la LCR et LO, l’OCI constatera dans les faits la force de la dynamique unitaire.


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