Le cauchemar de 14-18 parle à chacun de nous

samedi 17 novembre 2018.
 

Cent ans après, le cauchemar de la Grande Guerre marque encore singulièrement la société française. Rencontre avec l’historien Nicolas Offenstadt, qui décrypte l’armistice et ses commémorations.

Clairière de Rethondes, forêt de Compiègne, 11 novembre 1918, 5 h 15 du matin  : dans un wagon aménagé pour l’occasion, les représentants de l’Allemagne acceptent les conditions des Alliés, l’armistice est signé. À 11 heures, le cessez-le feu prend effet. Le traité de paix, lui, sera signé le 28 juin 1919, à Versailles.

La Première Guerre mondiale, qui a tout d’abord impliqué les puissances européennes avant de s’étendre à d’autres continents, a fait en un peu plus de quatre années environ 10 millions de morts – 1,4 million côté français –, auxquels s’ajoutent les blessés, invalides et mutilés.

Au moment où le centenaire de l’armistice bat son plein, point d’orgue de cinq années de commémorations, l’historien Nicolas Offenstadt, spécialiste notamment de la Grande Guerre et de ses mémoires (1), analyse ce que commémorer cette guerre veut dire, hier et aujourd’hui.

Car « une commémoration parle toujours du présent  », et la Première Guerre mondiale, bien qu’éloignée d’un siècle, marque singulièrement la société française, comme l’indiquent autant l’ampleur exceptionnelle que les pouvoirs publics ont voulu donner à ce centenaire que l’intérêt persistant et si particulier des Français pour cette guerre. Jusqu’aux polémiques suscitées par le souhait de l’Élysée de ne pas donner aux cérémonies le sens de la célébration d’une victoire militaire.

Le centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918 bat son plein. Que signifie cet armistice, lorsqu’il a été signé  ?

Nicolas Offenstadt. Il marque la cessation des combats entre la France et l’Allemagne, sur le front occidental. C’est un immense soulagement pour les combattants, souvent incrédules, ce n’est pas tant la joie de la victoire que la fin du cauchemar, mais c’est très vite le poids de la souffrance et du deuil. Les soldats ont perdu beaucoup de leurs copains – et les civils, tant de leurs proches – et ont encore en tête les images de la « boucherie ». Et ce n’est pas la fin du conflit  : de nombreux combats se poursuivent, notamment sur le front de l’Est, et en Orient jusqu’au début des années 1920.

Quel est le monde de l’armistice  ?

Nicolas Offenstadt. C’est un monde ravagé par les pertes humaines du fait de la guerre – environ 10 millions de victimes – mais aussi de la « grippe espagnole », qui s’abat alors sur la planète. C’est aussi, pour nombre de régions, un monde détruit  : l’occupation de territoires dans le quart nord-est de la France, et on s’est battu en bien d’autres lieux, en Russie, mais aussi en Afrique ou en Chine, entre autres… C’est aussi un monde qui a connu des violences inouïes envers les civils, avec le génocide arménien en particulier. C’est également un monde en révolutions  : en Russie, mais il y a des bouleversements un peu partout dans le monde, avec la naissance progressive des partis communistes, la révolution allemande et encore d’autres « possibles » révolutionnaires. C’est enfin un monde où la question territoriale va changer, principalement en Europe, avec l’écroulement des empires et la naissance ou la renaissance de nations.

Le dispositif national du centenaire du 11 Novembre apparaît exceptionnel. Y a-t-il des éléments inédits ?

Nicolas Offenstadt. Autour du président de la République, la commémoration du 11 Novembre s’étend sur une semaine, ce qui est inédit sous cette forme, avec tout d’abord une « itinérance mémorielle » de plus de cinq jours, commencée le 4 novembre dans les départements du Grand-Est et des Hauts-de-France, emblématiques du conflit, où il se rend chaque jour dans un lieu de mémoire ou sur un champ de bataille. La présence à Paris, le 11 Novembre, des dirigeants de tous les pays belligérants est également marquante. Et peut-être plus qu’à d’autres périodes, la commémoration va s’articuler avec le présent car le président va lancer un Forum de la paix.

Cette « itinérance » était-elle inscrite dans le programme initial du centenaire de la Première Guerre mondiale ?

Nicolas Offenstadt. Non, elle s’est construite progressivement, comme son aboutissement. S’agissant de l’ensemble du centenaire, ce qui était programmé dans les premiers rapports de 2011-2013 a évolué en fonction des enjeux du présent. Par exemple, 2014 et 2018 étaient prévues comme des bornes de la commémoration. Or l’engouement a été tel, chaque territoire voulant sa commémoration, qu’il y a eu une revalorisation des années de l’entre-deux.


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